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Décisions

CJUE, 2e ch., 14 novembre 2024, n° C-394/22

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

Question préjudicielle

PARTIES

Demandeur :

Oilchart International NV

Défendeur :

O.W. Bunker (Netherlands) BV, ING Bank NV

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Biltgen (rapporteur)

Juges :

Mme Arastey Sahún, M. Passer

Avocat général :

Mme Medina

Avocats :

Me Van den Wijngaert, Me Arts, Me Mertens, Me Rasking, Me Ulrix

CJUE n° C-394/22

13 novembre 2024

LA COUR (deuxième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1), lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1346/2000 du Conseil, du 29 mai 2000, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2000, L 160, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Oilchart International NV (ci-après « Oilchart »), une société de droit belge, à O.W. Bunker Netherland BV (ci après « OWB ») et à ING Bank NV, deux sociétés de droit néerlandais, au sujet du recouvrement d’une facture impayée, établie pour des services d’avitaillement effectués par Oilchart pour le compte de OWB, laquelle a été déclarée en faillite.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement no 1346/2000

3 Les considérants 2 et 6 du règlement no 1346/2000 énoncent :

« (2) Le bon fonctionnement du marché intérieur exige que les procédures d’insolvabilité transfrontalières fonctionnent efficacement et effectivement [...]

[...]

(6) Conformément au principe de proportionnalité, le présent règlement devrait se limiter à des dispositions qui règlent la compétence pour l’ouverture de procédures d’insolvabilité et la prise des décisions qui dérivent directement de la procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement. Le présent règlement devrait, en outre, contenir des dispositions relatives à la reconnaissance de ces décisions et au droit applicable, qui satisfont également à ce principe. »

4 L’article 3 de ce règlement, intitulé « Compétence internationale », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts principaux du débiteur sont compétentes pour ouvrir la procédure d’insolvabilité. Pour les sociétés et les personnes morales, le centre des intérêts principaux est présumé, jusqu’à preuve contraire, être le lieu du siège statutaire. »

5 L’article 4 dudit règlement, intitulé « Loi applicable », est libellé comme suit :

« 1. Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel la procédure est ouverte, ci-après dénommé “État d’ouverture”.

2. La loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité. Elle détermine notamment :

a) les débiteurs susceptibles de faire l’objet d’une procédure d’insolvabilité du fait de leur qualité ;

b) les biens qui font l’objet du dessaisissement et le sort des biens acquis par le débiteur après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ;

c) les pouvoirs respectifs du débiteur et du syndic ;

[...]

e) les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours auxquels le débiteur est partie ;

f) les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites individuelles, à l’exception des instances en cours ;

g) les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créanciers nées après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ;

h) les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ;

[...]

m) les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers. »

6 Le règlement no 1346/2000 a été abrogé par le règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil, du 20 mai 2015, relatif aux procédures d’insolvabilité (JO 2015, L 141, p. 19). En vertu de l’article 84, paragraphe 2, de ce dernier règlement, le règlement no 1346/2000 continue néanmoins de s’appliquer aux procédures d’insolvabilité qui ont été ouvertes avant le 26 juin 2017.

Le règlement no 1215/2012

7 Les considérants 10 et 21 du règlement no 1215/2012 énoncent :

« (10) Il est important d’inclure dans le champ d’application matériel du présent règlement l’essentiel de la matière civile et commerciale, à l’exception de certaines matières bien définies [...]

[...]

(21) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres. [...] »

8 Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, et paragraphe 2, sous b), de ce règlement :

« 1. Le présent règlement s’applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Il ne s’applique notamment ni aux matières fiscales, douanières ou administratives, ni à la responsabilité de l’État pour des actes ou des omissions commis dans l’exercice de la puissance publique (acta jure imperii).

2. Sont exclus de son application :

[...]

b) les faillites, concordats et autres procédures analogues ».

9 L’article 28, paragraphe 1, dudit règlement énonce :

« Lorsque le défendeur domicilié sur le territoire d’un État membre est attrait devant une juridiction d’un autre État membre et ne comparaît pas, la juridiction se déclare d’office incompétente, sauf si sa compétence découle des dispositions du présent règlement. »

Le droit néerlandais

10 L’article 25 de la Wet op het faillissement en de surséance van betaling (loi sur la faillite et le sursis de paiement), du 30 septembre 1893 (Stb. 1893, no 140, ci-après la « NFW ») se lit comme suit :

« 1. Les actions en justice ayant pour objet des droits ou des obligations faisant partie de la masse de la faillite sont intentées tant contre le curateur que par celui-ci.

