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Décisions

Cass. 3e civ., 17 octobre 2024, n° 22-21.616

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

M. Pety

Avocats :

SARL Gury & Maitre, SCP Alain Bénabent, SARL Boré, Salve de Bruneton et Mégret

Saint-Denis, du 22 avr. 2022

22 avril 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 22 avril 2022), par acte authentique établi le 15 septembre 2015 par M. [X] (le notaire), M. et Mme [P] (les promettants) ont promis de vendre à la société Les Lianes d'or (la bénéficiaire) des parcelles de terrain à bâtir à [Localité 5] de la Réunion, au prix de 1 520 800 euros.

2. Plusieurs conditions suspensives ont été mentionnées dans la promesse, notamment celles tenant à l'obtention avant la signature de la vente authentique d'un permis d'aménager expurgé de tout recours et un certificat d'urbanisme ne révélant aucune contrainte ou servitude susceptible de déprécier les biens à vendre.

3. La faculté était accordée à la bénéficiaire de se faire substituer à la vente par un tiers, et ce à titre gratuit.

4. Par acte authentique des 20 et 31 janvier 2017, les promettants ont vendu les parcelles objet de la promesse à la société Cèdres promotion (l'acquéreur), substituée au bénéficiaire initial.

5. Ayant appris l'existence de servitudes aériennes grevant les parcelles acquises, la société Cèdres promotion a mis en demeure les autres parties ainsi que le notaire de procéder à l'annulation des actes conclus et de lui restituer toutes les sommes versées.

6. Elle les a assignés courant avril 2018 en annulation de la vente et restitution d'une somme de 234 000 euros déjà versée, subsidiairement en réduction du prix de vente et restitution d'une somme de 204 000 euros indûment payée, outre le paiement de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de la cession à titre onéreux par la bénéficiaire du permis d'aménager et de le condamner au paiement du prix facturé, alors :

« 1°/ qu'est frappée d'une nullité d'ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l'immobilier ; qu'au cas présent, pour écarter la demande de la société Cèdres promotion (substituée) en nullité de la cession à titre onéreux du permis d'aménager que nécessitait l'exercice par la société Les Lianes d'or (acquéreur initial), marchand de biens, de la faculté de substitution incluse dans le compromis de vente que cette dernière avait signé le 2 novembre 2015 avec les époux [P] (vendeur), la cour d'appel a jugé que si la gratuité était le principe de la substitution, c'est entre le vendeur et l'acquéreur que cette gratuité s'imposait ; qu'en statuant ainsi, cependant que cette gratuité s'impose également dans les rapports entre l'acquéreur initial exerçant la faculté de substitution et le tiers substitué, la cour d'appel a violé l'article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993 ;

2°/ qu'est frappée d'une nullité d'ordre public toute cession à titre onéreux des droits conférés par une promesse de vente portant sur un immeuble lorsque cette cession est consentie par un professionnel de l'immobilier ; qu'au cas présent, la société Cèdres promotion a démontré dans ses écritures d'appel que sur la facture de 475 250 euros émise par la société Les Lianes d'or, seul un montant de 50 000 euros correspondant à la prestation de BET 3M Ingénierie pour l'élaboration du permis d'aménager était justifié, de sorte que le solde de 425 250 euros correspondait à la contrepartie onéreuse de l'exercice de la faculté de substitution par la société Les Lianes d'or au profit de la société Cèdres promotion ; qu'en jugeant que la somme payée par la société Cèdres promotion correspondait à une réelle prestation, à savoir l'obtention par la société Les Lianes d'or d'un permis d'aménager ainsi que son transfert au profit de l'exposante, sans préciser en quoi cette prestation aurait été supérieure à celle facturée 50 000 euros par le BET 3M Ingénierie pour l'élaboration du permis d'aménager, de sorte que le montant de 475 250 euros sollicité par la société Les Lianes d'or à l'exposante n'aurait pu être analysé comme le prix d'une cession à titre onéreux de substitution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 52 de la loi n° 93-122 du 29 janvier 1993. »

Réponse de la Cour

8. Ayant souverainement retenu que la somme qui avait été payée par l'acquéreur correspondait à une prestation réelle du bénéficiaire initial, à savoir l'obtention par ce dernier d'un permis d'aménager ainsi que le transfert de celui-ci au profit de la société qu'il s'était substitué, faisant ainsi ressortir que son paiement ne correspondait pas à une substitution à titre onéreux, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à une recherche que ses constatations rendaient inopérante, a justement déduit, de ces seuls motifs, que la demande de l'acquéreur ne pouvait être accueillie.

