Décisions
CA Versailles, ch. civ. 1-1, 12 novembre 2024, n° 22/06002
VERSAILLES
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Chambre civile 1-1
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 12 NOVEMBRE 2024
N° RG 22/06002
N° Portalis DBV3-V-B7G-VN7L
AFFAIRE :
[T] [N], notaire ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
...
C/
Epoux [D]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Septembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de CHARTRES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 19/02431
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- la SCP COURTAIGNE AVOCATS,
- Me Melina URICH POSTIC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [T] [N], notaire ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 26]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 9]
Madame [W], [J], [G] [U], notaire, ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Localité 8]
S.C.[Z] [N]-[U] ET [W] [U]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 11]
[Adresse 7]
[Localité 19]
S.A.S. [T] [N] ET [W] [U], [22]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 15]
[Adresse 7]
[Localité 19]
S.A. [20]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 440 04 8 8 82
et
Société [20]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 14]
domiciliées toutes deux [Adresse 5]
[Localité 13]
représentées par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 022659
Me François de MOUSTIER substituant Me Françoise KUHN de la SCP KUHN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0090
APPELANTES
****************
Monsieur [C] [D]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 23]
de nationalité Française
et
Madame [S], [V], [H] [R] épouse [D]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 24]
de nationalité Française
demeurant tous deux [Adresse 4]
[Localité 18]
représentés par Me Melina URICH POSTIC, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : B1039
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Septembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère,
Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
**********************
FAITS ET PROCÉDURE
Selon acte authentique du 5 novembre 2004 reçu par Mme [X], notaire associée de la SCP [Z] [P] et [O] [X] à [Localité 19] (28), M. [M] a vendu à M. et Mme [D], moyennant le prix de 114 337 euros, le droit à la jouissance privative d'un terrain d'une superficie de 2 197 mètres carrés et les droits à construire correspondants, sis à [Localité 18].
Ce terrain, sis sur le lotissement [Adresse 17] soumis à un cahier des charges, est issu de la division d'une parcelle plus grande suivant acte authentique reçu le même jour emportant division du terrain et création d'une copropriété horizontale.
Les époux [D] y ont fait construire leur maison d'habitation en 2005 qu'ils ont souhaité revendre en 2015.
Disant se heurter à l'impossibilité de réaliser ce projet en raison d'une clause du cahier des charges interdisant la division des terrains, ils ont, par acte introductif d'instance du 29 octobre 2019, fait assigner la SCP [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [Z] [P] et [O] [X], ainsi que son assureur la société [20] aux fins de voir engager la responsabilité civile professionnelle de la SCP et obtenir réparation de leurs préjudices.
Par jugement contradictoire rendu le 7 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Chartres a :
- Déclaré recevables les demandes des époux [D] à l'encontre de la société [T] [N] et [W] [U] ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], et la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 279 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, et la société [T] [N] et [W] [U] à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral lié aux man'uvres dilatoires commises dans le cadre de la présente instance ;
- Condamné in solidum la Société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite Société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné in solidum la Société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite Société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20] ;
- Rejeté le surplus des prétentions ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La SCP [T] [N] et [W] [U], la société [20], la société [T] [N] et [W] [22], Mme [N] et Mme [U], ès-qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U] ont interjeté appel de ce jugement le 29 septembre 2022 à l'encontre de M. et Mme [D].
Par dernières conclusions notifiées le 5 août 2024, elles demandent à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 7 septembre 2022
Et statuant à nouveau
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société « [T] [N] et [W] [U] notaires associées »,
- Dire et juger par voie de conséquence les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U],
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de Mme [W] [U] et de Mme [T] [N] qui n'ont été assignées qu'en leur qualité de liquidateurs de la Société « [T] [N] et [W] [U] »,
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société « [T] [N] et [W] [U] » dissoute selon arrêté de M. le Garde des sceaux, ministre de la Justice du 7 juillet 2020.
Vu l'article 1240 du code civil,
- Dire et juger que Maître [O] [X] n'a commis aucune faute,
- Dire et juger que Maître [W] [U] n'a commis aucune faute,
- Dire et juger que M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] ne caractérisent pas le lien de causalité qui doit nécessairement exister entre les fautes invoquées et le préjudice allégué,
- Dire et juger que M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] ne caractérisent leur dommage ni dans son principe ni dans son quantum,
- Débouter M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] de toutes leurs demandes,
- Condamner in solidum M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] à payer à la société [T] [N] et [W] [U], [22], à Maître [T] [N], ès qualités de liquidateur amiable, à Maître [W] [J] [G] [U], ès qualités de liquidateur amiable, et à la Société « [T] [N] et [W] [U] », la somme de 3 000 euros, à chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner in solidum M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Isabelle Delorme-Muniglia, avocat qui y a pourvu, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2024, M. et Mme [D] demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1382 devenu 1240 et suivants du code civil ;
Vu les dispositions de l'article L.124-3 du code des assurances ;
Vu l'article 367 du code de procédure civile ;
Vu les pièces versées aux débats,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20], à leur payer la somme de 279.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société et la société [T] [N] et [W] [U] à leur payer la somme de 5.000 euros en réparation de leur préjudice moral lié aux man'uvres dilatoires commises dans le cadre de la présente instance ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20], aux dépens.
- L'infirmer sur le reste des dispositions
Et statuant à nouveau :
- Constater le manquement de la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire d'information et de conseil, en ce qu'elle a refusé de passer la vente de la maison des époux [D] s'appuyant sur une présentation juridique sciemment fausse, induisant tout le lotissement en erreur et s'obstinant dans le refus après y avoir semé la confusion ;
- Condamner solidairement la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], et la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U], et de Me [O] [X] au paiement des sommes suivantes :
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
- Condamner in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20] à leur payer la somme de 8 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
Si la cour devait considérer que la faute du notaire est personnelle et intransmissible au notaire successeur,
- Constater le manquement de la société [Z] [P] et [O] [X], [22], représentée par Mme [O] [X] aux droits de laquelle vient la société [T] [N] et [W] [U] venant elle-même aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire de conseil ;
- Constater leur perte de chance du fait de ce manquement ;
En conséquence,
- Condamner la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de Mme [O] [X], au paiement des sommes suivantes :
- 620.000 euros en réparation du préjudice matériel subi ;
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
Si la cour devait considérer, comme le soutiennent les défenderesses, que Mme [O] [X], notaire, n'a commis aucune faute en ce que la mise en place d'une copropriété horizontale sur le lot de M. [M] était parfaitement compatible avec le cahier des charges du lotissement et qu'en conséquence l'acte de vente du 5 novembre 2004 est parfaitement utile, valide et efficace,
- Constater le manquement de la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire d'information et de conseil, en ce qu'elle a refusé de passer la vente de leur maison s'appuyant sur une présentation juridique sciemment fausse, induisant tout le lotissement en erreur et s'obstinant dans le refus après y avoir semé la confusion ;
- Condamner solidairement la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] et la société [T] [N] et [W] [U], [22], Mme [T] [N] et Mme [W] [U] ès qualité de liquidateurs de la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U], au paiement des sommes suivantes :
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
- Condamner in solidum la société [T] [N] et [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U].