2. Si, étant intentées ou poursuivies par le failli ou contre celui-ci, elles aboutissent à la condamnation du failli, cette condamnation n’est pas opposable à la masse de la faillite. »

11 L’article 26 de la NFW dispose :

« Les actions en justice, tendant à l’exécution d’une obligation dans la masse, ne peuvent pas non plus être intentées contre le failli au cours de la procédure de faillite d’une autre manière que celle prévue à l’article 110. »

12 Aux termes de l’article 110 de la NFW :

« la production des créances est faite au curateur par la remise d’une facture ou d’une autre déclaration écrite indiquant la nature et le montant de la créance, accompagnée des pièces justificatives ou d’une copie de celles-ci, et de l’indication de la revendication éventuelle d’un privilège, d’un gage, d’une hypothèque ou d’un droit de rétention. [...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

13 Dans le cadre d’un ensemble de contrats d’avitaillement de navires de mer, Oilchart a, le 21 octobre 2014, livré, pour le compte de OWB, du carburant au navire Evita K., amarré dans le port de Sluiskil (Pays Bas).

14 Le 22 octobre 2014, Oilchart a émis, à l’intention de OWB, une facture d’un montant de 116 471,45 dollars des États-Unis (USD) (environ 107 229,44 euros). Cette facture est restée impayée.

15 Par un jugement du rechtbank te Rotterdam (tribunal de Rotterdam, Pays-Bas), du 21 novembre 2014, OWB a été déclarée en faillite.

16 Oilchart a produit la créance résultant de cette facture impayée pour vérification auprès des curateurs de OWB.

17 En raison d’une série de factures impayées, Oilchart a fait procéder à la saisie conservatoire de certains navires de haute mer auxquels elle avait livré du carburant. Afin d’obtenir la mainlevée de ces saisies conservatoires, des garanties ont été constituées en faveur d’Oilchart, lesquelles pouvaient être sollicitées sur la base d’une décision judiciaire ou d’une sentence arbitrale en Belgique, condamnant soit OWB, soit le propriétaire du navire concerné.

18 Le 11 mars 2015, Oilchart a introduit un recours contre OWB devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers, Belgique) en vue d’obtenir, notamment, le paiement de ladite facture impayée. ING Bank, en tant que titulaire d’une cession de créance accordée par OWB en contrepartie de la mise à disposition d’une ligne de crédit, est intervenue volontairement dans le cadre de ce recours.

19 Tout en se reconnaissant compétente pour statuer sur ledit recours, cette juridiction a, par jugement du 15 mars 2017, sur le fondement du droit néerlandais de la faillite, déclaré irrecevable le même recours.

20 Le 16 mai 2017, Oilchart a interjeté appel de ce jugement devant le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers, Belgique), qui est la juridiction de renvoi.

21 OWB n’ayant comparu à l’audience ni devant le rechtbank van koophandel te Antwerpen (tribunal de commerce d’Anvers) ni devant la juridiction de renvoi, cette dernière a estimé devoir examiner sa compétence internationale, conformément aux termes de l’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012.

22 En se référant à la jurisprudence de la Cour, la juridiction de renvoi se demande si l’action intentée par Oilchart contre OWB est fondée sur les règles communes du droit civil et commercial, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, ou sur les règles spécifiques en matière de procédures d’insolvabilité.

23 À cet égard, la juridiction de renvoi précise que le recours d’Oilchart contre OWB a été introduit après l’ouverture de la procédure de faillite et sans faire état de celle-ci, en application d’une disposition particulière de la législation néerlandaise en matière de faillite, à savoir le paragraphe 2 de l’article 25 de la NFW, relatif aux actions qui ne se rapportent pas à la masse de la faillite, mais qui concernent les intérêts personnels du failli, et non sur le fondement du paragraphe 1 de cet article qui se rapporte directement à cette masse.

24 Selon cette juridiction, la nature exacte de l’action judiciaire intentée par Oilchart et la possibilité d’intenter une telle action contre une société déclarée en faillite doivent être examinées au regard des dispositions dérogatoires propres au droit néerlandais de la faillite et non au regard des règles communes du droit civil et commercial. Dans le cadre de la détermination de la compétence internationale de la juridiction de renvoi, qui précède cet examen, cette juridiction se demande toutefois si l’action judiciaire en cause au principal ne présente pas un lien étroit avec la procédure d’insolvabilité, de sorte que le juge devant lequel la faillite a été ouverte est seul compétent pour juger de cette action.

