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Décisions

CA Versailles, ch. civ. 1-1, 12 novembre 2024, n° 22/06170

VERSAILLES

Arrêt

Autre

CA Versailles n° 22/06170

12 novembre 2024

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Chambre civile 1-1

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 63B

DU 12 NOVEMBRE 2024

N° RG 22/06170

N° Portalis DBV3-V-B7G-VORQ

AFFAIRE :

S.A.S. [18]

C/

[F] [P]

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Septembre 2022 par le Tribunal Judiciaire de CHARTRES

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 19/01119

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

- la SCP COURTAIGNE AVOCATS,

- la SELARL ISALEX,

- la SCP COURTAIGNE AVOCATS,

- Me Betty WOLFF

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DOUZE NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE,

La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.A.S. [18],

notaires associés, anciennement dénommée SCP '[19]', Notaires associés

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 9]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représentée par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 022660

Me François de MOUSTIER substituant Me Françoise KUHN de la SCP KUHN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : P0090

APPELANTE

(intimée dans le RG 22/6215)

****************

Madame [F] [P]

née le [Date naissance 4] 1977 à [Localité 20] (JAPON)

Monsieur [B], [Z] [N]

né le [Date naissance 5] 1972 à [Localité 21] (USA)

demeurant tous deux [Adresse 11]

[Adresse 11] - SUISSE

représentés par Me Isabelle GUERIN de la SELARL ISALEX, avocat - barreau de CHARTRES, vestiaire : 000053 - N° du dossier E000044Q

S.C.P. [13], notaires associés, successeur de la SCP [19]

prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège

[Adresse 8]

[Adresse 8]

représentée par Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52

Me Barthélemy LACAN, avocat - barreau de PARIS, vestiaire : E0435

(appelante dans le RG 22/6215)

S.A.R.L. [17] ([17])

prise en la personne de ses représentants légaux, domiciliés en cette qualité au siège social

N° SIRET : [N° SIREN/SIRET 7]

[Adresse 6]

[Localité 3]

représentée par Me Betty WOLFF, avocat - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 604

INTIMÉS

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 805 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Septembre 2024 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Pascale CARIOU, Conseillère chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Anna MANES, Présidente,

Madame Pascale CARIOU, Conseillère,

Madame Sixtine DU CREST, Conseillère,

Greffier, lors des débats : Madame Natacha BOURGUEIL,

*********************

FAITS ET PROCÉDURE

M. [N] et Mme [P] ont souhaité faire l'acquisition d'un terrain à bâtir en vue d'y édifier une maison à usage d'habitation.

Ils se sont vus proposer, par l'intermédiaire de l'agence immobilière [17], un terrain à provenir de la division d'une parcelle, sis [Adresse 1], situé dans le périmètre d'un lotissement dénommé "[Adresse 16]".

Le 15 septembre 2005, ils ont signé un compromis de vente établi par M. [K], au terme duquel ils s'engageaient à acquérir ce bien moyennant la somme de 150.000 euros auprès de la société [15].

Ce compromis précisait que le bien immobilier était constitué d'une " parcelle de terre à prendre sur une propriété d'une plus grande superficie située à [Adresse 1], d'une contenance de 29 ares et 42 centiares formant le lot B de la division à venir d'une plus grande parcelle actuellement cadastrée section [Cadastre 10] d'une contenance de 45 ares et 51 centiares ".

Le cahier des charges du lotissement [Adresse 16] interdisant la division des lots, le compromis a été conclu sous la condition suspensive de l'obtention de l'autorisation des autres colotis de procéder à ladite division.

Cette condition s'avérant impossible à réaliser dans les délais prévus pour la levée des conditions suspensives, la société [15] a fait procéder à la division du terrain par un géomètre et à la rédaction d'un règlement de copropriété horizontale entre les deux lots issus du fonds divisé.

C'est ainsi que par acte authentique de vente reçu le 13 février 2006 par la SCP [13], avec la participation de M. [X], notaire à [Localité 12], assistant les acquéreurs, M. [N] et Mme [P] ont acquis ' la jouissance exclusive d'une parcelle de terrain de 2591m² avec le droit d'y construire une maison et le droit à la jouissance exclusive du terrain d'assiette du lot d'une superficie de 2591m² ( ...) '.

M. [N] et Mme [P] ont alors fait édifier un pavillon sur ce terrain qu'ils ont ultérieurement mis en location, ayant dû s'installer à [Localité 14] pour des raisons professionnelles.

Au début de l'année 2018, au départ de leurs locataires, ils ont décidé de mettre leur pavillon en vente mais se sont heurtés à des difficultés en lien avec le cahier des charges régissant le lotissement et plus précisément avec la clause interdisant la division des lots.

C'est dans ces circonstances que M. [N] et Mme [P] ont, par acte d'huissier de justice du 3 juin 2019, fait assigner la SCP [13], notaires associés, la SCP [18], notaires associés, successeurs de la SCP [19], et la société [17] devant le tribunal de grande instance de Chartres (devenu tribunal judiciaire) aux fins de voir engager leur responsabilité civile professionnelle pour violation de leur obligation d'information et de conseil et les voir condamner in solidum à réparer leurs préjudices.

Par jugement contradictoire rendu le 7 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Chartres a :

- Rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [17] et, en conséquence,

- Déclaré recevable l'action de M. [B] [N] et de Mme [F] [P] épouse [N] engagée à l'encontre de la SCP [13], la SCP [18], notaires associés, successeurs de la SCP [19] et la société [17].

Sur le fond

- Mis hors de cause la société [17].

- Condamné in solidum la SCP [13], notaires associés, et la SCP [18], notaires associés, successeurs de la SCP [19], à payer à M. [B] [N] et Mme [F] [P] épouse [N], au titre des intérêts, les sommes de :

- 387 414,76 euros au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier situé [Adresse 1],

- 8 000 euros au titre du préjudice moral,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et ce, avec les intérêts de droit pour l'ensemble de ces sommes à compter du présent jugement.

- Débouté M. [B] [N] et Mme [F] [P] épouse [N] du surplus de leurs demandes.

- Condamné solidairement la SCP [13], notaires associés, et la SCP [18] aux dépens, que la SELARL Isalex, avocats au barreau de Chartres, est autorisée à recouvrer directement aux conditions fixées par l'article 699 du code de procédure civile.

- Ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

La société [18] a interjeté appel de ce jugement le 8 octobre 2022 à l'encontre de la SCP [13], Mme [P], M. [N] et la société [17].

La SCP [13] a également interjeté appel de ce jugement le 12 octobre 2022 à l'encontre des autres parties.

Les deux procédures ont été jointes.

Par dernières conclusions notifiées le 30 juillet 2024, la société [18] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 7 septembre 2022 sur l'ensemble des chefs critiqués

Et statuant à nouveau

Vu l'article 1240 du code civil,

- Dire et juger que Maître [Z] [X] n'a commis aucune faute,

- Dire et juger que M. [B] [N] et Mme [F] [P] ne caractérisent pas le lien de causalité qui doit nécessairement exister entre la faute invoquée et le préjudice allégué,

- Dire et juger que M. [B] [N] et Mme [F] [P] ne caractérisent leur dommage ni dans son principe ni dans son quantum,

- Débouter M. [B] [N] et Mme [F] [P] de toutes leurs demandes,

- Débouter l'agence immobilière société [17] de ses demandes,

- Condamner in solidum M. [B] [N] et Mme [F] [P] à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner in solidum M. [B] [N] et Mme [F] [P] aux entiers dépens, dont distraction pour ceux d'appel.

Par dernières conclusions notifiées le 9 janvier 2023, la SCP [13] demande à la cour de :

Infirmant le jugement entrepris,

- Débouter Monsieur [N] et Madame [P], épouse [N], de l'ensemble de leurs demandes,

- Condamner in solidum Monsieur [N] et Madame [P], épouse [N], à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner in solidum Monsieur [N] et Madame [P], épouse [N], aux entiers dépens de l'instance et dire que la SCP Courtaigne Avocats, avocat, pourra, en application de l'article 699 du code de procédure civile, recouvrer sur la partie condamnée ceux des dépens dont elle déclarera avoir fait l'avance sans avoir reçu provision.