9. Elle a, ainsi, légalement justifié sa décision.

Mais sur le premier moyen

Enoncé du moyen

10. L'acquéreur fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'annulation de l'acte de vente des 20 et 31 janvier 2017 et de le condamner à payer une certaine somme à M. [P] avec intérêts, alors « qu'est nul le contrat souscrit par une société non immatriculée au registre du commerce et des sociétés (RCS) en ce qu'elle est dépourvue de personnalité juridique ; que cette nullité absolue ne peut être couverte ultérieurement par la reprise des engagements par la société après son immatriculation au RCS ; qu'au cas présent, la cour d'appel a relevé que l'acte de vente litigieux n'avait pas été souscrit au nom d'une société en formation mais par la société Cèdres promotion elle-même et que cet acte avait été conclu à une date à laquelle cette dernière n'était pas immatriculée au RCS et n'avait donc pas la personnalité juridique lui permettant de contracter ; qu'il résultait de ces constatations que l'acte de vente litigieux était nul pour avoir été conclu par une société dépourvue de personnalité morale ; qu'en retenant néanmoins que cet acte était valable pour cela qu'en vertu des dispositions statutaires de la société Cèdres promotion, celle-ci, régulièrement immatriculée, avait repris les engagements souscrits avant son immatriculation, lesquels étaient réputés avoir été dès l'origine contractés par cette société, cependant que ces dispositions du contrat de société n'étaient pas de nature à couvrir la nullité absolue de l'acte de vente litigieux, la cour d'appel a violé l'article 1843 du code civil ensemble l'article L. 210-6 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1843 du code civil et L. 210-6, alinéa 2, du code de commerce :

11. Selon ces textes, la société régulièrement immatriculée peut reprendre les engagements souscrits en son nom lors de sa formation avant son immatriculation, lesquels sont alors réputés avoir été souscrits dès l'origine par elle.

12. Il est jugé qu'en présence d'un acte ne mentionnant pas qu'il a été souscrit au nom ou pour le compte de la société en formation, il appartient au juge d'apprécier souverainement, par un examen de l'ensemble des circonstances, tant intrinsèques à cet acte qu'extrinsèques, si la commune intention des parties n'était pas qu'il fût conclu au nom ou pour le compte de cette société, celle-ci pouvant, ensuite, après avoir acquis la personnalité juridique, décider de reprendre les engagements souscrits (Com., 29 novembre 2023, pourvoi n° 22-18.295).

13. Pour rejeter la demande d'annulation de la vente formée par l'acquéreur et condamner ce dernier à en payer le prix, l'arrêt, après avoir constaté que la vente n'avait pas été souscrite au nom d'une société en formation mais par la société Cèdres promotion elle-même, à une date où cette dernière n'était pas encore immatriculée, relève que les statuts de cette société prévoyaient que l'associé unique, la Société réunionnaise de travaux, ferait l'acquisition, pour le compte de la société en formation, de biens à [Localité 5] au prix de 1 520 800 euros, l'immatriculation survenue ultérieurement valant reprise de ces engagements, lesquels sont donc réputés avoir été dès l'origine contractés par elle.

14. En statuant ainsi, par des motifs inopérants, et sans caractériser si l'intention commune des parties à la vente n'avait pas été que celle-ci fût conclue au nom ou pour le compte de la société en formation, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Mise hors de cause

15. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la bénéficiaire de la promesse, laquelle est substituée par l'acquéreur dans le contrat de vente conclu par cette dernière avec M. et Mme [P], dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

16. Il n'y a pas lieu, en revanche, de mettre hors de cause le notaire, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il confirme le jugement du tribunal de grande instance de [Localité 5] du 6 décembre 2019 rejetant la demande de la société Cèdres promotion en annulation de la vente conclue les 20 et 31 janvier 2017 et la condamnant à payer à M. [P] la somme de 1 320 800 euros, avec intérêts capitalisés, et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile en faveur de ce dernier, l'arrêt rendu le 22 avril 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis autrement composée.