25 En outre, la juridiction de renvoi se demande si l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 s’oppose à une disposition nationale qui permet à un créancier de saisir les juridictions d’un État membre d’une action en paiement d’une créance qu’il a déjà déclarée dans la masse de l’insolvabilité dans un autre État membre.

26 Dans ces conditions, le hof van beroep te Antwerpen (cour d’appel d’Anvers) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 [...], lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, du règlement [no 1346/2000], doit-il être interprété en ce sens que relève également [de la notion] de “faillites, concordats et autres procédures analogues” figurant à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 une procédure dans laquelle l’action est présentée dans la citation comme une simple créance client, sans faire état de la faillite antérieurement ouverte du défendeur, alors que le véritable fondement juridique de cette action procède des dispositions dérogatoires propres au droit néerlandais de la faillite (article 25, paragraphe 2, de la [NFW]) et dans laquelle :

– il y a lieu de décider si une telle action doit être considérée comme une action vérifiable (article 26, lu en combinaison avec l’article 110 de la NFW) ou comme une action non vérifiable (article 25, paragraphe 2, de la NFW) ;

– la question de savoir si ces deux actions peuvent être intentées parallèlement et si une action ne semble pas exclure l’autre, compte tenu des conséquences juridiques spécifiques découlant de chacune d’elles (notamment en ce qui concerne la possibilité de solliciter le paiement d’une garantie bancaire émise après la faillite) semble être tranchée selon les règles propres au droit néerlandais de la faillite ?

[...]

2) Les dispositions de l’article 25, paragraphe 2, de la [NFW] peuvent-elles être considérées comme conformes à l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000, dans la mesure où cette disposition législative permettrait d’intenter une telle action (article 25, paragraphe 2, de la NFW) devant le juge d’un autre État membre au lieu de l’intenter devant le juge de l’insolvabilité de l’État [d’ouverture] ? »

La procédure devant la Cour

27 Le 31 mars 2023, la Cour a adressé une demande d’informations à la juridiction de renvoi concernant le cadre factuel et juridique du litige au principal, à laquelle cette dernière a répondu le 28 avril 2023.

28 Le 11 juillet 2023, la Cour a demandé à la juridiction de renvoi si, au regard de la circonstance qu’Oilchart s’est désistée du recours au principal, elle entendait maintenir sa demande de décision préjudicielle.

29 Par arrêt du 27 novembre 2023, cette juridiction a informé la Cour que la procédure était toujours en cours devant elle, le désistement déposé par Oilchart ayant été rejeté.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

30 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une action introduite dans un État membre contre une société et tendant au paiement de marchandises livrées, qui ne fait état ni de la procédure d’insolvabilité antérieurement ouverte contre cette société dans un autre État membre ni du fait que la créance a déjà été déclarée dans la masse de l’insolvabilité.

31 En particulier, il s’agit de déterminer si une telle action est couverte par l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012, qui exclut de son champ d’application les faillites, les concordats et les autres procédures analogues. Dans l’affirmative, cette action relèverait du champ d’application matériel du règlement no 1346/2000, dont l’article 3, paragraphe 1, attribue aux juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est situé le centre des intérêts du débiteur une compétence internationale exclusive pour ouvrir la procédure d’insolvabilité principale (voir, en ce sens, arrêt du 4 décembre 2019, Tiger e.a., C 493/18, EU:C:2019:1046, points 23, 25 et 29 ainsi que jurisprudence citée).

32 En effet, la Cour a déjà jugé que, s’agissant des champs d’application respectifs des règlements nos 1215/2012 et 1346/2000, ces règlements doivent être interprétés de façon à éviter non seulement tout chevauchement entre les règles de droit que ces textes énoncent, mais également tout vide juridique. Ainsi, les actions exclues, au titre de l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012, du champ d’application de ce dernier, en tant qu’elles relèvent des « faillites, concordats et autres procédures analogues », entrent dans le champ d’application du règlement no 1346/2000. Symétriquement, les actions qui n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 relèvent du champ d’application du règlement no 1215/2012 (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 24, et du 18 septembre 2019, Riel, C 47/18, EU:C:2019:754, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

33 La Cour a également relevé que, ainsi que l’énonce notamment le considérant 10 du règlement no 1215/2012, l’intention du législateur de l’Union a été de retenir une conception large de la notion de « matière civile et commerciale » figurant à l’article 1er, paragraphe 1, de ce règlement et, par conséquent, un champ d’application large de ce dernier. En revanche, le champ d’application du règlement no 1346/2000, conformément à son considérant 6, ne doit pas faire l’objet d’une interprétation large (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Valach e.a., C 649/16, EU:C:2017:986, point 25, ainsi que du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 25 et jurisprudence citée).

