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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 12 novembre 2024, n° 19/04413

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Pop Invest (SARL), Digitalik (SARL)

Défendeur :

Morning (SAS), Banque Edel (SNC), Cbre Conseil et Transaction (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Salmeron

Conseiller :

M. Norguet

Avocats :

Me Gilles Sorel, Me Romain Rue, Me Jérôme Carles, Me Olivier Piquemal, Me François Blangy

T. com. Toulouse, du 19 sept. 2019, n° 2…

19 septembre 2019

EXPOSÉ DU LITIGE

La SAS MORNING (anciennement dénommée PAYNAME) est une start-up qui a été créée par Monsieur [M] [Y] et a développé une activité de conception, de mise au point et de commercialisation de solutions de paiement innovantes .

Le 6 avril 2017, la SNC BANQUE EDEL (qui est une filiale à 66% de l'enseigne de grande distribution Édouard LECLERC) a pris le contrôle de la société en acquérant 79% des parts sociales auprès de différents actionnaires .

L'acte de cession du 6 avril 2017 prévoit que le prix des actions se compose d'une partie fixe - un prix unitaire de 250 € par action- et d'une partie variable dénommée «prix complémentaire» sous condition suspensive de la réalisation de la vente d'un actif immobilier de la société MORNING à un prix plancher de 700 000 € à réaliser avant le 31 décembre 2017.

Par courrier du 26 janvier 2018, la société MORNING a informé les actionnaires que l'immeuble n'avait pas trouvé acquéreur malgré les diligences réalisées par la société CBRE AGENCY et qu'aucun prix complémentaire ne serait versé.

Par ordonnance du 7 mai 2018, le président du tribunal de Commerce de Toulouse a désigné un huissier de justice avec pour mission de se rendre au siège social de la société MORNING pour se faire remettre les documents relatifs au mandat de vente confié à la société CBRE AGENCY et toutes les pièces justificatives des diligences accomplies en vue de réaliser la vente.

Suivant le procès-verbal de Me [H], huissier de justice, le mandat de vente sans exclusivité signé avec la société CBRE AGENCY le 1er juillet 2017 lui a été remis.

Par actes d'huissier des 31 octobre 2018 et 2 novembre 2018, les consorts [Y], [T] et [D] et les SARL POP INVEST et DIGITALIK ont assigné la SAS MORNING et la SNC EDEL devant le tribunal de commerce de Toulouse pour obtenir leur condamnation solidaire à leur payer différentes sommes en exécution de l'acte de cession du 6 avril 2017 en reprochant aux défendeurs de ne pas avoir respecté leurs obligations contractuelles.

Par jugement du 19 septembre 2019, le tribunal de commerce de Toulouse a :

- débouté les consorts [Y], [T], [D] et les SARL POP INVEST et DIGITALIK de leurs demandes dirigées à l'encontre de la société MORNING et de la SNC EDEL

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile

- condamné les consorts [Y], [T] ,[D] et les SARL POP INVEST et DIGITALIK aux dépens.

Par déclaration enregistrée au greffe le 9 octobre 2019, Monsieur [M] [Y],Monsieur [E] [T],Monsieur [P] [D] et les SARL POP INVEST et DIGITALIK ont interjeté appel de cette décision qu'ils critiquent en toutes ses dispositions ci-dessus indiquées.

Par ordonnance en date du 10 décembre 2020, le magistrat chargé de la mise en état a fait injonction à la société CBRE de délivrer à l' huissier chargé de signifier l' ordonnance , un certain nombre de pièces ( copie des supports des actions publicitaires entreprises pour parvenir à la vente de l'immeuble, copie du dossier de présentation du bien immobilier, copie des annonces publiées , copie des courriels relatif à la vente etc... ) et a débouté les appelants de surplus de leurs demandes.

Par acte d'huissier du 12 août 2021, les appelants ont appelé en intervention forcée la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION dont ils recherchent la responsabilité pour ne pas avoir exécuté le mandat de la société MORNING.

