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Décisions

CA Montpellier, 5e ch. civ., 12 novembre 2024, n° 21/07356

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Fillioux

Conseillers :

M. Garcia, Mme Strunk

Avocats :

Me Laurent, Me Calafell

TJ Montpellier, du 14 déc. 2021, n° 21/0…

14 décembre 2021

Faits, Procédure et Prétentions :

Le 1er avril 2004 Monsieur [P] [Y] a donné à bail précaire à Monsieur [T] [J], afin qu'il exerce une activité de restauration saisonnière, un local situé [Adresse 5] à [Localité 10] pour une durée de 6 mois c'est à dire jusqu'au 30 septembre 2004, puis par un nouveau bail précaire signé entre les parties le 1er avril 2005 pour se terminer le 30 septembre 2005.

Par jugement du 13 février 2014, le tribunal de grande instance de Montpellier saisi par M. [J] a validé l'accord non daté des parties aux termes duquel le locataire s'engageait à réaliser des travaux en contrepartie de la souscription d'un bail commercial, les dits travaux ayant été réalisé et condamné Monsieur [Y] à soumettre à Monsieur [J], un bail commercial conforme aux dispositions des articles L145-1 et suivants en indiquant qu'il appartenait aux parties de trouver un accord sur le prix et à défaut d'accord de saisir le juge des loyers commerciaux.

Par ordonnance de référé du 15 janvier 2015, le juge des référés du tribunal de grande instance de Montpellier saisi par M. [J] afin de voir désigner un expert pour donner son avis sur la valeur locative des lieux, a dit n'y avoir lieu à expertise.

Par arrêt infirmatif du 14 janvier 2016, la cour d'appel de Montpellier a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. [L] afin de donner son avis sur la valeur locative des lieux

Le 13 septembre 2017, l'expert judiciaire a déposé son rapport au terme duquel il a évalué la valeur locative du local à la somme annuelle de 6 799euros.

Par acte du 19 juillet 2019, Monsieur [J] a assigné Monsieur [Y] devant le tribunal de grande instance de Montpellier afin, notamment, de voir dire et juger prescrite l'action pour fixer le loyer et signer un nouveau bail et subsidiairement de fixer le loyer au prix de 6 799 €.

Par ordonnance du 18 septembre 2020, confirmée par arrêt du 6 mai 2021, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Montpellier s'est déclaré incompétent au profit du juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Montpellier.

Par acte du 20 mai 2020, Monsieur [P] [Y] a fait délivrer assignation à Monsieur [J] devant le juge des loyers commerciaux afin de voir fixer le montant du loyer du bail à intervenir à la somme de 15 000€ hors taxes et hors charges.

Par jugement du 14 décembre 2021, le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Montpellier a :

DIT sans objet la demande d'irrecevabilité du mémoire n°2 du défendeur soutenu par Monsieur [Y] ;

DÉCLARÉ irrecevable par l'effet de la prescription l'action en fixation du loyer du bail commercial liant Monsieur [Y] à Monsieur [J] ;

CONDAMNE Monsieur [P] [Y] à payer à Monsieur [J] la somme de 1 500€ par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

CONDAMNE Monsieur [P] [Y] aux entiers dépens.

Le juge a retenu qu'il résulte des pièces produites par les parties et notamment du jugement du tribunal de grande instance du 13 février 2014 et du rapport d'expertise judiciaire du 13 septembre 2013 que les parties ont régularisé plusieurs baux dérogatoires saisonniers souscrits entre 2008 et 2011, qu'à l'issue du dernier bail, Monsieur [J] est resté dans les lieux et qu'un écrit a été régularisé entre les parties s'accordant pour régulariser un contrat de bail commercial, que ce document dépourvu de date est nécessairement antérieur au jugement du 13 février 2014 qui y fait expressément référence, que dès lors, la date de la demande d'application du statut des baux commerciaux a été formée par Monsieur [J], au plus tard, le 6 juin 2012, date à laquelle il a fait délivrer l'assignation devant le tribunal judiciaire à Monsieur [Y] visant à valider l'accord des parties, qu'il en résulte que le délai de prescription biennal était largement écoulé lorsque Monsieur [Y] a introduit, le 20 mai 2020, la présente action en fixation du loyer du bail commercial.

