CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 13 novembre 2024, n° 23/00096
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Colombi Sports Importateur Distributeur (SAS)
Défendeur :
Umarex GmbH & Co. KG (Sté), Umarex France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Depelley
Conseillers :
M. Richaud, Mme Dallery
Avocats :
Me Grappotte-Benetreau, Me Baboin, Me Moisan, Me Assémat, Me Boccon Gibod, Me Gouin
FAITS ET PROCEDURE
La SAS Colombi Sports Importateur Distributeur (ci-après, « la société Colombi ») exerce depuis 1978 une activité de grossiste en armes sportives. Elle s’est fournie depuis 2003 auprès de la société de droit allemand Umarex GmbH & Co.KG (ci-après, « la société Umarex GmbH ») qui fabrique en particulier des répliques d’armes à air comprimé et les importe en Europe.
Dans le cadre de sa politique de distribution de ses produits en France, la société Umarex GmbH a décidé de constituer la société Umarex France le 16 décembre 2019, présidée par M. Fermaud ancien président de la société MP Finances, holding contrôlant la société Colombi et ancien directeur des achats de celle-ci, auprès desquelles il a démissionné de son mandant social le 8 mars 2019 et de son contrat de travail suivant rupture conventionnelle le 20 avril 2019.
Par lettre du 19 décembre 2019, la société Umarex GmbH a informé ses revendeurs français, de la création de la société Umarex France dédiée à la distribution et au marketing sur le marché français des produits Umarex. C’est dans ce cadre qu’elle a mis fin à la relation commerciale nouée avec la société Colombi en lui notifiant un préavis de 18 mois expirant le 30 juin 2021.
Estimant subir un refus de vente, combiné à une rupture brutale de la relation commerciale et des actes de concurrence déloyale de la part des sociétés Umarex GmbH et Umarex France, la société Colombi les a assignées par actes d’huissier des 20 février, 19 août et 11 décembre 2020, devant le tribunal de commerce de Marseille en sollicitant leur condamnation in solidum à lui verser diverses sommes à titre de dommages-intérêts.
Par jugement 8 novembre 2022, le tribunal de commerce Marseille a :
- Déclaré que le litige opposant la société Colombi Sports à la société Umarex GmbH ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce de Marseille :
- Renvoyé la société Colombi Sports à la société Umarex GmbH à mieux se pourvoir s’agissant du litige qui les oppose ;
- Condamné la société Colombi Sports à payer à la société Umarex GmbH la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
- S’est déclaré compétent pour connaître du litige opposant la société Colombi Sports à la société Umarex France ;
- Débouté la société Colombi Sports de toutes ses demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de la société Umarex France ;
- Condamné la société Colombi Sports à payer à la société Umarex France la somme de 1000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Colombi a interjeté appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 14 décembre 2022, intimant les sociétés Umarex GmbH et Umarex France.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 23 aout 2023, la société Colombi demande à la Cour de :
Vu notamment les articles 101, 232, 514, 696 et 700 du Code de procédure civile,
Vu le règlement Bruxelles 1 bis,
Vu les articles 1240 du Code civil,
Vu l’article L. 131-1 du Code des procédures civiles d’exécution,
Vu les articles L. 442-1, L. 442-4 du Code de commerce,
Juger l’appel recevable en la forme ;
Infirmer le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 8 novembre 2022 en ce qu’il a :
- Déclaré que le litige opposant la société Colombi Sports SAS à la société Umarex Gmbh & CO. KG ne relevait pas de la compétence du Tribunal de Commerce de MARSEILLE
- Renvoyé la société Colombi Sports SAS à la société Umarex Gmbh & CO.KG à mieux se pourvoir s’agissant du litige qui les oppose
- Condamné la société Colombi Sports SAS à payer à la société Umarex GMBH & CO. KG la somme de 1.000 € (mille euros) au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
- Débouté la société Colombi Sports SAS de toutes ses demandes fins et conclusions formées à l’encontre de la société Umarex France SAS
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande principale visant à voir les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France condamnées in solidum à payer la somme de 118.230,13 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre du refus de vente injustifié du 29 octobre au 31 décembre 2019
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande principale visant à voir les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France condamnées in solidum à payer la somme de 975.398,60 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre de la rupture brutales des relations commerciales établies à l’initiative de la société Umarex GMBH & CO. KG.
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande principale visant à voir les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France condamnées in solidum à payer la somme de 440.000 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre des actes de concurrence déloyale de la SAS Umarex France
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande subsidiaire visant à voir les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France condamnées in solidum à lui payer à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts, préjudice qui sera fixé à dire d’expert
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande subsidiaire visant à voir un expert judiciaire désigné pour évaluer ses préjudices
- Débouté la société Colombi Sports SAS de sa demande visant à voir les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France condamnées in solidum à lui payer la somme de 125 000 euros en réparation dudit préjudice moral d’image et de notoriété,
- Débouté la société Colombi Sport SAS de sa demande visant à voir ordonner la publication du jugement à intervenir sur les pages d’accueil des sites internet des sociétés Umarex GmbH & Co. KG et Umarex France et sur les revues spécialisées suivantes Le Chasseur Francais et Cibles, aux frais des succombantes, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à défaut d’exécution spontanée dans les 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir
- Laissé à la charge de la société Colombi Sports SAS les dépens toutes taxes comprises de la présente instance, tels qu’énoncés par l’article 695 du code de procédure civile.