34 En application de ces principes, la Cour a jugé que les champs d’application respectifs de ces deux règlements sont clairement délimités et que seules les actions qui dérivent directement d’une procédure d’insolvabilité et qui s’y insèrent étroitement sont exclues du champ d’application du règlement no 1215/2012. Par voie de conséquence, seules ces actions entrent dans le champ d’application du règlement no 1346/2000 (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 26, et du 18 septembre 2019, Riel, C 47/18, EU:C:2019:754, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

35 Ce double critère, qui figure au considérant 6 du règlement no 1346/2000 afin de délimiter l’objet de ce dernier, a d’ailleurs été textuellement repris par le règlement no 2015/848, non applicable ratione temporis à l’affaire au principal, en ce qu’il prévoit à son article 6, intitulé « Compétence juridictionnelle pour une action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et qui y est étroitement liée », que les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel la procédure d’insolvabilité a été ouverte sont compétentes pour connaître de toute action qui découle directement de la procédure d’insolvabilité et qui y est étroitement liée (voir, en ce sens, arrêt du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 27).

36 À la lumière des considérations qui précèdent, il convient donc de déterminer si une action en paiement de marchandises livrées, introduite contre une société soumise à une procédure d’insolvabilité, satisfait à ce double critère.

37 S’agissant du premier critère, afin de déterminer si une action découle directement d’une procédure d’insolvabilité, il y a lieu d’observer qu’il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’élément déterminant pour identifier le domaine dont relève une action est non pas le contexte procédural dans lequel s’inscrit cette action, mais le fondement juridique de cette dernière. Selon cette approche, il convient de rechercher si le droit ou l’obligation qui sert de base à l’action trouve sa source dans les règles communes du droit civil et commercial ou dans des règles dérogatoires, spécifiques aux procédures d’insolvabilité (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 28 ; du 18 septembre 2019, Riel, C 47/18, EU:C:2019:754, point 33, ainsi que du 4 décembre 2019, Tiger e.a., C 493/18, EU:C:2019:1046, point 27 et jurisprudence citée).

38 Ainsi, la Cour a jugé qu’une action introduite sur le fondement d’une clause de réserve de propriété, exercée par le vendeur contre l’acheteur déclaré en état d’insolvabilité, met en cause une question de droit indépendante de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité. En d’autres termes, elle constitue une action autonome qui ne trouve pas son fondement dans le droit des procédures d’insolvabilité et qui ne requiert ni l’ouverture d’une procédure de ce type ni l’intervention d’un syndic (voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2009, German Graphics Graphische Maschinen, C 292/08, EU:C:2009:544, points 31 et 32).

39 En outre, l’action introduite contre un tiers par un demandeur agissant sur le fondement d’une cession de créance consentie par le syndic désigné dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité relève de la notion de « matière civile et commerciale », dans la mesure où le litige ne porte pas sur la validité de la cession consentie par le syndic et où l’exercice du droit acquis par le cessionnaire obéit à d’autres règles que celles applicables dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, F-Tex, C 213/10, EU:C:2012:215, points 37, 42 et 49).

40 Il en est de même lorsque, dans le cadre de l’exercice par un cessionnaire du droit acquis, le litige concerne le seul comportement adopté par le cessionnaire (voir, en ce sens, arrêt du 19 avril 2012, FTex, C 213/10, EU:C:2012:215, point 42). En revanche, relève du champ d’application du règlement no 1346/2000 une action mettant en cause une cession de parts sociales effectuée dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, dans la mesure où il est reproché au syndic de ne pas avoir usé d’une prérogative qu’il tire du droit national régissant les procédures collectives (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2009, SCT Industri, C 111/08, EU:C:2009:419, point 28).

