CA Nîmes, 4e ch. com., 29 mars 2023, n° 21/01253
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
SCT Telecom (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Pons-Tomasello, Me Lextrait, Me Mendez
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 29 mars 2021 par la SAS SCT Telecom à l'encontre du jugement prononcé le 18 mars 2021 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance nº2019J00243 ;
Vu la constitution de la SARL [Y], intimée, transmise par voie électronique le 27 juillet 2021 ;
Vu l'ordonnance rendue par le magistrat de la mise en état le 15 décembre 2021 déclarant la SARL [Y] irrecevable en sa défense pour absence de paiement du timbre fiscal ;
Vu l'ordonnance rendue par le magistrat de la mise en état le 18 janvier 2022 disant n'y avoir lieu à rapporter l'ordonnance d'irrecevabilité ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 29 juillet 2021 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance du 31 octobre 2022 de clôture de la procédure à effet différé au 23 février 2023.
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Sur la requête de la SAS SCT Telecom se prévalant d'un bulletin de souscription signé le 13 mai 2016 au nom de la SARL [Y], le tribunal de commerce de Nîmes a, par ordonnance du 3 mai 2019, fait injonction à cette société de payer à la société SCT une somme de 5.041,73 euros en principal au titre de factures impayées, outre 504,17 euros au titre de la clause pénale, 640 euros au titre des frais accessoires, et 640 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, ainsi que les dépens.
La SARL [Y] a fait opposition à cette ordonnance et, par jugement du 18 mars 2021, le tribunal de commerce de Nîmes a, au visa de l'article L223-18 du code de commerce et de l'article 1241 du code civil :
jugé nul le contrat signé le 13 mai 2016 entre la SAS Société Commerciale de Télécommunication SCT et la société [Y], faute d'avoir été signé par le représentant de la société ou son délégataire,
En conséquence,
débouté la SAS SCT de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
condamné la SAS SCT à payer à la SARL [Y] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pratiques contraires à la loyauté commerciale,
condamné la même à lui payer encore 3.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions contraires,
condamné la SAS SCT aux dépens de l'instance.
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La SAS SCT a relevé appel de cette décision pour la voir infirmer en toutes ses dispositions.
En l'état de ses dernières écritures, elle demande à la cour, au visa de l'article 1134 ancien du code civil, de :
réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
constater la résiliation du contrat de téléphonie aux torts exclusifs de la société [Y],
débouter la société [Y] de l'ensemble de ses moyens, fins et conclusions,
En conséquence,
condamner la société [Y] à lui payer la somme de 845,33 euros TTC au titre des factures d'abonnement de téléphonie fixe, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du tribunal,
condamner la société [Y] à lui payer la somme de 2.138,40 euros TTC au titre de la résiliation du service de solutions informatiques, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du tribunal,
condamner la société [Y] à lui payer la somme de 2.058 euros TTC au titre de la résiliation du service de téléphonie fixe, augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine du tribunal,
condamner la société [Y] à lui payer la somme de 3.000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Elle soutient que le contrat du 13 mai 2016 a valablement été signé par une personne se présentant comme dûment habilitée à représenter l'entreprise, le commercial de la société SCT ayant rencontré la femme du gérant sur place et la mère de celui-ci ayant communiqué les anciennes factures de téléphonie fixe de la société, signé le contrat, l'autorisation de prélèvement et apposé le tampon de la société sur les documents contractuels.
Dès lors, en résiliant de façon anticipée le contrat conclu et en ne s'acquittant pas des factures dues pour les services de téléphonie fixe fournis, la société intimée a manqué à ses obligations contractuelles et doit être condamnée à paiement.
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La société [Y], intimée constituée, a été déclarée irrecevable en sa défense par ordonnance du 15 décembre 2021 pour ne pas s'être acquittée du timbre fiscal obligatoire en vertu de l'article 1635 bis P du code général des impôts, malgré les injonctions délivrées en ce sens par le magistrat de la mise en état.
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Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur le contrat conclu le 13 mai 2016
Il est acquis aux débats et non contesté que le signataire du contrat conclu le 13 mai 2016 avec la société SCT Telecom au nom de la société [Y] n'est pas le gérant de cette SARL.
Le seul fait que la nomination et la cessation des fonctions de gérant de société à responsabilité limitée soient soumises à des règles de publicité légale ne suffit pas pour autant à exclure que cette société puisse être engagée sur le fondement d'un mandat apparent.