Le 22 décembre 2021, M. [P] [Y] a interjeté appel de cette décision.

Par écritures déposées le 16 mars 2022, M. [Y] [P] demande à la cour de :

INFIRMER le jugement rendu par le Juge des loyers commerciaux du Tribunal judiciaire de MONTPELLIER en date du 14 décembre 2021 en ce qu'il a :

'DIT sans objet la demande d'irrecevabilité du mémoire n°2 du défendeur soutenu par Monsieur [Y] ;

DÉCLARÉ irrecevable par l'effet de la prescription l'action en fixation du loyer du bail commercial liant Monsieur [Y] à Monsieur [J] ;

CONDAMNE Monsieur [P] [Y] à payer à Monsieur [J] la somme de 1.500€ par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE Monsieur [P] [Y] aux entiers dépens.'

STATUANT À NOUVEAU :

DÉCLARER recevable l'action de Monsieur [Y] en fixation du loyer du bail à intervenir;

DÉCLARER que le bail commercial à intervenir doit être fixé à la valeur locative ;

FIXER le montant du loyer du bail à intervenir à la somme en principal de 15.000 € HT HC /an;

A titre subsidiaire :

DESIGNER tel expert qu'il plaira, aux frais avancés par Monsieur [T] [J] ou à défaut par moitié par les deux parties, ayant la mission habituelle du Juge des Loyers et notamment

DÉTERMINER la valeur locative du local dont s'agit ;

FIXER un loyer provisionnel pendant la durée de l'instance jusqu'à la fin de la procédure définitive en fixation du loyer à la somme de 15.000 € HT HC / an ;

En toutes hypothèses :

DÉCLARER irrecevable le mémoire n° 2 de Monsieur [T] [J] ;

DÉBOUTER Monsieur [T] [J] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions;

CONDAMNER Monsieur [T] [J] au paiement de la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel.

Il soutient qu'en application de l'article R.145-23 du Code de commerce, à défaut d'accord entre les parties, seul le Président du Tribunal judiciaire de MONTPELLIER est compétent pour fixer le montant du loyer d'un bail commercial, qu'il ne fait aucun doute que Monsieur [Y] peut solliciter, à défaut d'accord avec Monsieur [J], de voir fixer le prix du loyer du bail commercial à intervenir en exécution dudit jugement, qu'en conséquence, la Cour d'appel de Céans infirmera le jugement rendu en ce qu'il a jugé prescrite l'action de Monsieur [Y].

Il fait valoir que les locaux sont situés [Adresse 5] à [Localité 10], que le local dont s'agit est en très bon état, la façade principale étant entièrement faïencée et qu'à l'intérieur, les plafonds sont peints et le sol est carrelé, que la terrasse comporte une partie couverte et une partie découverte, dont le sol est entièrement dallé, que les locaux sont situés commune de [Localité 10], station balnéaire caractérisée par une affluence touristique très importante, que les locaux se situent en plein centre-ville de [Localité 10], entourés de nombreux commerces, sur une place très fréquentée, que l'immeuble bénéfice d'une situation commerciale valorisante, que l'expertise, qui a eu lieu en 2017, ne peut permettre l'évaluation actuelle de la valeur locative des locaux, objet du bail à intervenir, que par ailleurs, la fixation par l'expert de la valeur locative des locaux à la somme annuelle de 6.799euros par comparaison avec les prix pratiqués par le voisinage manque inéluctablement de sérieux au regard de la qualité de l'emplacement, de la nature des locaux et des activités exercées, que la valeur locative peut être fixée à 15.000 €/an, ainsi que l'a évaluée l'Agence Méditerranée, expert en immobilier.

Enfin il ajoute que le mémoire produit par l'intimé le 4 septembre 2021 sans bordereau de pièces est irrecevable.

