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Décisions

CA Paris, Pôle 4 ch. 5, 6 décembre 2023, n° 19/14190

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Greenharbour Limited (Sté)

Défendeur :

Lyris (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Jariel

Conseillers :

Mme Norval-Grivet, Mme Thévenin-Scott

Avocats :

Me Margnoux, Me Garnier, Me Pelit-Jumel, Me Bellanca, Me Belin

TGI Paris, du 6 juin 2019, n° 17/09563

6 juin 2019

EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE

Par un contrat non daté, la société Lyris, propriétaire d'un hôtel particulier situé [Adresse 1] à [Localité 2] qu'elle souhaitait rénover, a conclu avec la société Ingénierie montagne réalisation (la société IMR) un contrat de rénovation, aménagement, décoration et ameublement pour un montant de 3.995.000 euros HT.

A la demande de la société IMR, la société de droit anglais Greenharbour limited (la société Greenharbour), qui exerce une activité d'aménagements intérieurs, rénovations et décorations, est intervenue sur le chantier de rénovation pour, selon un devis non signé en date du 30 juin 2012, un montant de 1.477.489,50 euros.

Le règlement des situations d'abord fait auprès de la société IMR s'est poursuivi auprès de la société Euromaîtrise, sociétés ayant toutes les deux le même gérant.

Le 17 octobre 2012, se prévalant de diverses non-façons, malfaçons et non-conformités, la société Lyris a refusé de procéder à la réception des travaux.

Par jugement du 18 septembre 2013, tribunal de commerce d'Annecy a prononcé le redressement judiciaire de la société IMR, converti en liquidation judiciaire par jugement du 12 novembre 2013.

Le 18 novembre 2013, la société Greenharbour a déclaré au passif de la société IMR une créance d'un montant de 507.297,22 euros, correspondant au solde de la facture du 31 octobre 2012, outre des intérêts de retard pour 48.408,66 euros.

Le 2 décembre 2013, la société Lyris a déclaré au passif de la société IMR une créance d'un montant de 1.000.000 euros correspondant à celui des travaux nécessaires pour remédier aux diverses non-façons, malfaçons, et non-conformités.

Le 10 décembre 2013, se prévalant d'une clause de réserve de propriété convenue avec la société IMR, la société Greenharbour a revendiqué entre les mains du liquidateur la propriété des mobiliers et marchandises livrés, selon elle, sur le chantier.

Le 23 juin 2014, la société Greenharbour a mis en demeure la société Lyris de lui payer la somme de 507.297,22 euros, outre intérêts, sur le fondement, d'une part, de sa qualité de vendeur réservataire, d'autre part, de sa qualité de sous-traitant resté impayé.

Désigné, à la demande de la société Greenharbour, par ordonnance du 21 août 2014, un huissier de justice a, le 9 septembre 2014, dressé un constat de l'état des biens revendiqués.

Par ordonnance du 24 mars 2015, le juge-commissaire a admis la créance de la société Greenharbour à hauteur de la somme de de 495.973,90 euros et à titre chirographaire.

Par jugement du 14 décembre 2016, le tribunal de commerce d'Annecy a reconnu la validité de la clause de réserve de propriété, constaté que les biens sur lesquels elle s'appliquait n'étaient plus dans le patrimoine de la société IMR et renvoyé la société Greenharbour à engager toutes procédures qu'elle estimerait utiles au titre de ladite clause à l'encontre des acquéreurs finaux de ces divers chantiers.

Le 28 juin 2017, se prévalant, d'une part, du report sur le prix de vente de son droit de propriété, d'autre part, de sa qualité de sous-traitant titulaire d'une action directe en paiement à l'encontre du maître de l'ouvrage, la société Greenharbour a assigné la société Lyris en condamnation à lui payer les sommes suivantes :

- 495.973,90 euros augmentée des intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de financement la plus récente, majorée de 10 points de pourcentage à compter du 23 juin 2014, date de la mise en demeure ;

- 40.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement du 6 juin 2019, le tribunal de grande instance de Paris a statué en ces termes :

Déboute la société Greenharbour de l'ensemble de ses demandes ;

Déboute la société Lyris de sa demande reconventionnelle au titre des dommages et intérêts;

Condamne la société Greenharbour à payer à la société Lyris la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société Greenharbour aux dépens, dont distraction au profit de Me Bellanca sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Dit n'y avoir lieu exécution provisoire.

Par déclaration en date du 11 juillet 2019, la société Greenharbour a interjeté appel du jugement, intimant devant la cour d'appel la société Lyris.

Par ordonnance en date du 30 mai 2023, le conseiller de la mise en état a révoqué l'ordonnance de clôture rendue le 14 mars 2023.

EXPOSE DES PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 16 juin 2023, la société Greenharbour demande à la cour de :

Reformer la décision entreprise en ce qu'elle :

" Déboute la société Greenharbour Limited de l'ensemble de ses demandes.

Condamne la société Greenharbour Limited à payer à la société Lyris la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Greenharbour Limited aux dépens, dont distraction au profit de M. [R] sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile.

Déboute les parties du surplus de leurs demandes. "

Dire et juger irrecevable et à défaut mal fondée l'intégralité des demandes de la société Lyris à l'encontre de la société Greenharbour ;

Ecarter l'intégralité des demandes reconventionnelles de la société Lyris, notamment au titre de dommages et intérêts, exception d'inexécution, compensation, frais irrépétibles et dépens.

Condamner la société Lyris à verser à la société Greenharbour les sommes de :

495.973,90 euros augmentée des intérêts au taux appliqué par la BCE à son opération de refinancement la plus récente, majorée de dix points de pourcentage à compter du 23/06/2014, date de mise en demeure,

40.000,00 euros à titre de dommages et intérêts,

5.000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamner la société Lyris aux dépens de première instance et d'appel avec distraction au profit de Me Margnoux, Avocat, sur son affirmation de droit par application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 septembre 2023, la société Lyris demande à la cour de :

1. Sur la demande en paiement de la société Greenharbour fondée sur la clause de réserve de propriété :

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

jugé la société Lyris recevable et fondée en sa tierce opposition formée par voie incidente contre le jugement du 4 décembre 2016 du tribunal de commerce d'Annecy au visa de l'article 583 du code de procédure civile,

jugé qu'aucune clause de réserve de propriété n'a été valablement convenue entre les sociétés IMR et Greenharbour et ne peut en conséquence être opposée à la société Lyris ;

Débouté la société Greenharbour de son action en paiement à l'encontre de la société Lyris fondée sur ladite clause de réserve de propriété ;

Condamné la société Greenharbour au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens ;

En conséquence : débouter la société Greenharbour de sa demande de règlement fondée sur la clause de réserve de propriété.

A titre subsidiaire si la cour estimait la cause de réserve de propriété valable et opposable à la société Lyris :

Juger que la société Lyris n'est redevable d'aucune somme à la société IMR dont la société Greenharbour pourrait prétendre au paiement sur le fondement de la clause de réserve de propriété ;

En conséquence : débouter la société Greenharbour de sa demande de règlement fondée sur la clause de réserve de propriété ;

2. Sur la demande en paiement de la société Greenharbour fondée sur la qualité de sous-traitant :

- Sur le fondement de l'action directe :

Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a :

Jugé que la société Greenharbour est un sous-traitant irrégulier non accepté et dont les conditions de paiement n'ont pas été agrées par la société Lyris, maître d'ouvrage ;

Jugé en conséquence que la société Greenharbour ne peut se prévaloir de l'action directe de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.

En conséquence:

Débouter la société Greenharbour de sa demande de règlement fondée sur l'action directe ;

A titre subsidiaire si la cour infirmait la décision :

Juger que la société Lyris ne restait devoir aucune somme à la société IMR tant à la date de réception de la mise en demeure du 23 juin 2014 que postérieurement ;

En conséquence :

Débouter la société Greenharbour de sa demande en paiement formée au titre de l'action directe de la loi n° 751334 du 31 décembre 1975 ;

Sur le fondement de l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 soulevé en appel à titre subsidiaire par la société Greenharbour :

A titre principal :

Juger que la société Lyris n'a commis aucune faute n'ayant pas eu connaissance de l'intervention de la société Greenharbour en tant que sous-traitant, avant le courrier de cette dernière du 23 juin 2014, soit avant que la société IMR ne soit placée en redressement judiciaire soit le 19 septembre 2013 ;

A titre subsidiaire :

Juger que le préjudice ne serait constitué que par la perte de chance d'obtenir de la société Lyris le paiement des travaux par la voie de l'action directe ;

Juger cette perte de chance inexistante ;

En conséquence :

Débouter la société Greenharbour de sa demande en paiement fondée sur l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975.

