CA Versailles, ch. com. 3-1, 7 novembre 2024, n° 22/06016
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Sportpixpress (SARL)
Défendeur :
Icon Sport (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dubois-Stevant
Conseiller :
Mme Gautron-Audic
Avocats :
Me Gourion-Richard, Me Anatrella, Me Lenotre, Me Feraud
EXPOSÉ DES FAITS
Photographe sportif, M. [M] [V] a créé, pour les besoins de la commercialisation de ses clichés, la société Sportpixpress, dont il assure la gérance.
De 2010 à août 2013, cette société a entretenu des relations commerciales avec la société Icon Sport, agence de presse, en proposant et en facturant à cette dernière des reportages photographiques réalisés par M. [V].
La société Icon Sport a ensuite salarié M. [V], en qualité de reporter photographe, du 1er septembre 2013 au 31 mars 2014.
À compter d'avril 2014, les relations commerciales entre les sociétés Sportpixpress et Icon Sport ont repris selon les modalités antérieures au contrat de travail et ce, jusqu'en avril 2015.
Expliquant avoir découvert que la société Icon Sport commercialisait ses photographies sans son autorisation sur le site internet www.iconsport.fr, M. [V] a fait dresser un procès-verbal de constat d'huissier le 25 juillet 2019.
Par courrier de son conseil du 4 septembre 2019, il a mis en demeure la société Icon Sport de lui communiquer les justificatifs démontrant l'ampleur de la diffusion et de lui faire savoir les mesures qu'elle entendait prendre afin de réparer son préjudice.
Par courrier de son conseil du 17 septembre 2019, la société Icon Sport a répondu qu'elle s'estimait fondée à exploiter les droits patrimoniaux sur les photographies litigieuses en vertu du contrat de travail passé avec M. [V] et des remises de ces clichés, opérées sous forme de dépôt aux fins de commercialisation.
Par acte du 20 novembre 2020, M. [V] et la société Sportpixpress ont fait assigner la société Icon Sport en concurrence déloyale et parasitaire devant le tribunal judiciaire de Nanterre.
Par jugement du 20 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Nanterre a :
- débouté la société Sportpixpress et M. [M] [V] de l'intégralité de leurs demandes ;
- condamné la société Sportpixpress et M. [M] [V] à payer à la société Icon Sport la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum la société Sportpixpress et M. [M] [V] aux dépens de l'instance.
Le tribunal a relevé à titre liminaire que l'objet de la demande était autant indéterminé qu'indéterminable en l'absence d'identification des clichés litigieux, qu'à le supposer déterminable, les photographies avaient été remises à la société Icon Sport, les unes, dans le cadre des relations commerciales, les autres, par M. [V] lui-même, alors qu'il était salarié de la société Icon Sport. Il a relevé, en outre, que les demandeurs qui soutiennent ne pas avoir octroyé un droit d'exploitation de ces photographies à la défenderesse, ne rapportent pas la preuve de cette assertion.
Par déclaration du 30 septembre 2022, la société Sportpixpress et M. [M] [V] ont interjeté appel de ce jugement.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 18 février 2024, la société Sportpixpress et M. [M] [V] demandent à la cour de les déclarer recevables et fondés en leur appel, de réformer le jugement entrepris en totalité. Ils sollicitent de la cour après avoir préalablement déclaré que la société Icon Sport a commis des actes de parasitisme à leur encontre, d'ordonner à celle-ci (i) de cesser toutes utilisations des photographies de M. [V] et ce, sous astreinte de 1.000 euros par infraction constatée à compter de la signification de la décision à intervenir et (ii) de communiquer les comptes chiffrés et certifiés, attestant de l'ampleur de l'exploitation illicite des photographies de M. [V] et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision à intervenir.
Ils demandent à la cour de condamner la société Icon Sport à payer, à titre de dommages et intérêts, d'une part, une somme de 118.000 euros à M. [V], en réparation du préjudice subi du fait de l'utilisation des travaux et investissements de ce dernier sans bourse délier, d'autre part, une somme de 354.000 euros à la société Sportpixpress, en réparation du préjudice subi par cette dernière du fait des conséquences économiques négatives manifestes.
Ils demandent à la cour d'ordonner la publication de la décision à intervenir dans trois journaux ou revues à choisir par les appelants, aux frais de l'intimée dans la limite de 5.000 euros H.T. par publication ainsi que la mise en ligne du dispositif de la décision à intervenir, en ayant au préalable anonymisé les prénom et nom de M. [V], sur la page d'accueil du site internet http://www.iconsport.com et sur une surface au moins égale à 30 % de celle-ci, ainsi que sur tout autre site qui lui serait substitué et ce, pendant une durée de trente jours, sous astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard et par site pendant une période de trois mois.
Ils demandent le débouté de toutes les demandes de la société Icon Sport formées tant en première instance qu'en appel.