Par ordonnance du 21 avril 2022 , le magistrat chargé de la mise en état a :

- déclaré recevable l'appel en intervention forcée de la société CBRE

- déclaré recevables les demandes de condamnation de la société CBRE en cause d'appel

- réservé les frais irrépétibles et les dépens en fin d'instance.

Cette ordonnance a été confirmée par arrêt de la cour d'appel du 26 janvier 2023 qui a relevé que l'évolution du litige autorisait la mise en cause de cette partie à hauteur d'appel.

Au terme de leurs dernières écritures notifiées le 19 février 2024 ,Messieurs [M] [Y], [E] [T] et [P] [D] et les SARL POP INVEST et DIGITALIK demandent à la cour :

- d'infirmer le jugement du tribunal de Commerce de Toulouse du 19 septembre 2019 en toutes ses dispositions

Et statuant à nouveau,

À titre principal :

- de déclarer les sociétés MORNING aux droits de laquelle vient la BANQUE EDEL, les sociétés BANQUE EDEL SNC et CBRE CONSEIL ET TRANSACTION responsables de l'empêchement à l'accomplissement de la condition assortissant le versement du complément de prix

- de les condamner in solidum à payer aux appelants les sommes suivantes :

* 182 303,84 euros à Monsieur [M] [Y]

* 51 419,03 euros à la société POP INVEST

* 34 181,97 euros à la société DIGITALIK

* 20 450,75 euros à Monsieur [E] [T]

* 17 237,06 euros à Monsieur [P] [D]

- de condamner in solidum la BANQUE EDEL SNC et la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION à payer des intérêts au taux légal sur les sommes dues à chacun des appelants à compter du 2 novembre 2018 jusqu'à parfait paiement

- d'ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1154 du Code civil

- de condamner in solidum la société BANQUE EDEL et CBRE CONSEIL ET TRANSACTION à leur payer à chacun la somme de 7000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

- de les condamner in solidum aux entiers dépens

À titre subsidiaire, si la responsabilité de la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION ne devait pas être retenue :

- de déclarer les sociétés MORNING aux droits de laquelle vient la société BANQUE EDEL et la BANQUE EDEL responsables de l'empêchement à l'accomplissement de la condition assortissant le versement du complément de prix

- de condamner la société BANQUE EDEL à payer aux appelants les sommes suivantes :

* 182 303,84 euros à Monsieur [M] [Y]

* 51 419,03 euros à la société POP INVEST

* 34 181,97 Euros à la société DIGITALIK

* 20 450,75 euros à Monsieur [E] [T]

* 17 237,06 euros à Monsieur [P] [D]

outre les intérêts au taux légal sur les sommes dues à compter du 2 novembre 2018 jusqu'à parfait paiement et avec capitalisation des intérêts

- de condamner la BANQUE EDEL SNC à verser la somme de 10 000 € à chacun des appelants sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.

Les appelants soutiennent pour l'essentiel que les sociétés MORNING et EDEL sont des débiteurs obligés sous condition dès lors qu'il leur revenait, en application de l'article II.4 de l'acte de cession d'accomplir loyalement toutes les diligences pour vendre l'immeuble dans le délai contractuel et que faute pour eux de rapporter la preuve de l'accomplissement des diligences nécessaires ou suffisantes à la réalisation de la condition , celle-ci doit être réputée accomplie conformément aux dispositions de l'article 1304-3 du Code civil .

Pour leur part, ils prétendent rapporter la preuve que les sociétés intimées ont, par leur collusion, empêché l'accomplissement de la condition suspensive relative au paiement du prix complémentaire.

En ce qui concerne la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION ,ils lui reprochent essentiellement d'avoir délibérément manqué à ses obligations d'exécution du mandat qui lui a été confié afin d'empêcher la réalisation de la vente et le versement du prix complémentaire.

La SAS MORNING aux droits de laquelle vient aujourd'hui la BANQUE EDEL à la suite d'une transmission universelle de son patrimoine à son associé unique et la SA BANQUE EDEL ont notifié leurs conclusions le 3 avril 2024.

Elles demandent :

À titre principal, de confirmer intégralement la décision du tribunal de Commerce de Toulouse en date du 19 septembre 2019 et de débouter les demandeurs de l'ensemble de leurs demandes.