Par écritures déposées le 19 août 2024, M. [T] [J] demande à la cour de :

Vu les premières écritures de M. [Y] déposées devant la cour d'appel de Montpellier,

DIRE et JUGER que celles-ci ne précisent pas à partir de quelle date, le loyer doit être fixé, s'il s'agit d'un bail renouvelé,

DIRE et JUGER la demande imprécise, indéterminée par rapport à la date de référence,

CONFIRMER la décision déférée,

DIRE et JUGER les mémoires déposés par l'intimé est recevables, (sic)

DIRE et JUGER prescrite l'action en fixation du prix du loyer des locaux, objet du bail, en application de l'article L 145-60 du Code de commerce,

Très subsidiairement,

FIXER le prix du loyer selon les termes du rapport déposé par Monsieur [F], soit 6 699euros,

Sur l'appel incident,

VU la durée des procédures, l'impossibilité pour l'intimé de prendre sa retraite, eu égard son âge,

CONDAMNER Monsieur [Y] à payer à Monsieur [J], la somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts et 7.000 € à titre de dommages et intérêts ainsi qu'aux entiers dépens.

Il soutient que par différents contrats, le concluant est demeuré dans les lieux durant près de 12 ans, que le jugement du 13 février 2014 précise: « Condamne Monsieur [P] [Y] à soumettre un bail conforme aux dispositions des articles L. 145-1 et suivants du Code de commerce.», que Monsieur [Y] n'a jamais communiqué un bail à Monsieur [J], que le jugement prononcé par le Tribunal de Grande Instance le 13 février 2014 n'a pas fixé la date à laquelle le bail commercial prendrait effet, pas plus qu'il n'a pas fixé un prix de loyer, que le concluant a demandé au premier Juge de fixer la date de renouvellement de bail à 2012, c'est-à-dire, au jour de la saisine de la première juridiction par le concluant qui a abouti, par la suite, à une décision prononcée le 13 février 2014, que l'action en fixation du prix de Monsieur [Y] est manifestement prescrite, car elle n'a pas été introduite dans les deux ans du jugement du 13 février 2014.

Il fait valoir également que si la Cour d'appel devait estimer que l'action n'est pas prescrite, et est recevable, justifiée et fondée, il apparaît que l'expert judiciaire a proposé un prix du loyer à partir des éléments en sa possession, ayant donné lieu à un rapport d'expertise en 2017, que le bailleur ne justifie d'aucun élément particulier pour pouvoir prétendre à une fixation d'un loyer supérieur au prix proposé par l'expert judiciaire.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 2 septembre 2024.

Motifs

1) Sur le contrat de bail commercial :

Le contrat de bail commercial ne requiert aucun formalisme particulier et peut être verbal sans que l'application du statut des baux commerciaux en soit affectée.

Le tribunal de grande instance de Montpellier a considéré par jugement définitif du 13 février 2014 que le document écrit et signé par les parties, intitulé ' contrat d'accord' constituait un bail commercial valide puisqu'il relatait les éléments essentiels du contrat de bail, nonobstant l'existence d'un accord sur le prix du loyer annuel. Cette décision, à l'encontre de laquelle aucun recours n'a été intenté, bénéficie aujourd'hui de l'autorité de la chose jugée et s'impose à la présente juridiction.

Le tribunal de grande instance de Montpellier dans la décision sus visée a renvoyé les parties, sauf accord, à saisir le juge des loyers commerciaux pour voir déterminer le montant du loyer commercial.

En application des dispositions de l'article L145-60 du code de commerce, toutes les actions nées spécifiquement de l'application du statut des baux commerciaux sont soumises à une prescription biennale, notamment l'action en fixation du prix du bail.

Ainsi que l'a retenu à raison le juge de première instance, faute d'accord écrit des parties sur cet élément, il convient de retenir que le bail commercial, qui résulte de l'accord des parties constaté le 13 février 2014, a au moins débuté le 6 juin 2012, date de l'assignation déposée par M. [J] devant le tribunal judiciaire de Montpellier visant à faire valider l'accord entre les parties intervenu nécessairement antérieurement à cette date.