Et, statuant à nouveau :
I – Se déclarer matériellement et territorialement compétente pour connaitre du présent litige tant à l’égard de la société Umarex GmbH & co. KG que de celui de la société Umarex France
II – Rejeter les exceptions d’incompétence et de loi applicable présentées par la société Umarex GmbH
III – Juger le droit français applicable aux demandes présentées par la société Colombi sports à l’encontre de la société Umarex GmbH
IV – Juger recevables les demandes présentées par la société Colombi sports à l’encontre de la société Umarex GmbH
V – Sur les fautes commises conjointement par les sociétés Umarex GmbH & co. KG et Umarex France
Constater que la société Umarex GmbH & Co. KG et la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur entretenaient des relations commerciales établies,
Constater que la société Umarex GmbH & Co. KG a fixé à 18 mois la durée du préavis visant à rompre ses relations commerciales avec la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur,
Juger que la société Umarex GmbH & Co. KG a rompu brutalement les relations commerciales établies avec la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur à raison de son refus de vente injustifié depuis le 29 octobre 2019, et du passage unilatéral au prépaiement, outre le changement du mode de distribution,
Juger que la société Umarex GmbH & Co. KG n’a pas exécuté pas le préavis qu’elle a pourtant consenti à la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur en raison du changement de mode de distribution au 1er janvier 2020, à savoir demander à son distributeur de se fournir auprès de son concurrent direct nouvellement créé qui se présente comme distributeur exclusif,
Juger que la SAS Umarex GmbH & Co. KG engage sa responsabilité délictuelle à ce titre,
Juger que la SAS Umarex France a commis un débauchage de personnel fautif de 5 salariés de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur en désorganisant la branche Airsoft, sa direction et son service informatique.
Juger que la société Umarex France a commis à ce titre des actes de concurrence déloyale qui engagent sa responsabilité délictuelle.
Juger que la SAS Umarex France, qui a été créée par l’ancien Président salarié de la SAS Colombi Sports, de concert avec son plus gros fournisseur, la société allemande Umarex GMBH & CO. KG, a une activité en concurrence directe avec la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur.
Juger que la SAS Umarex France se présente désormais comme distributeur exclusif de la société Umarex GMBH & CO. KG, alors que la SAS Colombi Sports est distributeur de la société Umarex GMBH & CO. KG jusqu’au 30 juin 2021.
Juger que ces agissements de la société Umarex France désorganisent la SAS Colombi Sports.
Juger que la SAS Umarex France a commis des détournements de listes ou de fichiers clients de la SAS Colombi Sports par l’intermédiaire des salariés qu’elle a débauché, désorganisant ainsi la SAS Colombi Sports.
Juger que la société Umarex France a commis à ce titre des actes de concurrence déloyale qui engagent sa responsabilité délictuelle.
Juger que les société Umarex France et Umarex GMBH ont commis ensemble, de manière organisée et concertées, ces actes de concurrence déloyale qui engagent leur responsabilité délictuelle, la société Umarex France ayant le contrôle juridique de la société Umarex France
Juger que la société Colombi Sports Importateur Distributeur subit un préjudice moral, que les sociétés Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France doivent être condamnées à réparer in solidum,
Juger que la société Colombi Sports Importateur Distributeur subit des préjudices financiers que les sociétés Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France doivent être condamnées à réparer in solidum,
Sur les demandes de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur
A titre principal,
Condamner in solidum les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France à payer la somme de 118.230,13 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre du refus de vente injustifié du 29 octobre au 31 décembre 2019,
Condamner in solidum les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France à payer la somme de 975.398,60 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre de la rupture brutales des relations commerciales établies à l’initiative de la société Umarex GMBH & CO. KG.
Juger que la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur justifie d’un préjudice d’ores et déjà direct, certain et actuel à hauteur de 440.000 euros au titre des actes de concurrence déloyale de la SAS Umarex France, Condamner in solidum les sociétés Umarex GMBH & CO. KG et Umarex France à payer la somme de 440.000 euros en réparation du préjudice financier subi par la SAS Colombi Sports au titre des actes de concurrence déloyale de la SAS Umarex France.
A titre subsidiaire,
Condamner in solidum la société Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France à lui payer à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices la somme de 300.000 euros à titre de dommages et intérêts, préjudice qui sera fixé à dire d’expert
Et, pour ce faire, ordonner avant dire droit une mesure d’expertise judiciaire afin de déterminer les éléments permettant de fixer ultérieurement le quantum des divers préjudices financiers et moraux de la SAS Colombi Sports,
Commettre l’Expert qu’il lui plaira, et lui confier les missions suivantes :
- Se faire communiquer tous les documents et pièces utiles à l’accomplissement de sa mission
- Dresser un bordereau des documents communiqués par les parties
- Entendre tout sachant
- Convoquer les parties,
- Donner des éléments d’évaluation et de chiffrage des préjudices générés par les actes de concurrence déloyale de la SAS Umarex France et subis par la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur
- Donner des éléments permettant de chiffrer le gain manqué de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur
- Décrire les effets du détournement de clientèle, évaluer ses conséquences quant à la baisse d’activité de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur, et plus particulièrement sur la baisse des ventes et des commandes, du chiffre d’affaires et sur la perte de marge sur coûts variables
- Chiffrer les pertes subies par la SAS Colombi Sports, en raison du défaut de plusieurs modèles, de la perte de part de marché et de la perte de commandes
- Chiffrer le coût de la désorganisation durable de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur, en prenant en compte les coûts d’embauche du nouveau personnel pour compenser les effets de la politique de débauchage menée à son encontre et les coûts de formation de ce nouveau personnel
- Donner des éléments d’évaluation et de chiffrage des préjudices générés par le refus de vente et la rupture brutale des relations commerciales de la société Umarex GmbH & Co. KG
- Chiffrer à la perte de la marge sur coûts variables de la SAS Colombi Sports Importateur Distributeur du 1er janvier 2020 au 30 juin 2021
- Donner des éléments de chiffrage du préjudice subi à raison du refus de vente injustifié depuis le 29 octobre 2019.
