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Cass. ass. plén., 15 novembre 2024, n° 23-16.670

COUR DE CASSATION

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Cassation

Cass. ass. plén. n° 23-16.670

15 novembre 2024

COUR DE CASSATION LM

ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Audience publique du 15 novembre 2024
Cassation partielle
partiellement sans renvoi
M. SOULARD, premier président

Arrêt n° 679 B+R
Pourvoi n° V 23-16.670

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, siégeant en ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE, DU 15 NOVEMBRE 2024

1°/ M. [L] [J], domicilié [Adresse 1],

2°/ M. [U] [J], domicilié [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° V 23-16.670 contre l'arrêt, rendu sur renvoi après cassation, le 4 avril 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 8), dans le litige les opposant :

1°/ à la société La Vierge, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à la société La Financière de [Localité 8], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

3°/ à M. [P] [Y], domicilié [Adresse 2],

4°/ à la société Audacia, société anonyme, dont le siège est [Adresse 6],

5°/ à Mme [S] [R], domiciliée [Adresse 7],

6°/ à M. [I] [H], domicilié [Adresse 5],

défendeurs à la cassation.

Par arrêt du 10 mai 2024, la chambre commerciale, saisie du nouveau pourvoi, a ordonné le renvoi de l'examen du pourvoi devant l'assemblée plénière.

Les demandeurs au pourvoi invoquent, devant l'assemblée plénière, le moyen de cassation formulé dans un mémoire déposé au greffe de la Cour de cassation par la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de MM. [J].

Un mémoire en défense au pourvoi a été déposé au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des sociétés La Financière de [Localité 8] et La Vierge.

Des observations 1015 ont été déposées au greffe de la Cour de cassation par la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat des sociétés La Financière de [Localité 8] et La Vierge.

Le rapport écrit de Mme Grandjean, conseiller, et l'avis écrit de M. Lecaroz, avocat général, ont été mis à disposition des parties.

Sur le rapport de Mme Grandjean, conseiller, assisté de Mme Sciore, auditeur au service de documentation, des études et du rapport, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, auquel les parties invitées à le faire, n'ont pas souhaité répliquer, après débats en l'audience publique du 11 octobre 2024 où étaient présents M. Soulard, premier président, M. Sommer, Mme Teiller, MM. Bonnal, Vigneau, Mme Champalaune, présidents, Mme Durin-Karsenty, doyen de chambre faisant fonction de président, Mme Grandjean, conseiller rapporteur, M. Huglo, Mmes de la Lance, Duval-Arnould, MM. Ponsot, Boyer, doyens de chambre, Mme Renault-Malignac, conseiller faisant fonction de doyen de chambre, MM. Wyon, Jessel, Mmes Ducloz, Nirdé-Dorail, M. Waguette, conseillers, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Mégnien, greffier fonctionnel-expert,

la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, composée du premier président, des présidents, des doyens de chambre et des conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 4 avril 2023), rendu sur renvoi après cassation (Com., 19 janvier 2022, pourvoi n° 19-12.696), la société par actions simplifiée La Vierge, dont le capital est détenu par la société Audacia, MM. [L] et [U] [J], M. [Y], M. [H] et Mme [R], est présidée par la société La Financière de [Localité 8].

2. L'article 17 de ses statuts stipule que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré. »

3. Lors de l'assemblée générale extraordinaire, le 22 octobre 2015, les associés ont décidé d'augmenter le capital social par l'émission de nouvelles actions, de supprimer le droit préférentiel de souscription des associés et de réserver l'émission des nouvelles actions à la société La Financière de [Localité 8], par 229 313 voix pour (46 %) et 269 185 voix contre (54 %).

4. M. [Y] a assigné la société La Vierge et ses associés, ainsi que la société La Financière de [Localité 8], en annulation de la délibération du 22 octobre 2015 relative à la décision d'augmenter le capital de la société La Vierge. MM. [J] se sont associés à cette demande.

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce grief qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

6. MM. [J] font grief à l'arrêt de rejeter leur demande d'annulation de la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des actionnaires de la société La Vierge du 22 octobre 2015 relative à l'augmentation du capital social de cette société, alors « qu'il résulte des dispositions de l'article L. 227-9 du code de commerce que, dans les sociétés par actions simplifiées, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière notamment d'augmentation de capital, sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés ; qu'en conséquence, les délibérations des assemblées générales décidant d'une augmentation de capital ne peuvent être adoptées par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que la délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 22 octobre 2015, dont l'annulation était demandée, avait été adoptée par 229 313 voix pour et 269 185 voix contre ; que, pour juger qu'elle était valable, la cour d'appel a retenu qu'il résultait de l'article L. 227-9 du code de commerce que les associés étaient libres de déterminer les conditions dans lesquelles sont prises les décisions qui doivent l'être collectivement et qu'il était loisible aux associés de définir dans les statuts une procédure d'adoption par un vote des décisions collectives qui n'applique pas une règle de majorité, pour en déduire que les conditions d'adoption de la délibération litigieuse n'étaient pas prohibées par la loi et ne portaient pas atteinte au droit des associés de participer aux décisions collectives, avant de conclure que la délibération du 22 octobre 2015 ayant décidé d'une augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des voix exprimées, était valide, aux motifs qu'une telle délibération pouvait être adoptée conformément à l'article 17 des statuts prévoyant que les décisions collectives des associés seraient adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ; qu'en statuant ainsi, tandis qu'une telle délibération était nulle, comme adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des voix exprimées, quelles que soient les stipulations statutaires, la cour d'appel a violé l'article L. 227-9 du code de commerce. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1844, alinéa 1er, et 1844-10, alinéas 2 et 3, du code civil et l'article L. 227-9, alinéas 1 et 2, du code de commerce :

7. Aux termes du premier de ces textes, tout associé a le droit de participer aux décisions collectives.

8. Selon le deuxième, toute clause statutaire contraire à une disposition impérative du titre IX du livre III du code civil dont la violation n'est pas sanctionnée par la nullité de la société est réputée non écrite. Les actes et délibérations des organes de la société pris en violation d'une telle disposition peuvent, dans la limite prévue par ce texte, être annulés.

9. Selon le dernier, les statuts de la société par actions simplifiée déterminent les décisions qui doivent être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu'ils prévoient. Toutefois, les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d'augmentation, d'amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d'une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés.

10. Une décision collective d'associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix.

11. Toute autre règle conduirait à considérer que la collectivité des associés peut adopter, lors d'un même scrutin, deux décisions contraires.

12. La liberté contractuelle qui régit la société par actions simplifiée ne peut s'exercer que dans le respect de la règle énoncée au paragraphe 10.

13. Il s'en déduit que la décision collective d'associés d'une société par actions simplifiée, prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite.

14. Pour rejeter la demande d'annulation de la décision litigieuse, après avoir constaté que le projet de délibération avait recueilli 229 313 voix pour et 269 185 voix contre et retenu que les conditions d'adoption de cette délibération étaient conformes aux statuts, l'arrêt énonce que la loi ne prohibe pas une procédure d'adoption qui n'applique pas une règle de majorité.

15. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

16. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

17. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue partiellement au fond.

18. Dès lors qu'il résulte de l'arrêt que la décision relative à l'augmentation du capital de la société La Vierge a été adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité des votes exprimés, cette délibération doit être annulée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce que, confirmant le jugement, il rejette la demande de MM. [L] et [U] [J] en annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital, condamne M. [L] [J] à payer à M. [H] et aux sociétés La Vierge, La Financière de [Localité 8] et Audacia la somme de 7 500 euros, condamne M. [U] [J] à payer à chacun la somme de 500 euros au titre des frais exposés en première instance et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, l'arrêt rendu le 4 avril 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi sur la demande d'annulation de la délibération relative à l'augmentation de capital ;

INFIRME de ce chef le jugement ;

Statuant à nouveau,

ANNULE la délibération de l'assemblée générale extraordinaire des associés de la société par actions simplifiée La Vierge du 22 octobre 2015, portant augmentation du capital social de 586 206,92 euros par émission d'actions nouvelles ;

Renvoie pour le surplus à la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société La Financière de [Localité 8] et la société La Vierge aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société La Financière de [Localité 8] et la société La Vierge et les condamne à payer à MM. [J] la somme globale de 4 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, siégeant en assemblée plénière, et prononcé par le premier président en son audience publique du quinze novembre deux mille vingt-quatre.