La durée du bail commercial est de neuf années, sauf accord des parties pour une durée supérieure, mais ne peut être inférieure à neuf années. En l'espèce, en l'absence de tout élément sur la durée du bail, il convient de considérer que le bail à effet à compter du 6 juin 2012 s'est prorogé par tacite reconduction à compter du 6 juin 2021 pour une nouvelle période de 9 années et aux mêmes clauses et condition y compris le prix, en l'absence de tout acte contraire.

L'action en fixation du loyer du bail aurait dû être engagée avant le 6 juin 2014 en application du délai biennale alors que la présente action a été engagée par assignation délivrée le 20 mai 2020. Fort de ces constatations, M. [J] soulève la prescription de l'action engagée.

Il existe quatre causes d'interruption de la prescription extinctive : la reconnaissance du droit par le débiteur, la demande en justice, la mesure conservatoire ainsi que l'acte d'exécution forcée. Les effets et la portée de l'interruption de prescription sont caractérisés par les dispositions de l'article 2242 du code civil selon lesquelles 'l'interruption résultant de la demande en justice produit ses effets jusqu'à l'extinction de l'instance'. Toutefois, une citation en justice n'interrompt la prescription que si elle est signifiée par le demandeur lui-même au défendeur qui se prévaut de la prescription. Ainsi la prescription n'est pas interrompue par l'assignation signifiée par la partie qui se prévaut de la prescription à celui contre lequel elle prétend avoir prescrit. Pour interrompre la prescription, une citation en justice doit être signifiée à celui que l'on veut empêcher de prescrire.

Ainsi en l'espèce, même à considérer que l'assignation délivrée le 24 novembre 2014 par M. [Y] a interrompu la prescription jusqu'au 13 septembre 2017, date de la remise du rapport d'expertise, en vertu des dispositions de l'article 2239 du code civil qui précise que le délai interrompu recommence à courir à compter du jour où la mesure a été exécutée, la prescription doit être considérée comme acquise puisqu'il appartenait à M. [Y] d'agir avant le 13 septembre 2019 alors qu'il n'a fait délivrer une assignation que le 20 mai 2020.

L'assignation délivrée le 19 juillet 2019 par M. [J] ne peut s'analyser comme une cause d'interruption d'une prescription dont il se prévaut lui-même, M. [Y] ne justifiant pas de conclusions interruptives antérieures à celles déposées le 16 janvier 2020 soit postérieurement à l'expiration du délai biennal pour agir.

M. [Y] soutient qu'en vertu des dispositions de l'article R145-23 du code de commerce, il appartiendrait au juge des loyers de fixé le prix du bail révisé ou renouvelé.

S'il est acquis que le juge des loyers est exclusivement compétent pour connaître d'une demande de fixation du prix du bail à titre principale, cette action est néanmoins insérée dans les délais de prescription sus visés, que M. [Y] ne critique pas utilement.

2) Sur la demande de dommages et intérêts :

Le droit d'agir en justice est ouvert à tout plaideur qui s'estime lésé dans ses droits, son exercice ne dégénérant en abus qu'autant que les moyens qui ont été invoqués à l'appui de la demande sont d'une évidence telle qu'un plaideur, même profane, ne pourra pas ignorer le caractère abusif de sa démarche ou qu'il n'a exercé son action qu'à dessein de nuire en faisant un usage préjudiciable à autrui. En l'espèce, l'appréciation inexacte de ses droits par M. [Y] n'est pas constitutive d'une faute. S'estimant lésé dans ses droits, il a pu, sans abus, demander à ce qu'il soit statué sur sa demande.

Par ces motifs, la cour statuant par arrêt contradictoire :

Confirme le jugement rendu le 14 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Montpellier ;

Y ajoutant :

Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [J] [T] de sa demande de dommages et intérêts,

Condamne M. [Y] [P] aux dépens de l'instance.