CA Angers, ch. a com., 29 octobre 2024, n° 19/01384
ANGERS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
REXEL FRANCE (SAS)
Défendeur :
ALPACHA (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme CORBEL
Conseillers :
M. CHAPPERT, Mme GANDAIS
Avocats :
SELARL DELAGE BEDON LAURIEN HAMON, SELARL LEXCAP, Me MARIEL
FAITS ET PROCÉDURE :
Suivant acte sous seing privé du 15 février 2005, la SCI Alpacha a consenti à la SARL SRP Ouest, aux droits de laquelle se trouve désormais la SAS Rexel France, un bail commercial sur des locaux au [Adresse 3] à [Localité 5] (Maine-et-Loire), pour une durée de neuf années courant à compter du 15 février 2005.
Un article 10 intitulé "Impôts et charges divers" de ce bail commercial prévoyait que le preneur "(...) devra acquitter exactement les impôts, contributions et taxes à sa charge personnelle. Il devra justifier de leur acquit notamment en fin de bail et avant tout enlèvement d'objets mobiliers, matériel et marchandises. Il'remboursera annuellement au bailleur sur justificatif la taxe foncière afférente aux locaux présentement loués".
C'est en se fondant sur cette disposition que la SCI Alpacha a facturé, chaque année, à la SAS Rexel France les taxes d'enlèvement des ordures ménagères et que cette dernière en a assumé le remboursement jusqu'au 8 octobre 2016.
Estimant que les dispositions contractuelles ne justifiaient pas qu'elle prenne en charge le paiement de cette taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la'SAS Rexel France a demandé à la SCI Alpacha le remboursement des sommes qu'elle lui avait versées à ce titre, dans la limite de la prescription, par des lettres du 10 mars 2016 et du 13 juin 2016.
La SCI Alpacha s'est opposée à cette demande par une lettre en réponse du 13 mai 2016 et, par une lettre du 13 octobre 2016, elle a mis la SAS Rexel France en demeure de lui régler la somme de 1 845,40 euros au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016. Plusieurs échanges sont ensuite intervenus entre les parties, elles-mêmes puis par l'intermédiaire de leurs avocats respectifs, jusqu'à ce que la SAS Rexel France fasse assigner la SCI Alpacha en remboursement devant le tribunal de grande instance d'Angers par un acte d'huissier du 28 mars 2017.
Par un jugement du 1er avril 2019, le tribunal de grande instance d'Angers a':
- débouté la SAS Rexel France de ses demandes,
- condamné la SAS Rexel France à payer à la SCI Alpacha la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens,
- assorti le jugement de l'exécution provisoire sur la condamnation de la SAS'Rexel France au paiement de la somme de 1 845,40 euros au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016, majorée des intérêts au taux légal à compter du 22 décembre 2016, date de la mise en demeure,
Pour statuer ainsi, le premier juge a considéré que, quand bien même le bail commercial ne comportait aucune clause faisant peser la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur le preneur, les dispositions contractuelles mettaient néanmoins à la charge de celui-ci tous les impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou à un service dont il bénéficiait, ce qui incluait la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Le premier juge a également relevé que le contrat mettait également expressément la taxe foncière à la charge du preneur, alors qu'une telle taxe incombe normalement au bailleur, lequel en serait demeuré redevable à défaut d'une clause contraire.
Par une déclaration reçue au greffe le 8 juillet 2019, la SAS Rexel France a interjeté appel de ce jugement, l'attaquant en toutes ses dispositions et intimant la SCI Alpacha.
La SAS Rexel et la SCI Alpacha ont conclu.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 17 juin 2024.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 22 juin 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la SAS Rexel France demande à la cour :
- de la dire et juger recevable et bien fondée en son appel,
y faisant droit,
- d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
statuant à nouveau,
- de condamner la SCI Alpacha à lui payer les sommes de 5 691 euros et de 3 869,35 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2016, date de la demande de remboursement, ou, à défaut, à compter de l'assignation,
- de condamner la SCI Alpacha au paiement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel, lesquels seront recouvrés directement par la SCP Delage Bedon Rouxel dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, remises au greffe par la voie électronique le 28 octobre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un exposé des moyens en application de l'article 455 du code de procédure civile, la'SCI'Alpacha demande à la cour :
- de confirmer le jugement entrepris,
en conséquence,
- de débouter la SAS Rexel France de l'intégralité de ses demandes,
à titre reconventionnel,
- de condamner la SAS Rexel France à lui payer la somme de 1 845,40 euros au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016, majorée des intérêts au taux légal depuis la date du 22 décembre 2016, date de la lettre de mise en demeure,
- de condamner la SAS Rexel France à lui payer la somme de 1 856,40 euros au titre de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2017, majorée des intérêts au taux légal depuis la date d'exigibilité de la dette,
en toute hypothèse,
- de condamner la SAS Rexel France à lui payer la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et celle de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les dépens dont distraction au profit de la SELARL Lexcap,
Motivation
MOTIFS DE LA DÉCISION :
- sur la demande de remboursement :
Le litige entre les parties consiste à savoir si la SAS Rexel France était bien tenue de rembourser à la SCI Alpacha les taxes d'enlèvement des ordures ménagères ou si, comme l'appelante le soutient, les paiements qu'elle a réalisés à ce titre ont été indus et justifient la répétition des sommes versées en application de l'article 1376 du code civil, devenu l'article 1302-1 du même code après l'entrée en vigueur de l'ordonannce n° 2016-131 du 10 février 2016.