41 Ne relèvent pas non plus du champ d’application du règlement no 1215/2012 l’action en constatation de l’existence d’une créance aux fins de son enregistrement dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité, une telle action dérivant directement des règles nationales en matière d’insolvabilité (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2019, Riel, C 47/18, EU:C:2019:754, points 37 et 38), ou l’action en responsabilité dirigée contre les membres d’un comité de créanciers qui, par leur vote, ont provoqué la conversion d’une procédure d’assainissement en procédure d’insolvabilité, une telle action étant la conséquence directe et indissociable de l’exercice d’une fonction tirée spécifiquement des dispositions nationales régissant les procédures d’insolvabilité (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Valach e.a., C 649/16, EU:C:2017:986, points 30 et 35).

42 En l’occurrence, il ressort des éléments du dossier dont dispose la Cour ainsi que des précisions fournies par la juridiction de renvoi que l’action en cause dans l’affaire au principal tend à faire condamner une société au paiement de marchandises livrées conformément à un contrat conclu avant l’ouverture de la procédure d’insolvabilité concernant cette société. Aux termes de conventions ultérieurement contractées en vue de la mainlevée de saisies conservatoires auxquelles il a été procédé, une telle condamnation s’avère nécessaire afin que la requérante au principal puisse exécuter des garanties bancaires constituées en sa faveur.

43 Or, force est de constater que tant les obligations contractuelles invoquées dans le cadre de l’action judiciaire que les mécanismes d’exécution prévus à l’égard desdites obligations trouvent leur fondement dans le droit contractuel et sont indépendants des règles spécifiques applicables aux procédures d’insolvabilité.

44 En outre, une action judiciaire en paiement de marchandises livrées est autonome dans la mesure où elle peut être introduite en dehors de toute procédure d’insolvabilité.

45 Par ailleurs, ni l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ni la désignation d’un syndic n’ont pour effet de modifier le fondement juridique d’une action relevant des règles communes du droit civil et commercial en vue de la faire entrer dans le champ d’application des règles spécifiques aux procédures d’insolvabilité.

46 En effet, la Cour a jugé que le seul fait qu’un syndic désigné dans le cadre d’une procédure d’insolvabilité ait exercé, après l’ouverture d’une telle procédure, une action en paiement dans l’intérêt des créanciers ne modifie pas substantiellement la nature de la créance invoquée, qui est indépendante d’une procédure d’insolvabilité et qui continue d’être soumise, quant au fond, à des règles de droit commun (voir, en ce sens, arrêts du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 29 et jurisprudence citée, ainsi que du 21 novembre 2019, CeDe Group, C 198/18, EU:C:2019:1001, point 36).

47 Quant au second critère, mentionné au point 34 du présent arrêt, il est également de jurisprudence constante que c’est l’intensité du lien existant entre une action juridictionnelle et la procédure d’insolvabilité qui est déterminante pour décider si l’exclusion énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 trouve à s’appliquer (voir, en ce sens, arrêts du 20 décembre 2017, Valach e.a., C 649/16, EU:C:2017:986, point 27 ainsi que jurisprudence citée, et du 6 février 2019, NK, C 535/17, EU:C:2019:96, point 30).

48 Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale au point 57 de ses conclusions, ce critère permet de tenir compte d’éléments contextuels autres que ceux relatifs au fondement juridique de l’action.

49 Bien que, dans l’affaire au principal, l’existence d’un certain lien entre l’action intentée et la procédure d’insolvabilité ne saurait être niée, dès lors que cette action a été introduite après la mise en insolvabilité de la société débitrice dans le cadre de laquelle la partie requérante au principal a produit une déclaration de créance dans la masse de l’insolvabilité pour la même créance que celle visée par ladite action, il n’apparaît toutefois pas que la seule identité entre la créance réclamée devant la juridiction de renvoi et celle produite devant les curateurs de l’insolvabilité soit suffisante pour faire relever cette même action de l’exclusion visée à l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012.

50 À cet égard, il importe de souligner que la détermination de la juridiction compétente ne préjuge en rien de la loi applicable à la demande en cause au principal, ni des règles pertinentes susceptibles de déterminer la loi applicable à l’action au principal (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2019, CeDe Group, C 198/18, EU:C:2019:1001, point 38).

51 En effet, tant la question de l’admissibilité d’une action individuelle dirigée contre une société en insolvabilité que celle du sort réservé à une telle action en cas de déclaration de créance effectuée dans la masse de l’insolvabilité relèvent non pas des règles attributives de compétence, mais des règles de conflit déterminant la loi applicable.

52 À cet égard, il résulte de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 que la loi applicable à la procédure d’insolvabilité et à ses effets est celle de l’État membre sur le territoire duquel cette procédure est ouverte.

