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Décisions

CA Rennes, 3e ch. com., 12 novembre 2024, n° 24/02595

RENNES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel d'Ille et Vilaine (Sté)

Défendeur :

Selarl Gopmj (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Contamine

Conseiller :

Mme Ramin

Avocats :

Me Harel, Me Juette

T. com. Rennes, du 17 sept. 2023, n° 202…

17 septembre 2023

La société Maxicora a acquis, en sa qualité de holding, les parts sociales de la société Philuc, exploitant un restaurant à [Localité 4].

Pour le financement de l'acquisition, la société Maxicora a contracté, le17 novembre 2007, un prêt n°00021604452 auprès de la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine, ci-après CRCAM, pour un montant en capital de 225 000 euros au taux annuel révisable de 4,95 % (prenant pour index de base le TEC 5 du mois d'octobre 2007 ayant une valeur de 4,21%), remboursable en 96 mois.

Le terme du prêt était fixé au 10 novembre 2015.

Un nantissement du fonds de commerce a été pris en garantie et les époux [V], associés, se sont portés cautions.

Le 22 juillet 2009, le tribunal de commerce a ordonné l'ouverture de procédures de redressement judiciaire au bénéfice de la société Maxicora et de sa filiale.

Le 25 août 2010, le tribunal de commerce a arrêté le plan de redressement de la société Maxicora comprenant l'emprunt susvisé. Il était prévu un remboursement à hauteur de 100 % sur 9 ans courant jusqu'au 15 décembre 2018.

Le 19 février 2018, sur rapport du commissaire à l'exécution du plan, le tribunal de commerce a constaté l'achèvement du plan. Pour autant, le remboursement de la CRCAM n'était pas complet. Les paiements se sont poursuivis.

Le 15 juin 2022, les sociétés Maxicora et Philuc ont été placées en liquidation judiciaire.

La date de cessation des paiements de la société Maxicora a été fixée au 15 décembre 2020.

La société GOPMJ, prise en la personne de Mme [T], a été désignée en qualité de liquidateur judiciaire. Elle a constaté que la société Maxicora avait payé un solde de tout compte d'un montant de 35 103,65 euros à la CRCAM, par règlements des 1er et 7 mars 2022.

Par lettre recommandée du 12 juillet 2022, le liquidateur judiciaire a sollicité la restitution de cette somme faisant valoir la nullité du paiement qu'il considérait être un remboursement anticipé d'un prêt non échu en période suspecte.

Par courrier en réponse du 26 août 2022, la CRCAM a soutenu que le prêt litigieux était contractuellement échu depuis le 10 novembre 2015.

Le société GOPMJ, ès qualités, a assigné la CRCAM devant le tribunal de commerce de Rennes aux fins de constat de la nullité des paiements intervenus en période suspecte et de restitution de la somme versée au profit de la procédure collective.

Par jugement du 20 mars 2024, le tribunal de commerce de Rennes a :

- constaté la nullité de plein droit, conformément à l'article L. 632-1 du code de commerce, du versement effectué par la société Maxicora au

profit de la CRCAM à hauteur 35 103,65 euros pour dette non échue (remboursement anticipé d'un capital de prêt) intervenu en pleine période suspecte,

- ordonné en conséquence la restitution par la CRCAM de la somme indûment versée à hauteur de 35 103,65 euros au profit de la procédure collective,

- condamné la CRCAM à verser la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

- débouté la CRCAM de ses demandes,

- condamné la CRCAM aux entiers dépens.

Par déclaration du 26 avril 2024, la CRCAM a interjeté appel de ce jugement.

Les dernières conclusions de l'appelant ont été notifiées le 12 juin 2024.

Les dernières conclusions de l'intimée ont été notifiées le 11 juillet 2024.

Le ministère public a émis un avis le 13 septembre 2024.

La clôture a été ordonnée le 17 septembre 2024, avant l'ouverture des débats.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

La CRCAM demande à la cour de :

- réformer le jugement du tribunal sur tous les chefs,

- statuer à nouveau et de :

- débouter la société GOPMJ ès qualités de toutes ses demandes,

- condamner la société GOPMJ ès qualités à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société GOPMJ ès qualités aux dépens de première instance et d'appel.

La société GOPMJ, ès qualités, demande à la cour de :

- confirmer le jugement dans toutes ses dispositions,

- débouter la CRCAM de toutes ses demandes,

- condamner la CRCAM à lui verser, ès qualités, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile;

- condamner la CRCAM aux entiers dépens.

Il est renvoyé aux dernières écritures des parties visées supra pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

Le ministère public est d'avis de confirmer le jugement.

DISCUSSION

- Sur la nullité des paiements en période suspecte

La CRCAM fait valoir l'absence de nullité des paiements de la société Maxicora en sa faveur pendant la période suspecte en ce que ceux-ci correspondaient à une dette échue dont elle avait simplement accepté l'étalement.

En application des articles 1212, 1213 et 1215 du code civil, un contrat à durée déterminée peut être prorogé si les contractants en manifestent la volonté avant son expiration. Après l'expiration du terme, les parties peuvent renouveler le contrat ou le reconduire de manière tacite.

En application de l'article L. 631-14 du code de commerce renvoyant à l'article L. 622-13, les contrats en cours lors de l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire se poursuivent, malgré le défaut d'exécution par le débiteur d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture.

La société Maxicora a contracté, le17 novembre 2007, un prêt auprès de la CRCAM pour un montant en capital de 225 000 euros au taux annuel révisable de 4,95 % avec un terme fixé au 10 novembre 2015.

Le 25 août 2010, par l'effet de l'arrêt du plan de redressement, le contrat s'est poursuivi. La CRCAM a accepté une réduction du taux d'intérêt à 4 %. Le terme a été prorogé au 15 décembre 2018, date fixée pour la fin de plan.

Le constat de l'achèvement du plan a été prononcé le 19 février 2018 sans que les échéances du prêt, qui devaient courir jusqu'au 15 décembre 2018, n'aient été réglées. La CRCAM n'a pas formé tierce opposition contre le jugement constatant l'achèvement du plan.

Aucune des pièces produites ne révèle qu'un accord serait intervenu antérieurement à la survenue du terme pour une nouvelle prorogation de celui-ci.

Le contrat de prêt initial, simplement réaménagé par l'accord trouvé pour l'adoption du plan de redressement, sans novation, devait prendre fin par le seul effet de la survenance du nouveau terme fixé.

Les paiements se sont interrompus entre le 26 février 2018 et le 3 décembre 2018.

La CRCAM ne produit qu'une copie de courrier de mise en demeure adressé, le 3 décembre 2018, à la société Maxicora d'avoir à payer la somme de 145 318,05 euros faute d'avoir réglé les échéances contractuelles des prêts (prêt principal et ouverture de crédit) conformément au plan de redressement. Cette simple copie, non signée et non accompagnée de l'accusé de réception, est insuffisante à établir que le prêteur a entendu se prévaloir de l'exigibilité de la totalité de sa créance pour non-paiement des échéances après le constat de l'achèvement du plan.

De même, la CRCAM ne s'est pas prévalue de l'exigibilité de la totalité de sa créance par la survenance du terme.

Les paiements ont repris au taux revu de 4,21 % jusqu'au 27 mai 2019 selon décompte de la banque arrêté au 4 juin 2019.

La banque a ensuite transmis à sa cliente une simulation du financement prévu pour un montant de 129 910,09 euros, d'une durée de 47 mois avec une

première échéance au 15 avril 2019, au taux de 4,21 % et a établi un nouveau tableau d'amortissement mentionnant le montant des 47 échéances à venir courant jusqu'au 15 avril 2023.

Le montant correspond au capital restant dû à la date du 4 juin 2019 ; il n'est mentionné aucun intérêt moratoire sur un éventuel capital échu.

Il doit être considéré que la commune intention des parties, après la survenue du terme, a été de renouveler le prêt initial en réaménageant les modalités de paiement de la dette.

Cette commune intention des parties est renforcée par le fait que la banque n'a pas mis en 'uvre ses sûretés mais a invité les cautions à contracter un nouveau contrat d'assurance par courriers du 20 mars 2019.

Selon l'article L.632-1 I 3°du code de commerce dans sa version applicable au jour des paiements, tout paiement, quel qu'en ait été le mode, pour dettes non échues au jour du paiement est nul, lorsqu'il est intervenu depuis la date de cessation des paiements.

La date de cessation des paiements a été fixée au 15 décembre 2020.

La société Maxicora a effectué deux paiements, les 1er et 7 mars 2022, pour désintéresser de manière anticipée la banque.

Ces deux paiements anticipés, pour une dette non échue résultant du prêt renouvelé, sont nuls.

En tout état de cause, quand bien même de simples délais de paiement auraient été accordés pour une dette échue, comme le soutient la banque, celle-ci était contrainte à respecter le tableau d'amortissement. Il en résulte, à ce titre également, qu'à la date des paiements litigieux, les paiements ont concerné des échéances à venir constitutives de créances non échues.

Il convient de confirmer le jugement.

- Sur les autres demandes

Il convient de confirmer le jugement en ce qu'il a condamné la CRCAM, partie succombante, aux dépens de première instance et d'infirmer la condamnation à la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en ce que le tribunal n'a pas précisé quel était le bénéficiaire de la condamnation. Il conviendra de condamner la CRCAM à la même somme tout en précisant qu'il s'agit de la payer à la société GOPMJ ès qualités.

Succombant principalement à l'instance d'appel, la CRCAM sera condamnée aux dépens de l'appel. L'équité commande de rejeter la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile formée par la société GOPMJ.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Rennes en toutes ses dispositions soumises à la cour sauf en ce qu'il a condamné la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine au titre de l'article 700 du code de procédure civile sans préciser le bénéficiaire,

STATUANT A NOUVEAU du chef infirmé,

CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine à payer la somme de 1 500 euros à la société GOPMJ en qualité de liquidateur judiciaire de la société Maxicora au titre des frais irrépétibles de première instance ;

et Y AJOUTANT,

CONDAMNE la Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Ille et Vilaine à payer les dépens de l'appel ;

REJETTE la demande au titre des frais irrépétibles à hauteur de l'appel ;

REJETTE toutes autres demandes ;