La clôture de la procédure a été ordonnée le 5 septembre 2024.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l'appel
Le jugement est querellé en toutes ses dispositions, de sorte que l'affaire se présente dans les mêmes conditions qu'en première instance.
Sur la recevabilité des demandes
1 A l'encontre de la SAS [T] [N] et [W] [U], notaires associées
Le tribunal a estimé que le moyen tiré de la non transmissibilité d'une action personnelle relevait du fond du droit et non de l'irrecevabilité des demandes.
Moyens des parties
Les appelantes soutiennent que l'action engagée contre la SAS [T] [N] et [W] [U] en tant que ' notaire successeur ' est irrecevable faute de qualité à défendre et qu'elle est tout autant irrecevable au titre des fautes qui auraient été commises par Mme [U] en refusant de recevoir la vente du bien des époux [D], la SAS n'étant pas constituée à l'époque où la faute alléguée aurait été commise. Elles affirment que les demandes formées à l'encontre des sociétés [20] et [21], ès qualités d'assureur en responsabilité civile de la SAS sont pareillement irrecevables.
Elles soutiennent encore que les demandes dirigées contre la SCP [T] [N]-[W] [U], notaires associées sont irrecevables, cette société ayant été liquidée, la liquidation ayant été clôturée et la société dissoute par arrêté du Garde des Sceaux du 7 juillet 2020.
M. et Mme [D] font valoir qu'ils ont fait assigner la SCP [T] [N] et [W] [U], devenue entre temps la SAS [T] [N] et [W] [U], en qualité de successeur de la SCP [Z] [P] et [O] [X]. Ils soutiennent que la SCP qui succède est solidairement responsable avec le notaire qui a commis la faute, quels que soient les changement intervenus par la suite dans sa composition.
Appréciation de la cour
En application de l'article 122 du code de procédure civile, ' Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée '.
La question de savoir si la société [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], a qualité à défendre à cette procédure relève donc bien de la recevabilité de l'action et non du bien fondé des demandes.
Si aucune indication précise n'est fournie à la cour sur les conditions dans lesquelles la SCP [T] [N] et [W] [U] a succédé à la SCP [Z] [P] et [O] [X], il convient d'observer que dans les conclusions d'appel, la SCP [T] [N] et [W] [U] est désignée comme ' anciennement dénommée SCP [Z] [P] et [O] [X] '.
Il convient d'en déduire que c'est bien la même SCP qui s'est poursuivie avec un changement de dénomination consécutif aux changements d'associés, étant rappelé que c'est la SCP qui est titulaire de l'office notarial et non les [22].
Dès lors, c'est à bon droit que M. et Mme [D] rappellent qu'en application de l'article 16 de la loi du 29 novembre 1966, la SCP répond des fautes de ses associés.
Ainsi, en dépit du changement de dénomination, l'action engagée à l'origine contre la SCP [T] [N] et [W] [U], autrefois dénommée la SCP [Z] [P] et [O] [X] était à l'époque de l'acte introductif d'instance parfaitement recevable au titre des fautes qui auraient été commises par M. [P].
Depuis, la SCP [T] [N] et [W] [U] ayant été dissoute par arrêté du ministre de la justice du 7 juillet 2020, toute demande à son encontre est aujourd'hui manifestement irrecevable. Du reste, la cour observe qu'aucune demande s'est formée à l'encontre de la SCP [T] [N] et [W] [U].
En revanche, il n'est pas contesté que la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, vient aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U] et les demandeurs ont régularisé leur action à son encontre.
L'action dirigée contre la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], autrefois dénommée la SCP [Z] [P] et [O] [X], au titre des fautes qui auraient été commises par Mme [X], doit donc être déclarée recevable.
Il en va de même de l'action dirigée contre la société [20] et la société [21], en sa qualité d'assureur de la SCP [Z] [P] et [O] [X].
Par ailleurs, M. et Mme [D] poursuivent la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, au titre de la faute qui aurait été commise par Mme [U] en 2015 (refus de recevoir la vente).
A la date de la faute alléguée (2015), Mme [N] et Mme [U] exerçaient sous forme de SCP.
Ainsi qu'il a déjà été dit, la SCP répond des fautes de ses associés.
Les demandes dirigées contre la société [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], au titre de la faute qui aurait été commise par Mme [U] en 2018 sont donc parfaitement recevables.
S'agissant enfin des demandes dirigées contre Mme [T] [N] d'une part, et de Mme [W] [U] d'autre part, ès qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U], la cour constate qu'aucun moyen n'est avancé au soutien de la demande d'irrecevabilité qui sera par conséquent rejetée.
Le mérite des demandes dirigées à leur encontre sera appréciée à l'occasion de l'examen du fond du litige.
Sur la faute de Mme [X]
Pour retenir la faute de Mme [X], le tribunal a estimé qu'il n'était pas démontré que cette dernière ait informé M. et Mme [D] de l'existence du cahier des charges et du risque potentiel de contestation du fait de l'interdiction posée par son article 3-2 de diviser les lots.
Moyens des parties
Les appelantes soutiennent que la copropriété horizontale mise en place ne contrevient nullement à l'interdiction posée par le cahier des charges et que les époux [D], qui ont acquis un lot de copropriété et non une simple parcelle de terrain, connaissaient parfaitement la situation. Elles ajoutent que l'acte reçu, parfaitement valide et efficace, n'a jamais été remis en cause par quiconque.
M. et Mme [D] poursuivent la confirmation du jugement en soulignant qu'ils reprochent au notaire un manquement à son devoir d'information qui est absolu. Ils soulignent que c'est Mme [U] elle-même qui la première a remis en cause la validité de l'acte reçu par Mme [X] en refusant de passer en 2015 l'acte de vente qu'ils sollicitaient.
Appréciation de la cour
En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le notaire, qui, prêtant son concours à l'établissement d'un acte, doit veiller à l'utilité et à l'efficacité de cet acte, est également tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues.
En l'espèce, Mme [X], notaire rédacteur, a reçu un acte de vente portant sur ' la jouissance exclusive d'une parcelle de 2 197 m² destiné à la construction d'une maison d'habitation et les 500/1000èmes de la propriété du sol et des parties communes générales '.
Bien que l'acte de vente n'en fasse pas mention, ledit terrain, inclus dans le périmètre d'un lotissement, était soumis à un cahier des charges dont l'article l'article 3/2 énonçait ' Il est interdit de rediviser ou de morceler les terrains faisant l'objet du présent lotissement tels qu'ils sont délimités au projet. Toutefois, la cession d'une partie du terrain à un propriétaire voisin pourra être consentie à la condition formelle qu'il soit dûment constaté auparavant que ladite cession ne contredira en rien les clauses et obligations du présent cahier des charges. Dans le cas contraire, la vente sera considérée comme nulle."
Aux motifs exacts du jugement, adoptés par la cour, aux termes desquels que le tribunal a retenu la faute de Mme [X], il sera ajouté ce qui suit.