Ils sollicitent également la condamnation de la société Icon Sport à leur verser, chacun et par instance, la somme de 4.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Me Julie Gourion, Avocat au Barreau de Versailles.
Par dernières conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA le 21 février 2024, la société Icon Sport demande à la cour de confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Elle sollicite, de plus, la condamnation in solidum de la société Sportpixpress et de M. [V] à payer à la société Icon Sport la somme de 5.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 mars 2024.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit par l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS
Sur les actes de parasitisme :
La société Sportpixpress et M. [V] font valoir que la société Icon Sport a commis des actes de parasitisme à leur détriment, en se plaçant dans leur sillage économique, captant ainsi les fruits d'effort financiers, intellectuels et promotionnels, faisant ainsi l'économie d'investissements importants, en mettant à disposition sur sa base de données les photographies, servilement reproduites sans autorisation et sans rémunération, en commercialisant auprès de tiers ces photographies, en profitant indûment de la visibilité que ces photographies lui procuraient.
Ils exposent que l'objet de leur demande est parfaitement déterminé en ce que les photographies concernées sont constituées de l'ensemble des photographies (plusieurs milliers) réalisées par M. [V] et mises à disposition sur le site de la société Icon Sport.
Ils soutiennent que ces clichés, issus de reportage sportifs nationaux et internationaux, sont le fruit d'un savoir-faire particulier lors de la prise de vue, ainsi que d'un archivage et d'une sélection avant mise à disposition de sorte qu'ils représentent une valeur économique certaine.
Ils rappellent qu'ils n'ont jamais accordé de droit d'exploitation illimité sur ces photographies. Ils opposent à l'argumentation adverse la brièveté de la durée du contrat de travail passé avec M. [V], ainsi que la nullité de la clause de cession de droit qu'il contient, à défaut pour celle-ci de respecter le formalisme imposé par l'article L.131-3 du code de la propriété intellectuelle, rappelant que les clauses de cession ne doivent pas être rédigées en termes généraux et que l'exigence de contreparties financières complémentaires au salaire prévue par la loi Hadopi n'est pas satisfaite, qu'ainsi la société Icon Sport ne peut prétendre que le versement du seul salaire lui permettait d'exploiter librement les photographies, ou qu'elle était autorisée à exploiter les photographies à l'expiration du contrat de travail sans contrepartie financière.
Ils exposent qu'outre la diffusion sur son site des photographies litigieuses, la société Icon Sport en a fait commerce auprès d'éditeurs de presse, de banques d'images, de clubs sportifs, en association avec une application de partage instantané sur les réseaux sociaux, permettant une diffusion rapide de ces clichés conduisant à l'augmentation de sa visibilité auprès des clients et prospects à leur détriment.
Ils contestent une prétendue cession des reportages pour un prix forfaitaire à l'occasion de l'émission de factures par la société Sportpixpress destinées à la société Icon Sport lesquelles ne font pas mention d'une quelconque ''cession'' et dont la modicité ne permettait pas de croire qu'elles incluaient les droits d'exploitation. Ils font valoir que la société Icon Sport ne justifie pas avoir retiré de son fonds les photographies laissées en dépôt en vue de leur éventuelle commercialisation. Ils rejettent l'argument selon lequel la photographie devient rapidement obsolète une fois l'événement sportif passé, alors qu'elle est ''universelle et intemporelle''. Enfin, ils soutiennent que la loi Hadopi, qui institue un principe de cession automatique des droits d'exploitation des journalistes au profit de leur employeur, n'a pas vocation à s'appliquer, la société Icon Sport étant une agence de presse et non une entreprise de presse et qu'au demeurant, cette exploitation doit faire l'objet d'une rémunération spécifique ce qui n'est pas le cas en l'espèce.
La société Icon Sport conteste tout acte de parasitisme.
Elle soutient que les photographies litigieuses ont été cédées soit à l'occasion de cession de reportages photographiques entre la société Sportpixpress et la société Icon Sport, soit lors d'un dépôt afin qu'elle les commercialise, soit d'une cession forfaitaire. A cet égard, elle précise détenir les droits d'exploitation des photographies prises par M. [V] dans le cadre de son contrat de travail en application du principe de cession automatique des droits d'exploitation des 'uvres des journalistes à leurs employeurs, prévu par la loi Hadopi du 12 juin 2009, et par la clause de cession de droit contenue dans le contrat de travail. Elle fait valoir que les demandeurs ne démontrent ni leur sillage économique, ni les efforts financiers, intellectuels et promotionnels dont elle aurait capté les fruits, ni l'existence d'un trouble commercial qu'ils auraient subi, pas plus que le caractère intentionnel des agissements qui leur sont imputés.