53 L’article 4, paragraphe 2, de ce règlement précise que la loi de l’État d’ouverture détermine les conditions d’ouverture, le déroulement et la clôture de la procédure d’insolvabilité, en énumérant, de manière non limitative, les différents stades de la procédure d’insolvabilité régis par la loi de l’État d’ouverture, à savoir, notamment, au point e), les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours, au point f), les effets de la procédure d’insolvabilité sur les poursuites individuelles, au point h), les règles concernant la production, la vérification et d’admission des créances, au point g), les créances à produire au passif du débiteur et le sort des créances nées après l’ouverture de la procédure d’insolvabilité ainsi que, au point m), les règles relatives à la nullité, à l’annulation ou à l’inopposabilité des actes préjudiciables à l’ensemble des créanciers.

54 Il découle d’une lecture combinée des articles 3 et 4 du règlement no 1346/2000 que cette réglementation vise, en principe, à obtenir une correspondance entre les juridictions qui sont internationalement compétentes et la loi applicable à la procédure d’insolvabilité. En effet, hormis dans les hypothèses pour lesquelles ce règlement prévoit explicitement des dispositions contraires, la loi applicable suit, en application de l’article 4 dudit règlement, la compétence internationale déterminée en application de l’article 3 du même règlement (voir, en ce sens, arrêt du 21 novembre 2019, CeDe Group, C 198/18, EU:C:2019:1001, point 30).

55 Or, dans la mesure où l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000 se limite à la question de la compétence juridictionnelle pour l’ouverture des procédures d’insolvabilité et que le champ d’application de l’article 4 de ce règlement est plus vaste que celui de l’article 3 de celui-ci, en ce qu’il s’applique aux procédures d’insolvabilité ainsi qu’à leurs effets, cette correspondance entre la loi applicable et la juridiction compétente ne saurait être garantie en toutes circonstances.

56 En l’occurrence, la procédure d’insolvabilité en cause au principal a été ouverte aux Pays-Bas, de sorte que la loi applicable à cette procédure et à ses effets est, conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000, la loi néerlandaise.

57 Il en découle que l’action judiciaire en cause au principal, visant à faire condamner une société déclarée en insolvabilité au paiement de marchandises livrées, relève de la loi néerlandaise, dans la mesure où il incombe à cette loi, comme il est mentionné au point 53 du présent arrêt, de déterminer les effets de la procédure d’insolvabilité sur les contrats en cours et les incidences de cette procédure sur les poursuites individuelles, d’édicter les règles concernant la production, la vérification et l’admission des créances ainsi que celles relatives aux actes susceptibles de porter préjudice aux créanciers.

58 Ainsi que l’a souligné la Commission européenne lors de l’audience de plaidoiries devant la Cour, c’est l’application d’une même loi à la procédure d’insolvabilité et à tous ses effets, déterminée conformément à l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1346/2000, qui permet de garantir que soient atteints les objectifs poursuivis par ce règlement en ce qui concerne l’égalité des créanciers et la protection de leurs intérêts, indépendamment de la question relative à la compétence juridictionnelle.

59 Dans ce contexte, il importe d’ailleurs de relever que la règle contenue dans le règlement no 1215/2012, en vertu de laquelle, lorsque des demandes ayant le même objet et la même cause sont formées entre les mêmes parties devant des juridictions d’États membres différents, la juridiction saisie en second lieu sursoit à statuer afin d’éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues concernant ces demandes, n’est pas applicable, pas même par analogie, au système du règlement no 1346/2000, en ce que ce dernier admet, notamment, pour des procédures d’insolvabilité secondaires, la compétence de juridictions dans d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt du 18 septembre 2019, Riel, C 47/18, EU:C:2019:754, points 42, 44 et 46).

60 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une action introduite dans un État membre contre une société, tendant au paiement de marchandises livrées, qui ne fait état ni de la procédure d’insolvabilité antérieurement ouverte contre cette société dans un autre État membre ni du fait que la créance a déjà été déclarée dans la masse de l’insolvabilité.

Sur la seconde question

61 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’est pas nécessaire de répondre à la seconde question.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L’article 1er, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’applique pas à une action introduite dans un État membre contre une société, tendant au paiement de marchandises livrées, qui ne fait état ni de la procédure d’insolvabilité antérieurement ouverte contre cette société dans un autre État membre ni du fait que la créance a déjà été déclarée dans la masse de l’insolvabilité.