La cour constate que les appelantes s'efforcent de démontrer que la création de la copropriété horizontale ne contrevenait pas à l'interdiction du cahier des charges de procéder à un division de lot.
Or, la question n'est pas de savoir si Mme [X] a reçu un acte de vente exempt de tout vice mais de déterminer si elle a satisfait à l'obligation d'information qui pesait sur elle compte tenu d'une situation comportant un aléa juridique.
Or, il n'est toujours pas démontré que Mme [X] ait évoqué précisément avec ses clients la situation particulière du terrain qu'ils projetaient d'acquérir.
L'aléa juridique ne pouvait être ignoré de Mme [X] dès lors qu'il ressort de l'évidence que la création d'une copropriété horizontale n'avait d'autre finalité que de contourner l'interdiction de morceler les lots, dont l'objectif intrinsèque était de limiter la densité de construction dans le lotissement.
Ainsi, même si la création d'une copropriété horizontale n'était pas formellement interdite, elle créait nécessairement une incertitude juridique, compte tenu de la fraude sous jacente, dont elle devait faire part à ses clients.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre de Mme [X].
Sur la faute alléguée à l'encontre de Mme [U]
Le tribunal, constatant que les demandes formées à l'encontre de Mme [U] en raison de son refus allégué de recevoir la vente de leur bien n'étaient formées qu'à titre subsidiaire, n'a pas statué sur ces demandes.
Moyens des parties
M. et Mme [D] soutiennent que Mme [U] a commis une faute en refusant de recevoir l'acte de vente qu'ils projetaient et en induisant en erreur tout le lotissement conduisant ses confrères à refuser de passer des ventes en raison du ' prétendu ' problème de cahier des charges.
Les appelantes répliquent simplement qu'il n'est nullement démontré que Mme [U] aurait refusé de recevoir la vente.
Appréciation de la cour
Pour démontrer que Mme [U] aurait refusé de recevoir l'acte de vente de leur bien en 2015, M. et Mme [D] produisent un courrier du 21 juillet 2020 adressé par leur propre conseil à l'intéressée, indiquant notamment ' ( ... ) mes clients vous ont sollicitée pour en juillet 2015 pour procéder à la vente de leur maison après avoir trouvé un acquéreur au prix affiché. ( ... ) La maison des époux [D] étant construite sur l'un des terrains ainsi divisés, vous avez tout simplement refusé de passer l'acte de vente '.
A ce courrier, Mme [U] a répondu le 24 juillet 2020 en ces termes ' J'accuse réception de votre courrier en date du 21 juillet 2020 mettant en cause ma responsabilité une fois encore dont les termes ne manquent pas de me surprendre.
Conformément à mon obligation contractuelle, et sans aucune reconnaissance de responsabilité de ma part, je transmets votre réclamation à mon assureur et à la chambre des notaires, afin qu'il apprécie la suite qu'il convient d'y donner '.
Cet élément, non corroboré par des éléments de preuve extérieurs, n'a pas la force probante que M. et Mme [D] lui prêtent.
Aucune déduction ne peut par ailleurs être faite du courrier en réponse émanant de Mme [U].
En l'absence de tout autre élément probant, il y a lieu de considérer que le refus de Mme [U] de recevoir la vente en 2015, à supposer qu'il puisse être considéré comme fautif, n'est nullement établi.
Dans ces conditions, les demandes fondées sur la faute personnelle de Mme [U] ne sauraient être accueillies.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Le tribunal a estimé que le manquement de Mme [X] à son devoir d'information avait fait perdre une chance à M. et Mme [D] de renoncer à leur acquisition, perte de chance évaluée à 90 %, et qu'ils démontraient avoir été dans l'impossibilité en 2015 de vendre leur maison en dépit d'une offre au prix souhaité. Il a ainsi accordé une indemnité de 279 000 euros tenant compte du fait que l'impossibilité de vendre n'était pas définitive en raison de la perspective d'une révision du cahier des charges.
Moyens des parties
Les appelantes poursuivent l'infirmation du jugement en faisant valoir que le dommage allégué ne répond pas aux critères du préjudice indemnisable en ce qu'il n'est ni actuel ni certain, d'autant que le cahier des charges a été abrogé. Elles soutiennent que les époux [D] pourraient au plus se prévaloir d'une perte de chance de ne pas contracter mais qu'ils ne démontrent pas que mieux informés, ils avaient une chance raisonnable de renoncer à acquérir le bien.
S'agissant du préjudice, elles l'estiment infondé tant dans son principe que dans son quantum, soulignant que les époux [D] auraient parfaitement pu louer leur pavillon et éviter de continuer de supporter les frais afférents.
M. et Mme [D] affirment que correctement informés, ils auraient renoncé à leur acquisition et n'auraient pas eu à subir l'immobilisation de leur bien depuis 2015.
Ils exposent que n'ayant pu vendre leur bien, ils ont continué à en supporter les frais d'entretien et qu'ils n'ont pas pu réaliser leur projet familial qui consistait à ce que la famille rejoigne M. [D] muté en 2011 à [Localité 25].
Appréciation de la cour
Sur le lien de causalité
Il convient tout d'abord de relever que le litige a profondément évolué depuis le jugement rendu le 7 septembre 2022 puisque lors d'une assemblée générale qui s'est tenue le 9 mai 2023, les co-lotis ont abrogé la clause litigieuse du cahier des charges interdisant la division des lots.
Il n'est pas contesté que cette décision lève toutes les incertitudes et il n'existe plus d'obstacle juridique à ce que le bien puisse être vendu.
Le préjudice découlant d'une impossibilité actuelle de vendre le bien, tel que retenu par le tribunal, doit donc être définitivement écarté.
M. et Mme [D] présentent des demandes subsidiaires reposant sur l'impossibilité dans laquelle, selon eux, ils se trouvent depuis 2015 de vendre leur bien.
Il convient dès lors de rechercher :
- d'une part si, mieux informés, ils auraient renoncé à acquérir le terrain (lien de causalité avec les fautes retenues ) ;
- d'autre part si l'impossibilité de vendre le bien depuis 2015 est établie et quel est le préjudice qui en découle (évaluation du quantum du préjudice retenu).
S'agissant du lien de causalité, c'est à tort que M. et Mme [D] affirment que les préjudice qu'ils allèguent, à savoir l'immobilisation de leur bien, est en lien direct avec les fautes retenues à l'encontre des notaires.
En effet, contrairement à ce qu'ils soutiennent, l'acte reçu a montré sa pleine efficacité. Ils n'ont pas été poursuivis en démolition ou en nullité de la vente par des co-lotis et il est aujourd'hui certain que leur bien peut être vendu puisque la clause litigieuse du cahier des charges a été abrogée.
Le dommage qui résulterait des fautes retenues ne peut dès lors consister qu'en la perte de chance de renoncer à l'acquisition en 2005, ce qui leur aurait évité d'être confrontés à des difficultés à l'occasion de la revente de leur pavillon.
