CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 6 novembre 2024, n° 23/14142
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Défendeur :
Print and Cut (SARL), Empreinte Publicitaire (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Brun-Lallemand
Conseillers :
Mme Depelley, M. Richaud
Avocats :
Me Ingold, Me Simon, Me Nadjar
EXPOSE DU LITIGE
La SAS Empreinte Publicitaire, entreprise spécialisée depuis 2004 dans l'impression numérique et la publicité adhésive qui avait en particulier pour clients les sociétés Ryvia et Jerem, a, à l'expiration du terme de son contrat de professionnalisation conclu le 10 septembre 2007, embauché madame [S] [X] le 1er septembre 2009 en qualité d'assistante commerciale, son contrat de travail stipulant en son article 8 « Discrétion et concurrence » une obligation de discrétions sur toutes les informations théoriques et techniques recueillies pendant la relation de travail et l'interdiction d'exercer une activité concurrente de celle de son employeur pendant toute la durée de son contrat.
Le 2 mai 2012, madame [S] [X] notifiait sa démission à l'issue d'un préavis expirant le 1er juin 2012 mais inexécuté en fait. Elle constituait le 22 mai 2012 avec monsieur [W] [G], qui avait été client de la SAS Empreinte Publicitaire, la SARL Print and Cut qui, immatriculée le 26 juin 2012 avec un début d'activité fixé au 25 mai 2012, exerce une activité principale de fabrication d'imprimés et de supports d'information physiques ou dématérialisés ainsi que de création graphique, d'impression numérique et de découpe et pose adhésive.
Suspectant des actes de détournement de sa clientèle, la SAS Empreinte Publicitaire a :
- assigné, respectivement les 10 et 8 janvier 2013, ses clients Ryvia et Jerem devant le tribunal de commerce en rupture brutale de leurs relations commerciales établies en juin et juillet 2012. Par arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 avril 2017, la première était condamnée à l'indemniser de son préjudice, à l'instar de la seconde reconnue responsable de cette pratique restrictive par jugement définitif du tribunal de commerce de Paris du 26 janvier 2015 ;
- par ordonnance rendue sur requête le 29 octobre 2013 par le délégataire du président du tribunal de commerce de Créteil, été autorisée à mandater un huissier de justice pour prendre copie d'éléments relatifs aux clients de la SARL Print and Cut. L'huissier procédait à ses opérations le 14 novembre 2013.
C'est dans ces circonstances que, par actes d'huissier des 25 février 2016 et 1er juin 2017, la SAS Empreinte Publicitaire a assigné la SARL Print and Cut puis madame [S] [X] et monsieur [W] [G] devant le tribunal de commerce de Créteil en indemnisation des préjudices causés par les actes de concurrence déloyale qu'elle leur imputait.
Par jugement du 4 décembre 2018, le tribunal de commerce de Créteil a :
- dit que la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] avaient commis une faute à l'origine du préjudice subi par la SAS Empreinte Publicitaire ;
- condamné solidairement la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et M monsieur [W] [G] à verser à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 98 374,00 euros et débouté la SAS Empreinte Publicitaire du surplus de ses demandes ;
- condamné solidairement la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à verser à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et débouté les parties défenderesses de leur demande réciproque ;
- ordonné l'exécution du jugement, sous réserve qu'en cas d'appel la partie demanderesse produise une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée à son profit ;
- dit que les dépens seraient mis solidairement à la charge de la SARL Print and Cut, de madame [S] [X] et de monsieur [W] [G].
Sur appel de la SARL Print and Cut, de madame [S] [X] et de monsieur [W] [G] formé le 9 janvier 2019, la cour d'appel de Paris a, par arrêt du 3 décembre 2021, statué en ces termes :
- « déclare prescrites les actions à l'encontre de Mme [S] [X] et M. [W] [G] ;
- infirme le jugement en toutes ses dispositions, sauf celles qui ont retenu les faits de concurrence déloyale à l'encontre de la société Print and Cut et mis à sa charge les dépens ;
- statuant à nouveau des autres chefs et y ajoutant,
- condamne la société Print and Cut à payer à la société Empreinte Publicitaire la somme de 5 000 euros de dommages et intérêts au titre des faits de concurrence déloyale ;
- déboute Mme [S] [X] et [la SAS Empreinte Publicitaire] de leur demande de dommages et intérêts tirée de l'exécution provisoire du jugement ;
- laisse à chacune des parties la charge de ses propres dépens d'appel ;
- laisse à chacune des parties la charge de ses propres frais exposés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ».
Cependant, par arrêt du 28 juin 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation a cassé et annulé cette décision en toute ses dispositions, sauf en ce que, confirmant le jugement, elle retient les faits de concurrence déloyale à l'encontre de la SARL Print and Cut et en ce qu'elle rejette la demande de dommages et intérêts formée par madame [S] [X] et la SARL Print and Cut au titre de l'exécution provisoire du jugement, et ce pour les motifs suivants :
- premier moyen (prescription de l'action à l'encontre de monsieur [W] [G]) :
Vu les articles L. 223-22 et L. 223-23 du code de commerce :
14. Il résulte de la combinaison de ces textes que l'action en responsabilité dirigée contre les gérants d'une société à responsabilité limitée en raison des fautes commises dans leur gestion se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
15. Pour déclarer prescrite l'action à l'encontre de M. [G], après avoir énoncé que l'action en responsabilité contre les gérants de société, pour faute détachable de leurs fonctions, est prescrite par trois ans à compter du fait dommageable, l'arrêt retient qu'il se déduit de la requête que la société Empreinte publicitaire a délivrée le 23 octobre 2013 pour être autorisée à procéder à un constat sur les fichiers clients de la société Print and Cut, qu'elle était en mesure, à cette date, de rechercher la responsabilité de M. [G], et qu'elle ne l'a assigné à cette fin que le 11 mai 2017.
16. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui était demandé, si certains des actes reprochés à M. [G] n'avaient pas été commis alors qu'il n'était pas encore gérant de la société Print and Cut, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
- deuxième moyen (prescription de l'action à l'encontre de madame [S] [X]) :
Vu l'article 2224 du code civil :
18. Aux termes de ce texte, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
19. Pour déclarer prescrite l'action à l'encontre de Mme [X], l'arrêt retient qu'il est constant que le 2 mai 2012, le lendemain de la démission de celle-ci, la société Empreinte publicitaire lui reprochait le détournement des fichiers clients de l'entreprise, cependant qu'elle n'a été assignée à cette fin que le 11 mai 2017.
20. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il lui incombait, si, à cette date, le dommage correspondant au détournement effectif de la clientèle au profit de la SARL Print and Cut s'était réalisé et si la SAS Empreinte Publicitaire en avait ou aurait dû en avoir connaissance, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
- troisième moyen, première branche (indemnisation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies) :
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 :
22. Il résulte du premier de ces textes que la victime d'actes de concurrence déloyale a droit à la réparation du préjudice résultant du détournement de clientèle par le concurrent.
23. Selon le second, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé, le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Seuls sont indemnisables sur ce fondement les préjudices découlant de la brutalité de la rupture et non de la rupture elle-même.
24. Pour limiter la condamnation de la société Print and Cut au profit de la société Empreinte publicitaire à la somme de 5 000 euros au titre des faits de concurrence déloyale, l'arrêt retient que si un dommage s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale, l'évaluation de celui-ci ne peut se cumuler avec la réparation que la victime a déjà obtenue des co-auteurs des faits et que la société Empreinte publicitaire a déjà été indemnisée pour les deux clients perdus par les décisions du tribunal de commerce de Paris du 26 janvier 2015 et de la cour d'appel de Paris du 28 avril 2017.
25. En statuant ainsi, alors que l'indemnisation au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie avec un client répare seulement le préjudice découlant de l'absence ou de l'insuffisance de préavis et peut se cumuler avec l'indemnisation, par l'auteur d'actes de concurrence déloyale, du préjudice résultant de la perte de ces clients au-delà de la période de préavis, la cour d'appel a violé les textes susvisés, le premier, par refus d'application, le second, par fausse application.
- troisième moyen, quatrième branche (indemnisation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale et indemnisation au titre de la rupture brutale des relations commerciales établies) :
Vu les articles 1382, devenu 1240, du code civil et L. 442-6 I 5° du code de commerce dans sa rédaction issue de la loi n° 2010-874 du 27 juillet 2010 :
27. Pour limiter la condamnation de la société Print and Cut au profit de la société Empreinte publicitaire à la somme de 5 000 euros au titre des faits de concurrence déloyale, l'arrêt retient aussi qu'il résulte des informations financières produites aux débats par la société Print and Cut, la preuve que la société Empreinte publicitaire n'a pas réalisé de chiffre d'affaires dans les proportions qui font présumer un détournement de clientèle qui excède celui qui a déjà donné lieu à la réparation économique.
28. En statuant ainsi, alors que l'indemnisation reçue des sociétés Jerem et Ryvia réparait un préjudice distinct du préjudice de perte de clientèle causé par les actes de concurrence déloyale de la société Print and Cut, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Par déclaration reçue au greffe le 20 juillet 2023, monsieur [W] [G] a saisi la cour de renvoi.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 19 septembre 2023 par la voie électronique, monsieur [W] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et, statuant de nouveau :
- à titre principal, vu les articles 122 du code de procédure civile et L 223-23 du code de commerce, de juger que l'action en responsabilité initiée par la SAS Empreinte Publicitaire à l'encontre de monsieur [W] [G] est prescrite ;
- à titre subsidiaire, vu les articles L 223-21 et suivants du code de commerce :
* de juger que les conditions de mise en 'uvre de l'action en responsabilité initiée par un tiers à l'égard de monsieur [W] [G] ès qualités de gérant ne sont pas réunies faute de justifier de l'existence d'une faute détachable de ses fonctions ;
* d'ordonner la mise hors de cause de monsieur [W] [G] ;
* vu l'article 1382 (ancien) du code civil, de juger que les conditions de mise en 'uvre de l'action en responsabilité ne sont pas réunies faute pour la SAS Empreinte Publicitaire de justifier de l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ;
* d'ordonner la mise hors de cause de monsieur [W] [G] ;
- en tout état de cause, de :
* débouter la SAS Empreinte Publicitaire de l'ensemble de ses demandes ;
* condamner la SAS Empreinte Publicitaire à verser à monsieur [W] [G] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en indemnisation de son préjudice moral ;
* condamner la SAS Empreinte Publicitaire à verser à monsieur [W] [G] la somme de 7 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
En réponse, dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 24 septembre 2024, la SAS Empreinte Publicitaire demande à la cour, au visa des articles 1382 et suivants anciens et 1240 nouveau du code civil,1134 ancien et 1103 et 1231-1 nouveaux du code civil :
- de recevoir la SAS Empreinte Publicitaire en ses demandes et les déclarer recevables et bien fondées ;
- de débouter la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] de l'intégralité de leurs demandes ;
- confirmer le jugement rendu le 4 décembre 2018 par le tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a jugé la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] s'étaient rendus coupables d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la SAS Empreinte Publicitaire et que ces actes de concurrence déloyale avaient causé un préjudice important à celle-ci en lien direct avec les faits reprochés ;
- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné solidairement la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à réparer le préjudice causé à la SAS Empreinte Publicitaire uniquement par le règlement des sommes de 98 374 euros au titre de préjudice subi au titre des actes de concurrence déloyale et de de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en première instance ;
- statuant à nouveau :
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 183 762 euros pour la société Ryvia et 701 604 euros pour la société Jerem correspondant à son manque à gagner du fait des actes de concurrence déloyale commis et du détournement de sa clientèle et des commandes qui lui étaient destinées ;
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 14 860,15 euros à titre de remboursement des sommes versées à Pôle Emploi du fait des licenciements économiques devant nécessairement être mis en place à la suite de la rupture ;
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 200 000 euros correspondant au trouble commercial et à la désorganisation de sa société, qui lui a été causé de ce fait ;
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 20 000 euros correspondant à son préjudice moral ;
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 30 000 euros pour procédure abusive ;
* condamner solidairement et/ou in solidum la SARL Print and Cut, madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à régler à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 50 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 31 janvier 2024, madame [S] [X] et la SARL Print and Cut demandent à la cour, au visa des articles 1382 du code civil dans sa version applicable aux faits de l'espèce, L 223-22 et L 223-23 du code de commerce et 2224 du code civil :
- d'accueillir la SARL Print and Cut et madame [S] [X] en l'ensemble de leurs prétentions et de les déclarer recevables et bien fondées ;
- d'infirmer le jugement du tribunal de commerce de Créteil du 4 décembre 2018 ;
- statuant à nouveau :
* à titre principal, de débouter la SAS Empreinte Publicitaire de sa demande de condamnation à l'encontre de la SARL Print and Cut et de madame [S] [X], le préjudice que le départ des clients Jerem et Ryvia lui a causé ayant déjà été intégralement réparé par jugements des 26 janvier 2015 et 28 avril 2017 ;
* subsidiairement, madame [S] [X], de déclarer irrecevable comme prescrite l'action de la SAS Empreinte Publicitaire à son encontre et débouter la SAS Empreinte Publicitaire de sa demande de condamnation à l'encontre de madame [S] [X], la SAS Empreinte Publicitaire ne démontrant aucune faute de madame [S] [X] séparable de ses fonctions de gérante de la SARL Print and Cut ;
* à titre infiniment subsidiaire, de débouter la SAS Empreinte Publicitaire de ses demandes au titre de son appel incident.
- en tout état de cause, de condamner la SAS Empreinte Publicitaire à payer la somme de 10 000 euros à chacune de la SARL Print and Cut et de madame [S] [X] au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à la décision entreprise et aux arrêts postérieurs ainsi qu'aux conclusions visées pour un exposé détaillé du litige et des moyens des parties.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 octobre 2024. Les parties ayant régulièrement constitué avocat, l'arrêt sera contradictoire en application de l'article 467 du code de procédure civile.
MOTIVATION
A titre liminaire, la Cour constate que, conformément aux articles 623 à 625, 631 et 638 du code de procédure civile, l'arrêt du 3 décembre 2021 et le jugement du 4 décembre 2018 confirmé sur ce point sont définitifs sur :
- l'existence d'actes de concurrence déloyale imputables à la SARL Print and Cut ;
- le rejet de la demande indemnitaire de madame [S] [X] et de la SARL Print and Cut au titre de l'exécution provisoire du jugement.
Par ailleurs, la Cour rappelle que, conformément à l'article 954 du code de procédure civile, elle ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens à leur soutien que s'ils sont invoqués dans la discussion, les conclusions devant comprendre distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Aussi, le long rappel des faits et de la procédure effectué par la SAS Empreinte Publicitaire dans ses écritures (pages 3 à 23) ne peut être considéré comme un exposé de ses moyens, analyse valant pour les conclusions de chacune des parties. Ceux qui y seraient exclusivement développés ne seront pas examinés.
I - Sur la concurrence déloyale
Moyens des parties
Au soutien de sa saisine, monsieur [W] [G] expose que l'action, en ce qu'elle est exclusivement dirigée contre lui en sa qualité de gérant de la SARL Print and Cut, est prescrite en application des articles L 223-22 et L 223-23 du code de commerce, la SAS Empreinte Publicitaire ayant eu connaissance dès le 2 mai 2012, date du transfert du fichier censé contenir la liste de ses clients, des fautes qu'elle lui impute. Il conteste avoir eu la qualité de commerçant entre le 25 mai et le 26 juin 2012, tous les actes accomplis lors de la création de la société l'ayant été en son nom et pour son compte mais oppose, à supposer celle-ci acquise, la prescription quinquennale de l'article 2224 du code civil pour les faits susceptibles d'avoir été commis pendant cette période qui ne sont pas clairement identifiés par la SAS Empreinte Publicitaire.
Subsidiairement, il explique que la faute séparable de ses fonctions, qui est seule apte à engager sa responsabilité civile, s'entend de celle, personnelle, intentionnelle et d'une particulière gravité, qui est incompatible avec l'exercice normal de ses fonctions sociales, et que la SAS Empreinte Publicitaire n'en démontre aucune qui lui soit imputable. Il précise à ce titre que le fichier transféré par madame [S] [X] au vu et au su de la SAS Empreinte Publicitaire contenait pour l'essentiel ses contacts personnels et ne peut s'analyser en un fichier clients. Il en déduit que la faute alléguée n'est, à l'instar du démarchage de clientèle, ni caractérisée ni détachable de ses fonctions. Il conteste en outre le caractère personnel des fautes qui lui sont imputées, le lien de causalité les unissant au préjudice dont la réparation est poursuivie sans preuve de sa réalité.
Madame [S] [X] et la SARL Print and Cut soutiennent que le préjudice allégué par la SAS Empreinte Publicitaire a déjà été réparé en exécution des décisions sanctionnant la rupture brutale des relations commerciales établies par les clients Ryvia et Jerem. Admettant que le seul préjudice indemnisable correspondrait à celui subi postérieurement à l'expiration du préavis éludé par ces sociétés (trois mois), elles précisent que ces dernières n'avaient pas l'intention de poursuivre leur partenariat avec la SAS Empreinte Publicitaire et souhaitaient suivre madame [S] [X] qui était leur unique interlocutrice de confiance en son sein.
Subsidiairement, madame [S] [X] expose que l'action dirigée contre elle en sa qualité de cogérante est prescrite en application de l'article L 223-23 du code de commerce, le transfert du fichier litigieux ayant été réalisé le 7 mai 2012 au vu et au su de la SAS Empreinte Publicitaire. Elle ajoute, que les demandes de la SAS Empreinte Publicitaire ne faisant pas référence à sa qualité de cogérante ayant été formées pour la première fois dans ses écritures du 4 septembre 2018, la prescription est également acquise sur le fondement de l'article 2224 du code de procédure civile. Elle soutient au fond que la SAS Empreinte Publicitaire ne démontre aucune faute détachable de ses fonctions qui lui serait imputable.
La SARL Print and Cut, qui souligne le caractère contradictoire des prétentions de la SAS Empreinte Publicitaire dans ses premières conclusions d'appelante, expose que cette dernière, qui ne prouve aucun investissement dédié aux clients Ryvia et Jerem, ne justifie d'aucune baisse de chiffre d'affaires rattachable au comportement de madame [S] [X], son activité retrouvant son niveau habituel antérieur à son embauche.
En réponse, la SAS Empreinte Publicitaire reproche à madame [S] [X] et à monsieur [W] [G] d'avoir défini leur projet dès le mois d'avril 2012 alors que la première, qui dénigrait son employeur à l'égard de ses clients le 27 avril 2012, était toujours tenue d'exécuter son contrat de travail jusqu'au mois de juin 2012, ces manquements préparant les actes de concurrence déloyale proprement dits. Ceux-ci, dont monsieur [W] [G] est complice, résident dans la soustraction frauduleuse de son fichier clients, dans le transfert de leurs coordonnées, dans le blocage temporaire de l'accès à sa boîte professionnelle jusqu'au 4 mai 2012 ainsi que dans la réorientation des commandes des clients Ryvia et Jerem vers la SARL Print and Cut non encore constituée. Elle précise ainsi agir contre madame [S] [X] et monsieur [W] [G] en leur nom personnel pour les faits antérieurs au 26 juin 2012 et contre ces derniers ès qualités de cogérants pour les autres. Soutenant ne pas en avoir eu connaissance avant le 14 juin 2016, date de la communication en justice de l'attestation d'un ancien client les révélant, elle conclut à l'absence de prescription de son action tant sur le fondement de l'article L 223-23 du code de commerce que sur celui de l'article 2224 du code civil. Elle explique que son préjudice consiste en :
- la perte du montant de la marge brute attachée à la relation nouée avec les sociétés Ryvia (183 762 euros pour 9 ans) et Jerem (701 604 euros pour 9 ans) et dans l'impossibilité corrélative de se développer normalement ;
- le trouble commercial (200 000 euros) causé par la perte des investissements réalisés pour les besoins de la relation avec les clients Ryvia et Jerem et la nécessité de licencier pour motifs économiques deux salariés (14 860,15 euros) ;
- le préjudice moral (20 000 euros) né de la déloyauté imputable à une salariée considéré par son employeur « comme un membre de [sa] famille ».
Réponse de la cour
1°) Sur la matérialité et la qualification des fautes commises par la SARL Print and Cut
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Il résulte du jugement entrepris et de l'arrêt confirmatif, définitifs sur ce point, que la SARL Print and Cut a commis, au préjudice de la SAS Empreinte Publicitaire, des actes de concurrence déloyale consistant en :
- un transfert à son bénéfice du « carnet d'adresses des clients et des fournisseurs » de la SAS Empreinte Publicitaire le jour de la démission de madame [S] [X] qui nourrissait son projet depuis le mois d'avril 2012 ;
- le détournement effectif des clients Ryvia et Jerem concrétisé dans la rupture brutale de leurs relations commerciales établies avec la SAS Empreinte Publicitaire concomitante du départ de madame [S] [X] et de la création de la SARL Print and Cut, captation de clientèle favorisée par la présentation de cette dernière comme un fournisseur aux prestations moins onéreuses que celles de la SAS Empreinte Publicitaire.
Si la SARL Print and Cut, qui consacre ses critiques au principe et à la mesure des préjudices allégués, ne discute plus la matérialité de ces faits, monsieur [W] [G] et madame [S] [X], qui développent par ailleurs des moyens similaires tirés de la prescription de l'action, de l'absence de faute séparable de leurs fonctions et de l'inexistence du préjudice et du lien de causalité, persistent à contester la matérialité de certains actes. Ainsi, monsieur [W] [G] nie l'existence d'un transfert des données relatives aux clients de la SAS Empreinte Publicitaire (§3.1.1 de ses écritures) quand madame [S] [X] soutient que la preuve de la présentation de la SARL Print and Cut comme un fournisseur mieux disant n'est pas rapportée (pages 23 et 24 de ses écritures).
Cependant, la communication d'éléments d'identification de la clientèle de la SAS Empreinte Publicitaire étant, comme le positionnement avantageux de la SARL Print and Cut affiché par madame [S] [X], consubstantielle à la qualification des actes de concurrence déloyale et à leur imputation à la SARL Print and Cut tels que les ont retenus le tribunal et la Cour dans son arrêt confirmatif de ce chef, les parties ne peuvent, par l'effet du caractère partiel de la cassation, remettre en cause l'une ou l'autre. Ce moyen est inopérant, monsieur [W] [G] et madame [S] [X] demeurant en revanche libres de contester la réalité des autres faits qui leur sont imputés à titre personnel et la qualification de faute séparable de leurs fonctions des actes retenus pour engager la responsabilité civile de la société qu'ils gèrent.
2°) Sur la responsabilité civile des personnes physiques
Si madame [S] [X] invoque à titre principal l'impossibilité d'une double indemnisation au nom du principe de la réparation intégrale et à titre subsidiaire la prescription de l'action, l'ordre d'examen de ses contestations doit être inversé, le second moyen étant une fin de non-recevoir affectant les conditions de possibilité de l'action et le premier un moyen de défense au fond touchant aux conditions de son succès au fond.