- Rédiger une note de synthèse ou un pré-rapport, la communiquer à l’ensemble des parties, lesquelles disposeront d’un délai minimal de 30 jours pour y répondre, avant le dépôt d’un rapport définitif.
Dire qu'en cas de difficulté, l'expert saisira la Cour qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui ;
Fixer la provision à consigner au Greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par le jugement à intervenir ;
Juger que l’instance sera reprise à la diligence des parties une fois le rapport d’expertise déposé
En tout état de cause
Condamner in solidum la société Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France à payer la somme de 125 000 euros en réparation dudit préjudice moral d’image et de notoriété,
Rejeter toutes les demandes, fins et prétentions des sociétés Umarex GmbH & Co. KG et Umarex France
Condamner in solidum la société Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France à payer la somme de 20 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Condamner in solidum la société Umarex GmbH & Co. KG et la société Umarex France aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Grappotte Benetreau, avocats au barreau de Paris, conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile ;
Ordonner la publication du jugement à intervenir sur les pages d’accueil des sites internet des sociétés Umarex GmbH & Co. KG et Umarex France et sur les revues spécialisées suivantes Le Chasseur Francais et Cibles, aux frais des succombantes, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à défaut d’exécution spontanée dans les 15 jours suivant la signification du jugement à intervenir
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 25 juillet 2023, la société Umarex GmbH demande à la Cour de :
Vu les articles 32, 122 et 146 du Code de procédure civile,
Vu les articles 514-1 et suivants du Code de procédure civile,
Vu l’article L. 442-1, II du Code de commerce,
Vu les Règlements (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 et n°593/2008 du 17 juin 2008,
Confirmer le jugement en ce qu’il a déclaré que le litige opposant la société Colombi Sports Importateur Distributeur à la société UMAREX GmbH & Co. KG ne relève pas de la compétence du Tribunal de commerce de Marseille et a renvoyé la société Colombi Sports à mieux se pourvoir.
Se déclarer incompétente pour statuer sur l’ensemble des demandes de la société Colombi Sports Importateur Distributeur au profit des juridictions de la ville d’Arnsberg (Allemagne).
Subsidiairement, Juger les juridictions françaises incompétentes pour se prononcer sur les faits de rupture brutale d’une relation commerciale établie (« refus de vente » et « non respect du préavis ») imputés à la société Umarex GmbH par la société Colombi et les demandes indemnitaires de la société Colombi à ce titre contre la société Umarex GmbH, et Renvoyer la société Colombi à mieux se pourvoir.
A titre subsidiaire, si la Cour devait estimer être compétente sur les demandes formées par la société Colombi Sports Importateur Distributeur contre la société Umarex GmbH & Co. KG
- En ce qui concerne la prétendue rupture brutale d’une relation commerciale établie imputée à Umarex GmbH & Co. KG
Débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de l’ensemble de ses demandes fondées sur des dispositions de droit français, le droit allemand étant exclusivement applicable aux relations entre les parties.
En tout état de cause, débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de ses demandes fondées sur la prétendue rupture brutale des relations commerciales établies, le préavis de 18 mois donné ayant été suffisant et respecté.
- En ce qui concerne les prétendus faits de concurrence déloyale.
Juger que la société Colombi Sports Importateur Distributeur est irrecevable et mal[1]fondée en sa demande de condamnation de la société Umarex GmbH & Co. KG sur le fondement de la concurrence déloyale pour des faits imputés à la société Umarex France et par conséquent l’en débouter.
En tout état de cause, juger que la société Colombi Sports Importateur Distributeur est en tout état de cause mal-fondée dans ses demandes de condamnation sur le fondement de prétendus faits de concurrence déloyale non établis et par conséquent l’en débouter.
A titre plus subsidiaire,
Débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de l’ensemble de ses demandes indemnitaires, celle-ci ne démontrant ni le principe ni le quantum de son préjudice.
A titre plus subsidiaire encore,
Juger que le préjudice subi par la société Colombi Sports Importateur Distributeur correspond au maximum à huit mois de marge mensuelle sur coûts variables.
En tout état de cause,
Débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de sa demande d’expertise.
Débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de sa demande de publication de la décision.
Débouter la société Colombi Sports Importateur Distributeur de l’ensemble de ses demandes, dires et conclusions.
Confirmer le jugement par le Tribunal de commerce de Marseille.
Condamner la société Colombi Sports Importateur Distributeur à verser à la société Umarex GmbH & Co. KG la somme de 10.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour ses frais irrépétibles exposés en cause d’appel.
Condamner la société Colombi Sports Importateur Distributeur aux dépens dont distraction au profit de la SELARL Baechlin Moisan conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions, déposées et notifiées par la voie électronique le 25 aout 2023, la société Umarex France demande à la Cour de :
Vu l’article 1240 du Code Civil,
Juger que la Société Colombi Sports Importateur Distributeur ne démontre pas la concurrence déloyale de la Société Umarex France, ni son préjudice, ni le lien de causalité.
En conséquence,
Confirmer, le cas échéant par substitution de motifs, le jugement du Tribunal de Commerce de Marseille du 08 Novembre 2022 en ce qu’il :
- Déboute la Société Colombi Sports Importateur Distributeur, de toutes ses demandes, fins et conclusions formées à l’encontre de la Société Umarex France ;
- Condamne la Société Colombi Sports Importateur Distributeur à payer à la société Umarex France la somme de 1.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
- Laisse à la charge de la Société Colombi Sports Importateur Distributeur les dépens toutes taxes comprises.