La perte de chance s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Il convient alors d'évaluer le taux de cette perte de chance, en l'espèce quel était le pourcentage de chance que M. et Mme [D] renoncent à acquérir le terrain.
Or, ils ne fournissent à la cour aucun élément objectif permettant de retenir que cette chance était particulièrement élevée.
A l'époque de la transaction, la réalisation de copropriétés horizontales a pu paraître constituer une solution pour contourner l'interdiction du cahier des charges. Du reste, plusieurs autres terrains ont fait l'objet de la même opération de division et mise en copropriété horizontale.
Il n'est donc pas certain que, mieux informés, ils auraient renoncé à acquérir, les difficultés juridiques qu'ils déclarent avoir rencontrées pour vendre le bien n'étant pas raisonnablement prévisibles à l'époque de leur achat. Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance de 90 %
Cette perte de chance de pouvoir choisir et de renoncer à l'acquisition peut être évaluée au regard du comportement du ' bon père de famille ' et être ainsi évaluée à 20 %.
Sur le préjudice financier
S'agissant de l'impossibilité de vendre leur bien en 2015, les éléments produits par M. et Mme [D] démontrent qu'ils ont mis en vente leur pavillon et trouvé en juillet 2015 un acquéreur au prix qu'ils avaient fixé.
Ce projet de vente n'a pas pu être mené à son terme, sans qu'il soit établi, ainsi qu'il a déjà été dit, que le blocage soit imputable au refus de Mme [U] de recevoir l'acte.
Cependant, M. et Mme [D] versent au débat un courriel de Mme [A], notaire à [Localité 19], daté du 20 juillet 2020, indiquant ' il m'est impossible de passer un quelconque acte de vente sur votre propriété, la copropriété ayant été créée en fraude du cahier des charges imprescriptible '.
Ce document est suffisant pour établir que depuis 2015, en dépit de leur volonté avérée de vendre leur bien, M. et Mme [D] n'ont pu mener à bien leur projet.
L'abrogation de la clause litigieuse du cahier des charges en mai 2023 a mis un terme à ce blocage.
Dès lors le jugement, en ce qu'il a condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20] à payer à M. et Mme [D] la somme de 279 000 euros en raison de l'impossibilité, non définitive, de vendre le bien, ne peut qu'être infirmé.
M. et Mme [D] ont cependant été contraints de conserver le bien et d'en supporter les frais d'entretien. Ils ont fait le choix de ne pas le louer, Mme [D] restant vivre à [Localité 18] tandis que M. [D] travaillait et vivait la semaine à [Localité 25] où il avait été muté en 2011.
Les appelantes ne sont pas fondées à leur reprocher ce choix personnel des intimés, mais les prétentions de M. et Mme [D] à hauteur de la somme de 95 982,65 euros doivent être ramenées à de plus justes proportions.
Ainsi, il y a lieu de retenir au titre du préjudice qu'à compter de juillet 2015, M. et Mme [D] ont supporté des frais de logement qui auraient pu être divisés par deux si Mme [D] avait pu rejoindre son époux à [Localité 25].
A cet égard, la cour retiendra l'évaluation proposée par les époux [D], à savoir la somme de 18.072 euros, soit la moitié frais totaux d'entretien du pavillon.
De même, ils ont exposé des frais de déplacement hebdomadaires pour que la famille se retrouve le week-end, frais qui ne résultent pas d'un libre choix de vivre à distance mais contraint par l'impossibilité de vendre.
La cour retiendra l'évaluation proposée par les époux [D] à hauteur de 32.029,20 euros.
Les frais exposés au titre d'une consultation auprès d'un notaire peuvent être également retenus au titre du préjudice, soit la somme de 521,46 euros.
N'est en revanche pas justifiée la demande au titre de loyers 'perdus' de leur appartement de [Localité 25] dès lors que, si leur projet de vente du bien de [Localité 18] s'était réalisé, ils auraient acquis un autre bien à [Localité 25] pour y loger toute la famille et donc exposé d'autres frais.
Le préjudice indemnisable, au vu des pièces produites, peut être ainsi évalué à 50 622,66 euros (18 072 + 32 029,20 + 521,46 ).
Après application du coefficient de perte de chance, il sera alloué au titre du préjudice financier la somme de 10 124,53 euros.
Sur le préjudice moral
Il est établi par les pièces produites que l'impossibilité de vendre leur pavillon a anéanti le projet de vie des époux [D] et qu'il est résulté un préjudice moral indéniable.
Il est justifié à cet égard de leur allouer une somme de 8 000 euros chacun.
Il sera observé que le tribunal n'a pas statué sur la demande de dommages découlant de la faute de Mme [X] mais, par des motifs exacts que la cour adopte, a alloué la somme de 5 000 euros à chacun des époux [D] au titre de manoeuvres dilatoires des défenderesses, lesquelles ont tardé à communiquer sur leur changement de dénomination sociale, ce qui a entraîné des retards dans l'instruction de l'affaire et une ré-ouverture des débats pour permettre aux époux [D] de mettre en cause la société de notaires sous sa nouvelle forme sociale.
La cour confirmera le jugement sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
S'agissant de la procédure d'appel, il apparaît justifié de dire que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle aura exposés.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], et la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 279 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir à l'encontre de la société [20] et la société [21], ès qualités d'assureur de la SCP [Z] [P] et [O] [X],
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir à l'encontre de la société [T] [N] et [W] [U], [22], au titre de la faute alléguée à l'encontre de Mme [U],
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir contre Mme [T] [N] et de Mme [W] [U] ès-qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U],
CONDAMNE in solidum la société [T] [N] et [W] [U], [22], et les sociétés [20] et [21], à payer à M. et Mme [D] la somme de 10 124,53 euros au titre du préjudice financier,
CONDAMNE in solidum la société [T] [N] et [W] [U], [22], et les sociétés [20] et [21], à payer à M. et Mme [D] la somme de 8 000 euros chacun au titre du préjudice moral,
DIT que chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés lors de la procédure d'appel,
REJETTE les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,
DE
VERSAILLES
Chambre civile 1-1
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
Code nac : 63B
DU 12 NOVEMBRE 2024
N° RG 22/06002
N° Portalis DBV3-V-B7G-VN7L
AFFAIRE :
[T] [N], notaire ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
...
