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Décisions

Cass. com., 8 mars 2023, n° 21-20.738

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Avocats :

Me Occhipinti, SCP Célice, Texidor, Périer

Limoges, du 7 juin 2021

7 juin 2021

Reprise d'instance

1. Il est donné acte aux sociétés MJA et BTSG², agissant en qualité de liquidateurs de la société Un Jour ailleurs (UJA), de leur reprise d'instance à l'égard de M. [E], en qualité de mandataire ad hoc de la société E. [E] et fils.

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Limoges, 7 juin 2021), rendu en référé, par un acte sous seing privé du 12 février 2020, la société E. [E] et fils (la société [E]) a vendu à la société Un Jour ailleurs (la société UJA) le droit au bail du local d'un immeuble situé à [Localité 5], pour le prix de 250 000 euros, sous conditions suspensives, la date de réitération de la cession par acte authentique étant fixée au plus tard le 30 mars 2020. Cet acte contenait une clause attributive de compétence au profit des tribunaux du lieu de situation de l'immeuble.

3. Le 29 mai 2020, le tribunal de commerce de Paris a prononcé la résolution du plan de sauvegarde de la société UJA, qui avait été arrêté le 16 juin 2014, et mis cette dernière en redressement judiciaire.

4. Le 10 juillet 2020, la société [E] a assigné en référé la société UJA et ses administrateurs judiciaires devant le président du tribunal de commerce de Limoges, désigné par la clause attributive de compétence, afin d'obtenir, par ordonnance valant vente, la réitération de la vente du droit au bail et leur condamnation à lui payer le prix de cession prévu par l'acte du 12 février 2020.

5. La société UJA et ses administrateurs se sont opposés à ces demandes, en soulevant, notamment, l'incompétence du juge des référés au profit du tribunal de la procédure collective.

6. Le 14 août 2020, au cours de l'instance d'appel afférente à l'ordonnance de référé qui a accueilli les demandes de la société [E], le redressement judiciaire de la société UJA a été converti en liquidation judiciaire. Les sociétés MJA et BTSG², désignées en qualité de liquidateurs, ont repris l'instance.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens, ci-après annexés

7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens, qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

8. Les liquidateurs de la société UJA font grief à l'arrêt de rejeter leur exception d'incompétence matérielle et de retenir sa compétence pour connaître du litige, de constater la réalisation des conditions suspensives du contrat de cession de bail du 12 février 2020, et de les condamner solidairement, ès qualités, à payer à la société [E] la somme de 250 000 euros représentant le prix de cession du bail commercial et de rejeter leurs demandes, alors « que sans préjudice des pouvoirs attribués en premier ressort au juge-commissaire, le tribunal saisi d'une procédure de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire connaît de tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, à l'exception des actions en responsabilité civile exercées à l'encontre de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du commissaire à l'exécution du plan ou du liquidateur qui sont de la compétence du tribunal de grande instance ; que relèvent de la compétence exclusive du tribunal de la procédure collective les litiges portant sur la détermination du caractère antérieur ou postérieur d'une créance et sur la continuation d'un contrat en cours ; que, pour dire que le juge des référés du tribunal de commerce de Limoges, désigné par une clause attributive de juridiction stipulée dans l'acte de cession litigieux, était compétent pour connaître des demandes de la société E. [E] et fils tendant à voir juger que la cession de droit au bail conclue par acte du 12 février 2020 était parfaite et à condamner la société à payer le prix de cession convenu, la cour d'appel a retenu que le "contrat concerné, à savoir l'acquisition du droit au bail, un contrat en cours d'exécution à la date du 29 mai 2020. Date à laquelle ont été prononcées la résolution du plan de sauvegarde et l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'égard de la SASU UJA", la cour d'appel considérant que "Le litige portant sur ce contrat est donc un litige relatif à son exécution par la réitération du compromis et le paiement du prix fixé" et que de ce fait, "la difficulté d'exécution du contrat n'est pas née de la procédure de redressement prononcée le 25 mai 2020 et n'exerce pas sur cette même procédure une influence juridique" ; qu'en statuant de la sorte, quand les demandes formées par la société E. [E] et fils impliquaient qu'il soit statué sur le point de savoir si le contrat litigieux était ou non un contrat en cours, et de déterminer si la créance alléguée était antérieure ou postérieure à l'ouverture du redressement judiciaire de la société UJA, de sorte que le litige, dont la solution dépendait de l'application des règles de la procédure collective relevait de la compétence exclusive du tribunal de la faillite, la cour d'appel a violé l'article R. 662-3 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

9. Après avoir constaté que le plan de sauvegarde de la société UJA avait été résolu le 29 mai 2020, avec ouverture concomitante d'un redressement judiciaire, l'arrêt relève, d'abord, que l'acte du 12 février 2020 spécifiait clairement qu'à cette date, il existait un accord définitif des parties sur la chose et sur le prix, et que, à la suite de la réalisation des conditions suspensives prévues dans ce contrat, la vente est intervenue le 12 février 2020, soit avant le jugement d'ouverture du 29 mai 2020.