En application des articles 122 et 123 du code de procédure civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée, cette liste n'étant pas limitative. Les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement et sauf la possibilité pour le juge de condamner à des dommages-intérêts ceux qui se seraient abstenus, dans une intention dilatoire, de les soulever plus tôt.
La SAS Empreinte Publicitaire impute à madame [S] [X] et à monsieur [W] [G] des faits commis entre le mois d'avril et le 26 juin 2012 puis postérieurement à cette date qui correspond à celle de l'immatriculation de la SARL Print and Cut et à la naissance de sa personnalité morale au sens des articles 1842 du code civil et L 210-6 du code de commerce. Avant cet évènement, monsieur [W] [G] soutient péremptoirement qu'il agissait, non à titre personnel, mais pour le compte de la société en formation, différence de qualité impliquant l'application de régimes distincts (page 11 de ses écritures). Ce moyen manque en droit et en fait.
En effet, en vertu des articles 1843 du code civil et L 210-6 du code de commerce, les personnes qui ont agi au nom d'une société commerciale en formation avant qu'elle ait acquis la jouissance de la personnalité morale sont tenues solidairement et indéfiniment responsables des actes ainsi accomplis, à moins que la société, après avoir été régulièrement constituée et immatriculée, ne reprenne les engagements souscrits. Ces engagements sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par la société.
Au sens de ces dispositions, la reprise des engagements n'est possible que si l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à l'acte qu'extrinsèques, révèle la commune intention des parties de conclure celui-ci au nom ou pour le compte de la société en formation pour qu'elle puisse, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits (en ce sens, Com., 29 novembre 2023, n° 22-12.865, 22-18.295 et 22-21.623 qui assouplit sa position en n'exigeant plus que l'acte porte mention expresse de sa conclusion « au nom » de la société en formation). La reprise, prévue à l'article L 210-6 du code de commerce, par une société des engagements souscrits par les personnes qui ont agi en son nom lorsqu'elle était en formation, ne peut résulter, en application des articles R 210-6 du même code et 6 du décret n° 78-704 du 3 juillet 1978, que de la signature des statuts lorsque l'état prévu au même article aura été préalablement annexé à ces statuts, ou d'un mandat donné avant l'immatriculation de la société et déterminant dans leur nature, ainsi que dans leurs modalités les engagements à prendre, ou enfin, après l'immatriculation, d'une décision prise, sauf clause contraire des statuts, à la majorité des associés (en ce sens, au visa de l'article 1843 du code civil, 1ère Civ., 26 avril 2000, n° 98-10.917), la reprise des engagements ne pouvant de ce fait être tacite (en ce sens, Com., 13 décembre 2011, n° 11-10.699).
Outre le fait que monsieur [W] [G] ne démontre pas la réalisation de l'une quelconque de ces conditions, ce dispositif ne concerne que les « engagements souscrits », soit des actes juridiques, et non les faits juridiques, qualification applicable aux actes matériels que lui reproche, en qualité de complice, la SAS Empreinte Publicitaire et qui résident dans la soustraction frauduleuse de son fichier clients, le transfert de leurs coordonnées, le blocage temporaire de l'accès à sa boîte professionnelle jusqu'au 4 mai 2012 par madame [S] [X] ainsi que dans la préparation des commandes des clients Ryvia et Jerem au bénéfice de la SARL Print and Cut non encore constituée.
Aussi, l'intégralité des faits antérieurs au 26 juin 2012 ne peut être reprochée à madame [S] [X] et à monsieur [W] [G] qu'à titre personnel. Les actes postérieurs relèvent en revanche de leur responsabilité ès qualités de cogérants.
- A l'égard des personnes physiques à titre personnel (faits antérieurs au 26 juin 2012)
En application de l'article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
En fixant le point de départ du délai de prescription au jour de la connaissance, effective ou présumée au regard des circonstances de fait et de droit, des faits permettant l'exercice du droit, l'article 2224 du code civil le rattache au jour de la connaissance, déterminée concrètement, des faits donnant naissance à son intérêt à agir par son titulaire. S'agissant d'une action en responsabilité civile le point de départ de l'action est la date à laquelle, la faute étant identifiée, le dommage en lien causal avec celle-ci s'est manifesté (en ce sens, précisant une jurisprudence ancienne : Ch. Mixte, 19 juillet 2024, n° 22-18.729 : « le délai de prescription de l'action en responsabilité civile court à compter du jour où celui qui se prétend victime a connu ou aurait dû connaître le dommage, le fait générateur de responsabilité et son auteur ainsi que le lien de causalité entre le dommage et le fait générateur »). Le dommage doit alors être certain en son principe mais le préjudice en résultant n'a pas à être chiffrable et identifié en toute ses composantes pour que coure le délai de prescription (en ce sens, Com. 9 mai 2007, n° 06-10.185). En matière de concurrence déloyale, qui génère un dommage continu, le délai de prescription court, non à compter du jour de la cessation des actes illicites, mais au jour où la victime a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son action (Com., 26 février 2020, n° 18-19.153).
La SAS Empreinte Publicitaire oppose à madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à titre personnel :
- un échange de SMS du 23 avril 2012 évoquant une discussion à venir sur « un projet sérieux » (pièce 2 de monsieur [W] [G]) puis un second message du 25 avril 2012 annonçant une « réunion d'information générale autour de la création d'entreprise » (pièce 9 de la SAS Empreinte Publicitaire) ;
- un acte de dénigrement qui résiderait dans l'envoi par madame [S] [X] d'un SMS le 27 avril 2012 (pièce 9 bis de la SAS Empreinte Publicitaire) ;
- le blocage par madame [S] [X] de sa boîte électronique professionnelle du 2 au 4 mai 2012 ;
- la préparation de commandes au bénéfice de la SARL Print and Cut non encore créée dès le mois d'avril ou mai 2012 ainsi que le démarrage officiel de son activité le 25 mai 2012 ;
- la soustraction et le transfert de son fichier client par madame [S] [X] « le jour de sa démission », soit le 2 mai 2012.
La SAS Empreinte Publicitaire, qui ne le conteste pas, a assigné monsieur [W] [G] et madame [S] [X] devant le tribunal de commerce en leur qualité de cogérant et non à titre personnel, position maintenue lors de l'audience de plaidoiries (exposé du litige du jugement entrepris et pièce 15 de monsieur [W] [G]). Ce n'est que par conclusions déposées lors de l'audience du 4 septembre 2018 qu'elle a formé des demandes contre les personnes physiques à raison de leurs fautes personnelles antérieures à l'acquisition de leur qualité de cogérant. Ces dernières, en ce qu'elles portent cette demande additionnelle, constituent le premier acte interruptif de la prescription quinquennale de l'action dirigée contre monsieur [W] [G] et madame [S] [X] à titre personnel conformément aux dispositions combinées des articles 68 du code de procédure civile et 2241 du code civil.
Tous les faits opposés aux appelants étant très antérieurs au 4 septembre 2013, date constituant la limite de la prescription, demeure la question de la détermination de leur connaissance effective ou supposée par la SAS Empreinte Publicitaire. Pour justifier le temps écoulé avant l'exercice de son action, celle-ci soutient les avoir découvert le 14 juin 2016, jour de la communication en justice de l'attestation d'un client détourné (ses pièces 54 et 55).
Aux termes de cette dernière, le client Ryvia atteste le 15 juin 2012 « ne jamais avoir été démarché ni par la société Print and Cut ni par Mlle [X] ni par M. [G] son associé depuis son départ de la société Empreinte Publicitaire » et précise avoir voulu suivre madame [S] [X] dans « sa nouvelle structure » pour maintenir l'organisation mise en place avec elle depuis trois ans. Si la référence à la SARL Print and Cut, qui était déjà constituée mais non encore immatriculée, avant le 26 juin 2012 permet de supputer l'existence d'actes de concurrence déloyale commis par madame [S] [X] et monsieur [W] [G] à titre personnel, elle n'en révèle aucun spécifiquement. Ce témoignage ne dit ainsi rien de la date exacte de découverte des différents faits imputés à ces derniers avant leur prise de fonction de gérant.