3. A titre plus subsidiaire quel que soit le fondement des demandes de la société Greenharbour

Juger que la société la société Greenharbour a commis de graves manquements dans l'exécution des prestations réalisées sur le chantier du [Adresse 1] ;

Juger la société Lyris parfaitement fondée à opposer à la société Greenharbour l'exception d'inexécution ;

En conséquence :

Débouter la société Greenharbour de l'ensemble de ses demandes en paiement ;

4. Sur la demande reconventionnelle de la société Lyris :

Réformer le jugement de première instance et statuant à nouveau :

Juger la société Lyris recevable et fondée en sa demande reconventionnelle ;

Condamner la société Greenharbour au paiement d'une somme de 1.500.000 euros à titre de dommages et intérêts ;

5. Sur la compensation

Si la Cour estimait devoir faire doit en tout ou en partie à la demande de la société Greenharbour Limited à l'encontre de la société Lyris :

Ordonner la compensation entre les sommes dues réciproquement ;

6.Dans tous les cas:

Condamner la société Greenharbour à payer à la société Lyris la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles en appel, outre sa condamnation aux dépens dont distraction au profit de Me [P], Avocat.

La clôture a été prononcée par ordonnance du 17 octobre 2023 et l'affaire a été appelée à l'audience du 30 octobre 2023, à l'issue de laquelle elle a été mise en délibéré.

MOTIVATION

Sur la subrogation du droit de propriété de la société Greenharbour

Moyens des parties

La société Greenharbour soutient que sa créance a été définitivement admise dans le cadre de la procédure collective de la société IMR et qu'en cas de revente des biens, le bénéfice de la clause de réserve de propriété se reporte sur le prix par voie de subrogation entre les mains du sous-acquéreur s'il n'en a pas payé le prix.

En réponse, la société Lyris fait valoir que la société Greenharbour ne justifie pas de l'existence d'une créance à ce titre de la société IMR à son encontre.

Réponse de la cour

Aux termes de l'article 2367 du code civil, la propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie. La propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement.

Aux termes de l'article 2372 du même code, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2009-112 du 30 janvier 2009, applicable en la cause, le droit de propriété se reporte sur la créance du débiteur à l'égard du sous-acquéreur ou sur l'indemnité d'assurance subrogée au bien.

A titre liminaire, la cour observe que la demande en paiement formée par la société Greenharbour, sur le fondement de la subrogation prévue par l'article 2372 précité, n'a pas pour objet le paiement de la créance de la société IMR à l'égard de la société Lyris correspondant au prix d'acquisition des biens vendus avec réserve de propriété mais le paiement de la dette de la société IMR à l'égard de la société Greenharbour, telle qu'admise au passif de la procédure collective et correspondant au paiement de la fourniture de meubles et équipements mais aussi à des prestations de rénovation.

Or, l'article 2372 n'accorde pas au vendeur avec réserve de propriété une action directe en paiement de sa créance à l'encontre du sous-acquéreur mais une subrogation dans les droits de son débiteur à l'égard du sous-acquéreur.

Méconnaissant ainsi l'objet de son action, la société Greenharbour ne prend pas la peine de justifier de l'existence du respect des conditions de celle-ci.

S'agissant de la condition première de cession par le débiteur des biens vendus avec réserve de propriété, elle n'énumère pas les mobiliers et fournitures mentionnées au devis effectivement délivrés à la société Lyris et ne précise aucunement si, au jour de cette éventuelle délivrance, ils étaient, s'agissant d'un contrat d'entreprise, dans leur état initial (3e Civ., 5 novembre 2003, pourvoi n° 00-21.357, Bulletin civil 2003, IV, n° 162).