Par dernières conclusions notifiées le 7 juin 2024, Mme [P] et M. [N] demandent à la cour de :

Vu les articles 544, 1101, 1231-1, 1240, 2224 et suivants du code civil,

Vu les pièces communiquées,

Vu la jurisprudence précitée,

- Débouter la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] de toutes leurs demandes,

- Les déclarer recevables en leurs prétentions,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 7 septembre 2022 en ce qu'il a :

- Condamné in solidum la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] à payer à M. [B] [N] et Mme [F] [P] :

- 387.414,76 euros au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier situé [Adresse 1]

- 8.000 euros au titre du préjudice moral

- 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Avec intérêts de droit capitalisés à compter du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres.

A titre subsidiaire, dans l'hypothèse où la décision rendue par le tribunal judiciaire de Chartres serait infirmée par la cour :

- Condamner in solidum la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] à leur verser la somme de 153.736 euros correspondant à l'immobilisation de leur capital pendant une durée de 5 ans,

- Condamner in solidum la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] à leur payer :

- 8.000 euros au titre du préjudice moral

- 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Avec intérêts de droit capitalisés à compter du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres.

Et statuant à nouveau :

- Infirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres qui a les a déboutés d'une partie de leurs demandes,

En conséquence,

- Condamner in solidum la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] à leur payer la somme de 264.426 euros correspondant à leurs préjudices annexes résultant de l'impossibilité de vendre le bien immobilier depuis mars 2018 avec intérêts de droit capitalisés,

- Débouter la société [17] de ses demandes,

- Condamner in solidum la société [13] et la société [18] successeurs de la société [19] à leur payer la somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Condamner in solidum la société [13] et la société [18] aux entiers dépens dont distraction au profit de la Selarl Isalex, avocat au barreau de Chartres, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions notifiées le 19 juin 2023, la société [17] demande à la cour de :

Vu les articles 700 et 910-4 du code de procédure civile,

Vu les articles 1380 anciens et suivants du code civil,

A titre principal,

- Confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Chartres le 7 septembre 2022 en toutes ses dispositions, au besoin par substitution de motifs, notamment en ce qu'il :

- L'a mise hors de cause,

- A débouté M. [B] [N] et Mme [F] [P] épouse [N] du surplus de leurs demandes ;

A titre subsidiaire, en cas d'infirmation de la décision,

- La mettre hors de cause en l'absence :

- De faute de leur part ;

- De lien de causalité ;

- De préjudice indemnisable.

A titre infiniment subsidiaire,

- Lui donner acte qu'aucune demande n'est formulée à son encontre à hauteur d'appel,

En tout état de cause,

- Condamner les époux [N], la SCP [13] et la société « [18] », ou tous succombant, à lui verser la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- Les condamner en tous les frais et dépens de l'instance d'appel.

SUR CE, LA COUR,

Sur les limites de d'appel

Le jugement n'est pas critiqué en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société [17] ni en ce qu'il a mis cette société hors de cause. Ces dispositions sont donc devenues irrévocables.

Par ailleurs, le jugement n'est pas non plus critiqué en ce qu'il a déclaré recevable l'action de M. [N] et de Mme [P] à l'encontre de la SCP [13], la SCP [18], notaires associés, successeurs de la SCP [19] et la société [17].

En effet, si les deux SCP notariales sollicitent l'infirmation du jugement en toutes ses dispositions, aucune des deux ne sollicite dans ses conclusions, l'irrecevabilité des demandes.

La déclaration de recevabilité des demandes de M. [N] et de Mme [P] à l'encontre de ces deux parties est donc définitivement acquise au débat.

Le jugement, pour le surplus, est querellé.

Sur les fautes reprochées aux notaires

Pour retenir la responsabilité des notaires, le tribunal a tout d'abord souligné que la mise en place d'une copropriété horizontale, dont la finalité était de contourner l'interdiction de division des lots telle qu'elle résulte du cahier des charges du lotissement, était de nature à donner lieu à un contentieux.

Il a estimé qu'en prêtant leur concours à la réalisation d'une opération immobilière selon la méthode dite 'Stemmer' alors que le conseil supérieur du notariat avait prescrit de ne plus recourir à cette pratique, au surplus sans attirer clairement l'attention de leurs clients sur les risques juridiques d'un tel montage, tant le notaire rédacteur de l'acte (M. [K]) que celui qui a assisté les acquéreurs (M. [X]) ont manqué à leur devoir de conseil et d'information.

Moyens des parties

La SCP [13] soutient que les mentions figurant au compromis de vente démontrent que les acquéreurs ont été informés de l'existence du cahier des charges et de l'interdiction de diviser les lots.

Elle ajoute que M. [N] et de Mme [P] savaient parfaitement que la condition suspensive n'avait pas été levée et qu'il leur était possible de se désengager du compromis.

Enfin, elle affirme que la vente a été pleinement efficace et que la mise en copropriété horizontale ne contrevient pas à l'interdiction de division des lots.

La société [18], venant aux droits de la SCP [19], conteste tout manquement au devoir d'information quant à l'existence du cahier des charges, M. [X] n'ayant pas été présent lors de la signature du compromis de vente. Elle souligne que les acquéreurs ne pouvaient ignorer ni l'existence du cahier des charges, ni la clause interdisant la division des lots compte tenu de la rédaction du compromis et que c'est en toute connaissance de cause qu'ils ont renoncé à la condition suspensive.

Elle soutient encore que les notaires ont conféré toute l'efficacité à l'acte de vente du 13 février 2006, la vente instrumentée n'ayant jamais été remise en cause, d'autant plus que le cahier des charges a été abrogé par les colotis lors de l'assemblée générale du 9 février 2023.

Elle conteste enfin avoir refusé d'instrumenter une vente qui aurait porté sur le bien de M. [N] et de Mme [P].

M. [N] et Mme [P] poursuivent la confirmation du jugement en affirmant que c'est bien la méthode dite ' Stemmer ' qui a été mise en place pour contourner l'interdiction de diviser les lots et que ce faisant, les notaires n'ont pas respecté les consignes du conseil supérieur du notariat.

Ils ajoutent que l'acte de vente mentionnait qu'ils devenaient propriétaires et non qu'ils acquéraient un droit de jouissance exclusive.

Enfin, ils soutiennent que Mme [C] aurait refusé de recevoir la vente de leur bien en 2018 au moment où il souhaitaient le céder.

Appréciation de la cour

En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

M. [N] et Mme [P] invoquent deux fautes distinctes :

- le manquement de M. [X], aux droits duquel vient la société [18], et de M. [K] à leur devoir de conseil à l'occasion de leur acquisition en 2005 ;

- une faute de Mme [C] pour avoir refusé de recevoir l'acte de vente de leur bien en 2018.

1) Sur le manquement au devoir de conseil

Le notaire, qui, prêtant son concours à l'établissement d'un acte, doit veiller à l'utilité et à l'efficacité de cet acte, est également tenu à l'égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, à une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les conséquences et risques des stipulations convenues.

En l'espèce, M. [K], notaire rédacteur, avec la participation de M. [X], notaire assistant les acquéreurs, a reçu un acte de vente portant sur ' la jouissance exclusive d'une parcelle de 2 591 m² et le droit de construire une maison '.

Bien que l'acte de vente n'en fasse pas mention, ledit terrain, inclus dans le périmètre d'un lotissement, était soumis à un cahier des charges dont l'article l'article 3/2 énonçait ' Il est interdit de rediviser ou de morceler les terrains faisant l'objet du présent lotissement tels qu'ils sont délimités au projet. Toutefois, la cession d'une partie du terrain à un propriétaire voisin pourra être consentie à la condition formelle qu'il soit dûment constaté auparavant que ladite cession ne contredira en rien les clauses et obligations du présent cahier des charges. Dans le cas contraire, la vente sera considérée comme nulle."

Aux motifs exacts du jugement, adoptés par la cour, aux termes desquels le tribunal a retenu tant la faute du notaire rédacteur de l'acte M. [K] que celle de M. [X], il sera ajouté ce qui suit.

S'il ne fait aucun doute que les acquéreurs avaient connaissance de la clause litigieuse des cahiers des charges, compte tenu de la rédaction du compromis de vente, il n'est toujours pas démontré qu'ils aient été pleinement informés des risques liés à la mise en place d'une copropriété horizontale, ni même simplement qu'ils en aient eu conscience. Il n'est pas davantage établi qu'ils aient été clairement et précisément informés de la possibilité qui s'offraient à eux de renoncer à l'acquisition litigieuse du fait de la non réalisation de la condition suspensive liée à l'approbation par tous les colotis de la division illicite.

Du reste, M. [K], notaire rédacteur du compromis, savait pertinemment que cette condition ne serait jamais levée, l'accord unanime des co-lotis étant impossible à obtenir dans le temps de l'avant contrat, d'où la recherche d'une solution alternative trouvée dans la réalisation d'une copropriété horizontale.

A cet égard, c'est très justement que le tribunal a souligné que la stratégie mise en place avait pour unique finalité de contourner l'interdiction de diviser les lots, dont l'objectif était de limiter la densité de construction dans le lotissement.

Ainsi, même si la création d'une copropriété horizontale n'était pas formellement interdite, elle créait nécessairement une incertitude juridique, compte tenu de la fraude sous jacente, qui s'est traduite plusieurs années après, par des difficultés avérées pour revendre le bien.

Au surplus, le conseil supérieur du notariat avait attiré l'attention des notaires dès 2003, préconisant de ne plus recourir à cette stratégie. Il est dès lors incontestable qu'il existait un aléa juridique dont les notaires devaient faire part à leurs clients, ce qu'ils ne démontrent pas avoir fait.

De son côté, M. [X], aux droits duquel vient la société [18], intervenu au stade de la vente authentique, ne démontre pas avoir alerté ses clients sur le fait que la condition suspensive liée à l'accord des co-lotis sur la division du terrain n'étant pas accomplie, ils pouvaient renoncer à la vente.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu une faute à l'encontre des deux SCP notariales.

2) Sur le refus de recevoir la vente en 2018

Le refus de Mme [C] de recevoir la vente étant formellement contesté, il appartient à M. [N] et Mme [P] d'en apporter la preuve.

Or, à l'appui de leurs allégations, ils fournissent un simple mail de l'agence immobilière [17], à laquelle ils se sont adressés pour mettre leur bien en vente, indiquant ' Nous avons actuellement des soucis sur cet ancien lotissement ( revirement de jurisprudence) ou le nouveau notaire d'[Localité 12] Maître [C] a soulever un problème majeur concernant le cahier des charges qui interdit toute division. Nous sommes en train d'essayer de faire tomber ce cahier des charges et les notaires s'activent pour trouver une issue favorable à cette situation. Si vous le souhaitez, pour le moment, nous pouvons nous charger de trouver de nouveaux locataires '.

Ce seul courriel ne saurait constituer la preuve attendue, non seulement parce qu'il n'est pas suffisamment précis, mais encore parce qu'il ne ressort pas d'un écrit émanant de Mme [C] elle-même.

Aucune faute ne sera retenue à l'encontre de la SCP [18] au titre d'un refus de recevoir la vente envisagée.

Sur le préjudice et le lien de causalité

Le tribunal a considéré que M. [N] et Mme [P] apportaient la preuve qu'ils s'étaient retrouvés dans l'impossibilité de céder leur bien immobilier et que ce préjudice, actuel et certain, leur était causé directement par les fautes des notaires.

Moyens des parties

La SCP [18] soutient qu'il n'existe aucun lien de causalité entre les diligences de l'étude notariale et le préjudice allégué et que le dommage allégué n'est ni actuel ni certain, aucune demande de démolition n'ayant été formulée et le cahier des charges ayant été abrogé.

Elle ajoute que le dommage ne peut s'analyser qu'en une perte de chance de ne pas contracter et affirme qu'il n'est pas établi que mieux informés, M. [N] et Mme [P] auraient renoncé à leur acquisition.

S'agissant du quantum, la SCP soutient que les demandes sont fantaisistes et en dehors de toute réalité économique.

La SCP [13] soutient que le préjudice allégué n'est ni actuel, ni certain, que la perte d'une chance raisonnable de renoncer à l'acquisition n'est pas établie et que les intimés ne démontrent nullement avoir véritablement tenté de vendre leur bien et s'être heurté à une réelle impossibilité. Elle ajoute qu'aucun autre élément de préjudice ne peut être allégué en sus de la perte de chance de ne pas contracter.

M. [N] et Mme [P] font valoir pour l'essentiel que pendant 5 années, ils ont été dans l'impossibilité de vendre leur bien et que mieux informés sur la situation du bien, ils ne l'auraient pas acquis.

Ils forment une demande subsidiaire fondée sur l'immobilisation du bien pendant 5 ans et affirment que l'impossibilité de pouvoir disposer librement de leur bien découle de la faute des notaires tenus de conférer aux actes qu'ils reçoivent leur pleine efficacité.

Appréciation de la cour

Il convient tout d'abord de relever que le litige a profondément évolué depuis le jugement rendu le 7 septembre 2022 puisque lors d'une assemblée générale qui s'est tenue le 9 mai 2023, les co-lotis ont abrogé la clause litigieuse du cahier des charges interdisant la division des lots.

Il n'est pas contesté que cette décision lève toutes les incertitudes et il n'existe plus d'obstacle juridique à ce que le bien puisse être vendu.

Le préjudice découlant d'une impossibilité de vendre le bien, tel que retenu par le tribunal, doit être définitivement écarté.

M. [N] et Mme [P] présentent des demandes subsidiaires reposant sur l'impossibilité dans laquelle selon eux ils se sont trouvés de vendre le bien au moment où ils le souhaitaient et l'immobilisation de leur capital qui en a découlé.

Il convient dès lors de rechercher :

- d'une part si, mieux informés, M. [N] et Mme [P] auraient renoncé à acquérir le terrain (lien de causalité avec les fautes retenues),

- d'autre part si l'impossibilité de vendre le bien pendant 5 années est établie et quel est le préjudice qui en découle (évaluation du quantum du préjudice retenu).

1 Sur le lien de causalité avec le préjudice allégué

C'est à tort que M. [N] et Mme [P] affirment que le préjudice qu'ils allèguent, à savoir l'immobilisation de leur bien pendant 5 ans, est en lien direct avec les fautes retenues à l'encontre des notaires.

En effet, contrairement à ce qu'ils soutiennent, l'acte reçu a montré sa pleine efficacité. Ils n'ont pas été poursuivis en démolition ou en nullité de la vente par des co-lotis et il est aujourd'hui certain que leur bien peut être vendu puisque la clause litigieuse du cahier des charges a été abrogée.

Le dommage qui résulterait des fautes retenues ne peut consister qu'en la perte de chance de renoncer à l'acquisition en 2005, ce qui leur aurait évité d'être confrontés à des incertitudes quant à la possibilité de revendre leur pavillon.

La perte de chance s'entend de la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, qui doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l'avantage qu'aurait procuré cette chance si elle s'était réalisée. Il appartient à celui qui s'en prévaut d'établir un lien de causalité direct entre la perte de chance alléguée et la faute.

Il appartient donc à M. [N] et Mme [P] de démontrer que mieux informés, ils avaient une chance certaine de renoncer à acquérir le terrain.

Or, ils ne fournissent à la cour aucun élément objectif permettant de retenir que cette chance était particulièrement élevée.

A l'époque de la transaction, la réalisation de copropriétés horizontales a pu paraître constituer une solution pour contourner l'interdiction du cahier des charges. Du reste, plusieurs autres terrains ont fait l'objet de la même opération de division et mise en copropriété horizontale.

Il n'est donc nullement démontré que mieux informés ils auraient renoncé à acquérir, les difficultés juridiques qu'ils déclarent avoir rencontrées pour vendre le bien n'étant pas raisonnablement prévisibles à l'époque de leur achat.

La perte de chance de renoncer à l'acquisition est réelle, en ce que tout acheteur ' bon père de famille' informé d'une incertitude juridique quant à la transaction qu'il envisage est amené à reconsidérer son achat.

Toutefois, faute d'éléments d'appréciation concrets et objectifs démontrant une forte probabilité de renoncer, qu'il appartenait à M. [N] et Mme [P] d'apporter, la perte de chance sera limitée à 20 %.

2 Sur le préjudice

S'agissant de l'impossibilité de vendre leur bien en 2018, M. [N] et Mme [P] ne démontrent pas avoir recherché et encore moins trouvé un acquéreur pour leur bien.

Ils ont renoncé d'eux-mêmes à leur projet de vente à la seule lecture du mail de l'agence [17] sans chercher à avoir un autre avis d'un professionnel du droit.

Ce seul élément est manifestement insuffisant pour affirmer que la vente a été rendue impossible en raison de la clause du cahier des charges, entraînant l'immobilisation du bien.

En outre, il est démontré que même avant l'abrogation du cahier des charges, au moins une vente a été menée à son terme portant sur un bien ayant les mêmes caractéristiques (issus de la division d'un lot).

Ils ne démontrent donc pas l'impossibilité réelle d'avoir pu vendre leur bien en 2018 et ne sont dès lors pas recevables à se prévaloir d'un préjudice financier découlant de l'immobilisation de leur bien pendant plusieurs années.

Le jugement sera dès lors infirmé en ce qu'il a condamné les notaires au paiement de la somme de 387 414,76 euros.

S'agissant du préjudice moral, il découle directement des fautes retenues à l'encontre de M. [K] et de M. [X], à savoir un manquement à leur devoir d'information.

En effet, non alertés sur les risques juridiques de leur acquisition, M. [N] et Mme [P] se sont retrouvés brusquement confrontés à des difficultés pour vendre leur bien sans les avoir anticipées.

S'ils ne démontrent pas s'être heurtés à l'impossibilité de vendre, le courriel révèle a minima que la vente était rendue plus compliquée en raison de la clause litigieuse du cahier des charges, à l'origine de réticences des professionnels de l'immobilier pour s'engager dans un tel processus.

La réalité de ces complications est corroborée par le fait que l'assemblée générale des co-lotis a fini par adopter l'abrogation de cette clause, abrogation qui n'aurait pas de sens si la revente des biens construits sur des parcelles divisées ne posait aucune difficulté.

Il en est résulté un préjudice moral incontestable pour M. [N] et Mme [P] qui justifie de confirmer le jugement en ce qu'il leur a alloué la somme de 8 000 euros chacun à ce titre.

Sur les dispositions accessoires

Le sens du présent arrêt commande de confirmer les dispositions du jugement relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

S'agissant de la procédure d'appel, il apparaît justifié de dire que chaque partie conservera à sa charge les dépens qu'elle aura exposés.

La SCP [18] sera condamnée à verser à la société [17], qu'elle a attraite à la procédure, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Les autres demandes sur ce fondement seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant par arrêt contradictoire, dans les limites de l'appel, par mise à disposition,

INFIRME le jugement en ce qu'il a condamné in solidum la SCP [13], notaires associés, et la SCP [18], notaires associés, successeurs de la SCP [19], à payer à M. [B] [N] et Mme [F] [P] épouse [N], au titre des intérêts, la somme de 387 414,76 euros au titre de la perte de chance de renoncer à acquérir le bien immobilier situé [Adresse 1],

Le CONFIRME pour le surplus,

Statuant à nouveau et y ajoutant

DÉBOUTE M. [N] et Mme [P] de leurs demandes au titre du préjudice financier,

DIT que chaque partie conservera la charge des dépens qu'elle aura exposés dans le cadre de la procédure d'appel,

CONDAMNE la SCP [18] à verser à la société [17] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les autres demandes présentées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Madame Anna MANES, présidente, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le Greffier, La Présidente,