Or, le transfert de ses contacts par madame [S] [X], via sa boîte professionnelle, à monsieur [W] [G], élément central du détournement de clientèle commis par la SARL Print and Cut, a été découvert par la SAS Empreinte Publicitaire le jour de la notification de sa démission, soit le 2 mai 2012, ainsi que le précise explicitement son conseil dans ses courriers officiels du 7 mai 2012 évoquant déjà, « preuve à l'appui », sa volonté de détourner sa clientèle (pièces 7, 8, 10 et 11 de la SAS Empreinte Publicitaire) et qu'elle le reconnaît implicitement dans ses écritures en précisant avoir récupéré les codes de la messagerie professionnelle de sa salariée le 4 mai 2012 (page 15). Aussi, l'appropriation de la liste des clients et de leurs coordonnées ainsi que le blocage de sa boîte professionnelle par madame [S] [X] étaient connus de la SAS Empreinte Publicitaire dès le 2 mai 2012.
Il en est de même des SMS échangés en avril 2012 grâce à son téléphone professionnel qui a été restitué à son employeur au même moment (pièces 9 et 9 bis de la SAS Empreinte Publicitaire), analyse conforme au récit qu'en livre madame [S] [X] dans sa lettre du 3 mai 2012 (pièce 7 de monsieur [W] [G]). La SAS Empreinte Publicitaire, qui n'avait alors procédé à aucune investigation supplémentaire, affirmait d'ailleurs, pour motiver le 28 octobre 2013 sa requête aux fins de désignation d'un huissier de justice présentée au délégataire du président du tribunal de commerce de Créteil, que ces seuls éléments, confortés par le départ de ses clients Ryvia et Jerem, établissaient un détournement de clientèle dont il s'agissait de démontrer « l'ampleur » (existence d'autres clients détournés et chiffre d'affaires réalisé avec ces derniers) et non le principe (sa pièce 39).
Dès lors, le seul fait imputé à monsieur [W] [G] et madame [S] [X] à titre personnel susceptible d'avoir été découvert postérieurement réside dans la réorientation des commandes des sociétés Ryvia et Jerem vers la SARL Print and Cut en formation. Cependant, ce procédé n'est pas prouvé positivement par la SAS Empreinte Publicitaire mais déduit de la chronologie des évènements et de l'importance des premières commandes passées à la SARL Print and Cut. Or, il ressort des décisions de condamnation des sociétés Ryvia et Jerem que leurs commandes ont définitivement cessé en juin et juillet 2012 et que la SAS Empreinte Publicitaire soutenait alors que « la brutalité de [la] rupture ne [pouvait] être justifiée [que] par le départ d'une de sa salariée qui a créé sa propre entreprise », lien qu'elle opérait spontanément sur la seule base des éléments recueillis début mai 2012 (pièces 21 et 22 de la SAS Empreinte Publicitaire) auxquels le courriel produit en pièce 6.1 par madame [S] [X] n'ajoute rien. De ce fait, si le procès-verbal de constat du 14 novembre 2013 « démontr[e] la concomitance exacte entre la démission de Madame [X] et l'arrêt des commandes passées par les sociétés RYVIA et JEREM », les constatations de l'huissier instrumentaire opèrent confirmation, et non révélation, des faits litigieux (page 20 de ses écritures et sa pièce 40). Aussi, les démarches antérieures à la constitution de la SARL Print and Cut destinées à détourner les sociétés Ryvia et Jerem étaient connues au plus tard au jour de leurs assignations, soit les 8 et 10 janvier 2013. A cet égard, le débat portant ici, non sur la fixation d'un quantum, mais sur la connaissance par la SAS Empreinte Publicitaire de la perte effective de ses clients, qui est caractérisée par la seule consommation de la rupture sans égard pour sa brutalité, et du lien entre celle-ci et les faits qu'elle reproche à monsieur [W] [G] et à madame [S] [X], il importe peu que le préjudice réparable dans le cadre d'une action fondée sur l'article L 442-6 I 5° du code de commerce soit distinct de celui indemnisable au titre de la concurrence déloyale.
Par ailleurs, la SAS Empreinte Publicitaire sollicite réparation, outre d'un préjudice moral constitué dès la notification de la démission de madame [S] [X], la SAS Empreinte Publicitaire faisant de la trahison d'une salariée perçue comme « un membre de la famille » du président son fait générateur, de préjudices consistant dans la perte de la marge sur coûts variables appliquée au chiffre d'affaires qu'aurait généré la poursuite des relations avec ces dernières ainsi que dans le trouble commercial résidant dans l'inutilité des investissements réalisés pour les besoins de ces partenariats et dans la nécessité de licencier économiquement deux salariés. Or, les dommages dont résultent ces préjudices étaient certains en leur principe au jour de la rupture définitive des relations commerciales établies, et au plus tard à la date de l'assignation des sociétés Ryvia et Jerem.
Dès lors, la SAS Empreinte Publicitaire connaissait dès le mois de juillet 2012 et le 10 janvier 2013 au plus tard les faits qu'elle impute à madame [S] [X] et à monsieur [W] [G] à titre personnel, ainsi que le lien de causalité les unissant au dommage dont elle poursuit aujourd'hui réparation et qui était alors certain en son principe, peu important que la mesure exacte du préjudice en résultant soit alors pour partie indéterminable.
En conséquence, ses demandes contre monsieur [W] [G] et madame [S] [X] à titre personnel, le premier dans le cadre de sa responsabilité délictuelle de droit commun et la seconde dans celui de sa responsabilité contractuelle jusqu'au 1er juin 2012 et de sa responsabilité délictuelle ensuite, sont prescrites et sont de ce fait irrecevables.
- A l'égard des cogérants ès qualités (faits postérieurs au 26 juin 2012)
Conformément à l'article L 223-22 du code de commerce applicable à la société à responsabilité limité et à son gérant, les gérants sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés à responsabilité limitée, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Si plusieurs gérants ont coopéré aux mêmes faits, le tribunal détermine la part contributive de chacun dans la réparation du dommage.
Dans ce cadre, le dirigeant engage sa responsabilité délictuelle à l'égard des tiers s'ils prouvent, outre un préjudice en lien causal avec celle-ci, qu'une faute séparable de ses fonctions lui est imputable (en ce sens : Com. 20 mai 2003, n° 99-17.902 qui précise qu'une telle faute est caractérisée lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales).
Et, en vertu de l'article L 223-23 du code de commerce, cette action en responsabilité se prescrit par trois ans à compter du fait dommageable ou, s'il a été dissimulé, de sa révélation.
Ainsi, le délai de prescription court à compter du jour où le fait dommageable pouvait être décelé, sauf dissimulation volontaire de la faute (et non de ses conséquences dommageables, en ce sens, Com., 13 juin 2018, n° 16-26.32, et Com., 28 avr. 2004, n° 01-15.375), son point de départ étant alors reporté au jour de sa révélation. Ce régime spécial s'applique aux fautes du gérant de droit, qu'elles soient ou non séparables de ses fonctions (en ce sens, 1ère Civ., 9 février 2012, n° 09-69594, reprenant la solution de Com., 20 octobre 1998, n° 96-19.177).
