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Décisions

Cass. 1re civ., 14 janvier 2016, n° 14-28.327

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Batut

Avocats :

SCP Barthélemy, Matuchansky, Vexliard et Poupot, SCP Boutet-Hourdeaux

Toulouse, du 8 octobre 2014

8 octobre 2014

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 8 octobre 2014), rendu en référé, qu'invoquant les troubles manifestement illicites résultant de la diffusion, sur un site internet édité par la société Linagora, de propos diffamatoires, injurieux et dénigrants, de la divulgation fautive de documents, d'un détournement de dénomination sociale et de la méconnaissance d'une obligation contractuelle de confidentialité, la société Blue Mind et MM. X...et Y... ont assigné la société Linagora, sur le fondement des articles 29, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, 1147, 1382 et 1383 du code civil et 809 du code de procédure civile, pour obtenir la suppression du site litigieux, outre des mesures d'interdiction, de radiation de nom de domaine et de publication ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Blue Mind et MM. X...et Y... font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes formées sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881, alors, selon le moyen :

1°/ que, devant la juridiction civile, la victime d'une diffamation peut demander la réparation de son préjudice à l'éditeur, que celui-ci soit une personne physique ou une personne morale ; qu'en considérant dès lors, pour déclarer la société Blue Mind et MM. X...et Y... irrecevables en leurs demandes dirigées contre la société Linagora, éditrice de logiciels, que les dispositions de la loi du 29 juillet 1982, qui ne font aucune différence selon que l'action est intentée dans un cadre pénal ou civil, ont notamment exclu expressément la responsabilité des personnes morales, lesquelles ne peuvent être tenues qu'à titre de civilement responsables des agissements commis par les personnes responsables des faits de diffamation ou d'injure prévus à la loi du 29 juillet 1881, en qualité d'auteur ou de complice et dont la liste limitative est reproduite aux articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982, de sorte que l'assignation dirigée à l'encontre de la seule société Linagora, personne morale distincte de la personne qu'est le directeur de la publication du site internet litigieux, dont il n'est ni allégué ni démontré qu'il ne serait pas identifiable et qui n'a pas été attrait à l'instance, est irrecevable dès lors que cette dernière n'avait pour rôle que d'assumer, le cas échéant, le poids des condamnations prononcées contre le ou les auteurs des infractions à la loi sur la liberté de la presse, la cour d'appel a violé l'article 42 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ;

2°/ que, devant la juridiction civile, l'action contre la personne civilement responsable n'est pas subordonnée à la mise en cause, par la partie lésée, de l'auteur du dommage ; que la société éditrice d'un ouvrage est civilement responsable de la diffamation commise par son directeur de la publication, lequel est son représentant légal ; que dès lors en déclarant MM. X..., Y... et la société Blue Mind irrecevables en leurs demandes dirigées contre la société Linagora, faute de mise en cause du directeur de la publication du site internet litigieux, la cour d'appel a violé les articles 6, 42 et 43 de la loi du 29 juillet 1881, ensemble les articles 93-2 et 93-3 de la loi du 29 juillet 1982 ;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu à bon droit que les dispositions de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle excluaient la responsabilité pénale des personnes morales et que celles-ci ne pouvaient, dès lors, être tenues qu'à titre de civilement responsables des agissements commis par les personnes limitativement énumérées par l'article 93-3 de la loi précitée, qui sont seules susceptibles d'engager leur responsabilité en qualité d'auteur ou de complice des infractions prévues par la loi du 29 juillet 1881 et de mettre en oeuvre les moyens de défense spécifiquement prévus par ladite loi ; qu'ayant relevé que le directeur de la publication du site internet litigieux n'avait pas été attrait en la cause et que l'assignation était dirigée exclusivement contre la société Linagora, elle en a exactement déduit qu'étaient irrecevables les demandes formées à l'égard de cette dernière, qui n'avait pour rôle que d'assumer, le cas échéant, le poids des condamnations prononcées contre le ou les auteurs des infractions à la loi sur la liberté de la presse ; que le moyen n'est pas fondé ;

Sur les deuxième et troisième moyens, réunis :

Attendu que la société Blue Mind et MM. X...et Y... font grief à l'arrêt de déclarer le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse incompétent au profit du juge des référés du tribunal de commerce de Nanterre pour connaître des demandes portant sur la diffusion de propos constitutifs de dénigrement, la divulgation fautive de documents et le détournement de la dénomination sociale, ainsi que sur les faits de divulgation des informations relatives aux aspects financiers du protocole d'acquisition d'actions passé entre MM. X...et Y... et la société Linagora, alors, selon le moyen :

