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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-6, 7 novembre 2024, n° 23/05705

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Seven Fr (SAS)

Défendeur :

Carlin (SCI)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Pages

Vice-président :

Mme Deryckere

Conseiller :

Mme Michon

Avocats :

Me Flecheux, Me Debray, Me Smadja

TJ Versailles, du 8 juin 2023, n° 22/021…

8 juin 2023

EXPOSÉ DU LITIGE

Un bail commercial notarié a été signé le 16 novembre 2017 entre la SCI Carlin et la société Beef House Group portant sur un local de restauration avec terrasse et roof-top, situé dans un centre commercial « [3] » situé à [Adresse 5]. Suivant avenant sous seing privé du 16 novembre 2017, la société Seven FR s'est substituée dans le bénéfice du contrat de bail à la société Beef House Group, pour y exploiter les lieux loués sous l'enseigne « TRIBECA ».

Le bail, entré en vigueur le 19 décembre 2019 pour une durée de neuf ans, a été conclu au loyer annuel de base en principal de 127 500 euros HT hors charges auquel s'ajoute un loyer additionnel de 6% HT du chiffre d'affaires HT du preneur à compter du 3ème anniversaire du bail. Le loyer est payable trimestriellement à terme à échoir outre une provision sur charges annuelles de 60 euros HT par m2 pour le local et 30 euros HT par m2 pour la terrasse ainsi qu'une provision annuelle de 25 euros HT par m2 au titre de la contribution financière aux opérations de promotion et d'animation commerciales de l'ensemble immobilier, ce qui représentait au 1er janvier 2022 un montant trimestriel total de 43 700,88 euros TTC.

Des loyers étant demeurés impayés, la SCI Carlin a fait délivrer à la société Seven FR, par acte du 5 janvier 2022, un commandement de payer visant la clause résolutoire pour la somme de 283 233,07 euros en principal au titre des loyers, charges et accessoires.

Par acte d'huissier délivré les 15 et 16 mars 2022, la SCI Carlin a fait assigner la société Seven FR devant le tribunal judiciaire de Versailles aux fins de constater l'acquisition de la clause résolutoire et de condamnation au paiement des loyers en souffrance.

Par jugement contradictoire du 8 juin 2023, le tribunal judiciaire de Versailles a :

constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 16 novembre 2017 liant la SCI Carlin et la société Seven FR et la résiliation de plein droit du bail à la date du 6 février 2022

ordonné à défaut de départ volontaire, l'expulsion de la société Seven FR ainsi que celle de tous occupants de son chef des lieux loués sis Centre commercial [3], [Adresse 5], cellule n°204 R.1, avec le concours de la force publique et d'un serrurier si besoin est

dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte

dit que le sort des meubles se trouvant dans les lieux sera réglé conformément aux articles L433-1 et suivants et R433-2 du code des procédures civiles d'exécution

condamné la société Seven FR à payer à la SCI Carlin une indemnité d'occupation égale au double du loyer global de la dernière année de location HT, TVA en sus, qui sera due à compter du 6 février 2022 et jusqu'à la libération effective des lieux

condamné la société Seven FR à payer à la SCI Carlin la somme de 448 863,19 euros au titre de l'arriéré locatif arrêté au 5 janvier 2023, majorée des intérêts de retard calculés au taux majoré de cinq points

condamné la société Seven FR à payer à la SCI Carlin la somme de 5000 euros au titre de la clause pénale

débouté la SCI Carlin du surplus de ses demandes

rejeté la demande de délais de paiement de la société Seven FR

condamné la société Seven FR à payer à la SCI Carlin la somme de 3000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

condamné la société Seven FR aux dépens, en ce compris le coût du commandement de payer du 5 janvier 2022 d'un montant de 73,04 euros

rappelé que le jugement est exécutoire de plein droit par provision

débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires.

Le 28 juillet 2023, la société Seven FR a relevé appel de cette décision.

L'appelante a conclu le 16 octobre 2023 à la suspension des effets de la clause résolutoire, la modération de la clause pénale, et l'octroi de délais de paiement, puis elle a été placée en liquidation judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Cannes du 5 décembre 2023, publié au BODACC les 16 et 17 décembre 2023, et transmis à la cour le 26 janvier 2024.

Le conseiller de la mise en état a constaté le 30 janvier 2024 l'interruption de l'instance à compter du 5 décembre 2023, en laissant un délai aux parties pour régulariser la procédure à l'égard du liquidateur judiciaire à peine de radiation.

Par acte du 3 mai 2024, l'intimée a assigné Me [L] [K] ès qualités en intervention forcée, en justifiant de sa déclaration de créance entre les mains de ce dernier par courrier recommandé du 22 janvier 2024, et sollicité la reprise de l'instance. Un délai a été accordé à la demande du conseil de l'appelante pour lui permettre de prendre partie en fonction des intentions du liquidateur, lequel n'a pas constitué avocat.

C'est alors, les conditions de la reprise d'instance étant réunies, que la clôture de l'instruction a été prononcée le 18 juin 2024 avec fixation de l'audience de plaidoirie au 25 septembre 2024.

Aux termes de son assignation en intervention forcée du liquidateur judiciaire, valant conclusions, transmise au greffe le 3 mai 2024, à laquelle il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la SCI Carlin, intimée, demande à la cour de :

déclarer l'assignation en intervention forcée et reprise d'instance recevable et bien fondée contre Maître [L] [K] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Seven FR

constater l'intervention Maître [L] [K] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Seven FR

rendre opposable à Maître [L] [K], ès qualités de liquidateur de la société Seven FR l'arrêt qui sera rendu confirmant le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 8 juin 2023

ordonner la reprise de l'instance

confirmer le jugement du 8 juin 2023 en toutes ses dispositions

A titre reconventionnel :

voir fixer la créance de la SCI Carlin à la somme de 910 889,23 euros au titre des loyers arrêtés au jour de l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire avec intérêts au taux légal majorés de 5 points, outre la somme de 5 000 euros au titre de la clause pénale et 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile auxquels elle a été condamnée suivant jugement du 8 juin 2023

voir fixer la créance de la SCI Carlin à la somme de 106 084,24 euros au titre des loyers dus postérieurement à l'ouverture de la procédure de liquidation judiciaire jusqu'au jour où les clés ont été récupérées

voir condamner la société Seven FR, représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [L] [K], au paiement de 30 000 euros de dommages et intérêts dus au titre de l'appel abusif

voir condamner la société Seven FR, représentée par son liquidateur judiciaire, Maître [L] [K] à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile

voir condamner la société Seven FR, représentée par son liquidateur judiciaire, aux entiers dépens

La partie appelante n'a pas signifié au liquidateur postérieurement à la reprise d'instance à l'initiative de l'intimée, de conclusions relatives à la défense d'un droit propre.

A l'issue de l'audience, le prononcé de l'arrêt a été annoncé au 7 novembre 2024, par mise à disposition au greffe de la cour, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre liminaire, il doit être constaté que la SCI Carlin a régulièrement déclaré sa créance entre les mains du liquidateur judiciaire en faisant la distinction entre le montant de l'arriéré locatif arrêté au jour de l'ouverture de la procédure collective et le montant postérieur, par lettre recommandée du 22 janvier 2024, le jugement d'ouverture ayant fait l'objet d'une publication au Bodacc les 16 et 17 décembre 2023.

Elle a ensuite régulièrement appelé à la procédure d'appel Me [K] en sa qualité de liquidateur judiciaire, de sorte que même sans intervention de ce dernier devant la cour, l'instance a valablement repris son cours, l'intimée ayant intérêt à la fixation de sa créance.

Elle justifie d'une part de la prise d'acte de la résiliation du bail par le liquidateur par courrier du 18 avril 2024, et reconnaît d'autre part avoir repris possession du local loué.

La cour n'est donc plus saisie de contestations relatives à la délivrance du commandement visant la clause résolutoire, ni à la résiliation du bail.

En ce qui concerne le montant de la créance, c'est en application des clauses du bail commercial que celle-ci a été évaluée et actualisée à la date du jugement de liquidation judiciaire du 5 décembre 2023 à la somme de 910 889,27 euro TTC. Le liquidateur n'ayant pas contesté ce montant, il convient de fixer la créance du bailleur au passif de la procédure de liquidation judiciaire étant rappelé qu'en application de l'article L622-28 du code de commerce applicable à la procédure de liquidation judiciaire, le jugement d'ouverture a eu pour effet d'arrêter le cours des intérêts légaux ainsi que tous intérêts de retard et majorations et que les intérêts échus ne peuvent plus eux-mêmes produire intérêts.

En ce qui concerne la clause pénale prévue par le bail commercial, le tribunal a estimé devoir la modérer à une somme de 5000 euros, ce que ni le liquidateur judiciaire ni le bailleur n'ont contesté, ce dernier demandant expressément la confirmation du jugement sur ce point sauf à fixer le montant de sa créance de ce chef au lieu d'y condamner le débiteur. Il sera statué en ce sens.

En ce qui concerne la créance au titre de l'indemnité d'occupation ayant couru postérieurement au jugement d'ouverture jusqu'à la restitution du local, elle a régulièrement été liquidée, au vu du décompte arrêté au 18 avril 2024à la somme de 140 567,56 euros. Il n'y a pas de motif d'opposition à ce que le bailleur conserve le dépôt de garantie de 34 483,32 euros, de sorte qu'après compensation, la créance postérieure du bailleur sera fixée au passif de la liquidation judiciaire de la société Seven FR à la somme de106 084,24 euros.

Sur la demande de condamnation au titre de l'appel abusif, la SCI Carlin soutient sans le démontrer que l'appel n'aurait été interjeté par la société Seven FR que pour gagner du temps, en sachant qu'une procédure de liquidation judiciaire serait prochainement ouverte, et qu'elle a fait appel de la décision après avoir été déboutée de ses demandes en première instance. Elle ne peut être suivie sur ce moyen, le droit d'appel étant précisément ouvert à toute partie n'ayant pas obtenu gain de cause en première instance. A défaut de démonstration d'une faute commise par la société Seven FR dans l'exercice de ses droits procéduraux devant la cour d'appel, la demande de dommages et intérêts à ce titre doit être rejetée.

Les dépens de l'instance seront fixés au passif de la procédure collective de la société Seven FR et l'équité commande de fixer au passif de cette procédure collective, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 3000 euros qui avait été allouée à la SCI Carlin en première instance, à laquelle il sera ajouté une somme de 2000 euros au titre de l'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement par décision réputée contradictoire en dernier ressort,

Déclare régulière la reprise à l'initiative de la SCI Carlin, de l'instance d'appel engagée par la société Seven FR, contre Maître [L] [K] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société Seven FR , auquel le présent arrêt est dûment opposable ;

CONFIRME la décision entreprise en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire du bail du 16 novembre 2017 liant la SCI Carlin et la société Seven FR et la résiliation de plein droit du bail à la date du 6 février 2022 ;

Constate la reprise par le bailleur des locaux loués au 18 avril 2024 ;

L'INFIRME en ses dispositions portant condamnation de la société Seven FR ;

Statuant à nouveau et y ajoutant'

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Seven FR la créance de la SCI Carlin à :

la somme de 910 889,27 euro TTC au titre de l'arriéré locatif actualisé à la date du jugement de liquidation judiciaire du 5 décembre 2023,

la somme de 5000 euros au titre de la clause pénale,

la somme de 106 084,24 euros au titre de l'indemnité d'occupation ayant couru postérieurement au jugement d'ouverture jusqu'au 18 avril 2024

la somme de 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile couvrant les frais irrépétibles exposés en première instance,

la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile appliqué à la procédure d'appel

Déboute la SCI Carlin du surplus de ses demandes ;

Fixe au passif de la liquidation judiciaire de la société Seven FR les entiers dépens de première instance et d'appel.