La SAS Empreinte Publicitaire a assigné monsieur [W] [G] et madame [S] [X] ès qualités de cogérants de la SARL Print and Cut par acte signifié le 1er juin 2017. Elle ne distingue pas les actes qu'elle leur impute en considération de leurs qualités successives, les développements qu'elle consacre aux fautes qu'elle allègue opérant au contraire une totale confusion entre celles opposées à titre personnel et celles dénoncées à raison de leur qualité de cogérants (pages 15, 20, 31 in fine et 32 puis 47, 50 et 51). Elle n'objective ainsi aucune faute susceptible d'avoir été commise par monsieur [W] [G] et madame [S] [X] ès qualités de cogérants de la SARL Print and Cut.
En admettant que l'immatriculation de la SARL Print and Cut soit un fait pertinent, il est, par l'effet de sa mention au RCS, un fait notoire dont la SAS Empreinte Publicitaire, déjà alertée par les découvertes accompagnant la démission de sa salariée et la rupture de leurs partenariats commerciaux par ses deux principaux clients, aurait dû avoir connaissance dès le 26 juin 2012. Elle a de surcroît, dès réception du procès-verbal de constat du 14 novembre 2013 (sa pièce 40 déjà citée), déduit l'existence d'actes de concurrence déloyale au bénéfice de la SARL Print and Cut de la concomitance entre la démission de madame [S] [X], l'arrêt des commandes des sociétés Ryvia et Jerem et l'ampleur des prestations servies à la société récemment créée pour des « montants immédiatement et particulièrement importants ». Ainsi, la faute détachable éventuelle des gérants était connue à cette date, à l'instar du dommage dont elle poursuit réparation qui était acquis en son principe dès la rupture définitive de leurs relations par les sociétés Ryvia et Jerem, et au plus tard le 10 janvier 2013, soit plus de trois ans avant l'assignation.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a condamné solidairement madame [S] [X] et monsieur [W] [G] avec la SARL Print and Cut à réparer le préjudice subi par la SAS Empreinte Publicitaire et les demandes de cette dernière contre les cogérants ès qualités seront déclarées irrecevables comme prescrites.
Cette solution n'entre pas en contradiction avec la reconnaissance définitive de la commission par la SARL Print and Cut d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la SAS Empreinte Publicitaire, actes qui par hypothèse ont été commis par le truchement de ses cogérants, et ce pour deux raisons liées tenant à la matérialité des faits imputables à la SARL Print and Cut et aux modalités de prescription des actions. En effet, le jugement, puis l'arrêt sur ce point confirmatif, retiennent que la SARL Print and Cut a profité, dès son commencement d'activité qui précédait son immatriculation, du détournement de clientèle effectué par monsieur [W] [G] et madame [S] [X] (transfert des données relatives aux clients, constitution de la SARL Print and Cut en cours de préavis, réorientation des commandes vers cette dernière présentée comme un fournisseur mieux disant) : c'est en tant que bénéficiaire d'actes antérieurs ou concomitants à son immatriculation que la SARL Print and Cut se voit imputer des actes de concurrence déloyale, aucun fait postérieur n'étant évoqué par la SAS Empreinte Publicitaire, carence qui poserait d'ailleurs de sérieuses difficultés pour caractériser au fond une faute séparable de leurs fonctions imputables aux cogérants. A cette particularité factuelle s'ajoutent les différences dans les régimes de prescription, aggravées par le décalage dans le temps des assignations de la personne morale puis de ses organes, qui expliquent que les actes matériellement accomplis par les seconds puissent juridiquement n'être reprochés qu'à la première.
2°) Sur le préjudice causé à la SAS Empreinte Publicitaire par les actes de concurrence déloyale commis par la SARL Print and Cut
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
L'action en concurrence déloyale est une modalité particulière de mise en 'uvre de la responsabilité civile délictuelle pour fait personnel de droit commun. Elle suppose ainsi la caractérisation d'une faute, d'une déloyauté appréciée à l'aune de la liberté du commerce et de l'industrie et du principe la libre concurrence, ainsi que d'un préjudice et d'un lien de causalité les unissant. A ce titre, si une situation de concurrence effective n'est pas une condition préalable de sa mise en 'uvre (en ce sens, Com. 10 novembre 2012, n° 1-25.873, déjà cité), l'absence d'incidence prouvée de la faute sur la situation du demandeur à l'action fera obstacle à la caractérisation du préjudice et du lien de causalité (en ce sens, Com. 16 mars 2022, n° 20-18.882). Et, si le préjudice s'infère d'un acte de concurrence déloyale, la victime doit prouver l'étendue de son entier préjudice (en ce sens, Com. 12 février 2020, n° 17-31.614). Dans ce cadre, le juge, tenu de réparer intégralement tout préjudice dont il constate le principe (en ce sens, Com., 10 janvier 2018, n° 16-21.500), apprécie souverainement son montant dont il justifie l'existence par la seule évaluation qu'il en fait sans être tenu d'en préciser les divers éléments (en ce sens, Ass. plén., 26 mars 1999, n° 95-20.640).
Monsieur [W] [G] et madame [S] [X] soutiennent que le préjudice allégué par la SAS Empreinte Publicitaire est identique à celui réparé dans le cadre de l'action fondée sur l'article L 442-6 I 5° du code de commerce qu'elle a intentée contre les sociétés Ryvia et Jerem. Ce raisonnement, ainsi que la souligné la Cour de cassation, manque en droit.
En effet, l'article L 442-6 I 5° du code de commerce ouvre droit à réparation du préjudice causé à la victime de la rupture à raison de sa brutalité et non de son principe même (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414), le préavis suffisant, qui s'apprécie au moment de la notification ou de la matérialisation de la rupture, s'entendant du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour se réorganiser, soit pour préparer le redéploiement de son activité, trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement en bénéficiant, sauf circonstances particulières, d'un maintien des conditions antérieures (en ce sens, Com., 10 février 2015, n° 13-26.414). Dans cette logique, le préjudice subi par la victime de la rupture dont les prévisions légitimes ont été déjouées est généralement constitué du gain manqué qui correspondant à sa marge sur coûts variables, définie comme la différence entre le chiffre d'affaires dont la victime a été privée et les charges qui n'ont pas été supportées du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, appliquée au chiffre d'affaires moyen hors taxe qui aurait été généré pendant la durée du préavis éludé (en ce sens, Com. 28 juin 2023, n° 21-16.940 : « le préjudice principal résultant du caractère brutal de la rupture s'évalue en considération de la marge brute escomptée, c'est-à-dire la différence entre le chiffre d'affaires hors taxe escompté et les coûts variables hors taxe non supportés durant la période d'insuffisance de préavis, différence dont pourra encore être déduite, le cas échéant, la part des coûts fixes non supportés du fait de la baisse d'activité résultant de la rupture, durant la même période »).
Le préjudice consécutif à un détournement de clientèle, indemnisable dans le cadre d'une action en concurrence déloyale, réside pour sa part dans le gain manqué et dans la perte subie découlant directement de la perte définitive des revenus générés à l'occasion de la relation rompue, peu important la soudaineté de sa cessation.
Si, à raison de la fonction du préavis et du maintien des conditions antérieures pendant son exécution ainsi que des modalités de calcul du préjudice que cause son insuffisance ou son absence, les dommages et intérêts alloués compensent la perte du client en elle-même, cette compensation n'est que temporaire. L'indemnisation ne couvre dès lors pas les conséquences plus lointaines mais certaines de la disparition définitive de la relation, analyse qui explique que la Cour de cassation ait précisé que « l'indemnisation au titre de la rupture brutale d'une relation commerciale établie avec un client [' puisse] se cumuler avec l'indemnisation, par l'auteur d'actes de concurrence déloyale, du préjudice résultant de la perte de ces clients au-delà de la période de préavis ».
Aussi, la SAS Empreinte Publicitaire, sous réserve des preuves qu'elle produit, a droit à la réparation du préjudice engendré par la cessation de ses relations avec les sociétés Ryvia et Jerem et qui correspond au gain manqué qui persiste postérieurement à l'expiration du préavis suffisant judiciairement déterminé.