10. L'arrêt relève, ensuite, que la créance de prix de 250 000 euros, résultant de ce contrat, devait être honorée postérieurement au 30 mars 2020, après réitération de l'acte de vente.

11. De ces constatations et appréciations, desquelles il résulte que la vente avait été conclue avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société UJA, la cour d'appel a exactement déduit que le litige, relatif aux difficultés d'exécution de ce contrat, n'était pas né de la procédure de redressement ouverte le 25 mai 2020 (lire le 29 mai 2020), ni n'était soumis à l'influence juridique de cette procédure, de sorte qu'il ne relevait pas de la compétence du tribunal de la procédure collective et qu'il convenait de faire application de la clause attributive de compétence stipulée dans le contrat.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen relevé d'office

13. Après avis donné aux parties conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application de l'article 620, alinéa 2, du même code.

Vu les articles L. 622-21, I et L. 622-24 du code de commerce, rendus applicables au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code, et l'article 125 du code de procédure civile :

14. Il résulte de ces textes que la règle de l'arrêt des poursuites individuelles, consécutive à l'ouverture d'une procédure collective, constitue une fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause dont le caractère d'ordre public impose au juge de la relever d'office. Lorsqu'une demande en paiement n'a pas été formée à l'occasion d'une instance en cours avant l'ouverture de la procédure collective du débiteur, mais seulement après cette ouverture, le créancier ne peut faire constater le principe de sa créance et en faire fixer le montant, autrement qu'en la déclarant et en se soumettant à la procédure de vérification du passif.

15. Pour condamner les liquidateurs de la société UJA à payer à la société [E] la somme de 250 000 euros correspondant au prix de cession du droit de bail prévu dans le contrat du 12 février 2020, l'arrêt retient, d'abord, que l'accord des parties sur la chose et sur le prix figure dans ce contrat, que les conditions suspensives qui y étaient prévues ont été remplies et que la question posée est celle de l'exécution du contrat par le paiement du prix du droit au bail. Il ajoute que la société [E] est fondée à faire valoir l'urgence et l'existence d'un dommage imminent, dès lors qu'elle se trouve dans une situation aboutissant à la perte de son unique actif et que, ayant cessé ses activités et licencié son personnel, elle n'est plus en mesure de payer le droit au bail. L'arrêt en déduit que la société [E] est fondée à poursuivre le paiement de ce droit.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses propres constatations, d'un côté, que la demande de la société [E] tendant au paiement du prix était fondée sur une vente conclue antérieurement au jugement du 29 mai 2020, lequel avait ouvert une nouvelle procédure collective à l'égard de la société UJA, de l'autre, que cette demande avait été formée par une assignation du 10 juillet 2020, soit postérieurement à ce jugement d'ouverture, la cour d'appel, qui devait relever, au besoin d'office, l'irrecevabilité de la demande, a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. D'une part, après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la demande en paiement du prix de cession formée par la société [E] devant, en effet, être déclarée irrecevable, en vertu de la règle de l'arrêt des poursuites.

19. D'autre part, si cette cassation ne remet pas en cause l'arrêt en ce qu'il constate la réalisation des conditions suspensives du contrat du 12 février 2020, elle entraîne en revanche, la cassation, par voie de conséquence, de cette décision en ce qu'elle accueille la demande de la société [E] et en ce qu'elle condamne les liquidateurs de la société UJA aux dépens et au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ces chefs de dispositif se trouvant dans un lien de dépendance nécessaire avec celui condamnant ces liquidateurs au paiement du prix de cession.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le quatrième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce que, confirmant l'ordonnance entreprise, il rejette l'exception d'incompétence soulevée par les parties défenderesses, retient sa compétence et constate la réalisation des conditions suspensives du contrat de cession de bail du 12 février 2020, et en ce que, déboutant les parties du surplus de leurs demandes, il rejette la demande des sociétés MJA et BTSG2 tendant à l'irrecevabilité des conclusions de la société E. [E] et fils, l'arrêt rendu le 7 juin 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi.