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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 6 novembre 2024, n° 23/03476

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Vet

Conseillers :

Mme Rouger, M. Gaumet

Avocats :

Me Baranes, Me Pijot, Me Dufour, Me Benoteau

TJ Toulouse, du 28 sept. 2023, n° 2023R0…

28 septembre 2023

FAITS

La SARL [7] a été constituée en 2015 par deux associés, M. [G] [E] et M. [U] [P]. Elle a pour objet la vente et la distribution de matériel, commerce de gros non spécialisé dans le cadre duquel elle exerce une activité de vente et d'installation de matériels de 'tirage pressions' à bière et d'installation de machines à café.

M. [P] a été désigné gérant dans les statuts constitutifs.

Une assemblée générale ordinaire a eu lieu le 30 juin 2018.

Au cours d'une assemblée générale extraordinaire qui s'est tenue le 18 mars 2022, l'apport des titres détenus par M. [P] dans la SARL [7] à la SAS [9] a été approuvé. Cette société a pour objet la prise de participation dans toutes sociétés ou entreprises individuelles.

Le 07 septembre 2022 et le 1er mars 2023, M. [E] a sollicité de M. [P] et auprès de l'expert-comptable de la société, la communication des documents comptables, bilans et liasses fiscales concernant la SARL [7].

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 28 avril 2023, la SARL [7] a convoqué M. [E] à l'Assemblée Générale Ordinaire de la société prévue le 17 mai 2023, au cours de laquelle il devait être notamment délibéré sur l'approbation des comptes des exercices 2016 à 2021.

PROCÉDURE

Par acte en date du 29 juin 2023, M. [G] [E] a fait assigner M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] devant le président du tribunal de commerce de Toulouse statuant en référé aux fins de voir :

- ordonner une expertise judiciaire,

- désigner un expert qui aura pour mission de :

* convoquer les parties et se faire remettre tous documents utiles à son information, entendre tous sachants qu'il estimera nécessaire, à charge d'en indiquer l'identité dans le rapport,

* examiner les bilans détaillés et comptes de résultats détaillés depuis le dernier exercice clos du 31 décembre 2016 jusqu'au 31 décembre 2022 et décrire les principales dépenses, bénéfices et affectations de fonds, notamment concernant les contrats de crédit-bail souscrits par le gérant, les défraiements du gérant et leurs utilités par rapport à l'activité sociale de l'entreprise,

* dresser un rapport sur toutes les opérations de gestion intervenues et sur tous les contrats signés par la gérance depuis l'exercice clos du 31 décembre 2016,

* se prononcer sur la régularité des opérations de gestion de la gérance depuis le 31 décembre 2016,

* le cas échéant, dresser un apurement circonstancié des comptes entre la société, la gérance, et les associés,

* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis,

* faire toutes observations utiles à la solution du litige dans le cadre de la présente mission et répondre aux dires des parties après avoir provoqué leurs observations en leur adressant un pré-rapport ou une note de synthèse de ses opérations,

- établir un pré-rapport qui sera soumis à chacune des parties en leur impartissant un délai d'un mois pour présenter leurs dires et y répondre,

- dire que l'expert commis établira un rapport définitif, le déposera au greffe et le remettra à chacune des parties, dans les conditions prévues par les articles 263 et suivants du nouveau code de procédure civile, dans les deux mois où il aura été saisi de sa mission,

- fixer la provision à consigner au greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir,

- juger qu'il est incontestable que M. [U] [P] a perçu de la SARL [7] des rémunérations, non autorisées, d'un montant important au titre de son mandat de gérance, alors que les finances de la société étaient fragiles,

- juger que les rémunérations versées à la gérance n'ont jamais été votées par l'assemblée générale de la SARL [7], en totale contradiction avec les dispositions des statuts de la SARL [7],

- juger que M. [G] [E] a subi un préjudice direct et certain du versement non autorisé de ces rémunérations puisqu'il n'a perçu aucun dividende depuis l'exercice clos le 31 décembre 2018,

- condamner M. [U] [P] à payer, par provision, à M. [G] [E], la somme de 5 000 euros à titre de dommages-intérêts destinée à réparer les préjudices subis par M. [G] [E] du fait des fautes de gestion dont il s'est rendu coupable,

- condamner M. [U] [P] à verser à M. [G] [E] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [U] [P] aux entiers dépens.

Par ordonnance contradictoire en date du 28 septembre 2023, le juge des référés a :

- débouté M. [G] [E] de sa demande d'expertise,

- invité M. [G] [E] à mieux se pourvoir devant les juges du fond quant à ses demandes formées à titre de dommages et intérêts,

- débouté M. [U] [P], la SARL [7], et la SAS [9], de leur demande reconventionnelle,

- condamné M. [G] [E] à payer aux défendeurs la somme globale de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [G] [E] aux entiers dépens de l'instance.

Pour ne pas faire droit à la demande d'expertise au motif que M. [E] n'avait pas de motif légitime pour solliciter une expertise portant sur la gestion de la société [7], le premier juge a retenu que les comptes et la rémunération ayant été définitivement approuvés au cours de l'assemblée générale du 17 mai 2023 qui n'a fait l'objet d'aucune contestation, une expertise n'aurait pas d'impact sur ces décisions et que le droit d'information et de communication reconnu aux associés à toute époque par l'article L. 223-26 du code de commerce devait être utilisé avant toute demande de mesure d'instruction.

Le tribunal a par ailleurs jugé que les dommages et intérêts sollicités à titre provisionnel par M. [E] pour perte de chance et faute du gérant ne relevaient pas des pouvoirs du juge des référés et qu'il n'était pas démontré que la procédure intentée par M. [E] était empreinte de mauvaise foi pour rejeter la demande de dommages et intérêts formée par M. [P].

Par déclaration en date du 10 octobre 2023, M. [G] [E] a relevé appel de la décision en en critiquant l'ensemble des dispositions (à l'exception de ce qu'elle a débouté M. [U] [P], la SARL [7], et la SAS [9], de leur demande reconventionnelle).

MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

M. [G] [E] dans ses dernières conclusions en date du 22 décembre 2023, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de l'article 835 al 2 du code de procédure civile, demande à la cour de :

- accueillir l'appel de l'ordonnance de référé du 29 septembre 2023, formé par M. [G] [E],

- infirmer l'ordonnance du 29 septembre 2023 en ce que le juge des référés a débouté les demandes de M. [G] [E] visant à :

* solliciter l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire sur les éléments comptables de la SARL [7],

* se voir allouer une provision à valoir sur les dommages-intérêts provenant des fautes d'associé gérant majoritaire,

- rejeter purement et simplement l'appel incident formalisé par M. [U] [P], la SARL [7] et la SARL [9] comme étant infondé et injustifié,

statuant à nouveau,

sur la demande d'expertise,

- juger que M. [G] [E] a un intérêt légitime d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution du litige l'opposant à la SARL [7] et à M. [U] [P],

- ordonner l'instauration d'une mesure d'expertise judiciaire,

- désigner tel expert qu'il plaira à Monsieur le président de désigner, qui aura pour mission de :

* convoquer les parties et se faire remettre tous documents utiles à son information, entendre tous sachants qu'il estimera nécessaire, à charge d'en indiquer l'identité dans le rapport,

* examiner les bilans détaillés et comptes de résultats détaillés depuis le dernier exercice clos du 31 décembre 2016 jusqu'au 31 décembre 2022 et décrire les principales dépenses, bénéfices et affectations de fonds, notamment concernant les contrats de crédit-bail souscrits par le gérant, les défraiements du gérant, sa rémunération et leurs utilités par rapport à l'activité sociale de l'entreprise,

* dresser un rapport sur toutes les opérations de gestion intervenues et sur tous les contrats signés par la gérance depuis l'exercice clos du 31 décembre 2016,

* se prononcer sur la régularité des opérations de gestion de la gérance depuis le 31 décembre 2016,

* le cas échéant, dresser un apurement circonstancié des comptes entre la société, la gérance, et les associés,

* fournir tous éléments techniques et de fait de nature à déterminer les responsabilités encourues et évaluer les préjudices subis,

* faire toutes observations utiles à la solution du litige dans le cadre de la présente mission et répondre aux dires des parties après avoir provoqué leurs observations en leur adressant un pré-rapport ou une note de synthèse de ses opérations,

- établir un pré-rapport qui sera soumis à chacune des parties en leur impartissant un délai d'un mois pour présenter leurs dires et y répondre,

- dire que l'expert commis établira un rapport définitif, le déposera au Greffe et le remettra à chacune des parties, dans les conditions prévues par les articles 263 et suivants du nouveau code de procédure civile, dans les deux mois où il aura été saisi de sa mission,

- fixer la provision à consigner au greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir,

sur la demande de provision,

- juger qu'il est incontestable que M. [U] [P] a perçu de la SARL [7] des rémunérations, non autorisées, d'un montant important au titre de son mandat de gérance, alors que les finances de la société étaient fragiles,

- juger que les rémunérations versées à la gérance n'ont jamais été votées par l'assemblée générale de la SARL [7], en totale contradiction avec dispositions des statuts de la SARL [7],

- juger que M. [G] [E] a perdu une chance de percevoir des dividendes à cause des fautes de gestion de M. [U] [P], et qu'il est victime d'un abus de majorité par l'associé gérant majoritaire,

- condamner donc M. [U] [P] à verser à M. [G] [E] à titre provisionnel la somme de 5 000 euros à valoir sur des dommages-intérêts au titre des fautes de gérance commises, ayant causé comme préjudice à M. [G] [E] une perte de chance subie de percevoir des versements de dividendes, alors que le gérant s'est versé, sans droit, des rémunérations disproportionnées par rapport aux ressources de la société,

en tout état de cause,

- condamner M. [U] [P] à verser à M. [G] [E] la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [U] [P] aux entiers dépens.

M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] dans leurs dernières conclusions en date du 6 février 2024, demandent à la cour de :

- confirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Toulouse en date du 28 septembre 2023 en ce qu'elle :

* a débouté M. [G] [E] de sa demande d'expertise,

* l'a invité à se mieux pourvoir devant les juges du fond quant à ses demandes formées à titre de dommages et intérêts,

* a condamné M. [G] [E] à payer aux défendeurs la somme globale de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

* condamné M. [G] [E] aux entiers dépens de l'instance,

- infirmer l'ordonnance rendue par le tribunal de commerce de Toulouse en date du 28 septembre 2023 en ce qu'elle a :

* débouté M. [U] [P], la SARL [7], et la SAS [9], de leur demande reconventionnelle,

et, statuant à nouveau,

- débouter M. [G] [E] de sa demande d'expertise,

- débouter M. [G] [E] de sa demande de provision,

- condamner M. [G] [E] à payer à M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] une somme de 2 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner M. [G] [E] à payer à M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] la somme globale de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la première instance,

- condamner M. [G] [E] à payer à M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,

- condamner M. [G] [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 septembre 2024.

MOTIVATION

Sur la demande d'expertise

Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.

La mesure d'instruction à vocation probatoire se distingue de l'expertise de gestion prévue par les dispositions du code de commerce et plus spécialement par celles de l'article L. 223-37 de ce code concernant les SARL à laquelle elle n'est pas subsidiaire.

Il découle des dispositions sus-visées que le demandeur à l'expertise doit démontrer l'existence d'un motif légitime, lequel peut résider dans l'intérêt que peut avoir le demandeur à établir les faits nécessaires à la solution d'un litige qui doit être plausible, sans que son bien-fondé ou même le fondement juridique sur lequel une action contentieuse éventuelle pourrait reposer doivent être démontrés. Une demande de cette nature n'exige du demandeur aucun exercice préalable d'un droit d'information ou de consultation.

Une mesure d'instruction ne peut toutefois pas présenter un caractère purement exploratoire. Elle ne peut être ordonnée en vue de permettre au demandeur d'obtenir des informations sur des opérations de gestion courante au sein d'une société par la voie d'une mesure générale d'investigation. Une mesure d'instruction doit être circonscrite à des faits litigieux que le requérant à l'expertise doit décrire dans sa demande.

En l'espèce, pour critiquer le rejet de sa demande d'expertise, M. [E] reproche en premier lieu au juge des référés d'avoir retenu qu'une telle mesure ne pourrait avoir d'impact sur les décisions d'approbation des comptes pour les années 2016 à 2021 et de la rémunération du gérant en l'absence de contestation de ces décisions dans les formes et délais.

L'appelant fait valoir que le premier juge a ce faisant statué au fond et commis une erreur de droit dans la mesure où les actions en contestation des délibérations d'assemblées générales se prescrivent par trois ans selon l'article L. 235-9 du code de commerce et où les actions en indemnisation des abus de majorité se prescrivent par cinq ans selon le droit commun.

M. [P], la SARL [7] et la SAS [9] reprennent la motivation retenue en première instance pour conclure à la confirmation de la décision entreprise.

Le moyen développé par M. [E] est toutefois inopérant à justifier du bien-fondé de la demande d'expertise, laquelle serait sans effet sur les délais d'une action au fond en contestation des délibérations ou en réparation d'un abus de majorité.

* * *

M. [E] fait en deuxième lieu valoir que le premier juge a commis une erreur manifeste en rejetant sa demande au motif qu'il n'avait pas fait usage de son droit d'information et de communication prévu par l'article L. 223-26 du code de commerce, alors qu'il a formé la demande prévue dans ces dispositions par courrier de son conseil en date du 07 septembre 2022.

Pour conclure à la confirmation de la décision, les parties intimées font valoir que la demande de M. [E] s'analyse en une demande portant sur une expertise de gestion telle que prévue par l'article L. 223-26 du code de commerce laquelle ne peut prospérer dès lors qu'un associé ne peut recourir à une procédure d'expertise judiciaire pour palier sa propre inertie alors qu'en l'espèce, M. [E] n'a fait usage d'aucun de ses droits d'accès et de communication des éléments comptables, ni n'a posé de question écrite au gérant, s'abstenant en outre de se présenter lors de l'assemblée générale du 17 mai 2023. Elles ajoutent que l'unique mise en demeure du 1er mars 2023 n'a pas été précédée d'une demande de consultation des éléments comptables.

Il est toutefois constant que ni la consultation ou la demande de communication préalable d'éléments comptables ni le fait de poser au gérant une question écrite relative à la gestion de la société ne sont des conditions préalables à une demande d'expertise fondée sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile et la demande d'expertise ne saurait être rejetée pour ce motif.

* * *

Il appartient dès lors à M. [E] de rapporter la preuve de l'existence d'un motif légitime pour voir ordonner l'expertise sollicitée.

La cour relève que telle qu'elle est libellée dans les écritures de l'appelant, la mission sollicitée tend à confier à l'expert le soin de retracer l'intégralité des actes de gestion courante effectués par le gérant de la SARL [7] au cours de sept années d'exercice comptable, la demande incluant l'année 2022 qui n'était pas concernée par l'assemblée générale du 17 mai 2023.

Une telle mission présente un caractère général et consiste au final en une expertise globale de la gestion de la société. Une telle demande ne répond pas à l'exigence selon laquelle une expertise doit être circonscrite à des faits litigieux que doit décrire la partie qui la demande.

Il est en outre demandé à l'expert de se prononcer sur la 'régularité' des opérations, ce qui constituerait une analyse en droit, laquelle entre dans l'office exclusif d'une juridiction.

M. [E] met en avant un certain nombre d'éléments comptables qu'il indique avoir relevé sur les documents en sa possession et qualifie d''anormalités' comptables nécessitant selon lui l'analyse d'un expert.

Il souligne l'existence de charges exorbitantes pour l'année 2021, une augmentation incessante du poste salaires et traitements depuis l'exercice 2018, au titre duquel des rémunérations attribuées au gérant pour les années 2017 à 2021 que M. [E] qualifie d'importantes ou encore disproportionnées lorsque la société était quasiment en déficit et ne pouvait verser des dividendes à ses associés. Il conteste le fait que les rémunérations accordées au gérant aient été validées par l'assemblée générale du 17 mai 20123 en expliquant qu'il n'a pu s'y rendre au regard de la convocation rapide et brutale de l'assemblée en vue de laquelle il n'a pu prendre le temps d'analyser les comptes sociaux biaisés de 2016 à 2023. Il ajoute avoir été convoqué tardivement à cette assemblée générale.

L'appelant estime par ailleurs que les éléments comptables dont il dispose présentent pour certains un caractère 'douteux''. Il explique qu'il en va ainsi d'un compte courant octroyé à la SARL [7], acte relevant selon lui d'une convention réglementée soumise au vote des associés, ou encore qu'il n'a perçu aucun dividende en 2019 alors que le bilan de l'exercice mentionne une distribution de 8.572 euros. Il ajoute s'interroger, pour l'année 2019, sur la pertinence de dépenses de voyages, restauration ou crédit-bail d'un véhicule de marque AUDI au regard de l'objet social de fourniture de matériel de bière de la SARL [7]. Il estime que la gestion de M. [P] est opaque, que son obstination à refuser de justifier ses dépenses est suspecte et indique qu'il semble avoir utilisé les fonds de la SARL [7] pour avantager sa propre société constituée en 2021. Il estime que certains documents dont il dispose révèlent des incohérences.

Il indique encore qu'un changement de siège social a eu lieu sans vote de l'assemblée générale.

Il critique le fait de n'avoir reçu aucune réponse à sa demande de communication d'éléments comptables.

Pour conclure au rejet de la demande d'expertise, les parties intimées soutiennent que M. [E] ne démontre l'existence d'aucun élément sérieux laissant supposer l'existence d'irrégularités dans la mesure où les rémunérations versées à M. [P] ne sont pas exorbitantes et ont été approuvées en assemblée générale ainsi qu'il ressort du procès-verbal du 17 mai 2023. Ces parties ajoutent que les comptes ont également été définitivement approuvés au cours de cette assemblée à laquelle M. [E] a été régulièrement convoqué.

Elles précisent que le véhicule de marque AUDI est utilisé par M. [P] dans le cadre uniquement professionnel et exposent que la société [8] créée par le gérant n'a aucune activité similaire ou concurrente à celle de la SARL [7], puisqu'elle exerce exclusivement une activité de vente en ligne.

Elles indiquent que M. [E] ne s'est pas déplacé dans les établissements de la SARL [7] pour y consulter les éléments comptables qu'il n'a réclamés qu'à une seule reprise par voie de mise en demeure.

La cour observe qu'il ne peut entrer dans les pouvoirs du juge des référés de se prononcer sur la régularité de la convocation à l'assemblée générale qui s'est tenue le 17 mai 2023. Une expertise relative à la gestion de la société ne serait d'aucune utilité quant à la computation des délais relatifs à cette convocation, qui sont à rechercher dans les pièces afférentes à son envoi et à sa réception dont dispose déjà l'appelant et doivent le cas échéant être examinées à la lumière des dispositions légales, réglementaires ou statutaires qui ne dépendent pas d'une mesure d'instruction.

Une expertise ne serait pas plus utile pour déterminer le montant de la rémunération versée au gérant, qui est connu et la question de l'existence et de la régularité de son approbation ou de sa ratification ne dépend que des éléments contenus dans les procès-verbaux d'assemblée générale qui sont déjà en possession de M. [E]. La preuve d'irrégularités affectant éventuellement la prise de diverses décisions du gérant relativement à la création d'un compte courant au profit de la SARL [7], ou au changement du siège social, ne dépend elle aussi que de l'existence ou non et de la forme des délibérations nécessaires, mais non d'une expertise à caractère économique.

Il ne saurait entrer dans la mission d'un expert judiciaire d'apprécier la pertinence de dépenses ou de l'usage de certains biens.

M. [E] sollicite une expertise de gestion globale sur six, voire sept années, en mettant en avant des éléments parcellaires concernant de façon exclusive les exercices comptables 2019 et 2021.

Les montants relatifs aux réserves réglementées inscrits au titre des capitaux propres dans le bilan passif pour l'année 2019 ne sont pas exprimés de manière identique sur le bilan qui était annexé à la convocation à l'assemblée générale du 17 mai 2023 et sur le bilan que M. [E] indique s'être procuré. La différence entre ces montants, que l'appelant qualifie d'incohérence est cependant sans incidence sur le montant total des réserves réglementées inscrites au bilan, de sorte que la nécessité d'une expertise sur ce point n'est pas démontrée.

S'il ne peut être exigé d'un associé minoritaire qui nourrit des doutes sur la gestion de la société qu'il exerce son droit de consultation préalablement à toute action en justice, il lui appartient de produire les éléments de fait de nature à étayer ses soupçons ou de rapporter la preuve de ce qu'il est de façon absolue empêché d'y accéder. Il ne peut entrer dans la mission d'un expert de recueillir des éléments probatoires dont il n'est pas démontré qu'ils seraient inaccessibles pour la partie qui allègue qu'ils contiennent la preuve de ses affirmations.

M. [E] a sollicité par courriers établis par son conseil en dates des 07 décembre 2022, 06 février et 1er mars 2023, adressés à la SARL [7] et à l'expert-comptable de la société la transmission de diverses pièces relatives aux assemblées générales des années 2020 et 2021, au dépôt des comptes, à la fixation de la rémunération du gérant, aux bilans comptables et liasses fiscales depuis l'année 2019 et à divers justificatifs de frais.

À elle seule, l'absence de réponse à ces courriers ne démontre pas que la SARL [7] ou son gérant auraient fait obstacle au droit de consultation et de prise de copie dont il bénéficie en qualité d'associé.

Il ne peut sérieusement prétendre qu'il n'a pas été répondu à ses demandes, puisqu'à la convocation à l'assemblée générale du 17 mai 2023 dont il a accusé réception le 12 mai 2023, étaient annexés les bilans actifs et passifs, ainsi que les comptes de résultats pour les exercices comptables clos entre le 31 décembre 2016 et le 31 décembre 2021.

Il résulte du tout que M. [E] ne rapporte pas la preuve de l'existence d'un motif légitime démontrant que la préservation de la preuve de ses droits d'associé ne pourrait résulter que de l'organisation d'une expertise.

L'ordonnance déférée sera en conséquence confirmée sur ce point.

Sur la demande de provision

Selon l'article 835 al. 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Le juge des référés peut accorder une provision lorsque celui qui s'en prétend créancier démontre que de façon non sérieusement contestable une faute imputable à celui qu'il en estime débiteur lui a causé un préjudice.

En l'espèce, M. [E] reproche au premier juge d'avoir fait une appréciation erronée des pouvoirs du juge des référés en rejetant sa demande au motif que les dommages et intérêts ne relevaient pas de ses pouvoirs sans même avoir statué sur l'existence d'une contestation sérieuse.

Pour solliciter une indemnisation provisionnelle fondée sur la responsabilité du gérant prévue par l'article L. 223-22 al. 3 du code de commerce, il fait valoir qu'il est évident que la gestion de M. [P] a été effectuée en fraude totale de ses droits d'associé, puisque le gérant s'est versé un salaire assez élevé qui n'a jamais été validé et fixé en assemblée générale, tout en refusant de verser des dividendes en mettant en avant le fait que les finances de la société étaient obérées et qu'il a fait ratifier l'ensemble des comptes depuis l'année 2016 au cours de l'unique assemblée générale du 17 mai 2023. M. [E] ajoute que la souscription d'un crédit-bail pour un véhicule utilisé pour le compte personnel du gérant, ainsi que le défaut de convocation de l'assemblée générale depuis 2018 constituent également des fautes de gestion et pour cette dernière faute, une infraction pénale.

Il explique que ces fautes, qui l'ont contraint à engager une action judiciaire pour tenter d'obtenir des explications, lui causent un préjudice consistant en une perte de chance de percevoir des dividendes depuis 2018. Il précise que le montant de 5 000 euros qu'il sollicite est plus que justifié au regard du montant des salaires perçus par le gérant.

Pour conclure à la confirmation de la décision, M. [P], la SARL [7] et la SAS [9] font valoir que la demande est sérieusement contestable du fait des décisions prises lors de l'assemblée générale du 17 mai 2023 et qu'elle n'est pas cohérente avec la demande d'expertise destinée à établir la preuve des faits dont pourrait dépendre le succès de prétentions au fond et estiment que l'appréciation des fautes de gestion alléguées ne relève pas des pouvoirs du juge des référés. Ils ajoutent qu'une SARL n'a aucune obligation de distribuer des dividendes à l'issue de l'approbation de ses comptes annuels et qu'en l'espèce, la SARL [7] n'avait pas les moyens d'une distribution de dividendes depuis 2019 au regard de ses difficultés commerciales auxquelles M. [E] a participé en rompant les relations commerciales entretenues avec ses propres sociétés.

Il ne peut être retenu que les fautes de gestion alléguées par M. [E] présenteraient un caractère évident au regard de la ratification globale issue de l'assemblée générale du 17 mai 2023 sur laquelle les parties intimées s'appuient pour contester l'existence de fautes de gestion. En outre, en qualité d'associé de la SARL [7], M. [E] ne bénéficiait d'aucun droit acquis au versement annuel de dividendes, qui ne peut résulter que d'une décision des organes délibérant, qui a été prise en l'espèce lors de cette même assemblée générale.

Or, l'analyse des conditions dans lesquelles la convocation et la tenue de cette assemblée sont intervenues, qui nécessite un examen factuel approfondi destiné à rechercher si des fautes ont été commises à ces occasions, excède les pouvoirs du juge des référés.

M. [E] n'établit ainsi pas l'existence d'une obligation non sérieusement contestable qui rendrait les parties intimées débitrices à son égard de dommages et intérêts à hauteur de 5 000 euros.

La décision querellée sera en conséquence confirmée sur ce point.

Sur la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive

Il est constant que l'exercice d'une action en justice ne dégénère en abus que lorsqu'est caractérisée l'intention de nuire de celui qui l'intente, laquelle ne résulte pas du seul rejet des prétentions du demandeur.

En l'espèce, pour solliciter le paiement de la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts, M. [P] et les sociétés [7] et [9] soutiennent que le premier juge a considéré à tort que l'action de M. [E] n'était pas empreinte de mauvaise foi alors qu'il a fait preuve de déloyauté dans sa demande d'expertise, qu'il justifie sa demande de provision par une prétendue perte de chance incohérente avec l'absence d'automaticité du versement de dividendes et dans l'intention de nuire à son associé puisqu'il est lui-même à l'origine de la fragilité de la santé financière de la SARL [7].

Pour conclure à la confirmation de l'ordonnance frappée d'appel, M. [E] met en avant la légitimité de ses demandes et le fait qu'une action avant dire droit ne constitue pas une faute indemnisable.

L'absence de démonstration par M. [E] d'un motif légitime pour voir ordonner l'expertise qu'il sollicitait n'est pas à elle seule suffisante pour établir un abus dans l'exercice de son action en référé. Sa demande provisionnelle également rejetée, n'apparaissait pas non sérieusement contestable, sans toutefois qu'elle ait été formée de mauvaise foi.

La décision dont appel sera en conséquence également confirmée sur ce point.

M. [E] dont l'appel ne prospère pas sera condamné aux dépens, ainsi qu'au paiement d'une somme globale de 2 000 euros à M. [P], la SARL [7] et la SAS [9].

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Confirme la décision entreprise dans toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

- Condamne M. [G] [E] à payer à M. [U] [P], la SARL [7] et la SAS [9] une somme globale de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamne M. [G] [E] aux dépens.