Y ajoutant,
Condamner la Société Colombi Sports Importateur Distributeur à porter et payer à Société Umarex France la somme de 25.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile,
La condamner aux entiers dépens d’appel, dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 24 septembre 2024.
La Cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
MOTIVATION
I- Sur l’exception d’incompétence et la loi applicable
Exposé des moyens,
Au soutien de son exception d’incompétence, la société Umarex GmbH argue de la compétence des tribunaux d’Arnsberg en Allemagne pour statuer sur les demandes formées par la société Colombi à son encontre, dès lors que ses conditions générales de vente (CGV) contiennent une clause attributive de compétence accordant compétence exclusive aux juridictions d’Arnsberg en Allemagne. Elle indique y avoir systématiquement fait référence dans chacune de ses factures et confirmations de commandes transmises à la société Colombi et qu’en l’absence d’autres écrits entre les parties, ces CGV régissent l’ensemble des relations entre les parties. Elle ajoute que la société Colombi a systématiquement été destinatrice des listes de prix de la société Umarex GmbH incluant les CGV au cours de la relation. Elle prétend produire la preuve de l’envoi par la société Umarex GmbH à la société Colombi de listes de prix annuels par lien de téléchargement, du téléchargement de ces listes par la société Colombi, un exemple d’une liste de prix de 2018 contenant en fin de document les CGV dans leur version applicable depuis 2013, ainsi que la preuve de ce que la société Colombi recevait également les CGV par courrier.
S’agissant des prétendus faits de concurrence déloyale, la société Umarex GmbH fait valoir ne pas être concernée par l’action puisque ces faits auraient été commis, d’après la société Colombi, par la société Umarex France, qui est une société distincte, et ne peut dès lors servir de fondement pour artificiellement donner compétence aux juridictions françaises en présence d’une clause attributive de compétence.
La société Colombi répond que l’exception d’incompétence soulevée par la société Umarex GmbH repose exclusivement sur ses conditions générales de vente qui incluaient une clause attributive de compétence au profit des tribunaux d’Arnsberg (Allemagne). Toutefois, la clause attributive de compétence insérée dans les CGV des factures ne satisfait pas aux exigences de l’article 25 paragraphe 1 du règlement Bruxelles I bis applicable à l’espèce, à défaut pour la société Umarex GmbH de produire un accord écrit (ou confirmé par écrit) des deux parties y faisant référence. La société Colombi dit n’avoir jamais accepté, dans les conditions fixées par la jurisprudence (CJUE 8 mars 2018, aff. C-64/17, Saey Home and Garden NV/SA), la clause attributive de compétence. Elle ajoute que la société Umarex GmbH ne justifie pas que les CGV produites aux débats étaient bien celles en vigueur au cours de la relation commerciale entre les parties.
En outre, elle relève que conformément à l’article 7.2 du règlement Bruxelles 1 bis, l’action en concurrence déloyale échappe à la sphère contractuelle qui serait couverte par les conditions générales de vente portant prétendue attribution de compétence aux juridictions allemandes. Elle explique reprocher à la société Umarex GmbH de concert avec la société Umarex France d’avoir organisé un véritable pillage de sa clientèle dont le refus de vente et la rupture brutale ne sont que des étapes préliminaires. Dès lors, selon elle, conformément à l’article 7.2 du règlement communautaire Bruxelles 1 bis, la société Umarex GmbH peut être attraite devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit.
Réponse de la Cour,
La société Colombi formule à l’encontre des sociétés Umarex des demandes de condamnation in solidum à des dommages-intérêts sur des fondements et montants distincts, à savoir :
- La somme de 118 230,13 euros correspondant à une perte de marge pour refus de vente du 29 octobre au 31 décembre 2019,
- La somme de 975 398,60 euros en réparation du préjudice financier subi à la suite de la rupture brutale de la relation commerciale établie en application des articles L.442-1 et L.442-4 du code de commerce,
- La somme de 440 000 euros en réparation des actes de concurrence déloyale en application de l’article 1240 du code civil,
- La somme de 125 000 euros de dommages-intérêts en réparation d’un préjudice moral d’image et de notoriété.
Sur les demandes de dommages-intérêts au titre d’un refus de vente et d’une rupture brutale de la relation commerciale :
Concernant les demandes de dommages-intérêts relatives au refus de vente et à la rupture brutale de la relation commerciale formulées à l’encontre de la société Umarex GmbH, il convient de se référer au règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 dit « Règlement Bruxelles I bis » qui précise en son article 4.1 que « Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. »
La Cour rappelle qu’aux termes de l'article 7, point 2, du Règlement Bruxelles I bis, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, arrêt du 14 juillet 2016, Granarolo, C-196/15), une action indemnitaire fondée sur une rupture brutale de relations commerciales établies de longue date ne relève pas de la matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de ce règlement s'il existait, entre les parties, une relation contractuelle tacite reposant sur un faisceau d'éléments concordants, parmi lesquels sont susceptibles de figurer notamment l'existence de relations commerciales établies de longue date, la bonne foi entre les parties, la régularité des transactions et leur évolution dans le temps exprimée en quantité et en valeur, les éventuels accords sur les prix facturés et/ou sur les rabais accordés, ainsi que la correspondance échangée.
En l’espèce, il n’est pas contesté que les parties ont entretenu une relation commerciale établie depuis 2003, se manifestant par une succession de ventes assorties de conditions générales, caractérisant une relation contractuelle fut-elle tacite. Les critères de compétence juridictionnelle applicables sont donc ceux de la matière contractuelle au sens du Règlement.
Ce même Règlement prévoit en son article 25 que :
1. Si les parties, sans considération de leur domicile, sont convenues d’une juridiction ou de juridictions d’un État membre pour connaître des différends nés ou à naître à l’occasion d’un rapport de droit déterminé, ces juridictions sont compétentes, sauf si la validité de la convention attributive de juridiction est entachée de nullité quant au fond selon le droit de cet État membre. Cette compétence est exclusive, sauf convention contraire des parties.