- Sur la perte de marge
A titre liminaire, la Cour constate que, dans le dispositif de ses dernières écritures qui la lient au sens de l'article 954 du code de procédure civile, la SAS Empreinte Publicitaire sollicite l'infirmation du jugement, notamment en ce qu'il a limité son indemnisation à la somme de 98 734 euros, puis la condamnation de la SARL Print and Cut solidairement avec monsieur [W] [G] et madame [S] [X] au paiement d'une indemnité supérieure à celle allouée en première instance. Ces prétentions n'étant pas contradictoires, le moyen opposé par la SAS Empreinte Publicitaire, monsieur [W] [G] et madame [S] [X] est inopérant.
La SAS Empreinte Publicitaire demande la réparation d'un gain manqué certain en son principe et son étendue et non d'une perte de chance qui s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable et suppose établie la preuve du sérieux de la chance perdue, son indemnisation, qui implique un calcul de probabilité de survenance de l'évènement irrémédiablement impossible, ne pouvant être égale au montant de la chance réalisée.
La méthode qu'elle emploie est néanmoins difficilement intelligible : tout en réclamant une indemnisation égale à 9 ans de marge sur coûts variables à chacune des sociétés Ryvia et Jerem (page 58 et dispositif de ses écritures), elle prétend, en s'appuyant sur un scénario contrefactuel établi par son expert-comptable (sa pièce 50), que l'assiette du préjudice causé par la perte des clients Ryvia et Jerem, qui consiste en une perte de marge, est constituée de la différence entre le chiffre d'affaires qu'elle a effectivement dégagé de 2012 à 2017 et celui qui aurait été généré sur la même période sans actes de concurrence déloyale, projection déterminée en appliquant un taux de croissance annuelle constant de 7 % pendant 5 ans au chiffre d'affaires de 2011 (pages 55 à 57 de ses écritures). Elle complète son raisonnement par une référence aux bénéfices réalisés sur la même période par la SARL Print and Cut. Par-delà les difficultés d'articulation de ces arguments pour partie incompatibles, ce raisonnement manque de pertinence.
En effet, conformément au principe de la réparation intégrale, l'indemnisation du préjudice doit permettre de replacer la partie lésée dans la situation qui aurait été la sienne en l'absence d'actes de concurrence déloyale, situation hypothétique qui peut effectivement être déterminée en considération d'un scénario contrefactuel décrivant l'évolution normale de l'activité de l'entreprise non affectée par ces derniers. Ce raisonnement est admissible dès lors que sa cohérence et l'exactitude des données sur lesquelles il est bâti ont pu être débattues contradictoirement (en ce sens, Com., 1er mars 2023, n° 23-18.356 et 20-20.416).
Mais, le scénario contrefactuel proposé par la SAS Empreinte Publicitaire, qui repose sur l'analyse du chiffre d'affaires global de la SAS Empreinte Publicitaire et non sur celui spécifiquement dégagé à l'occasion des relations avec les sociétés Ryvia et Jerem qui sont pourtant les seuls clients détournés, n'est pas pertinent pour deux raisons.
D'une part, l'augmentation annuelle constante de 7 % du chiffre d'affaires n'est pas étayée, notamment par référence à la structure du marché, à son évolution et à la concurrence que s'y livrent les différents acteurs économiques ainsi qu'à la spécificité des prestations servies par la SAS Empreinte Publicitaire et à la volatilité de la clientèle du secteur, et est appliquée à la seule année 2011 alors que l'importance et la soudaineté de la progression constatée par rapport aux deux précédentes en font une année exceptionnelle, de ce fait non représentative.
D'autre part, le postulat d'un maintien des relations avec les deux clients perdus pendant 5 ans (ou 9 ans) n'est accompagné d'aucune explication et n'apparaît pas crédible au regard des caractéristiques des relations entretenues par la SAS Empreinte Publicitaire avec les sociétés Ryvia et Jerem. En effet, il ressort des décisions les condamnant ainsi que du détail de la facturation produite (pièce 14 de la SAS Empreinte Publicitaire) que :
- la relation avec la société Jerem, estimée établie pendant trois ans par le tribunal, a débuté en 2006 et, après une interruption en 2008, s'est stabilisée à compter du mois d'août 2009, le chiffre d'affaires atteignant 219 758 euros en 2010, 127 458 euros en 2011 et 72 587 sur le premier semestre 2012 ;
- la relation avec la société Ryvia, entamée en février 2010, a généré un chiffre d'affaires de 10 396,03 euros en 2010, 43 396,01 euros en 2011 et 30 741,97 euros sur le premier semestre 2012.
Au regard des caractéristiques de ces relations, en réalité peu anciennes au jour de la rupture, de l'absence de technicité particulière et de notoriété prouvée des prestations de la SAS Empreinte Publicitaire et du manque d'éléments sur la structure de la concurrence et l'existence de prestataires de substitution, chaque client demeurant par principe libre, sauf abus, de changer de partenaire commercial, rien ne permet d'envisager leur poursuite pendant 9 ans en l'absence de rupture brutale causée par les actes de concurrence déloyale de la SARL Print and Cut. Au-delà d'une période d'un an débutant à l'expiration du préavis éludé, toute continuation des relations avec les sociétés Ryvia et Jerem est, en l'absence du moindre élément de preuve sérieux, purement hypothétique et le préjudice est inexistant.
Cette analyse est confortée par le fait que les sociétés Ryvia et Jerem attestent avoir développé leurs partenariats avec la SAS Empreinte Publicitaire en raison, non de la qualité de ses prestations, mais de celle des relations qu'elles entretenaient avec madame [S] [X] (pièce 11 et 19 de celle-ci) dont la SAS Empreinte Publicitaire ne peut contester les compétences commerciales puisque son arrivée dans ses effectifs, qui correspond à une augmentation significative de son chiffre d'affaires, a justifié le paiement d'un salaire particulièrement élevé au regard de sa qualification (pièces 4, 55, 55.1 et 55.2 de la SARL Print and Cut). En outre, assistante commerciale au sein de la SAS Empreinte Publicitaire, elle pouvait, sans transférer son « fichier client », retenir aisément les coordonnées de ces deux interlocuteurs habituels : le préjudice subi par la SAS Empreinte Publicitaire réside plus dans le développement anormalement rapide et précoce d'un concurrent immédiat, la SARL Print and Cut exerçant une activité identique à proximité géographique, que dans l'utilisation de données confidentielles qui n'étaient pas nécessaire au détournement opéré.
Par ailleurs, pour justifier sa référence aux bénéfices de la SARL Print and Cut, qui ne sont pas générés par ses seules relations avec les sociétés Ryvia et Jerem, dans la fixation du quantum de sa demande, la SAS Empreinte Publicitaire s'appuie sur l'arrêt Cristal de Paris rendu le 12 février 2020 par la chambre commerciale de la Cour de cassation (n° 17-31.614) dont elle livre cependant une citation tronquée, occultant ainsi les motivations et la portée de cette solution insusceptible de transposition au litige. Aux termes de cette décision, les « pratiques consistant à parasiter les efforts et les investissements intellectuels, matériels ou promotionnels d'un concurrent, ou à s'affranchir d'une réglementation, dont le respect a nécessairement un coût, [constituent des] actes qui, en ce qu'ils permettent à l'auteur des pratiques de s'épargner une dépense en principe obligatoire, induisent un avantage concurrentiel indu dont les effets, en termes de trouble économique, sont difficiles à quantifier avec les éléments de preuve disponibles, sauf à engager des dépenses disproportionnées au regard des intérêts en jeu », difficultés probatoires justifiant que « la réparation du préjudice [puisse] être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes ». Toutefois, en l'absence d'entrave de fait à la constitution et à l'administration de la preuve, cette « moindre exigence probatoire » ne concerne pas « les effets préjudiciables de pratiques tendant à détourner ou s'approprier la clientèle ou à désorganiser l'entreprise du concurrent [qui] peuvent être assez aisément démontrés, en ce qu'elles induisent des conséquences économiques négatives pour la victime, soit un manque à gagner et une perte subie, y compris sous l'angle d'une perte de chance ». Les actes de concurrence déloyale imputables à la SARL Print and Cut relevant exactement de cette seconde catégorie et étant aisément démontrables, rien ne justifie que le préjudice de la SAS Empreinte Publicitaire soit chiffré par référence à ses bénéfices.