À titre subsidiaire dans l'hypothèse où la cour considérerait qu'elles n'ont pas effectué les diligences nécessaires pour que l'immeuble soit vendu, de dire et juger que la chance ainsi perdue des appelants de pouvoir prétendre à la perception du prix complémentaire présente un caractère tout à fait hypothétique et ne saurait être réparable

À titre très subsidiaire , de dire que le complément de prix ne peut être calculé que comme suit :

- pour Monsieur [Y] : 84 737,95 euros

- pour la société POP INVEST : 23 900,44 euros

- pour la société DIGITALIK : 15 888,36 euros

- pour Monsieur [T] : 9 505,86 euros

- pour Monsieur [D]: 8 012,08 euros

En tout état de cause :

- de condamner les appelants solidairement à lui verser leur verser la somme de 15 000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Les intimés soutiennent qu'ils ont réalisé toutes les démarches nécessaires pour que la cession intervienne en signant un mandat de vente au bénéfice d'une société CBRE qui est une société spécialisée d'envergure nationale, qu'ils ont exécuté loyalement les termes de la convention litigieuse dont les termes se suffisent à eux-mêmes et ne leur impose pas de moyens particuliers pour parvenir à réaliser la condition, que le délai de réalisation du mandat n'était pas irréaliste, que le prix de mise en vente était cohérent avec la valeur comptable de l'immeuble et que s'il n'a pas trouvé d'acquéreur avant la date-butoir cela ne leur est pas imputable , le prix étant en tout état de cause négociable .

Subsidiairement ils font valoir que le préjudice s'analyse en une perte de chance qui en l'espèce est inexistante car l'immeuble n'était pas vendable au prix plancher défini et a été au final vendu à un prix bien moindre. Très subsidiairement ils demandent de diminuer le prix complémentaire du montant de passif nouveau révélé en application de l'article IV.1 de la convention.

La société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION a notifié ses dernières écritures le 25 mars 2024.

Elle demande à la cour,sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, et des articles 122 et 555 du code de procédure civile :

- de juger irrecevable en l'absence d'évolution du litige la justifiant, la demande d'intervention forcée à hauteur d'appel formée par Messieurs [Y], [T],[D] et les sociétés POP INVEST et DIGITALIK à son encontre

- de juger irrecevables en raison de l'absence de qualité d'intérêt à agir, les demandes formées par les appelants à son encontre

- de les débouter de l'ensemble de leurs demandes

- de condamner Messieurs [Y],[T],[D] et les sociétés POP INVEST et DIGITALIK à lui payer la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés au profit de Me PIQUEMAL en application de l'article 699 du code de procédure civile.

Elle fait valoir qu'aucune des trois conditions de sa responsabilité extra-contractuelle ne sont réunies en l'absence de faute démontrée dans l'exécution de son mandat alors qu' elle n'est pas responsable de l'éventuelle carence de son mandant à mettre en place des mesures nécessaires pour optimiser les chances de vente du bien avant la date butoir prévue à l'acte de cession , qu'aucune collusion n'est établie avec les sociétés MORNING et BANQUE EDEL et que de surcroît les appelants ne justifient d'aucun préjudice en lien de causalité avec son intervention, le prix espéré étant purement hypothétique puisqu'en réalité le bien a été vendu le 19 décembre 2020 pour un prix moindre de 468 000 €.

Il y a lieu de se reporter expressément aux conclusions susvisées pour plus ample informé sur les faits de la cause, moyens et prétentions des parties, conformément à l'article 455 du code de procédure civile ;

L'ordonnance de clôture est en date du 13 mai 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande de prix complémentaire :

L'article II 4.2 de l'acte de cession conclu le 6 avril 2017 prévoit au paragraphe « prix complémentaire » :

- que les parties conviennent que le prix de cession des actions cédées par les cédants contient une partie variable dénommé « le prix complémentaire »

- que la société dispose d'un actif immobilier situé [Adresse 11].