Sur ce,
Ainsi que les premiers juges l'ont rappelé, le parasitisme économique est une forme de déloyauté, constitutive d'une faute au sens de l'article 1240 du code civil, qui consiste, pour un opérateur économique, à se placer dans le sillage d'un autre afin de tirer indûment profit de ses efforts, de son savoir-faire, de la notoriété acquise ou des investissements consentis.
Celui qui se prétend victime doit, au préalable, démontrer la valeur économique, identifiée et individualisée, prétendument parasitée, au jour des actes invoqués comme étant fautifs ainsi que la volonté du tiers de se placer dans son sillage.
La cour relève que les appelants fondent leur action indemnitaire en parasitisme et concurrence déloyale sur l'absence de droit d'exploitation de photographies conféré à titre illimité à la société Icon Sport, qu'en contestant ainsi, pour l'essentiel, la cession des droits applicables aux photographies litigieuses, les appelants revendiquent l'existence d'un droit privatif sur celles-ci alors que l'action fondée sur le parasitisme suppose l'absence de droit privatif opposable, susceptible de s'appliquer à la valeur économique objet du parasitisme.
La cour est, en effet, invitée, en l'espèce, à se prononcer sur l'existence d'un droit privatif attaché aux photographies litigieuses et, le cas échéant, sur leur exploitation non autorisée alors que le non-respect d'un droit privatif n'est pas constitutif de parasitisme. Il s'ensuit que, les moyens tendant à établir l'existence de droits privatifs des appelants et l'inexistence d'une cession de droit d'exploitation à la société Icon Sport étant inopérants pour justifier une demande indemnitaire fondée sur le parasitisme, il n'y a pas lieu d'apprécier si la société Icon Sport a exploité sans autorisation les photographies.
Par ailleurs, les appelants succombent à démontrer que les milliers de photographies litigieuses, non inventoriées comme le souligne le tribunal, représentent une valeur économique identifiée et individualisée. L'affirmation des appelants selon laquelle la réalisation des clichés litigieux laisse supposer un certain investissement financier et intellectuel (le transport sur les lieux de l'épreuve sportive, l'utilisation d'un matériel particulier, le cadrage, la sélection et l'archivage) n'est pas suffisante à répondre à l'exigence d'identification et d'individualisation de la valeur économique objet du parasitisme. Le procès-verbal de constat du 25 juillet 2019 (pièce 6 - Sportpixpress) contenant un catalogue de photographies tirées du site de la société Icon Sport ne répond pas à ces conditions, de même que les factures émises entre 2010 et 2015 (pièce 3 -Sportpixpress) qui décrivent les prestations fournies (indexation, légendage, retouche) sans qu'il soit possible cependant d'établir un lien entre celles-ci et des clichés individualisés.
Enfin les appelants ne démontrent pas non plus que la société Icon Sport a tenté de se placer dans leur sillage, sans ''bourse délier'', en s'appropriant, sans autorisation, la valeur économique prétendue des clichés litigieux. En effet il est constant que les parties ont entretenu des relations (i) commerciales (depuis l'année 2010 jusqu'au 31 août 2013, puis du 1er avril 2014 jusqu'en avril de l'année 2015), (ii) de collaboration (du 1er septembre 2013 au 31 mars 2014), (pièce 4, contrat de travail ; pièce 5, bulletins de salaire - Sportpixpress ). Il n'est pas contesté par la société Sportpixpress et M. [V] qu'ils ont, dans le cadre de ces relations, procédé volontairement à la remise entre les mains de la société Icon Sport de photographies prises par M. [V] en vue de leur diffusion ou de leur exploitation par cette dernière, moyennant rémunération (factures, pièce 3 ; contrat de travail, pièce 4,- Sportpixpress) quand bien même elle serait considérée comme insuffisante par les appelants. La société Sportpixpress a émis des factures, entre le 3 novembre 2010 et le 11 avril 2015, dont elle ne conteste pas avoir reçu paiement. En qualité de salarié de la société Icon Sport (du 1er septembre 2013 au 31 mars 2014), M. [V] a perçu une rémunération pour la réalisation et la diffusion de ses photographies (articles 6 et 8 du contrat de travail).
En considération de ces éléments, le jugement entrepris sera confirmé et, en conséquence, les demandes formées par la société Sportpixpress et M. [V] rejetées.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile :
Les dispositions du jugement relatives aux dépens et à l'indemnité de procédure seront confirmées.
La société Sportpixpress et M. [V], qui succombent en leur appel, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel.
La société Sportpixpress et M. [V] seront condamnés, chacun, à payer à la société Icon Sport la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Sportpixpress et M. [V] seront déboutés de leur demande au même titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt contradictoire,
Confirme, en toutes ses dispositions, le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nanterre le 20 juillet 2022,
Y ajoutant,
Condamne, in solidum, la société Sportpixpress et M. [V] aux dépens de la procédure d'appel,
Condamne la société Sportpixpress et M. [M] [V], chacun, à payer à la société Icon Sport la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Présidente, et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.