C/
Epoux [D]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Septembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de CHARTRES
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 19/02431
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- la SCP COURTAIGNE AVOCATS,
- Me Melina URICH POSTIC
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [T] [N], notaire ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
née le [Date naissance 1] 1977 à [Localité 26]
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 9]
Madame [W], [J], [G] [U], notaire, ès qualités de liquidateur de la SCP [T] [N] et [W] [U]
née le [Date naissance 6] 1974 à [Localité 16]
de nationalité Française
[Adresse 12]
[Localité 8]
S.C.[Z] [N]-[U] ET [W] [U]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 11]
[Adresse 7]
[Localité 19]
S.A.S. [T] [N] ET [W] [U], [22]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 15]
[Adresse 7]
[Localité 19]
S.A. [20]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : 440 04 8 8 82
et
Société [20]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 14]
domiciliées toutes deux [Adresse 5]
[Localité 13]
représentées par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 022659
Me François de MOUSTIER substituant Me Françoise KUHN de la SCP KUHN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0090
APPELANTES
****************
Monsieur [C] [D]
né le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 23]
de nationalité Française
et
Madame [S], [V], [H] [R] épouse [D]
née le [Date naissance 3] 1963 à [Localité 24]
de nationalité Française
demeurant tous deux [Adresse 4]
[Localité 18]
représentés par Me Melina URICH POSTIC, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : B1039
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Septembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseillère chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Anna MANES, Présidente,
Madame Pascale CARIOU, Conseillère,
Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,
**********************
FAITS ET PROCÉDURE
Selon acte authentique du 5 novembre 2004 reçu par Mme [X], notaire associée de la SCP [Z] [P] et [O] [X] à [Localité 19] (28), M. [M] a vendu à M. et Mme [D], moyennant le prix de 114 337 euros, le droit à la jouissance privative d'un terrain d'une superficie de 2 197 mètres carrés et les droits à construire correspondants, sis à [Localité 18].
Ce terrain, sis sur le lotissement [Adresse 17] soumis à un cahier des charges, est issu de la division d'une parcelle plus grande suivant acte authentique reçu le même jour emportant division du terrain et création d'une copropriété horizontale.
Les époux [D] y ont fait construire leur maison d'habitation en 2005 qu'ils ont souhaité revendre en 2015.
Disant se heurter à l'impossibilité de réaliser ce projet en raison d'une clause du cahier des charges interdisant la division des terrains, ils ont, par acte introductif d'instance du 29 octobre 2019, fait assigner la SCP [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [Z] [P] et [O] [X], ainsi que son assureur la société [20] aux fins de voir engager la responsabilité civile professionnelle de la SCP et obtenir réparation de leurs préjudices.
Par jugement contradictoire rendu le 7 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Chartres a :
- Déclaré recevables les demandes des époux [D] à l'encontre de la société [T] [N] et [W] [U] ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], et la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 279 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, et la société [T] [N] et [W] [U] à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 5 000 euros en réparation de leur préjudice moral lié aux man'uvres dilatoires commises dans le cadre de la présente instance ;
- Condamné in solidum la Société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite Société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné in solidum la Société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite Société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20] ;
- Rejeté le surplus des prétentions ;
- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.
La SCP [T] [N] et [W] [U], la société [20], la société [T] [N] et [W] [22], Mme [N] et Mme [U], ès-qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U] ont interjeté appel de ce jugement le 29 septembre 2022 à l'encontre de M. et Mme [D].
Par dernières conclusions notifiées le 5 août 2024, elles demandent à la cour de :
- Infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 7 septembre 2022
Et statuant à nouveau
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société « [T] [N] et [W] [U] notaires associées »,
- Dire et juger par voie de conséquence les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U],
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de Mme [W] [U] et de Mme [T] [N] qui n'ont été assignées qu'en leur qualité de liquidateurs de la Société « [T] [N] et [W] [U] »,
- Dire et juger les époux [D] irrecevables en toutes les demandes qu'ils dirigent à l'encontre de la société « [T] [N] et [W] [U] » dissoute selon arrêté de M. le Garde des sceaux, ministre de la Justice du 7 juillet 2020.
Vu l'article 1240 du code civil,
- Dire et juger que Maître [O] [X] n'a commis aucune faute,
- Dire et juger que Maître [W] [U] n'a commis aucune faute,
- Dire et juger que M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] ne caractérisent pas le lien de causalité qui doit nécessairement exister entre les fautes invoquées et le préjudice allégué,
- Dire et juger que M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] ne caractérisent leur dommage ni dans son principe ni dans son quantum,
- Débouter M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] de toutes leurs demandes,
- Condamner in solidum M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] à payer à la société [T] [N] et [W] [U], [22], à Maître [T] [N], ès qualités de liquidateur amiable, à Maître [W] [J] [G] [U], ès qualités de liquidateur amiable, et à la Société « [T] [N] et [W] [U] », la somme de 3 000 euros, à chacun, au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- Condamner in solidum M. [C] [D] et Mme [S] [R] épouse [D] aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel au profit de Maître Isabelle Delorme-Muniglia, avocat qui y a pourvu, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées le 11 juin 2024, M. et Mme [D] demandent à la cour de :
Vu les dispositions des articles 1382 devenu 1240 et suivants du code civil ;
Vu les dispositions de l'article L.124-3 du code des assurances ;
Vu l'article 367 du code de procédure civile ;
Vu les pièces versées aux débats,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20], à leur payer la somme de 279.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société et la société [T] [N] et [W] [U] à leur payer la somme de 5.000 euros en réparation de leur préjudice moral lié aux man'uvres dilatoires commises dans le cadre de la présente instance ;
- Condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20], aux dépens.
- L'infirmer sur le reste des dispositions
Et statuant à nouveau :
- Constater le manquement de la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire d'information et de conseil, en ce qu'elle a refusé de passer la vente de la maison des époux [D] s'appuyant sur une présentation juridique sciemment fausse, induisant tout le lotissement en erreur et s'obstinant dans le refus après y avoir semé la confusion ;
- Condamner solidairement la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], et la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U], et de Me [O] [X] au paiement des sommes suivantes :
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
- Condamner in solidum la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U] et Mme [T] [N] en leur qualité de liquidateurs de ladite société, la société [T] [N] et [W] [U], ainsi que la société [20] à leur payer la somme de 8 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Subsidiairement,
Si la cour devait considérer que la faute du notaire est personnelle et intransmissible au notaire successeur,
- Constater le manquement de la société [Z] [P] et [O] [X], [22], représentée par Mme [O] [X] aux droits de laquelle vient la société [T] [N] et [W] [U] venant elle-même aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire de conseil ;
- Constater leur perte de chance du fait de ce manquement ;
En conséquence,
- Condamner la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de Mme [O] [X], au paiement des sommes suivantes :
- 620.000 euros en réparation du préjudice matériel subi ;
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
Si la cour devait considérer, comme le soutiennent les défenderesses, que Mme [O] [X], notaire, n'a commis aucune faute en ce que la mise en place d'une copropriété horizontale sur le lot de M. [M] était parfaitement compatible avec le cahier des charges du lotissement et qu'en conséquence l'acte de vente du 5 novembre 2004 est parfaitement utile, valide et efficace,
- Constater le manquement de la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], [22], à son obligation élémentaire d'information et de conseil, en ce qu'elle a refusé de passer la vente de leur maison s'appuyant sur une présentation juridique sciemment fausse, induisant tout le lotissement en erreur et s'obstinant dans le refus après y avoir semé la confusion ;
- Condamner solidairement la société [T] [N] et [W] [U], [22], représentée par Me [W] [U] et la société [T] [N] et [W] [U], [22], Mme [T] [N] et Mme [W] [U] ès qualité de liquidateurs de la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20] ès-qualité d'assureur en responsabilité civile professionnelle de la société [T] [N] et [W] [U], au paiement des sommes suivantes :
- 95.982,65 euros en réparation du préjudice financier subi ;
- 60.000 euros en réparation du préjudice moral ;
- Condamner in solidum la société [T] [N] et [W] [U] venant aux droits de la société [T] [N] et [W] [U], Mme [W] [U].
La clôture de la procédure a été ordonnée le 5 septembre 2024.
SUR CE, LA COUR,
Sur les limites de l'appel
Le jugement est querellé en toutes ses dispositions, de sorte que l'affaire se présente dans les mêmes conditions qu'en première instance.
Sur la recevabilité des demandes
1 A l'encontre de la SAS [T] [N] et [W] [U], notaires associées
Le tribunal a estimé que le moyen tiré de la non transmissibilité d'une action personnelle relevait du fond du droit et non de l'irrecevabilité des demandes.
Moyens des parties
Les appelantes soutiennent que l'action engagée contre la SAS [T] [N] et [W] [U] en tant que ' notaire successeur ' est irrecevable faute de qualité à défendre et qu'elle est tout autant irrecevable au titre des fautes qui auraient été commises par Mme [U] en refusant de recevoir la vente du bien des époux [D], la SAS n'étant pas constituée à l'époque où la faute alléguée aurait été commise. Elles affirment que les demandes formées à l'encontre des sociétés [20] et [21], ès qualités d'assureur en responsabilité civile de la SAS sont pareillement irrecevables.
Elles soutiennent encore que les demandes dirigées contre la SCP [T] [N]-[W] [U], notaires associées sont irrecevables, cette société ayant été liquidée, la liquidation ayant été clôturée et la société dissoute par arrêté du Garde des Sceaux du 7 juillet 2020.
M. et Mme [D] font valoir qu'ils ont fait assigner la SCP [T] [N] et [W] [U], devenue entre temps la SAS [T] [N] et [W] [U], en qualité de successeur de la SCP [Z] [P] et [O] [X]. Ils soutiennent que la SCP qui succède est solidairement responsable avec le notaire qui a commis la faute, quels que soient les changement intervenus par la suite dans sa composition.
Appréciation de la cour
En application de l'article 122 du code de procédure civile, ' Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l'adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d'agir, tel le défaut de qualité, le défaut d'intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée '.
La question de savoir si la société [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], a qualité à défendre à cette procédure relève donc bien de la recevabilité de l'action et non du bien fondé des demandes.
Si aucune indication précise n'est fournie à la cour sur les conditions dans lesquelles la SCP [T] [N] et [W] [U] a succédé à la SCP [Z] [P] et [O] [X], il convient d'observer que dans les conclusions d'appel, la SCP [T] [N] et [W] [U] est désignée comme ' anciennement dénommée SCP [Z] [P] et [O] [X] '.
Il convient d'en déduire que c'est bien la même SCP qui s'est poursuivie avec un changement de dénomination consécutif aux changements d'associés, étant rappelé que c'est la SCP qui est titulaire de l'office notarial et non les [22].
Dès lors, c'est à bon droit que M. et Mme [D] rappellent qu'en application de l'article 16 de la loi du 29 novembre 1966, la SCP répond des fautes de ses associés.
Ainsi, en dépit du changement de dénomination, l'action engagée à l'origine contre la SCP [T] [N] et [W] [U], autrefois dénommée la SCP [Z] [P] et [O] [X] était à l'époque de l'acte introductif d'instance parfaitement recevable au titre des fautes qui auraient été commises par M. [P].
Depuis, la SCP [T] [N] et [W] [U] ayant été dissoute par arrêté du ministre de la justice du 7 juillet 2020, toute demande à son encontre est aujourd'hui manifestement irrecevable. Du reste, la cour observe qu'aucune demande s'est formée à l'encontre de la SCP [T] [N] et [W] [U].
En revanche, il n'est pas contesté que la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, vient aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U] et les demandeurs ont régularisé leur action à son encontre.
L'action dirigée contre la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], autrefois dénommée la SCP [Z] [P] et [O] [X], au titre des fautes qui auraient été commises par Mme [X], doit donc être déclarée recevable.
Il en va de même de l'action dirigée contre la société [20] et la société [21], en sa qualité d'assureur de la SCP [Z] [P] et [O] [X].
Par ailleurs, M. et Mme [D] poursuivent la société [T] [N] et [W] [U], notaires associées, au titre de la faute qui aurait été commise par Mme [U] en 2015 (refus de recevoir la vente).
A la date de la faute alléguée (2015), Mme [N] et Mme [U] exerçaient sous forme de SCP.
Ainsi qu'il a déjà été dit, la SCP répond des fautes de ses associés.
Les demandes dirigées contre la société [T] [N] et [W] [U], venant aux droits de la SCP [T] [N] et [W] [U], au titre de la faute qui aurait été commise par Mme [U] en 2018 sont donc parfaitement recevables.
S'agissant enfin des demandes dirigées contre Mme [T] [N] d'une part, et de Mme [W] [U] d'autre part, ès qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U], la cour constate qu'aucun moyen n'est avancé au soutien de la demande d'irrecevabilité qui sera par conséquent rejetée.
Le mérite des demandes dirigées à leur encontre sera appréciée à l'occasion de l'examen du fond du litige.
Sur la faute de Mme [X]
Pour retenir la faute de Mme [X], le tribunal a estimé qu'il n'était pas démontré que cette dernière ait informé M. et Mme [D] de l'existence du cahier des charges et du risque potentiel de contestation du fait de l'interdiction posée par son article 3-2 de diviser les lots.
Moyens des parties
Les appelantes soutiennent que la copropriété horizontale mise en place ne contrevient nullement à l'interdiction posée par le cahier des charges et que les époux [D], qui ont acquis un lot de copropriété et non une simple parcelle de terrain, connaissaient parfaitement la situation. Elles ajoutent que l'acte reçu, parfaitement valide et efficace, n'a jamais été remis en cause par quiconque.
M. et Mme [D] poursuivent la confirmation du jugement en soulignant qu'ils reprochent au notaire un manquement à son devoir d'information qui est absolu. Ils soulignent que c'est Mme [U] elle-même qui la première a remis en cause la validité de l'acte reçu par Mme [X] en refusant de passer en 2015 l'acte de vente qu'ils sollicitaient.
Appréciation de la cour
En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
Le notaire, qui, prêtant son concours à l'établissement d'un acte, doit veiller à l'utilité et à l'efficacité de cet acte, est également tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues.
En l'espèce, Mme [X], notaire rédacteur, a reçu un acte de vente portant sur ' la jouissance exclusive d'une parcelle de 2 197 m² destiné à la construction d'une maison d'habitation et les 500/1000èmes de la propriété du sol et des parties communes générales '.