Et il résulte des articles 1985 et 1998 du code civil qu'une personne peut être engagée sur le fondement d'un mandat apparent lorsque la croyance du tiers aux pouvoirs du prétendu mandataire a été légitime, ce caractère supposant que les circonstances autorisaient ce tiers à ne pas vérifier lesdits pouvoirs. Com 9 mars 2022 nº19-25.704
En l'espèce, le contrat dont se prévaut l'appelante a été souscrit au nom de la SARL Ets [Y] par une personne non identifiée, « mme [Y] », qui a seulement précisé que la personne à contacter pour la facturation (« contact facturation ») était « [C] [Y] », son numéro de téléphone fixe étant précisé ainsi qu'une adresse mail « [Courriel 4] ».
Ledit numéro de téléphone est en fait celui de la ligne fixe objet du contrat et qui figure sur le tampon de la société [Y] apposé sur ledit contrat.
Cette convention porte effectivement le tampon de la SARL [Y] mais la seule apposition du tampon ou du cachet de l'entreprise n'est pas de nature à justifier la prétendue croyance dans les prérogatives apparentes du signataire que l'usage du cachet n'implique pas nécessairement. Com 11 juin 2002 nº99-12.720
Si la société SCT Telecom communique aux débats une facture de la ligne fixe objet du contrat éditée à l'adresse de la société [Y] par son opérateur en janvier 2016, l'unicité du document comme sa qualité relevant de l'impression d'une photographie ne permettent pas à la cour d'acquérir la certitude que c'est bien la personne signataire du contrat qui l'a remise au commercial de la société SCT comme soutenu par celle-ci en page 6 de ses conclusions.
Il ne ressort pas des éléments aux débats que ladite signataire ait communiqué d'autres informations qui permettaient légitimement de la croire investie de pouvoirs de représentation de cette société, puisque l'appelante n'était manifestement pas en possession des informations bancaires de la société [Y] dès lors qu'elle demandait le paiement par chèque de ses factures (pièce 3 de l'appelante)
Il n'est pas davantage démontré que cette signataire se soit prévalue d'une quelconque habilitation ou délégation de pouvoirs pour conclure le contrat litigieux puisqu'elle ne fait état sur le document d'aucune qualité.
Il résulte de ces constatations que la société appelante se prévaut d'un contrat qu'elle a conclu avec une personne non identifiée disant agir pour le compte de la SARL [Y] sans en justifier ni apporter d'élément l'accréditant, personne que la société SCT n'est toujours pas en mesure, encore à l'instance, de désigner utilement puisqu'elle évoque dans ses dernières écritures tantôt la mère, tantôt l'épouse du gérant.
Or elle n'avait avec la société [Y] aucune relation d'affaires installée dans le temps Com 27 juin 2000 nº98-10.814, 6 octobre 2015 nº14-13.812.
Et il n'est pas contesté que le contrat n'a pas davantage été conclu en présence du gérant.
Dès lors, les circonstances de la signature du contrat n'ont pu légitimement faire croire à la société SCT Telecom qu'elle traitait avec une personne dûment habilitée à engager la société [Y], mais lui imposaient bien au contraire de vérifier l'identité du signataire mais également ses qualité et capacité à représenter la société.
A défaut, l'appelante ne peut se prévaloir dudit contrat et c'est à bon droit que les premiers juges ont déclaré celui-ci nul et rejeté les demandes en paiement formulées à ce titre.
Sur les dommages et intérêts alloués à la société [Y] :
Le jugement déféré a « condamné la SAS SCT à payer à la SARL [Y] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pratiques contraires à la loyauté commerciale ».
Le fait pour la société SCT Telecom de déposer des requêtes en injonction de payer et de maintenir ses demandes en justice, quand bien même seraient-elles mal fondées, ne suffit pas à constituer une « pression » fautive ni un abus du droit d'agir de nature à engager la responsabilité civile de la société SCT.
Et il n'est justifié par la SARL [Y] d'aucun préjudice qui justifierait l'allocation de dommages et intérêts.
Le jugement déféré doit donc être infirmé de ce chef et la demande de dommages et intérêts formulée initialement par cette société rejetée.
Sur les frais de l'instance :
La société SCT Telecom, qui succombe principalement, devra supporter les dépens de l'instance.
L'équité impose de confirmer le jugement déféré sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société SCT Telecom à payer 5.000 euros de dommages et intérêts à la SARL [Y] ;
Statuant de nouveau de ce chef,
Dit n'y avoir lieu à indemnisation ;
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions ;
Y ajoutant,
Dit que la société SCT Telecom supportera les dépens d'appel.