Le bail commercial qui lie les parties a été conclu le 15 février 2005 pour une durée de neuf années à compter de cette date. La SCI Alpacha évoque, au'soutien de son argumentation, les dispositions issues de loi n° 2014-626 du 18'juin 2014 et du décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014. Mais celles-ci ne s'appliquent qu'aux baux commerciaux conclus ou renouvelés après le 5'novembre 2014 et elles sont donc inapplicables au cas d'espèce. De même, le'fait que l'annexe du décret n° 87-713 du 26 août 1987 liste la taxe d'enlèvement des ordures ménagères parmi les charges récupérables par le bailleur sur son locataire est en réalité indifférent dès lors que cette réglementation est propre aux baux d'habitation et qu'elle n'est pas transposable aux baux commerciaux tant que les parties ne s'y sont pas expressément soumises, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
En matière de baux commerciaux, la question de la répartition des charges est en effet laissée à la libre disposition des parties. Le bailleur ne peut obtenir le remboursement par le preneur d'une obligation qui lui incombe normalement qu'en cas d'accord exprès des parties et, en présence d'un bail commercial écrit, lorsqu'une clause le prévoit.
L'article 1523 du code général des impots prévoit que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est imposée au nom des propriétaires ou usufruitiers et qu'elle est exigible contre eux et leurs principaux locataires. Il s'agit donc d'une taxe qui est légalement due par le propriétaire, quand bien même l'administration fiscale peut en poursuivre son recouvrement également contre le locataire. Le'propriétaire bailleur ne peut donc transférer la charge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères sur son preneur qu'à la faveur d'une disposition contractuelle. Or, l'article 10 précité ni aucune clause du bail commercial du 15'février 2005 ne prévoit expressément la prise en charge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères par le preneur, ce qu'a d'ailleurs bien relevé le premier juge.
L'intimée approuve toutefois le premier juge d'avoir considéré qu'il ressortait des dispositions contractuelles que le preneur assumait la charge des impôts, taxes et redevances liés à l'usage du local ou de l'immeuble ou à un service dont il bénéficie. Mais, en premier lieu, les dispositions contractuelles ainsi visées ne sont pas précisées, que ce soit par le premier juge ou par la SCI Alpacha devant la cour. En deuxième lieu, l'article 10 précité ne met à la charge du preneur que les impôts, taxes et redevances à sa charge personnelle, c'est-à-dire celles qui sont propres à son activité commerciale et aux revenus qu'elle génère. Et'en'troisième lieu, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères ne constitue pas une charge afférente à l'immeuble et le fait qu'elle corresponde à des services dont le preneur profite n'est en soi pas suffisant pour en faire peser la charge sur celui-ci il en l'absence d'une clause spécifique en ce sens.
La SCI Alpacha fait par ailleurs valoir que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères est additionnelle, indivisible et assimilable à la taxe foncière, puisque les deux taxes sont assises sur la même base d'imposition, qu'elles sont traitées et recouvrées par les mêmes services, qu'elles sont soumises à la même procédure de reprise et qu'il est prévu une solidarité entre le propriétaire et son principal locataire pour le paiement et le recouvrement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Certes, l'article 10 précité prévoit expressément le transfert de la charge de la taxe foncière sur le preneur et il est exact que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères présente certaines similitudes avec la taxe foncière, aux côtés de laquelle elle figure sur le même rôle, qu'il s'agisse de son mode de calcul ou de recouvrement. Pour autant, la taxe d'enlèvement des ordures ménagères n'est pas une composante de la taxe foncière et les deux taxes ne sont pas assimilables, la seconde étant due à raison de la propriété de l'immeuble quand la première, facultative, résulte d'un service rendu par la collectivité locale. Contrairement à ce que soutient l'intimée, il ne peut donc pas être déduit du transfert conventionnel de la charge de la taxe foncière sur le preneur que celui-ci doit également supporter la charge de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères.