La convention attributive de juridiction est conclue :
a) par écrit ou verbalement avec confirmation écrite ;
b) sous une forme qui soit conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles ; ou
c) dans le commerce international, sous une forme qui soit conforme à un usage dont les parties ont connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connu et régulièrement observé dans ce type de commerce par les parties à des contrats du même type dans la branche commerciale considérée.
Ainsi, si la Cour de justice (CJUE, 8 mars 2018, aff. C-64/17) a jugé que dans le cas d’un contrat conclu oralement, la référence dans les factures aux conditions générales où est stipulée une clause de for est insatisfaisante pour les besoins de l’article 25(1)(a) qui exige une conclusion par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, cela n’implique pas une invalidité au titre de l’article 25(1)(b) ou (c) qui prévoient une conclusion conforme aux habitudes établies entre les parties ou aux usages du commerce international.
Comme l’a justement constaté le tribunal, la société Colombi a entretenu avec la société Umarex GmbH des relations commerciales pendant plus de 15 ans, en s’acquittant de factures contenant une référence claire à des conditions générales de vente mises expressément à sa disposition (pièces n°1 et 2 Umarex GmbH). Il est également produit la preuve de l’envoi par la société Umarex GmbH à la société Colombi des listes de prix annuels (2018 et 2019) contenant en fin de document les CGV dans leur version applicable depuis 2013 (pièces Umarex GmbH n° 10 à 12 et 15) ainsi qu’une mention explicite de la consultation possible de ces CGV sur le site www.umarex.com/gtc. Il s’en déduit que la société Colombi les avait tacitement acceptées, et, avec elles, la clause attributive de juridiction y figurant.
Ces CGV précisent à l’article XII -lieu de juridiction – selon une traduction non contestée par les parties que « Le lieu de juridiction exclusif pour tout litige découlant des présentes CGV ou des contrats de vente conclus en vertu de celles-ci est Arnsberg si le client est un commerçant (Kaufmann), une personne morale de droit public ou un fonds spécial en droit public ».
Aussi, les demandes de la société Colombi au titre de refus de vente et de rupture brutale de la relation commerciale entrent dans le champ d’application de cette clause attributive de juridiction applicable entre les parties et désignant la juridiction d’Arnsberg (Allemagne).
La Cour relève par ailleurs que si la société Colombi formule des demandes de condamnation in solidum avec la société Umarex France à des dommages-intérêts en réparation du refus de vente et de la rupture brutale, force est de constater que l’ensemble des faits reprochés à ce titre sont imputables à la société Umarex GmbH seul partenaire commercial au moment du refus de vente allégué et de la notification de la rupture le 19 décembre 2019, étant observé que la société Umarex France n’a été constituée que le 16 décembre 2019.
Dès lors les demandes de dommages-intérêts de la société Colombi au titre du refus de vente et de rupture brutale de la relation commerciale établie ne relèvent pas de la juridiction française.
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a déclaré le tribunal de commerce incompétent pour statuer sur ces demandes et renvoyé la société Colombi à mieux se pourvoir.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre de la concurrence déloyale
A ce titre, la société Colombi formule une demande de condamnation in solidum des sociétés Umarex GmbH et Umarex France à lui verser des dommages-intérêts pour des faits de concurrence déloyale et allègue à cet effet des agissements concertés entre les deux sociétés Umarex consistant dans :
- Le refus de vente par la société Umarex GmbH à la société Colombi à compter du mois de novembre 2019 reposant sur des motifs fallacieux et des accusations calomnieuses,
- L’installation dans le même temps d’une filiale en France de distribution publiquement qualifiée d’exclusive des produits Umarex,
- Une rupture concomitante des relations commerciales nouée entre les sociétés Colombi et Umarex GmbH sans respect de préavis,
- Le débauchage de plusieurs salariés de Colombi courant décembre 2019 par Umarex France,
- Mise en place d’une stratégie de détournement systématique des clients de la société Colombi au profit de la société Umarex France,
Cette demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale est fondée sur les dispositions de l’article 1240 du code civil et ne peut s’analyser comme « tout litige découlant des CGV » pour entrer dans le champ d’application de la clause attributive de compétence qui au demeurant ne lie pas la société Umarex France.
Or en application de 7.2 du règlement Bruxelles I bis, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite dans un autre Etat membre en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Dès lors, la société Colombi est fondée à attraire la société Umarex GmbH sur le territoire français, lieu des faits dommageables allégués de concurrence déloyale et sur lequel est également établi la société Umarex France autre défenderesse.
Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré le tribunal de commerce de Marseille incompétent pour connaître de la demande de dommages-intérêts formulée à l’encontre de la société Umarex GmbH au titre des actes de concurrence déloyale.
En application de l’article 6.2 du règlement n°864/2007 sur la loi applicable aux obligations non contractuelles dit « Rome II », les actes de concurrence déloyale dénoncés affectant exclusivement la société Colombi qui subit le dommage allégué en France où elle est établie, la loi française est applicable.
Sur la demande de dommages-intérêts au titre d’un préjudice moral d’image et de notoriété
La demande de dommages-intérêts de la société Colombi en réparation d’un préjudice d’image et de notoriété est essentiellement consécutive aux divers agissements de concurrence déloyale dénoncés par celle-ci. Aussi, en application de l’article 7.2 du règlement Bruxelles I bis, la société Colombi est fondée à attraire la société Umarex GmbH sur le territoire français.
Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu’il a déclaré le tribunal de commerce de Marseille incompétent pour connaître de la demande de dommages-intérêts formulée à l’encontre de la société Umarex GmbH en réparation de son préjudice moral d’image et de notoriété.