S'agissant de la deuxième condition tenant à la subrogation elle-même, la société Greenharbour ne fait pas le départ entre, d'une part, le coût du mobilier réservé, d'autre part, de celui de sa pose et des prestations de rénovation au titre desquels aucun droit de propriété ne peut être reporté sur la créance prétendument due par la société Lyris à la société IMR.

S'agissant de la troisième condition tenant à l'existence d'une créance du débiteur, la société Lyris établit, à suffisance de preuve s'agissant de relations commerciales, avoir, malgré son inachèvement, versé au titre du chantier la somme de 3.644.933,93 euros HT soit environ 91 % du coût global du marché et, en tout état de cause, supérieur au coût global hors frais et la société IMR a fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire dont la fonction première était de liquider l'actif de cette société, éléments de nature à démontrer l'absence de créance de la société IMR à l'égard de la société Lyris.

En réponse, la société Greenharbour relève que la société IMR, n'a, postérieurement à l'ouverture de la procédure collective, reçu de la société Lyris aucune somme correspondant à ses prestations, sans établir le coût de l'acquisition des biens réservés par la société Lyris ni le montant de l'éventuel solde restant dû à ce titre.

Dès lors, la société Greenharbour ne démontre pas que la société Lyris est débitrice de la société IMR au titre de l'acquisition des biens réservés.

Par suite, et sans qu'il soit nécessaire de réexaminer à hauteur d'appel la question de l'existence de la clause de réserve de propriété alléguée par la société Greenharbour, écartée par de justes motifs par le tribunal, la cour ne peut que rejeter la demande en paiement formée au titre d'une subrogation dont la réalisation des conditions n'est aucunement démontrée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de la société Greenharbour au titre de l'action directe du sous-traitant

Moyen des parties

La société Greenharbour soutient qu'elle était présente aux réunions de chantier, avait des relations directes avec la société Lyris et que celle-ci, qui a demandé la communication de ses attestations d'assurance, ne pouvait ignorer son intervention.

En ce sens, elle produit de nombreuses pièces, notamment, des attestations, des plans d'exécution revêtus de son cachet et des messages électroniques adressés aux représentants de la société Lyris, ainsi que des photographies les faisant apparaître avec ceux de la société Greenharbour.

En réponse, la société Lyris fait valoir que le bénéfice de l'action directe du sous-traitant est soumis à la réunion de deux conditions cumulatives : son acceptation par le maître de l'ouvrage, d'une part, l'agrément de ses conditions de paiement par celui-ci, d'autre part.

Elle relève que, si l'acceptation peut être tacite, elle ne saurait se déduire de la simple passivité du maître de l'ouvrage mais doit résulter d'actes manifestant sans équivoque sa volonté d'accepter le sous-traitant.

Elle souligne qu'elle n'a jamais accepté la société Greenharbour comme sous-traitant et agréé ses conditions de paiement, pas plus qu'elle n'a même eu connaissance de son intervention sur le chantier du [Adresse 1] avant la mise en demeure du 23 juin 2014.

Elle précise que, la société Greenharbour n'ayant pas d'ouvrier, elle n'a pratiquement rien réalisé sur le chantier ; de nombreuses autres entreprises intervenant sur celui-ci.

Enfin, elle relève, à titre subsidiaire, qu'au jour de la mise en demeure du 23 juin 2014, elle ne devait rien à la société Lyris, de sorte que l'action directe ne pourrait, en tout état de cause, pas être exercée.

A titre encore plus subsidiaire, elle soutient qu'elle est fondée à opposer à la société Greenharbour l'exception d'inexécution tirée des malfaçons et non-conformités du chantier démontrées par le rapport et les photographies de M. [C], l'expert mandaté par elle, correspondant à des prestations facturées 721.000 euros HT, équivalent à près de 50 % du devis produit par la société Greenharbour.

Réponse de la Cour

Selon l'article 12 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, le sous-traitant a une action directe contre le maître de l'ouvrage si l'entrepreneur principal ne paie pas, un mois après en avoir été mis en demeure, les sommes qui sont dues en vertu du contrat de sous-traitance ; copie de cette mise en demeure est adressée au maître de l'ouvrage. Cette action directe subsiste même si l'entrepreneur principal est en état de liquidation des biens, de règlement judiciaire ou de suspension provisoire des poursuites.

Selon l'article 13 de la même loi, l'action directe ne peut viser que le paiement correspondant aux prestations prévues par le contrat de sous-traitance et dont le maître de l'ouvrage est effectivement bénéficiaire. Les obligations du maître de l'ouvrage sont limitées à ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure prévue à l'article 12 de cette loi.

A l'exercice de cette action directe, le maître de l'ouvrage peut opposer son absence d'agrément du sous-traitant et de ses conditions de paiement.

En effet, aux termes du premier alinéa de l'article 3 de la même loi, l'entrepreneur qui entend exécuter un contrat ou un marché en recourant à un ou plusieurs sous-traitants doit, au moment de la conclusion et pendant toute la durée du contrat ou du marché, faire accepter chaque sous-traitant et agréer les conditions de paiement de chaque contrat de sous-traitance par le maître de l'ouvrage ; l'entrepreneur principal est tenu de communiquer le ou les contrats de sous-traitance au maître de l'ouvrage lorsque celui-ci en fait la demande.

Au cas d'espèce, il n'est pas allégué l'existence d'une acceptation expresse par le maître de l'ouvrage.

Néanmoins, il est jugé qu'une telle acceptation peut être tacite, à condition toutefois ne pas être déduite d'une attitude passive du maître de l'ouvrage mais de résulter d'actes manifestant sans équivoque sa volonté d'accepter le sous-traitant (3e Civ., 18 juillet 1984, pourvoi n° 83-11.401, Bulletin 1984 III n° 141).

En l'occurrence, comme l'ont exactement jugé les premiers juges, la cour, après examen de l'ensemble des pièces produites par la société Greenharbour, retient qu'aucune d'entre elles ne constitue un acte manifestant sans équivoque une telle volonté de la société Lyris.

Aux motifs pertinent des premiers juges, la cour ajoutera, à titre surabondant, qu'il est jugé, qu'en application de l'article 12 précité, l'envoi d'une mise en demeure à l'entrepreneur principal est une obligation préalable essentielle à l'exercice de l'action directe (3e Civ., 15 septembre 2016, pourvoi n° 15-22.592, Bull. 2016, III, n° 109) et que celle-ci doit être formelle (3e Civ., 4 janvier 1996, pourvoi n° 94-11.637, Bulletin 1996 III n° 2).

Le maître de l'ouvrage n'est, en effet, tenu envers le sous-traitant que de ce qu'il doit encore à l'entrepreneur principal à la date de la réception de la copie de la mise en demeure (3e Civ., 30 octobre 1991, pourvoi n° 90-10.956, Bulletin 1991 III n° 256) et les juges sont tenus de rechercher quelle était la situation exacte au jour de la réception de la copie de la mise en demeure par le maître de l'ouvrage (3e Civ., 10 juillet 1996, pourvoi n° 94-22.085, Bulletin 1996, III, n° 179).

Au cas d'espèce, les deux messages électroniques en date des 31 octobre 2012 et 10 janvier 2013 adressés par la société Greenharbour à la société IMR ne revêtent pas un caractère de formalité permettant de les qualifier de mises en demeure au sens de l'article 12 précité et, en tout état de cause, il n'est pas allégué qu'ils aient été adressés en copie à la société Lyris.

En conséquence, à défaut de mise en demeure préalable à la liquidation judiciaire de l'entrepreneur principal, le sous-traitant est tenu de déclarer sa créance au passif de cette liquidation pour exercer l'action directe contre le maître de l'ouvrage, prévue à l'article 12, cette déclaration de créance valant mise en demeure (Com., 12 mai 1992, n° 89-17.908, Bull, 1992 IV, n° 178 ; Com., 9 mai 1995, pourvoi n° 93-10.568, Bull 1995, IV, n° 131 ; 3e Civ., 13 juillet 2023, pourvoi n° 21-23.747, publié).

En l'occurrence, c'est au 23 juin 2014, date de la mise en demeure, accompagnée de la déclaration de créance, adressée à la société Lyris que doit être établie l'existence des sommes réellement dues à l'entrepreneur principal donc celles dues pour les travaux effectivement exécutés et non les sommes restant théoriquement dues en vertu du marché principal, sans toutefois établir de distinction suivant l'origine des prestations fournies au titre du marché principal (3e Civ., 29 mai 1991, pourvoi n° 89-13.504, Bulletin 1991 III n° 159).

Or, comme il a été retenu ci-dessus, la société Lyris établit que, malgré son inachèvement, elle a, antérieurement à cette date, versé, au titre du chantier, la somme de 3.644.933,93 euros HT soit environ 91 % du coût global du marché et ce alors qu'elle a déclaré au passif de la procédure collective la somme de 1.000.000 euros.

Par suite, en l'absence, au 23 juin 2014, de créance de la société IMR à l'égard de la société Lyris, l'action directe de la société Greenharbour ne pouvait, en tout état de cause, être accueillie.

Sur la faute de la société Lyris tirée de l'absence de mise en demeure de la société IMR de procéder aux diligences requises pour l'acceptation de la société Greenharbour

Moyen des parties

La société Greenharbour soutient que la société Lyris a commis une faute engageant sa responsabilité en ne mettant pas en demeure l'entrepreneur principal de procéder aux diligences requises pour son acceptation en tant que sous-traitant et l'agrément de ses conditions de paiement.

Elle ajoute qu'elle justifie par les pièces produites que la société Lyris était informée de sa présence sur le chantier antérieurement à la mise en demeure du 23 juin 2014 délivrée pendant la liquidation judiciaire de la société IMR et, qu'en tout état de cause, la société Euromaîtrise, société ayant le même gérant que la société IMR, pouvait accomplir les diligences requisese, postérieurement à la liquidation judiciaire, dans le cadre de la poursuite de l'exécution du chantier.

En réponse, la société Lyris fait valoir que, n'ayant pas eu connaissance de l'intervention de la société Greenharbour antérieurement au courrier adressé par elle le 23 juin 2014 soit après le placement en liquidation judiciaire de la société IMR, de sorte, qu'à cette date, elle n'était plus en mesure de la mettre en demeure de remplir ses obligations.

Elle relève que la société Euromaîtrise n'a aucunement poursuivi le chantier qui s'est arrêté le 17 octobre 2012, soit antérieurement à la procédure collective de la société IMR.

A titre subsidiaire, elle souligne que le préjudice ne pouvant être constitué que de la perte de chance pour le sous-traitant de se voir payé de ses travaux au titre de l'action directe ; aucune perte de chance ne pourrait en l'espèce être retenue dès lors que tant au 23 juin 2014 qu'au jour de l'établissement des devis de la société Greenharbour, elle avait déjà payé à la société IMR plus qu'elle devait au titre des travaux.

A titre encore plus subsidiaire, elle soutient qu'elle est fondée à opposer à la société Greenharbour l'exception d'inexécution tirée des malfaçons et non-conformités du chantier démontrées par le rapport et les photographies de M. [C], l'expert mandaté par elle, correspondant à des prestations facturées à la somme de 721.000 euros HT, équivalente à près de 50 % du devis produit par la société Greenharbour.

Réponse de la cour

Selon l'article 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975, le maître de l'ouvrage doit, s'il a connaissance de la présence sur le chantier d'un sous-traitant de mettre l'entrepreneur principal en demeure de s'acquitter de ces obligations.

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

La faute délictuelle ou quasi-délictuelle du mandataire n'engageant pas la responsabilité du mandant, celui-ci ne peut être condamné sur le fondement de l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975 que s'il a personnellement connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier (3e Civ., 15 avril 2021, pourvoi n° 19-20.424, publié).

L'indemnisation doit s'apprécier au regard de ce que le maître l'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal au moment où il a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier (3e Civ., 31 mars 2010, pourvoi n° 09-13.513), de sorte que cette indemnisation sera équivalente au solde dû au sous-traitant qu'au cas où, au jour où le maître d'ouvrage a eu connaissance de la présence du sous-traitant sur le chantier, il devait encore régler des sommes qui auraient été suffisantes pour payer au sous-traitant la totalité des sommes restant dues à celui-ci (3e Civ., 16 septembre 2003, pourvoi n° 02-12.924).

Au cas d'espèce, la société Grenneharbour sollicite à titre de dommages-intérêts le solde total de sa créance telle qu'admise à la procédure collective de la société IMR.

Après examen de l'ensemble des pièces produites par elle, la cour retient qu'elle n'établit pas que la société Lyris aurait été personnellement, et non l'un de ses mandataires, informée de sa présence sur le chantier ni à quelle date une telle information se serait produite.

Elle n'établit pas plus si les sommes qui auraient été dues par la société Lyris à la société IMR à une telle date auraient permis de lui régler intégralement le solde de sa créance ni même une partie de celui-ci.

Par suite, sa demande en paiement de la somme de 495.973,90 euros à titre de dommages et intérêts sera rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande de la société Greenharbour au titre de la résistance abusive de la société LYRIS

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Au cas d'espèce, la société Greenharbour succombant en ses prétentions, sa demande en paiement de dommages et intérêts au titre de la prétendue résistance abusive de la société LYRIS ne peut qu'être rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur la demande reconventionnelle de la société LYRIS

Moyen des parties

La société Lyris soutient que la société Greenharbour a commis des malfaçons et non-conformités du chantier démontrées par le rapport et les photographies de M. [C], l'expert mandaté par elle qui, soumis à la libre discussion des parties, peuvent valoir comme élément de preuve.

A cet égard, si toutes les prestations réalisées par la société Greenharbour ont été critiquées par M. [C], les seuls défauts concernant le plateau tournant pour voiture, les meubles et le parquet correspondent à eux seuls à une somme de 721.000 euros.

En réponse, la société Greenharbour fait valoir que la société Lyris ne peut, sans se contredire, affirmer qu'elle ne travaillait pas sur le chantier et, en même temps, lui reprocher une mauvaise exécution de celui-ci.

Elle relève que, non établi contradictoirement, le rapport de M. [C] ne lui est pas opposable, qu'elle n'a pas exécuté les postes de peinture, électricité, maçonnerie et autres évoqués dans ce rapport, que le constat d'huissier de justice, établissant le caractère satisfaisant de ses prestations, démontre, contrairement au rapport, que la plateforme tournante pour voiture fonctionnait, et, qu'en tout état de cause, la plupart des désordres allégués relèvent de simples finitions.

S'agissant de la note d'analyse des devis par M. [C], celle-ci, non établie contradictoirement, ne lui est pas non plus opposable.

Elle ajoute que les photographies par elle produites établissent la bonne réalisation de ses prestations et que la société Lyris occupe les lieux depuis plusieurs années sans qu'elle ne lui ait adressé le moindre reproche.

Réponse de la Cour

Aux termes de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

Au cas d'espèce, après examen de l'ensemble des pièces produites par les parties, la cour retient que le rapport de M. [C] et les photographies y annexées sont contredites par le constat d'huissier de justice et les photographies versées par la société Greenharbour, de sorte que la société Lyris n'établit pas la matérialité des désordres dénoncés ni, au vu du nombre d'intervenants sur le chantier, que ceux-ci résulteraient d'une faute commise par la société Greenharbour en lien de causalité avec lesdits désordres.

La demande en condamnation de la société Lyris au paiement de la somme de 1.500.000 euros sera donc rejetée.

Le jugement sera confirmé de ce chef.

Sur les frais du procès

Le sens de l'arrêt conduit à confirmer le jugement sur la condamnation aux dépens et sur celle au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

En cause d'appel, la société Greenharbour, partie succombante, sera condamnée aux dépens mais la demande de condamnation de celle-ci au titre des frais irrépétibles sera rejetée en raison de la situation économique des parties.

Le bénéfice des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile sera accordé à Me [P].

PAR CES MOTIFS

La cour,

Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,

Y ajoutant,

Condamne la société de droit anglais Greenharbour limited aux dépens d'appel avec distraction au profit de Me [P] ;

Rejette les demandes formées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.