Enfin, la SCI Alpacha entend se prévaloir d'un accord tacite résutant du fait que la SAS Rexel France, de laquelle elle a acquis la propriété du local et qui connaissait donc nécessairement l'existence de la taxe foncière et de la taxe d'enlèvement des odeurs ménagères, lui a remboursé pendant onze ans cette dernière taxe sans aucune protestation. Néanmoins, le simple fait que la SAS'Rexel France ait réglé la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, même pendant plusieurs années, ne suffit pas à valoir reconnaissance de sa part que la charge de cette taxe lui incombe, un tel comportement pouvant en effet tout autant découler d'une simple méprise de la société sur l'étendue de ses obligations locatives, comme elle l'invoque précisément, d'ailleurs d'autant plus compréhensible en l'espèce qu'elle s'était jusqu'alors acquittée de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères en sa qualité de propriétaire. L'argument de l'intimée tiré du paiement par la SAS Rexel France, le 10 octobre 2018, de la somme de 13 348,80 euros à la suite de la lettre du 24 septembre 2018 n'est pas plus convaincant en ce que, d'une part, la lettre est intitulée 'rétrocession taxe foncière 2018" et ne révèle donc pas que la somme réclamée incluait également le coût de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. D'autre part, il ne peut pas être raisonnablement soutenu que, ce faisant, la SAS Rexel France se serait reconnue débitrice de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, alors même qu'elle avait introduit son action en répétition des sommes versées à ce titre depuis le 28 mars 2017.
En définitive, la SCI Alpacha ne rapporte pas la preuve que la charge finale de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères a été contractuellement transférée au preneur. Les paiements effectués par la SAS Rexel France à ce titre sont donc indus et, s'agissant d'une dette en réalité non existante, doivent donner lieu à répétition sans qu'il soit nécessaire de s'interroger sur une condition tenant à l'erreur commise par la SAS Rexel France, au demeurant non discutée par les parties. Le jugement sera donc infirmé en ce sens.
La SAS Rexel France ne produit que les seules factures, accompagnées de l'avis de taxe foncière, qui lui ont été adressées le 11 septembre 2012, le'8'octobre 2013, le 1er octobre 2014 et le 1er octobre 2015, toutes revêtues d'un tampon 'bon à payer'. La SCI Alpacha ne conteste toutefois ni le calcul au prorata des différentes taxes d'enlèvement des ordures ménagères dont la répétition est sollicitée, ni le fait que les sommes lui ont effectivement été payées. La'SCI'Alpacha sera par conséquent condamnée à verser à la SAS Rexel France la somme totale de (1 181 + 1 487 + 1 501 + 1 522) 5 691 euros, avec les intérêts au taux légal à compter de mise en demeure du 10 mars 2016.
Le jugement ne prononce pas formellement de condamnation de la SAS'Rexel France au paiement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016. Pour la même raison que cette taxe n'est pas due par la SAS Rexel France, la SCI Alpacha sera déboutée de sa demande reconventionnelle de condamnation au paiement, qu'elle concerne la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016 ou 2017, ainsi que de sa demande de capitalisation des intérêts par voie de conséquence. Au-delà, l'appelante justifie que, le 29 août 2019, elle a versé sur un compte Carpa une somme de 3 869,35 euros qu'elle explique correspondre au montant de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2016 (1 845,20 euros) et aux intérêts échus (167,75 euros), ainsi qu'au paiement de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères 2017 (1 856,40 euros). Ce paiement, ainsi que les sommes qu'il recouvre, ne sont pas contestés par la SCI Alpacha, qui sera donc condamnée à restituer ces sommes, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 août 2019, date du paiement.
- sur les demandes accessoires :
Le jugement sera également infirmé dans ses dispositions ayant statué sur les frais irrépétibles et les dépens de première instance.
La SCI Alpacha, partie perdante, sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'au paiement à la SAS Rexel France d'une somme totale de 4 000 euros couvrant les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, l'appelante étant elle-même déboutée de ses demandes à ce titre.
Dispositif
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement et contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la SCI Alpacha de sa demande de condamnation de la SAS Rexel France au paiement des taxes d'enlèvement des ordures ménagères 2016 et 2017 ;
Condamne la SCI Alpacha à verser à la SAS Rexel France les sommes suivantes :
* 5 691 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 10 mars 2016,
* 3 869,35 euros, avec les intérêts au taux légal à compter du 29 août 2019,
* 4 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,
Déboute la SCI Alpacha de ses demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SCI Alpacha aux dépens de première instance et d'appel, lesquels pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile au profit de la SCP Delage Bedon Rouxel.