II - Sur la recevabilité des demandes formulées à l’encontre de la société Umarex GmbH au titre de la concurrence déloyale
Exposé des moyens,
La société Umarex GmbH soutient, au visa des articles 32 et 122 du code de procédure civile, que la société Umarex France, dirigée par Monsieur Fermaud, est détenue par une société de droit allemand dénommée PW International GmbH et la SASU HF Finances détenue par Monsieur Fermaud, et que dès lors, suivant le principe d’autonomie des personnes morales, la société Umarex GmbH n’est pas responsable de la conduite autonome de la société Umarex France. Selon elle, la participation de la société Umarex GmbH aux faits allégués n’est pas démontrée.
En réplique, la société Colombi soutient que la demande de condamnation solidaire des sociétés Umarex France et Umarex GmbH est recevable dès lors que les faits de concurrence déloyale reprochés à la société Umarex GmbH résident dans les agissements concomitants d’un refus de vente injustifié à compter du mois de novembre 2019, de la création d’une filiale de distribution qualifiée d’exclusive pour le territoire français dès le mois de décembre 2020, d’une rupture des relations commerciales établies sans respect d’un préavis et de la mise en place d’une stratégie de détournement des clients de la société Colombi au profit de la société Umarex France.
Réponse de la Cour,
La demande de la société Colombi repose sur des allégations d’agissements concertés et concomitants entre les société Umarex GmbH et Umarex France d’un refus de vente injustifié à compter du mois de novembre 2019, de la création d’une filiale de distribution qualifiée d’exclusive pour le territoire français dès le mois de décembre 2020, d’une rupture des relations commerciales établies sans respect d’un préavis et de la mise en place d’une stratégie de détournement des clients de la société Colombi au profit de la société Umarex France.
La société Colombi est bien recevable en son action à l’égard de la société Umarex GmbH, les critiques formulées par la société Umarex GmbH relevant de l’appréciation du bien-fondé de la demande de dommages-intérêts et de l’existence d’agissements fautifs concertés de concurrence déloyales imputables aux deux sociétés Umarex.
La fin de non-recevoir soulevée par la société Umarex GmbH sera rejetée.
III - Sur les demandes de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et préjudice moral
Exposé des moyens,
A l’appui de son appel, la société Colombi prétend que les sociétés Umarex GmbH et Umarex France ont fautivement désorganisé son entreprise dès lors que la société Umarex France, créée par l’ancien président salarié de la société Colombi de concert avec son plus gros fournisseur, la société allemande Umarex GmbH, a une activité en concurrence directe avec celle de la société Colombi et a débauché simultanément quatre autres salariés stratégiques parties avec les fichiers clients. Elle explique que dans le même temps, la société Umarex GmbH a fautivement refusé d’honorer les commandes passées par la société Colombi pour créer une situation de pénurie et contraindre les clients de Colombi à s’approvisionner auprès de Umarex France, celle-ci se présentant comme le distributeur exclusif des produits Umarex en France, alors que la société Colombi demeurait distributeur jusqu’au 30 juin 2021. Elle ajoute que les anciens salariés de la société Colombi ont outrepassé la simple utilisation des compétences et savoir-faire acquis durant leur salariat au sein de la société Colombi en ayant recours à des moyens frauduleux destinés à faciliter l‘insertion sur le marché des grossistes airsoft de leur nouvel employeur en faisant usage de fichiers clients de leur ancien employeur. Elle soutient avoir fait établir un constat d’huissier selon lequel les données clients figurant sur le site internet de la société Umarex France sont une copie servile du fichier client de la société Colombi, qui a été détourné.
Ainsi, la société Colombi fait valoir que le débauchage de cinq salariés de la société Colombi et les manœuvres déloyales commises de concert par les sociétés Umarex ont désorganisé son activité concurrente et qu’il s’infère nécessairement de ces actes un préjudice qu’elle évalue à la somme de 440 000 euros sur une période de 18 mois et qui se matérialise par :
- des gains manqués liés au détournement de clientèle et à la baisse d’activité liée à la perte des parts de marché sur des produits qui ne sont pas de marque Umarex mais que les clients acquerraient en même temps,
- des pertes subies en raison du défaut de plusieurs modèles, de la perte de part de marché et de la perte de commandes,
- une désorganisation durable de la société Colombi qui a dû embaucher du nouveau personnel.
A titre subsidiaire, elle sollicite de la Cour qu’elle ordonne avant dire droit une expertise judiciaire pour fixer le quantum des préjudices financiers subis ainsi que le paiement par provision de la somme de 300.000 euros.
Enfin, s’agissant de son préjudice moral, la société Colombi fait valoir qu’elle a subi un important préjudice d’image et de notoriété dès lors que son image a été durablement affectée auprès des clients qu’elle n’a pas été mise en mesure de livrer à raison du refus de vente injustifié de la société Umarex GmbH. Elle souligne avoir été, avant ces faits, le plus important distributeur de la marque Umarex en France, avec un chiffre d’affaires en 2019 pour les produits Umarex à hauteur de 2,9 millions d’ euros et un taux de marge de 21%. Elle dénonce une tentative de déstabilisation de ses salariés, par la propagation de rumeurs, qui a contraint la société Colombi de faire des gestes auprès de salariés (augmentation de salaires). Selon elle, l’ensemble des manœuvres déloyales dénoncées ont permis opportunément au nouveau concurrent Umarex France de se saisir des parts de marché précédemment occupées par la société Colombi. Elle évalue son préjudice moral à hauteur de 5% de la moyenne du chiffre d’affaires Umarex des cinq dernières années, soit 125.000 €.
En réponse, la société Umarex France soutient que le débauchage dont se plaint la société Colombi ne constitue pas un acte de concurrence déloyale dès lors que le départ des salariés fait suite aux comportements de ses dirigeants à l’origine d’un climat social dégradé et qu’aucune désorganisation de l’entreprise n’est démontrée. Elle indique n’avoir eu recours à aucun acte positif de débauchage et que sa création est intervenue plusieurs mois après le départ de l’ancien président salarié de la société Colombi, départ accepté par la conclusion d’une convention de rupture conventionnelle de son contrat.
Elle ajoute que l’exercice d’une activité concurrente, y compris avec le concours d’anciens salariés, n’est pas nécessairement source de concurrence déloyale. Elle prétend qu’une relation commerciale avec la société Colombi a été mis en place dès le démarrage de son activité. Par ailleurs, elle dit n’avoir jamais eu recours au dénigrement ou usé de procédés commerciaux anormaux. Selon elle, la société Colombi ne justifie pas d’une quelconque perte de clients et le démarchage de clientèle n’est pas en lui[1]même un acte de concurrence déloyale. Enfin, elle conteste avoir tenté d’obtenir le fichier clients de la société Colombi et estime que les éléments produits ne sont pas probants. Elle définit le milieu comme un microcosme où les clients sont notoirement connus.
Aussi, la société Umarex France soutient que tant les fautes que les postes de préjudices invoqués par la société Colombi ne sont pas démontrés, que le lien de causalité entre la prétendue faute et le soi-disant préjudice n’est pas prouvé et que la demande d’expertise n’est pas justifiée.
La société Umarex GmbH, soutient que la société Colombi tente de rattacher artificiellement la société Umarex GmbH à ses demandes relatives à la prétendue concurrence déloyale pour des actes qui n’ont en tout état de cause pas été commis par cette dernière.
Réponse de la Cour,
L’action en concurrence déloyale est une modalité particulière de mise en œuvre de la responsabilité civile délictuelle pour fait personnel de droit commun. Elle suppose ainsi la caractérisation d’une faute, d’une déloyauté appréciée à l’aune de la liberté du commerce et de l’industrie et du principe la libre concurrence, ainsi que d’un préjudice et d’un lien de causalité les unissant.
La cour rappelle que la simple embauche, dans des conditions régulières, d’anciens salariés d’une entreprise concurrente, n’est pas en elle-même fautive et qu’en vertu du principe de la liberté du commerce et de l'industrie, le démarchage de la clientèle d'autrui, fût-ce par un ancien salarié de celui-ci, est libre, dès lors que ce démarchage ne s'accompagne pas d'un acte déloyal.
(en ce sens Com., 28 septembre 2022, pourvoi n° 21-15.892).
La Cour constate d’abord que M. Fernaud a fait part à la société Colombi dès le 7 février 2019 de sa démission de son mandat social de président de la société holding MP Finances à effet au 8 mars 2019 et de sa volonté de rupture conventionnelle de son contrat de travail qui a pris fin le 20 avril 2019 (pièces n° 6 et 7 Colombi). Il est démontré qu’un conflit de valeur l’opposait à l’actionnaire principal M. Mario Pelagalli contre lequel il a déposé une plainte pénale le 15 mai 2019 (pièce n°2 Umarex France).
M. Fernaud n’a rejoint la société Umarex France qu’au moment de sa constitution en décembre 2019. Celle-ci a été créée à l’initiative de la société Umarex GmbH dans le cadre d’une nouvelle politique de distribution de ses produits en France destinée à se passer des divers grossistes français qui ne vendaient pas le catalogue complet du groupe Umarex et de se concentrer sur une distribution exclusive par la création de la société Umarex France (pièces n°20 et 41 Colombi). La société Umarex France justifie avoir mis en place une procédure générale de recrutement de salariés dans le cadre de laquelle MM. Steigelitz, Bourillon, Garcia et Mme Dentel ont déposé une candidature pour rejoindre cette société (pièce n°18). Ces derniers ont été simultanément embauchés par la société Umarex qu’ils ont rejoint à l’issue de leur période de préavis, sans qu’il soit fait état de clause de non-concurrence. Il est par ailleurs documenté qu’un climat social dégradé était déploré au sein de la société Colombi pouvant expliquer le départ de nombreux salariés en 2019 et 2020 (pièces Umarex France n°5 à 15).
La Cour observe ensuite que les salariés ayant quitté la société Colombi pour rejoindre la société Umarex France en décembre 2019 occupaient au sein de la première des postes de commerciaux et d’agent service après ventes des produits Umarex, soit quatre salariés outre M. Fermaud sur un effectif de 32 salariés que comptait en décembre 2019 la société Colombi. En dehors du fait de leur nombre et de leur poste dédié aux produits Umarex, la société Colombi n’expose pas en quoi ces salariés occupaient des postes stratégiques au regard de l’organisation de l’entreprise et de son activité, ni en quoi leur départ était de nature à la désorganiser, ni ne justifie de difficultés particulières pour leur remplacement. Il est par ailleurs relevé que Mme Dentel, responsable informatique, avait été licenciée pour faute grave par la société Colombi le 12 février 2019 et que les autres salariés attestent d’une ambiance délétère au sein de cette dernière ayant justifié leur départ (pièces Umarex France n°19 à 21).
Aussi, dans ces circonstances, il n’est pas démontré par la société Colombi que les embauches de cinq de ses anciens salariés se sont accompagnées de manœuvres déloyales de débauchage de la part de la société Umarex France ayant entraîné une désorganisation.
Concernant les allégations de détournement de clientèle, si la société Colombi évoque « un vol » de fichier clientèle de la part des salariés ayant rejoint la société Umarex France, force est de constater que les pièces produites par la société Colombi (pièces n°25 à 29 et 45 à 47) ne mettent pas sérieusement en évidence des actes de détournement de fichiers de clientèle par lesdits salariés. Par ailleurs, il n’est pas contesté que les salariés en cause travaillaient de longue date au sein de la société Colombi pour les produits Umarex et qu’ils avaient nécessairement acquis une connaissance personnelle et certaine du secteur d’activité de la vente d’armes et que certains grossistes présentent eux-mêmes leurs clients sur leurs propres sites internet (pièces Umarex France n°45 et 46). Aussi, il n’est pas démontré d’acte de détournement de fichiers ou d’informations confidentielles, ni d’un savoir-faire propre à la société Colombi.
S’il n’est pas contestable que la société Umarex GmbH a opportunément suspendu les livraisons de commandes en fin d’année 2019 au moment de la création de la société Umarex France au motif d’un contrôle de la situation réglementaire de la société Colombi, il n’en demeure pas moins que peu de temps après l’envoi du courrier de rupture de la société GmbH le 19 décembre 2019, soit dès le 9 janvier 2020, la société Umarex France a pris attache avec la société Colombi pour entrer en relation commerciale. Des échanges et réunions ont eu lieu courant janvier et février 2020 sur les conditions commerciales (pièces n°23 à 27 Umarex France). La société Umarex France démontre qu’elle a entretenu une relation commerciale avec la société Colombi au cours de l’année 2020 concernant le service après-vente des produits Umarex (pièces Umarex n°26 à 36) mais que dès janvier 2020, elle s’est étonnée de l’absence de commande de la part de la société Colombi (pièce Umarex France n°27). Suivant un courriel du 6 octobre 2020, M. Fermaud de la société Umarex France s’adressait de la manière suivante à son interlocuteur de la société Colombi :
« (…) j’ai appris très récemment, au sein du Groupe Umarex, que la société COLOMBI SPORTS avait sollicité les sociétés distributrices exclusives des produits UMAREX sur le territoire d’autres pays européens.
Tu comprendras ma surprise lorsque je n’ai, à ce jour, jamais enregistré la moindre commande émanant de COLOMBI SPORTS et que tu n’as jamais fait retour à l’envoi du catalogue UMAREX France et à notre rencontre du 29 janvier dernier au cours de laquelle nous avions évoqué les conditions tarifaires afférentes à nos produits.
Je me permets en conséquence de réitérer mon invitation à prendre attache avec UMAREX France afin que nous puissions échanger sur vos besoins en produits UMAREX et vous formuler nos meilleures conditions possibles eu égard aux commandes projetées. »
La société Colombi prétend que les tarifs proposés par la société Umarex France n’étaient pas acceptables notamment sur certaines références (conclusions pages 28 et 29) mais n’étaye ses allégations d’aucune pièce permettant de corroborer ses calculs, ni d’élément de comparaison sur l’ensemble de la gamme Umarex. Elle dénonce également la perte de nombreux clients, mais se borne à produire deux courriels relatifs à deux clients, dont l’un d’eux est présenté comme un « gros client » mais sans apporter aucun élément chiffré pour l’établir. Par ailleurs, si la société Colombi déplore une perte de clients et de chiffre d’affaires corrélatif, et des gains manqués « exponentiels », elle ne verse aux débats aucun élément comptable ni comptes sociaux pour les années 2020 et 2021 permettant une comparaison avec les années 2018 et 2019, ni d’élément précis sur ses « clients Umarex » au regard de l’ensemble de son activité.
Enfin la communication générale faite par la société Umarex France à l’ensemble des détaillants en France (pièce n°22), si elle a pu créer une certaine surprise auprès des clients de la société Colombi, elle n’est pas pour autant mensongère ou emprunte de déloyauté, ni de dénigrement.
De l’ensemble de ces éléments, il ressort que la société Colombi ne démontre pas la réalité d’agissement de concurrence déloyale de la part des sociétés Umarex GmbH et Umarex France de nature à lui causer un trouble commercial. Dès lors, elle sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts à ce titre, ainsi que de sa demande en réparation d’un préjudice moral d’image et de notoriété et de sa demande de publication.
Le jugement sera confirmé de ces chefs de demandes.
IV- Sur les dépens et l’application de l’article 700
Le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la société Colombi Sports aux dépens de première instance et à payer aux société Umarex GmbH et Umarex France la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
La société Colombi, partie perdante, sera condamnée aux dépens d’appel.
En application de l’article 700 du code de procédure civile, la société Colombi sera déboutée de sa demande et condamnée à verser aux sociétés Umarex GmbH et Umarex France chacune la somme de 7 500 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour,
Confirme le jugement sauf en ce qu’il a déclaré le tribunal de commerce de Marseille incompétent pour statuer sur les demandes de dommages-intérêts de la société Colombi Sports formulées à l’encontre de la société Umarex GmbH au titre d’actes de concurrence déloyale et de préjudice moral et renvoyé la société Colombi Sports à mieux se pourvoir sur ces demandes ;
Statuant de nouveau de ces chefs infirmés et y ajoutant,
Déclare les juridictions françaises compétentes pour statuer sur les demandes de la société Colombi Sports formulées à l’encontre de la société Umarex GmbH de dommages-intérêts au titre d’actes de concurrence déloyale et de préjudice d’image moral ;
Déboute la société Colombi Sports de ses demandes de dommages-intérêts au titre d’actes de concurrence déloyale et de préjudice moral ;
Condamne la société Colombi Sports aux dépens qui seront recouvrés selon la procédure de l’article 699 du code de procédure civile ;
En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Colombi Sports et la condamne à verser aux sociétés Umarex GmbH et Umarex France chacune la somme de 7500 euros.