- qu'il a été convenu par l'ensemble des parties de la nécessité de mettre en vente le bien immobilier qui ne pourra pas être mis en vente pour un prix inférieur à 700 000 €

- que dans l'hypothèse où la vente immobilière telle que définie ci-avant ne sera pas réalisée ou en cours de réalisation avant le 31 décembre 2017, aucun prix complémentaire ne sera dû .

L'article 1304-3 du Code civil dispose que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y a intérêt en a empêché l'accomplissement.

Par ailleurs les conventions légalement formées doivent être négociées, conclues et exécutées de bonne foi.

Les appelants soutiennent que les cessionnaires n'ont pas accompli de diligences raisonnables et suffisantes pour parvenir à la réalisation de la vente dans le délai fixé et ne peuvent justifier de leur bonne foi dans l'exécution de l'acte de cession puisqu'ils ont donné mandat de vente tardivement à l'agence CBRE (le 24 octobre 2017 et non pas le 1er juillet 2017 comme ils le prétendent) pour un prix supérieur de 36 % au prix plancher et ne justifient d' aucune démarche sérieuse de commercialisation.

Il incombe au créancier d'une obligation sous condition suspensive de prouver que le débiteur a empêché la réalisation de celle-ci.

Si la réalisation de la condition requiert une initiative du débiteur, il appartient à ce dernier d'établir que la défaillance de la condition ne lui est pas imputable.

Il est fait valoir à juste titre par les appelants que, eu égard à l'importance du prix complémentaire dans l'économie générale du contrat, les sociétés MORNING et EDEL devaient accomplir toutes les diligences nécessaires pour parvenir à la vente, conformément aux stipulations contractuelles .

Il résulte des documents recueillis au sein l'agence CBRE à la suite de l'ordonnance délivrée par le président du tribunal judiciaire de Paris le 18 février 2021 que le mandat de vente n'a pas été signé le 1er juillet 2017 contrairement à ce qui est prétendu puisque les documents préparatoires n'ont été communiqués par le mandant que le 1er août 2017 et que le mandat n'a été officiellement enregistré au sein de l'agence que le 24 octobre 2017. Le document fourni est donc antidaté .

Or le mandat ne peut être mis à exécution tant qu'il n'est pas enregistré ce qui laisse un délai très court pour rechercher un acquéreur puisque la date butoir est fixée au 31 décembre 2017. Ainsi le délai de prospection est passé d'environ huit mois à seulement deux mois ce qui rend plus aléatoire la réalisation de la condition.

Le mandat de vente donné à l'agence CBRE moyennant un prix hors-taxes de 950 000 € n'est pas non plus conforme aux caractéristiques définies dans la convention qui prévoit un prix plancher de 700 000 €. Les intimés ne justifient pas des raisons pour lesquelles ils ont fixé un prix de présentation substantiellement supérieur alors que l'immeuble a été valorisé à un montant de 752 000 € au terme d'une expertise privée réalisée par Mr [N] 8 jours auparavant ( le 29 mars 2017) et que cette valorisation a nécessairement guidé les cessionnaires lorsqu'ils ont proposé de fixer le montant du prix complémentaire en fonction de la réalisation de l'actif immobilier.

Il n'est pas sérieux de prétendre que la somme de 950 000€ correspond peu ou prou à la valeur comptable de l'immeuble (1 009 895€) alors qu'un prix de cession dépend de la valeur du marché et est nécessairement décorrélé de sa valeur comptable.

Il est à noter qu'au final le bien a été vendu le 4 octobre 2020 pour un prix de 450 000 €HT soit une décote de plus de 50 % par rapport au prix du mandat, ce qui démontre que le prix de présentation était excessif et n'était pas de nature à favoriser une vente rapide dans le délai très court fixé par la convention .

Si les intimés indiquent dans leurs écritures avoir été disposés à négocier une baisse du prix avec un éventuel acquéreur, rien ne permet d'étayer de telles affirmations puisqu'ils n'ont conservé la trace d'aucun contact ni négociation avant la date butoir du 31 décembre 2017 .

L'expert immobilier consulté par les appelants,Madame [G], a souligné le caractère irréaliste d' une marge de négociation de 198 000 euros (pour un bâtiment valorisé à 752 000 euros) laquelle ne correspond pas à la réalité du marché de l'immobilier d'entreprise sur la commune considérée et pénalise d'éventuels investisseurs privés.

En tout état de cause, les déclarations du directeur général de la société MORNING permettent de douter des intentions du cessionnaire de respecter ses engagements contractuels puisque dès le 25 octobre 2017, il déclarait dans un quotidien économique régional que la société n'entendait pas se séparer de son siège social à [Localité 10] à bref délai, en précisant : « nous y sommes bien...nous n'y resterons pas forcément à terme si l'activité croît, mais nous y serons au moins jusqu'en 2019 », ce qui est en contradiction avec les termes du protocole.

Enfin il est contradictoire de soutenir que le bien était en réalité invendable du fait de ses multiples défauts de conception et de sa situation et de l'avoir mis en vente pour un prix excédent de 26 % la valeur vénale définie par leur expert immobilier en sorte que cet argument ne peut prospérer.

Il en résulte que les cessionnaires qui n'ont respecté ni le délai convenu pour mettre en vente le bien ni le prix de présentation fixé dans la convention ne peuvent prétendre avoir loyalement exécuté leurs obligations contractuelles.

Par ailleurs ils ne justifient d'aucune diligence sérieuse pour parvenir à l'accomplissement de la condition.

En effet ils ont choisi une agence située à [Localité 8] pour vendre un immeuble de bureaux dans une zone excentrée du sud du département de [Localité 7]. Ce choix particulier au détriment de professionnels locaux rendait plus aléatoire la recherche d'éventuels prospects, ce dont est convenu le directeur de l'agence CBRE, Monsieur [S] [F], qui a indiqué à l'huissier instrumentaire lors du constat établi les 18 mars et 1er juin 2021 « qu'en l'absence de loyer et d'engagement de durée des occupants et également du fait de l'emplacement du bien, il n'y a pas eu d'émulation sur le dossier qui avait une faible chance d'aboutir chez CBRE . Il n'y avait pas non plus de visite possible ».

Monsieur [F] précise dans un mail en date du 8 novembre 2018 adressé à sa correspondante au sein de la société MORNING, que les retours n'ont pas été positifs pour plusieurs raisons :

- «l'actif est très éloigné de la métropole toulousaine et se situe dans un secteur sur lequel le marché tertiaire est totalement inexistant et donc inintéressant pour nos clients

- la situation locative n'est pas très claire à ce stade : un propriétaire occupant ayant une volonté de déménagement à court terme, sans loyer déterminé et surtout sans repreneur potentiel

- le prix annoncé de 900 000 € hors-taxes a été un sérieux frein à la commercialisation et cela même si nous avons bien évidemment laissé entendre qu'une négociation était possible.

Nous avons donc orienté nos recherches vers des clients potentiellement utilisateurs mais là encore, la situation géographique de l'actif, son occupation d'une durée imprécise ainsi que le prix de présentation ont été autant de blocages pour les investisseurs sollicité».

Alors que la société CBRE devait , au terme du mandat , créer un dossier de présentation, le diffuser aux prospects, poser un panneau sur le bien immobilier, publier une annonce sur les sites dédiés de CBRE et le portail immobilier WEBIMM SELOGER, envoyer des mailings aux prospects et enfin établir tous les trimestres un rapport de commercialisation écrit ,il résulte des courriels échangés le 13 janvier 2021 entre le directeur de l'agence et sa direction juridique :

- qu'il n'a conservé aucune des pièces demandées ni note ni échange sur ce sujet en 2017

- qu'aucune visite n'a été accordée préalablement à la régularisation du mandat

- que côté utilisateurs, le dossier n'a pas été travaillé

- qu'en ce qui concerne le nom des investisseurs cités de mémoire, « il souhaite savoir au préalable s'ils allaient être contactés afin de les en avertir car il est fort probable qu'ils n'aient pas le souvenir de cette opportunité proposée il y a plus de trois ans»,

ce qui confirme la légèreté avec laquelle le mandataire a exécuté son mandant puisqu'il n'a conservé aucune archive et se trouve bien en peine de justifier de quelques contacts que ce soit.

Enfin les sociétés MORNING et EDEL n'ont elles-mêmes mis en 'uvre aucune diligence personnelle pour parvenir à la vente alors que mandat n'était pas exclusif . Elles se sont contentées d'adopter une attitude attentiste malgré la recommandation de leur agent immobilier qui préconisait de s'adresser à des interlocuteurs locaux et ne justifient d'aucune annonce publiée sur le net ni de recherches particulières auprès d'un autre mandataire pour accroître les chances de parvenir à la vente, démarches qu'elles ont pourtant mise en 'uvre lorsqu'elles ont décidé de vendre le bien en 2019.

Les sociétés intimées ne peuvent donc prétendre avoir satisfait à leurs obligations alors qu'elles se sont contentées de signer un seul mandat de vente très tardivement dans les conditions sus rappelées et ne justifient d' aucune diligence ni effort pour céder le bien dans le délai contractuel.

En définitive il résulte des éléments de preuve rapportés que les sociétés MORNING et EDEL ont adopté un comportement déloyal qui a empêché la réalisation de la condition suspensive .

Les appelants sont donc fondés à demander le versement du complément de prix et le jugement qui les a déboutés de leurs réclamations sera réformé en toutes ses dispositions.

Sur la responsabilité de la société CBRE

Il sera observé que par ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 21 avril 2022 confirmé par arrêt du 26 janvier 2023,il a été jugé que l'intervention forcée de la société CBRE en cause d'appel est recevable sur le fondement de l'article 555 du code de procédure civile et que les appelants ont intérêt et qualité à agir à l'encontre de ladite société en vue d'établir une faute délictuelle pour défaut d'exécution de ses propres obligations contractuelles de sorte que cette décision étant revêtue de l'autorité de chose jugée, ces moyens ne peuvent plus être soulevés devant la cour statuant sur le fond du droit.

Les appelants engagent la responsabilité extra-contractuelle de la société CBRE au motif qu'elle a commis des fautes en acceptant un mandat qu'elle ne pouvait manifestement pas mener à bien puisqu'elle savait que le prix proposé (900 000 €) était manifestement excessif par rapport à l'évaluation de 752 000€ réalisée en mars 2017. Ils lui reprochent d'avoir tardé à signer le mandat de vente qui ne l'a été qu'en octobre 2017 alors que le mandat mentionne faussement la date du 1er juillet 2017 et d'avoir agi en collusion avec les sociétés MORNING et la BANQUE EDEL pour empêcher la vente du bien, objet du mandat et le versement du prix complémentaire.

Le tiers à un contrat peut invoquer, sur le fondement de la responsabilité délictuelle, un manquement contractuel dès lors que ce manquement lui cause un dommage .

En l'espèce c'est à bon droit que la société CBRE fait valoir qu'elle n'est pas partie à la convention de cession d'actions et qu'en sa qualité de mandataire, elle ne peut être tenue des carences ou des manquements de son mandant vis-à-vis des tiers sauf à établir une faute personnelle leur ayant occasionné un préjudice.

Il ne peut être sérieusement soutenu que le mandat était fictif et que la société CBRE ne l'a accepté que pour préserver sa relation commerciale avec le groupe Édouard LECLERC auquel appartient la SA BANQUE EDEL alors qu'il a été dûment enregistré conformément à ses obligations professionnelles et qu 'elle est spécialisée dans les transactions de ce type sur tout le territoire national.

Si elle a accepté un mandat qui était manifestement peu susceptible d'aboutir aux conditions fixées, compte tenu des caractéristiques du bien qu'elle a elle-même analysés dans ses différents courriels, et a été négligente dans la recherche de prospects et d' investisseurs dont elle n' a gardé aucune trace au mépris de ses obligations professionnelles, rien ne permet de retenir qu'elle a commis une faute qui est en lien avec le dommage subi par les appelants dès lors que le mandat n'est pas exclusif et qu'il appartient au seul mandant d'effectuer les diligences requises pour permettre la réalisation de la condition suspensive dans les délais impartis.

A cet égard, la société CBRE fait valoir à juste titre qu'elle n'est pas responsable du fait que son mandataire ne lui a fourni aucune information sur le maintien dans les lieux de l'occupant ou son départ prochain et qu'il n'a pas été possible d'organiser des visites de potentiels acquéreurs sur place compte tenu du climat social au sein de l'entreprise, tous éléments dépendants du seul mandant.

Ce dernier demeure ainsi seul responsable de la fixation du prix de vente qu'il a volontairement fixé à un prix substantiellement supérieur à la valeur fixée par son propre expert immobilier et il ne peut être fait grief à la société CBRE d'avoir avalisé ce montant dès lors qu'il n'est pas démontré qu'elle avait connaissance du protocole d'accord conclu entre les parties et partant, une conscience suffisante des enjeux concernant la fixation d'un prix complémentaire au bénéfice des cédants et le respect du bref délai de commercialisation qui y était stipulé.

Enfin sa collusion avec les intimés ne peut être établie par le seul fait qu'elle a l'habitude de travailler avec les sociétés du GROUPE LECLERC et tient à préserver sa collaboration avec un client important .

Dès lors il y a lieu de rejeter l'action en responsabilité engagée à son encontre.

Par contre la résistance de la société CBRE à fournir les justificatifs réclamés s'évince du rappel de la procédure tel qu'exposé dans l'arrêt du 26 janvier 2023 puisqu'elle a délibérément refusé de déférer à la sommation interpellative du 21 novembre 2019 et qu'il a fallu pas moins de deux ordonnances et l'intervention d'un huissier de justice à son siège social pour parvenir à obtenir les documents et correspondances relatifs au mandat qui lui a été confié.

Elle sera condamnée à supporter tous les frais relatifs à l'ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 10 décembre 2020 et de l'ordonnance présidentielle du 18 février 2021 , y compris les frais de constat de Me [V], huissier de justice à [Localité 8] en date des 18 mars et 1er juin 2021 Les dépens liés à son intervention forcée à la procédure régularisée le 12 août 2020 seront également mis à sa charge.

Compte tenu des circonstances ci-dessus rappelées, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a exposés pour assurer sa représentation en justice.

Sur le préjudice :

Selon l'acte de cession d'actions, le prix complémentaire est fixé au prorata des actions cédées dans la limite de 500€ par titre.

Il est diminué de toute augmentation de passif ou apparition de passif nouveau ou tout engagement hors bilan notamment fiscal et social et ayant son origine antérieurement à la date de cession qui viendrait à se révéler postérieurement à celle-ci et qui n'aurait pas été comptabilisé ou insuffisamment provisionné ou expressément porté à la connaissance du cessionnaire .

En matière contractuelle, la victime doit être replacée dans la situation où elle se serait trouvée si le fait générateur ne s'était pas produit c'est-à-dire si le contrat avait été loyalement exécuté.

La cour n'a donc pas à déterminer si la vente au prix plancher était ou non réalisable mais à tirer les conséquences du fait que les débiteurs de l'obligation ont par leur faute, empêché la réalisation de la condition.

L'article 1304-3 du Code civil sanctionnant le manque de loyauté de la partie obligée sous condition suspensive en réputant la condition purement et simplement réalisée lorsqu'elle a défailli par sa faute, la cour ne peut suivre les sociétés intimées lorsqu'elles soutiennent que le préjudice consiste en une perte de chance de percevoir le prix complémentaire fixé par la convention puisque le bien n'a pas été vendu au prix plancher mais à un prix bien moindre.

Il sera observé en tout état de cause que contrairement à ce qu'elles prétendent, la stipulation contractuelle fixant le prix de vente à 700 000€ n'est pas impossible à réaliser puisque ce montant est déterminé par référence à l'expertise de Monsieur [N] qu'ils ont fait diligenter quelques jours avant la signature de l'acte de cession lequel valorise l'immeuble à 752 000€.

Il est soutenu à titre subsidiaire par les intimés que le montant du préjudice réclamé doit être diminué des passifs nouveaux révélés au cessionnaire et qu'ils peuvent présenter une telle demande à tout moment dès lors qu'en application de l'article IV.7, ils n'ont pas perdu ce droit bien qu'ils n'aient pas avisé les cédants dans le délai de 30 jours de l'existence d'événements susceptibles d'impacter le prix complémentaire.

Ils demandent, par voie de conséquence, de compenser le prix complémentaire de 700 000€ avec les passifs nouveaux évalués à 374 625,60€ soit une somme de 325 374€ à répartir au prorata du nombre d'actions détenues par chaque actionnaire.

L'article IV 4 du protocole relatif à la garantie de passif impose au cessionnaire de notifier tout passif nouveau par lettre recommandée avec demande d'avis de réception dans un délai de 30 jours à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de la survenance de l' événement.

Les intimés qui n'ont pas mis en 'uvre la garantie de passif de façon régulière faute de notification ne peuvent donc s'en prévaloir.

Quant à la clause dite de tolérance ou de non renonciation figurant à l'article IV. 7 en vertu de laquelle « le défaut d'exercice partiel ou total de l'un quelconque des droits résultant des stipulations de la présente garantie ne pourra en aucun cas être considéré comme valant renonciation au bénéfice de ce droit pour l'avenir » ne saurait dispenser le cessionnaire de respecter la procédure et les délais de notification avant de mettre en 'uvre la garantie de passif .

Il sera en conséquence constaté que les intimés sont hors délai pour mettre en 'uvre la garantie de passif sans qu'il soit nécessaire d'examiner les contestations soulevées à ce sujet .

En définitive il y a lieu de faire droit à la demande et de condamner les sociétés MORNING et BANQUE EDEL à payer aux appelants les sommes réclamées comme suivant :

* 182 303,84 euros à Monsieur [M] [Y]

* 20 450,75 euros à Monsieur [E] [T]

* 17 237,06 euros à Monsieur [P] [D]

* 51 419,03 euros à la société POP INVEST

* 34 181,97 euros à la société DIGITALIK

outre les intérêts au taux légal sur les sommes dues à compter de la présente décision jusqu'à parfait paiement et avec capitalisation par année entière.

Sur les autres demandes :

Il serait inéquitable de laisser à la charge des appelants partie des frais irrépétibles qu'ils ont exposés pour assurer leur représentation en justice . Compte tenu de la complexité de la procédure, il leur sera alloué à chacun la somme de 3000 €.

La partie qui succombe doit supporter les entiers dépens de première instance et d'appel et ne peut se voir allouer aucune indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant après en avoir délibéré,

Infirme le jugement du tribunal de commerce en date du 19 septembre 2019 en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que Messieurs [M] [Y], [E] [T], [P] [D] et les sociétés POP INVEST et DIGITALIK sont recevables en leur action dirigée à l'encontre de la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION,

Au fond les déboute de l'ensemble de leurs demandes formées à l'encontre de la société CBRE CONSEIL ET TRANSACTION,

Condamne les sociétés MORNING et BANQUE EDEL à payer à Messieurs [M] [Y], [E] [T], [P] [D] et aux sociétés POP INVEST et DIGITALIK, à titre de complément de prix, les sommes suivantes :

* 182 303,84 euros à Monsieur [M] [Y]

* 20 450,75 euros à Monsieur [E] [T]

* 17 237,06 euros à Monsieur [P] [D]

* 51 419,03 euros à la société POP INVEST

* 34 181,97 euros à la société DIGITALIK

augmentées des intérêts au taux légal à compter de la présente décision jusqu'à parfait paiement, avec capitalisation des intérêts par année entière,

Condamne la SAS CBRE CONSEIL ET TRANSACTION à supporter les dépens liés à son appel en intervention forcée délivré le 12 août 2021 ainsi que ceux liés à l'ordonnance du magistrat chargé de la mise en état du 10 décembre 2020 et de l'ordonnance présidentielle du 18 février 2021 , en ce compris les frais de constat de Me [V], huissier de justice à [Localité 8] en date des 18 mars et 1er juin 2021,

Condamne les sociétés MORNING et BANQUE EDEL à payer à chacun des appelants la somme de 3000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ,

Déboute les parties du surplus de leurs demandes,

Condamne les sociétés MORNING et BANQUE EDEL aux entiers dépens de première instance et d'appel.