Bien que l'acte de vente n'en fasse pas mention, ledit terrain, inclus dans le périmètre d'un lotissement, était soumis à un cahier des charges dont l'article l'article 3/2 énonçait ' Il est interdit de rediviser ou de morceler les terrains faisant l'objet du présent lotissement tels qu'ils sont délimités au projet. Toutefois, la cession d'une partie du terrain à un propriétaire voisin pourra être consentie à la condition formelle qu'il soit dûment constaté auparavant que ladite cession ne contredira en rien les clauses et obligations du présent cahier des charges. Dans le cas contraire, la vente sera considérée comme nulle."
Aux motifs exacts du jugement, adoptés par la cour, aux termes desquels que le tribunal a retenu la faute de Mme [X], il sera ajouté ce qui suit.
La cour constate que les appelantes s'efforcent de démontrer que la création de la copropriété horizontale ne contrevenait pas à l'interdiction du cahier des charges de procéder à un division de lot.
Or, la question n'est pas de savoir si Mme [X] a reçu un acte de vente exempt de tout vice mais de déterminer si elle a satisfait à l'obligation d'information qui pesait sur elle compte tenu d'une situation comportant un aléa juridique.
Or, il n'est toujours pas démontré que Mme [X] ait évoqué précisément avec ses clients la situation particulière du terrain qu'ils projetaient d'acquérir.
L'aléa juridique ne pouvait être ignoré de Mme [X] dès lors qu'il ressort de l'évidence que la création d'une copropriété horizontale n'avait d'autre finalité que de contourner l'interdiction de morceler les lots, dont l'objectif intrinsèque était de limiter la densité de construction dans le lotissement.
Ainsi, même si la création d'une copropriété horizontale n'était pas formellement interdite, elle créait nécessairement une incertitude juridique, compte tenu de la fraude sous jacente, dont elle devait faire part à ses clients.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre de Mme [X].
Sur la faute alléguée à l'encontre de Mme [U]
Le tribunal, constatant que les demandes formées à l'encontre de Mme [U] en raison de son refus allégué de recevoir la vente de leur bien n'étaient formées qu'à titre subsidiaire, n'a pas statué sur ces demandes.
Moyens des parties
M. et Mme [D] soutiennent que Mme [U] a commis une faute en refusant de recevoir l'acte de vente qu'ils projetaient et en induisant en erreur tout le lotissement conduisant ses confrères à refuser de passer des ventes en raison du ' prétendu ' problème de cahier des charges.
Les appelantes répliquent simplement qu'il n'est nullement démontré que Mme [U] aurait refusé de recevoir la vente.
Appréciation de la cour
Pour démontrer que Mme [U] aurait refusé de recevoir l'acte de vente de leur bien en 2015, M. et Mme [D] produisent un courrier du 21 juillet 2020 adressé par leur propre conseil à l'intéressée, indiquant notamment ' ( ... ) mes clients vous ont sollicitée pour en juillet 2015 pour procéder à la vente de leur maison après avoir trouvé un acquéreur au prix affiché. ( ... ) La maison des époux [D] étant construite sur l'un des terrains ainsi divisés, vous avez tout simplement refusé de passer l'acte de vente '.
A ce courrier, Mme [U] a répondu le 24 juillet 2020 en ces termes ' J'accuse réception de votre courrier en date du 21 juillet 2020 mettant en cause ma responsabilité une fois encore dont les termes ne manquent pas de me surprendre.
Conformément à mon obligation contractuelle, et sans aucune reconnaissance de responsabilité de ma part, je transmets votre réclamation à mon assureur et à la chambre des notaires, afin qu'il apprécie la suite qu'il convient d'y donner '.
Cet élément, non corroboré par des éléments de preuve extérieurs, n'a pas la force probante que M. et Mme [D] lui prêtent.
Aucune déduction ne peut par ailleurs être faite du courrier en réponse émanant de Mme [U].
En l'absence de tout autre élément probant, il y a lieu de considérer que le refus de Mme [U] de recevoir la vente en 2015, à supposer qu'il puisse être considéré comme fautif, n'est nullement établi.
Dans ces conditions, les demandes fondées sur la faute personnelle de Mme [U] ne sauraient être accueillies.
Sur le préjudice et le lien de causalité
Le tribunal a estimé que le manquement de Mme [X] à son devoir d'information avait fait perdre une chance à M. et Mme [D] de renoncer à leur acquisition, perte de chance évaluée à 90 %, et qu'ils démontraient avoir été dans l'impossibilité en 2015 de vendre leur maison en dépit d'une offre au prix souhaité. Il a ainsi accordé une indemnité de 279 000 euros tenant compte du fait que l'impossibilité de vendre n'était pas définitive en raison de la perspective d'une révision du cahier des charges.
Moyens des parties
Les appelantes poursuivent l'infirmation du jugement en faisant valoir que le dommage allégué ne répond pas aux critères du préjudice indemnisable en ce qu'il n'est ni actuel ni certain, d'autant que le cahier des charges a été abrogé. Elles soutiennent que les époux [D] pourraient au plus se prévaloir d'une perte de chance de ne pas contracter mais qu'ils ne démontrent pas que mieux informés, ils avaient une chance raisonnable de renoncer à acquérir le bien.
S'agissant du préjudice, elles l'estiment infondé tant dans son principe que dans son quantum, soulignant que les époux [D] auraient parfaitement pu louer leur pavillon et éviter de continuer de supporter les frais afférents.
M. et Mme [D] affirment que correctement informés, ils auraient renoncé à leur acquisition et n'auraient pas eu à subir l'immobilisation de leur bien depuis 2015.
Ils exposent que n'ayant pu vendre leur bien, ils ont continué à en supporter les frais d'entretien et qu'ils n'ont pas pu réaliser leur projet familial qui consistait à ce que la famille rejoigne M. [D] muté en 2011 à [Localité 25].
Appréciation de la cour
Sur le lien de causalité
Il convient tout d'abord de relever que le litige a profondément évolué depuis le jugement rendu le 7 septembre 2022 puisque lors d'une assemblée générale qui s'est tenue le 9 mai 2023, les co-lotis ont abrogé la clause litigieuse du cahier des charges interdisant la division des lots.
Il n'est pas contesté que cette décision lève toutes les incertitudes et il n'existe plus d'obstacle juridique à ce que le bien puisse être vendu.
Le préjudice découlant d'une impossibilité actuelle de vendre le bien, tel que retenu par le tribunal, doit donc être définitivement écarté.
M. et Mme [D] présentent des demandes subsidiaires reposant sur l'impossibilité dans laquelle, selon eux, ils se trouvent depuis 2015 de vendre leur bien.
Il convient dès lors de rechercher :
- d'une part si, mieux informés, ils auraient renoncé à acquérir le terrain (lien de causalité avec les fautes retenues ) ;
- d'autre part si l'impossibilité de vendre le bien depuis 2015 est établie et quel est le préjudice qui en découle (évaluation du quantum du préjudice retenu).
S'agissant du lien de causalité, c'est à tort que M. et Mme [D] affirment que les préjudice qu'ils allèguent, à savoir l'immobilisation de leur bien, est en lien direct avec les fautes retenues à l'encontre des notaires.
En effet, contrairement à ce qu'ils soutiennent, l'acte reçu a montré sa pleine efficacité. Ils n'ont pas été poursuivis en démolition ou en nullité de la vente par des co-lotis et il est aujourd'hui certain que leur bien peut être vendu puisque la clause litigieuse du cahier des charges a été abrogée.
Le dommage qui résulterait des fautes retenues ne peut dès lors consister qu'en la perte de chance de renoncer à l'acquisition en 2005, ce qui leur aurait évité d'être confrontés à des difficultés à l'occasion de la revente de leur pavillon.
La perte de chance s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Il convient alors d'évaluer le taux de cette perte de chance, en l'espèce quel était le pourcentage de chance que M. et Mme [D] renoncent à acquérir le terrain.
Or, ils ne fournissent à la cour aucun élément objectif permettant de retenir que cette chance était particulièrement élevée.
A l'époque de la transaction, la réalisation de copropriétés horizontales a pu paraître constituer une solution pour contourner l'interdiction du cahier des charges. Du reste, plusieurs autres terrains ont fait l'objet de la même opération de division et mise en copropriété horizontale.
Il n'est donc pas certain que, mieux informés, ils auraient renoncé à acquérir, les difficultés juridiques qu'ils déclarent avoir rencontrées pour vendre le bien n'étant pas raisonnablement prévisibles à l'époque de leur achat. Dès lors, le jugement sera infirmé en ce qu'il a retenu un taux de perte de chance de 90 %
Cette perte de chance de pouvoir choisir et de renoncer à l'acquisition peut être évaluée au regard du comportement du ' bon père de famille ' et être ainsi évaluée à 20 %.
Sur le préjudice financier
S'agissant de l'impossibilité de vendre leur bien en 2015, les éléments produits par M. et Mme [D] démontrent qu'ils ont mis en vente leur pavillon et trouvé en juillet 2015 un acquéreur au prix qu'ils avaient fixé.
Ce projet de vente n'a pas pu être mené à son terme, sans qu'il soit établi, ainsi qu'il a déjà été dit, que le blocage soit imputable au refus de Mme [U] de recevoir l'acte.
Cependant, M. et Mme [D] versent au débat un courriel de Mme [A], notaire à [Localité 19], daté du 20 juillet 2020, indiquant ' il m'est impossible de passer un quelconque acte de vente sur votre propriété, la copropriété ayant été créée en fraude du cahier des charges imprescriptible '.
Ce document est suffisant pour établir que depuis 2015, en dépit de leur volonté avérée de vendre leur bien, M. et Mme [D] n'ont pu mener à bien leur projet.
L'abrogation de la clause litigieuse du cahier des charges en mai 2023 a mis un terme à ce blocage.
Dès lors le jugement, en ce qu'il a condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U] et la société [20] à payer à M. et Mme [D] la somme de 279 000 euros en raison de l'impossibilité, non définitive, de vendre le bien, ne peut qu'être infirmé.
M. et Mme [D] ont cependant été contraints de conserver le bien et d'en supporter les frais d'entretien. Ils ont fait le choix de ne pas le louer, Mme [D] restant vivre à [Localité 18] tandis que M. [D] travaillait et vivait la semaine à [Localité 25] où il avait été muté en 2011.
Les appelantes ne sont pas fondées à leur reprocher ce choix personnel des intimés, mais les prétentions de M. et Mme [D] à hauteur de la somme de 95 982,65 euros doivent être ramenées à de plus justes proportions.
Ainsi, il y a lieu de retenir au titre du préjudice qu'à compter de juillet 2015, M. et Mme [D] ont supporté des frais de logement qui auraient pu être divisés par deux si Mme [D] avait pu rejoindre son époux à [Localité 25].
A cet égard, la cour retiendra l'évaluation proposée par les époux [D], à savoir la somme de 18.072 euros, soit la moitié frais totaux d'entretien du pavillon.
De même, ils ont exposé des frais de déplacement hebdomadaires pour que la famille se retrouve le week-end, frais qui ne résultent pas d'un libre choix de vivre à distance mais contraint par l'impossibilité de vendre.
La cour retiendra l'évaluation proposée par les époux [D] à hauteur de 32.029,20 euros.
Les frais exposés au titre d'une consultation auprès d'un notaire peuvent être également retenus au titre du préjudice, soit la somme de 521,46 euros.
N'est en revanche pas justifiée la demande au titre de loyers 'perdus' de leur appartement de [Localité 25] dès lors que, si leur projet de vente du bien de [Localité 18] s'était réalisé, ils auraient acquis un autre bien à [Localité 25] pour y loger toute la famille et donc exposé d'autres frais.
Le préjudice indemnisable, au vu des pièces produites, peut être ainsi évalué à 50 622,66 euros (18 072 + 32 029,20 + 521,46 ).
Après application du coefficient de perte de chance, il sera alloué au titre du préjudice financier la somme de 10 124,53 euros.
Sur le préjudice moral
Il est établi par les pièces produites que l'impossibilité de vendre leur pavillon a anéanti le projet de vie des époux [D] et qu'il est résulté un préjudice moral indéniable.
Il est justifié à cet égard de leur allouer une somme de 8 000 euros chacun.
Il sera observé que le tribunal n'a pas statué sur la demande de dommages découlant de la faute de Mme [X] mais, par des motifs exacts que la cour adopte, a alloué la somme de 5 000 euros à chacun des époux [D] au titre de manoeuvres dilatoires des défenderesses, lesquelles ont tardé à communiquer sur leur changement de dénomination sociale, ce qui a entraîné des retards dans l'instruction de l'affaire et une ré-ouverture des débats pour permettre aux époux [D] de mettre en cause la société de notaires sous sa nouvelle forme sociale.
La cour confirmera le jugement sur ce point.
Sur les demandes accessoires
Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
S'agissant de la procédure d'appel, il apparaît justifié de dire que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle aura exposés.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné in solidum la société [T] [N] et [W] [U], et la société [20], à payer à M. [C] [D] et Mme [S] [R], épouse [D] unis d'intérêts, la somme de 279 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier objet de la présente procédure ;
Le CONFIRME pour le surplus,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir à l'encontre de la société [20] et la société [21], ès qualités d'assureur de la SCP [Z] [P] et [O] [X],
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir à l'encontre de la société [T] [N] et [W] [U], [22], au titre de la faute alléguée à l'encontre de Mme [U],
DÉCLARE M. et Mme [D] recevables à agir contre Mme [T] [N] et de Mme [W] [U] ès-qualités de liquidateurs de la SCP [T] [N] et [W] [U],
CONDAMNE in solidum la société [T] [N] et [W] [U], [22], et les sociétés [20] et [21], à payer à M. et Mme [D] la somme de 10 124,53 euros au titre du préjudice financier,
CONDAMNE in solidum la société [T] [N] et [W] [U], [22], et les sociétés [20] et [21], à payer à M. et Mme [D] la somme de 8 000 euros chacun au titre du préjudice moral,
DIT que chaque partie conservera à sa charge les dépens exposés lors de la procédure d'appel,
REJETTE les demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le Greffier, La Présidente,