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Cass. crim., 6 novembre 2024, n° 22-87.120

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. crim. n° 22-87.120

6 novembre 2024

N° A 22-87.120 F-D

N° 01332

GM
6 NOVEMBRE 2024

CASSATION PARTIELLE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 6 NOVEMBRE 2024

MM. [P] [G], [C] [D] et [R] [Z] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel d'Orléans, chambre correctionnelle, en date du 9 novembre 2022, qui, a condamné, le premier, pour corruption passive, détournement de fonds publics et abus de confiance, à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis probatoire, 100 000 euros d'amende, cinq ans d'interdiction de gérer et d'inéligibilité, le deuxième, pour corruption active, à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, et le troisième, pour corruption active, à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Des mémoires ont été produits, en demande et en défense.

Sur le rapport de Mme Clement, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocats de MM. [C] [D] et [R] [Z], les observations de la société Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocats de M. [P] [G], les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de l'[1], et les conclusions de Mme Viriot-Barrial, avocat général, après débats en l'audience publique du 2 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Clement, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et M. Maréville, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. Le 23 octobre 2013, l'administrateur provisoire de l'[1], a déposé plainte auprès du procureur de la République, dénonçant des faits d'abus de confiance et détournement de fonds publics imputables au directeur général de l'association, M. [P] [G], licencié pour faute lourde le 30 juillet précédent.

3. L'association, de droit privé, était financée à 95 % par des fonds publics en provenance de l'agence régionale de santé, de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi et du conseil général du Loiret.

4. L'enquête diligentée a fait ressortir l'existence de contrats conclus au nom de l'[1] à des tarifs supérieurs à ceux pratiqués sur le marché, passés avec diverses sociétés, et des versements de fonds qui auraient eu lieu sans contrepartie.

5. Une information a été ouverte le 30 novembre 2015 des chefs d'abus de confiance, corruption active, corruption passive, détournement de fonds publics par personne privée et tentative, complicité de ce délit, recel, faux et usage de faux.

6. Par ordonnance du 16 décembre 2019, le juge d'instruction a renvoyé devant le tribunal correctionnel M. [G] sous la prévention de corruption active et passive, détournement de fonds publics et abus de confiance, M. [C] [D] sous la prévention de corruption active et recel de détournement de fonds publics, et M. [R] [Z] sous la prévention de corruption active.

7. Par jugement du 21 juillet 2020, le tribunal correctionnel a relaxé M. [G] des faits de corruption active et l'a condamné pour corruption passive, détournement de fonds publics et abus de confiance à trois ans d'emprisonnement, dont deux ans avec sursis, cinq ans d'inéligibilité et une interdiction de gérer une société, association ou entreprise commerciale à titre définitif, a relaxé M. [D] des faits de recel de détournement de fonds publics et l'a condamné pour corruption active à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, a déclaré M. [Z] coupable de corruption active et l'a condamné à douze mois d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils.

8. MM. [G], [Z] et [D], ainsi que le procureur de la République et l'[1], à titre incident, ont relevé appel de ce jugement.

Examen des moyens

Sur les premier et deuxième moyens, le troisième moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, proposés pour M. [G], et les premiers moyens proposés pour M. [Z] et M. [D]

9. Les griefs ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le troisième moyen, pris en ses autres branches, proposé pour M. [G], et les seconds moyens proposés pour M. [Z] et M. [D]

Enoncé des moyens

10. Le moyen proposé pour M. [G] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné l'intéressé à une peine de trois ans d'emprisonnement et à une autre peine de 100 000 euros d'amende, a dit que la peine d'emprisonnement serait partiellement assortie à hauteur de dix-huit mois d'un sursis probatoire d'une durée de deux années, l'a condamné à une peine complémentaire d'interdiction définitive de diriger, d'administrer, de gérer ou de contrôler une personne morale, et l'a condamné à une autre peine complémentaire de privation du droit d'éligibilité pendant cinq années, alors :

« 3°/ qu'en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle et, en ce qui concerne les peines d'amende, au regard de sa situation financière ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a motivé la peine d'emprisonnement, la peine d'amende et les deux peines complémentaires d'interdiction de gérer et d'inéligibilité prononcées à l'encontre de M. [G] au seul regard de la gravité prétendue des faits et de sa personnalité, sans s'expliquer ni sur la situation familiale et sociale de M. [G], présent lors de l'audience, ni, en ce qui concerne la peine d'amende, sur le montant de ses ressources et de ses charges ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les articles 132-1 et -20 du code pénal, 485, 512 et 593 du code de procédure pénale, 6 § 1 et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1er du protocole additionnel n° 1 de ladite Convention. »

11. Le moyen proposé pour M. [Z] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il a condamné l'intéressé à une peine de douze mois d'emprisonnement délictuel assortie d'un sursis, à une amende de 10 000 euros d'amende et à l'inscription de sa condamnation au bulletin n° 2 du casier judiciaire, alors :

« 1°/ que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement avec sursis doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et notamment de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en l'espèce la cour d'appel a condamné M. [R] [Z] à une peine de douze mois d'emprisonnement
avec sursis au motif qu'il devait « être condamné à hauteur, non pas du montant de la gratification accordée, mais des responsabilités qui étaient les siennes », que « son absence de remise en question [devait ]également être prise en compte dans la mesure où elle représente un risque de récidive » et que cette peine, « de nature à signifier la gravité des faits et la responsabilité pénale du prévenu en qualité de chef d'entreprise », devait « pouvoir jouer un rôle dissuasif pour l'intéressé et les personnes pouvant se trouver dans la même position que ce dernier » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs ayant trait aux circonstances de l'infraction, à la personnalité du prévenu et à la gravité de l'infraction, sans motiver sa décision au regard de la situation personnelle du prévenu, et notamment de sa situation matérielle, familiale et sociale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-1, 132-20 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en l'espèce la cour d'appel a condamné M. [R] [Z] à une amende de 10 000 euros au motif que « la peine d'amende est adaptée au regard de la nature de l'infraction dont le mobile était financier » ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les ressources et les charges du prévenu qui était comparant, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-1, 132-20 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale. »

12. Le moyen proposé pour M. [D] critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé le jugement de première instance en ce qu'il a condamné l'intéressé à une peine de douze mois d'emprisonnement délictuel assortie d'un sursis et à une amende de 10 000 euros d'amende, alors :

« 1°/ que le juge qui prononce une peine d'emprisonnement avec sursis doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, et notamment de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'en l'espèce la cour d'appel a condamné M. [C] [D] à une peine de douze mois d'emprisonnement
avec sursis au motif que, compte tenu de sa formation et de son parcours professionnel, « il connaissait donc parfaitement les risques encourus relativement à un comportement corruptif de nature à fausser la concurrence », que « contrairement à M. [O], […] il était mieux armé pour résister à des pressions de M. [G] » et que cette peine était « de nature à signifier la gravité des faits et la responsabilité pénale du prévenu en qualité de chef d'entreprise » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs ayant trait à la seule gravité de l'infraction, sans motiver sa décision au regard de la personnalité et de la situation personnelle du prévenu, et notamment de sa situation matérielle, familiale et sociale, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-1, 132-20 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale ;

2°/ que le juge qui prononce une amende doit motiver sa décision au regard des circonstances de l'infraction, de la personnalité et de la situation personnelle de son auteur, en tenant compte de ses ressources et de ses charges ; qu'en l'espèce la cour d'appel a condamné M. [C] [D] à une
amende de 10 000 euros au motif que « la peine d'amende est adaptée au regard de la nature de l'infraction dont le mobile était financier » ; qu'en statuant ainsi, sans s'expliquer sur les ressources et les charges du prévenu qui était comparant, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision et a méconnu les articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 132-1, 132-20 du code pénal, 485-1 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

13. Les moyens sont réunis.

Vu l'article 485-1 du code de procédure pénale :

14. Selon ce texte, en matière correctionnelle, le choix de la peine doit être motivé au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, sauf s'il s'agit d'une peine obligatoire ou de la confiscation du produit ou de l'objet de l'infraction. Il en résulte qu'à l'exception de ces cas, toute peine doit être motivée en tenant compte de la gravité des faits, de la personnalité de leur auteur et de sa situation personnelle et, concernant l'amende, de ses ressources et charges.

15. De première part, pour condamner M. [G] à trois ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis probatoire et 100 000 euros d'amende, l'arrêt énonce que le prévenu est le principal responsable d'un système généralisé ayant permis à des entreprises prestataires de conclure avec l'[1] des contrats avantageux en contrepartie de faveurs accordées par celles-ci.

16. Les juges relèvent que le parcours professionnel du prévenu et sa position de directeur général d'une importante structure associative auraient dû le conduire à un comportement intègre, transparent et économe des fonds publics et à adopter une attitude altruiste en adéquation avec l'objet même de l'association et qu'il n'a marqué au cours de la procédure aucun remord et ne s'est jamais remis en question.

17. Ils soulignent que l'association a subi un préjudice financier et d'image mais que la société dans son ensemble est également atteinte dès lors qu'il s'agit d'argent public.

18. Ils considèrent que les peines prononcées en première instance sont insuffisantes, que toute peine, autre que la partie ferme de l'emprisonnement prononcé, est insuffisamment dissuasive et manifestement inadéquate au sens de l'article 132-19 du code pénal, précisant qu'elle devra faire l'objet d'un aménagement ab initio au regard de la situation personnelle de l'intéressé.

19. Enfin les juges ajoutent que le caractère probatoire du sursis accordé doit inciter le prévenu à indemniser les parties civiles et régler les sommes dues au Trésor public, et que, s'agissant de l'amende, cette condamnation financière est adaptée à la nature de l'affaire, M. [G] ayant largement profité d'un enrichissement personnel lors de la commission des infractions.

20. De deuxième part, pour confirmer les peines d'un an d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende prononcées en première instance à l'encontre de M. [Z], l'arrêt énonce que du fait de sa longue expérience de dirigeant d'un important cabinet d'architecte, il avait une parfaite connaissance de l'infraction, ce qui aurait dû l'inciter à la prudence dans ses relations personnelles avec M. [G] et à éviter toute entorse à la concurrence.

21. Les juges retiennent que ces peines, propres à sanctionner ses responsabilités en qualité de chef d'entreprise, répondent à un impératif de sévérité fondé sur le risque de récidive résultant de l'absence de remise en question de sa part.

22. Ils considèrent que la peine d'emprisonnement avec sursis, de nature à signifier la gravité des faits, est dissuasive, et que la peine d'amende est adaptée au regard de la nature de l'infraction dont le mobile est financier.

23. De troisième part, pour confirmer les peines d'un an d'emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d'amende prononcées en première instance à l'encontre de M. [D], l'arrêt énonce que diplômé d'une école d'ingénieur et dirigeant d'une entreprise de travaux soumise aux règles de la concurrence, il connaissait les risques qu'il encourait en se livrant à la corruption.

24. Les juges relèvent que la peine d'emprisonnement avec sursis, avant tout dissuasive, signifie la gravité des faits à hauteur de sa responsabilité pénale en sa qualité de chef d'entreprise et que la peine d'amende est adaptée au regard de la nature de l'infraction dont le mobile est financier.

25. En se déterminant ainsi, sans mieux s'expliquer, d'une part, sur la situation matérielle, familiale et sociale des prévenus, qu'elle devait prendre en considération pour prononcer les peines, d'autre part, s'agissant de l'amende, sur leurs ressources et charges, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

26. Dès lors la cassation est encourue de ce chef, sans qu'il y ait lieu d'examiner le cinquième grief du troisième moyen proposé pour M. [G].

Portée et conséquences de la cassation

27. La cassation sera limitée aux peines prononcées dès lors que les déclarations de culpabilité et les dispositions sur l'action civile n'encourent pas la censure.

Examen de la demande fondée sur l'article 618-1 du code de procédure pénale

28. Les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel. La déclaration de culpabilité de MM. [G], [Z] et [D] étant devenue définitive par suite de la
non-admission de leurs moyens, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Orléans, en date du 9 novembre 2022, mais en ses seules dispositions relatives aux peines prononcées à l'encontre de MM. [G], [D] et [Z], toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bourges, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

Fixe à 2 500 euros la somme que M. [G] devra payer à l'association [1] au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Orléans et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.