Aussi, à défaut de scénario contrefactuel et de moyens complémentaires pertinents, le préjudice causé à la SAS Empreinte Publicitaire par le détournement de sa clientèle, qui est un gain manqué, sera déterminé en projetant sur l'année pendant laquelle les relations avec les sociétés Ryvia et Jerem auraient dû se poursuivre la marge sur coûts variables annuelle moyenne dégagée avant la rupture brutale.
Il ressort des deux attestations de l'expert-comptable de la SAS Empreinte Publicitaire, qui ne sont pas utilement contestées et sont confortées par le bilan de l'année 2011 et le détail de la facturation produits (pièces 14, 23, 35 et 36), que la marge brute moyenne dégagée annuellement à l'occasion des relations avec les sociétés Ryvia et Jerem les deux ou trois dernières années entières représentatives non affectées par les actes de concurrence déloyale, atteignait respectivement 19 752 euros et 77 956,33 euros. En l'absence de toute contestation sur une différence éventuelle entre cette marge brute et la marge sur coûts variables, monsieur [W] [G] se contentant de douter, sans étayer son raisonnement, du montant des coûts de revient qui sont pourtant attestés par l'expert-comptable et apparaissent cohérents, ces chiffres seront retenus.
En conséquence, le jugement sera infirmé et la SARL Print and Cut sera condamnée à payer à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 97 708,33 euros en réparation du préjudice causé par le détournement des clients Ryvia et Jerem.
- Sur le trouble commercial et le préjudice moral
La SAS Empreinte Publicitaire justifie avoir participé, à hauteur d'un montant global de 14 860,15 euros, au financement de deux contrats de sécurisation professionnelle conclus avec deux salariés à qui elle avait notifié leurs licenciements économiques le 1er mars 2023 après un entretien préalable du 19 février 2023 (ses pièces 18 et 19). Si la SAS Empreinte Publicitaire justifie d'une amputation de plus du quart de son chiffre d'affaires de 2011 en 2012 et 2013, baisse excédant cependant le montant du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés Ryvia et Jerem, elle a retrouvé sur ces années un niveau d'activité voisin de celui de 2010. Or, elle ne précise ni les postes occupés par les salariés licenciés ni leur ancienneté dans l'entreprise. Aussi, ces éléments sont insuffisants pour rattacher causalement l'éviction de ces derniers aux actes de concurrence déloyale commis par la SARL Print and Cut.
Par ailleurs, rien ne démontre que les achats de matériel effectués entre février et décembre 2010 par la SAS Empreinte Publicitaire (sa pièce 38), qui concernent des outils nécessaires à son activité habituelle, ont été acquis pour les besoins de ses relations avec les sociétés Ryvia et Jerem.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de la SAS Empreinte Publicitaire au titre des frais de licenciement économique et des investissements réalisés en vain.
En revanche, le détournement de clientèle opéré par la SARL Print and Cut a permis son développement rapide en la dispensant des démarches usuelles de promotion et de démarchage. La SAS Empreinte Publicitaire a de ce fait était confrontée à une concurrence anormalement intense alors qu'elle était fragilisée par le départ brutal de sa salariée, dont elle découvrait qu'elle avait trompé sa confiance, et de ses deux principaux clients. Ces circonstances particulières ont nécessairement désorganisé la SAS Empreinte Publicitaire et lui ont causé un préjudice moral qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 10 000 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de la SAS Empreinte Publicitaire au titre de son préjudice moral et la SARL Print and Cut sera condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros en réparation intégrale de ce dernier.
II ' Sur la procédure abusive et les frais et dépens de l'instance
1°) Sur la procédure abusive
En vertu des dispositions des articles 1240 et 1241 (anciennement 1382 et 1383) du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer, chacun étant responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence.
Au sens de ces textes, l'exercice d'une action en justice constitue par principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol.
Monsieur [W] [G], qui s'estime « victime collatérale » d'un conflit opposant madame [S] [X] à son employeur, a participé en conscience au détournement de clientèle dont a profité l'entreprise qu'il gère et qui est condamnée de chef, peu important la prescription de l'action à son égard. Aussi, il ne prouve aucun abus imputable à la SAS Empreinte Publicitaire, qui pouvait se méprendre sur le calcul de la prescription, dans l'exercice de son droit d'agir.
Outre le fait que la SAS Empreinte Publicitaire ne prouve à son tour pas l'abus qu'elle invoque, elle ne démontre pas le principe et la mesure du préjudice qu'elle allègue ni qu'il soit distinct de celui né de la nécessité de se défendre en justice qui est exclusivement réparé par l'allocation d'une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
En conséquence, le jugement entrepris ayant omis de statuer sur la demande de monsieur [W] [G] à ce titre dans son dispositif au sens de l'article 463 du code de procédure civile, cette prétention, ainsi que celle de la SAS Empreinte Publicitaire, qui n'était pas présentée en première instance, seront rejetées.
2°) Sur les frais irrépétibles et les dépens
Le jugement entrepris sera infirmé en ses dispositions sur les frais irrépétibles et les dépens, mais uniquement en ce qu'il a condamné monsieur [W] [G] et madame [S] [X] à payer les premiers à et à supporter la charge des seconds.
Succombant, la SARL Print and Cut, dont la demande au titre des frais irrépétibles sera rejetée, sera condamnée à supporter les entiers dépens d'appel, qui comprennent ceux de l'instance ayant abouti à l'arrêt cassé (en ce sens, 2ème Civ., 19 novembre 2008, n° 07-20.281), ainsi qu'à payer à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Au regard de la nature des actes de concurrence déloyale imputables à la SARL Print and Cut et de la participation évidente de monsieur [W] [G] et de madame [S] [X] à leur commission indépendamment de la prescription de l'action à leur égard, l'équité commande de rejeter leurs demandes au titre des frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à la disposition des parties au greffe,
Infirme, dans les limites de sa saisine sur renvoi après cassation, le jugement entrepris en toutes ses dispositions, sauf ce qu'il a :
- rejeté les demandes indemnitaires de la SAS Empreinte Publicitaire au titre de son trouble commercial (frais de licenciements économiques et investissements perdus) ;
- condamné la SAS Empreinte Publicitaire au titre des frais irrépétibles et des dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés,
Déclare irrecevables comme prescrites les demandes présentées par la SAS Empreinte Publicitaire à l'encontre de madame [S] [X] et de monsieur [W] [G] tant en leur qualité de gérant de la SARL Print and Cut qu'à titre personnel ;
Condamne la SARL Print and Cut à payer à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 97 708,33 euros en réparation intégrale du préjudice économique causé par ses actes de concurrence déloyale ;
Condamne la SARL Print and Cut à payer à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 10 000 euros en réparation du préjudice moral causé par ses actes de concurrence déloyale ;
Rejette les demandes de la SAS Empreinte Publicitaire et de monsieur [W] [G] au titre de la procédure abusive ;
Y ajoutant,
Rejette les demandes de la SARL Print and Cut, de monsieur [W] [G] et de madame [S] [X] au titre des frais irrépétibles ;
Condamne la SARL Print and Cut à payer à la SAS Empreinte Publicitaire la somme de 15 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SARL Print and Cut à supporter les entiers dépens d'appel.