1°/ que les juges ne peuvent méconnaître l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties ; que dans leurs conclusions d'appel, la société Blue Mind et MM. X...et Y... faisaient valoir que si des demandes étaient fondées sur des faits, pour certains, relevant des qualifications de diffamation et d'injure et à ce titre relevant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, et, pour d'autres, constitutifs de dénigrement, de divulgation fautive de documents issus de la saisie-contrefaçon et de la procédure, et de détournement de sa dénomination sociale, il existait une unicité évidente entre les demandes formées devant le juge des référés tenant à l'identité de parties, de cause et d'objet, qu'il était de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que l'ensemble des faits soient jugés par un seul et même juge et que l'unité du litige, sa meilleure compréhension et la cohérence de la décision qui devaient en résulter, notamment en évitant un risque de contrariété de décisions, se trouvaient ainsi privilégiées par rapport aux règles de compétence spéciale, d'autant plus que la compétence du tribunal de commerce n'était, en l'espèce, pas d'ordre public ; qu'en énonçant que la société Blue Mind avait soutenu qu'il existait une disposition légale prévoyant une prorogation de compétence en matière de demandes faisant suite à des prétentions émises dans le cadre d'une procédure ouverte sur le fondement de la loi sur la liberté de la presse, cependant que la société Blue Mind n'avait jamais soutenu une telle prétention mais avait seulement invoqué l'existence d'un lien entre les demandes tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire et juger ensemble, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige tel que déterminé par les prétentions respectives des parties et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ que dans le concours de deux juridictions, l'une de droit commun, l'autre d'exception, quand il s'agit d'une action comportant des chefs distincts mais connexes, la juridiction de droit commun doit, par l'effet de la prorogation légale, prévaloir sur la juridiction d'exception et rester saisie de toute l'affaire ; que la société Blue Mind et MM. X...et Y... faisaient valoir que si des demandes étaient fondées sur des faits, pour certains, relevant des qualifications de diffamation et d'injure et à ce titre relevant de la compétence exclusive du tribunal de grande instance, et pour d'autres constitutifs de dénigrement, de divulgation fautive de documents issus de la saisie-contrefaçon et de la procédure, et de détournement de sa dénomination sociale, il existait une unicité évidente entre les demandes formées devant le juge des référés tenant à l'identité de parties, de cause et d'objet, qu'il était de l'intérêt d'une bonne administration de la justice que l'ensemble des faits soient jugés par un seul et même juge et que l'unité du litige, sa meilleure compréhension et la cohérence de la décision qui devaient en résulter, notamment en évitant un risque de contrariété de décisions, se trouvaient ainsi privilégiées par rapport aux règles de compétence spéciale, d'autant plus que la compétence du tribunal de commerce n'était, en l'espèce, pas d'ordre public ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions déterminantes de nature à justifier la compétence du président du tribunal de grande instance pour connaître des demandes de la société Blue Mind fondées sur un dénigrement, une divulgation fautive de documents et un détournement de dénomination sociale, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

3°/ que dans le concours de deux juridictions, l'une de droit commun, l'autre d'exception, quand il s'agit d'une action comportant des chefs distincts mais connexes, la juridiction de droit commun doit, par l'effet de la prorogation légale, prévaloir sur la juridiction d'exception et rester saisie de toute l'affaire ; que la société Blue Mind et MM. X...et Y... faisaient valoir qu'il était nécessaire de faire juger les demandes de la société Blue Mind ensemble, par un seul et même juge, le juge des référés du tribunal de grande instance de Toulouse, car il existait une réelle unicité entre les demandes du fait d'une identité de parties, de cause et d'objet et qu'il était indéniablement dans l'intérêt de la bonne administration de la justice que la société Blue Mind et MM. X...et Y... voient leurs demandes jugées devant une seule et même juridiction ; qu'en ne répondant pas à ces conclusions déterminantes de nature à justifier la compétence du président du tribunal de grande instance pour connaître des demandes de la société Blue Mind fondées sur le manquement à une obligation contractuelle de confidentialité, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant énoncé que les demandes en cause relevaient de la compétence du tribunal de commerce en application de l'article L. 721-3 du code de commerce, la cour d'appel a répondu aux conclusions prétendument omises en retenant, par motifs adoptés, que la prorogation légale de compétence résultant de la connexité ne pouvait jouer au profit du tribunal de grande instance, en tant que juridiction de droit commun, dès lors que le tribunal de commerce était une juridiction d'exception dotée d'une compétence exclusive ;

D'où il suit que, non fondé en ses deux dernières branches, le moyen est inopérant en sa première branche qui critique des motifs surabondants ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi.