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Décisions

Cass. 2e civ., 18 novembre 2010, n° 09-13.265

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Loriferne

Rapporteur :

Mme Aldigé

Avocat général :

Mme de Beaupuis

Avocats :

SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Tiffreau et Corlay, SCP Waquet, Farge et Hazan

Versailles, du 22 janvier 2009

22 janvier 2009

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Lion salaisons Normandie (la société ) a assigné son assureur, la société Axa France IARD (l'assureur), pour obtenir sa condamnation à lui payer une certaine somme représentant l'indemnité due à la suite de l' incendie des locaux acquis en crédit bail avec promesse de vente auprès de la société Unicom, aux droits de laquelle vient la société Finamur ; qu'une cour d'appel a condamné l'assureur à payer une certaine somme à la société ;

Sur le premier moyen du pourvoi principal :

Attendu que la société fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande aux fins d'annulation du rapport d'expertise judiciaire et de récusation de l'expert alors, selon le moyen :

1°/ que la déontologie et l'obligation d'impartialité qui pèsent sur les experts leur imposent à la fois une obligation de courtoisie à l'égard des auxiliaires de justice et l'obligation de ne manifester aucun ressentiment à l'égard des parties et de leur conseil; que la manifestation de ressentiment ou l'émission de remarques désobligeantes en ce qu'elles font naître un doute objectif sur l'impartialité de l'expert justifie sa récusation ; que la société faisait valoir que l'expert avait tenu des propos désobligeants à l'égard de son conseil le traitant de "prestidigitateur redoutable" et en relevant dans l'une de ses notes aux parties qu'"après un suspense de trois mois, il a enfin fait sortir de son chapeau le lapin "marché" ; qu'en écartant la demande de récusation de l'expert en relevant que son attitude n'allait pas au-delà de l'ironie, sans rechercher si les propos ainsi tenus et l'existence même de cette attitude, n'étaient pas de nature à faire naître un doute sérieux sur l'impartialité de l'expert dans l'esprit de la société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 234 et 341 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que l'expert judiciaire est tenu d'une obligation d'impartialité sous réserve de récusation ; que l'article 341 du code de procédure civile, auquel renvoie l'article 234 du même code, qui prévoit des cas de récusation, n'épuise pas l'exigence d'impartialité requise de tout expert judiciaire; qu'en se bornant à relever que le fait de déjeuner avec les experts et conseils de l'assureur ne permettait pas de caractériser un sentiment d'amitié notoire pour écarter la demande de récusation de l'expert, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si ce fait n'était pas de nature à faire naître un doute légitime sur l'impartialité de l'expert chez la société, la cour d'appel a violé les articles 234 et 341 du code de procédure civile ensemble l'article 6§1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en se bornant à apprécier les éléments de faits invoqués par la société à l'appui de sa demande de récusation isolément sans rechercher si de tels éléments, pris dans leur ensemble et globalement, ne pouvaient pas, du fait de leur conjonction et leur répétition, faire naître un doute légitime sur l'impartialité de l'expert chez la société, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6§1er de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu qu'une demande de récusation d'expert n'est pas recevable après le dépôt du rapport d'expertise ;

Que par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués par le moyen, l'arrêt se trouve légalement justifié de ce chef ;

Attendu que le deuxième moyen du pourvoi incident de la société Axa n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le deuxième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que pour fixer à une certaine somme le montant de l'indemnité due au titre des pertes indirectes, l'arrêt retient que la société demande 80 875,73 euros, sur la base d'un coût des travaux de 1 541 289 euros ; que l'assureur offre 46 440,57 euros, somme supérieure à l'estimation de l'expert, et qui sera retenue ;

Qu'en statuant ainsi alors que le contrat d'assurance énonçait que l'indemnité forfaitaire et complémentaire versée au titre des pertes indirectes est égale à 10 % du dommage lorsque celui-ci est égal ou inférieur à 76 224,50 euros et, lorsqu'il est supérieur à ce montant, à 10 % jusqu'à 76 224,50 euros et 5 % au-delà, et qu'elle avait évalué le dommage, correspondant au coût de reconstruction à la somme de 895 502,66 euros, somme supérieure à celle de 852 587 euros sur laquelle l'assureur avait calculé le montant de sa garantie, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi principal :

Vu l'article 4 du code de procédure civile ;

Attendu que pour rejeter la demande de la société de condamnation de l'assureur à des dommages-intérêts pour "résistance" abusive, l'arrêt retient que l'assureur prospérant pour partie en ses prétentions, la demande de dommages-intérêts pour "procédure" abusive" devait être rejetée ;

Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé le texte susvisé ;

Et sur le premier moyen du pourvoi incident, pris en sa deuxième branche :

Vu les articles 455 et 458 du code de procédure civile ;

Attendu que pour condamner l'assureur à payer une certaine somme au titre de l'indemnité d'assurance, l'arrêt retient que la société sollicite une indemnité au titre des honoraires d'architecte et que l'assureur s'y oppose en l'absence de reconstruction des bâtiments détruits ; que toutefois la police ne prévoyant pas une telle exclusion, ce poste doit être indemnisé ;

Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'assureur qui soutenait que l'avenant signé le 15 janvier 1998 ne prévoyait pas l'indemnisation de ce préjudice, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

Et sur le troisième moyen du pourvoi incident pris en sa première branche :

Vu l'article 1134 du code civil ;

Attendu que pour condamner l'assureur à payer à la société une certaine somme au titre de la garantie perte des loyers, l'arrêt retient que l'assureur soutient que la garantie ne profite qu'au bailleur, alors que la société était locataire, et ne devait qu'une indemnité résiduelle ; que cependant la société a de fait perdu une chance d'encaisser des loyers ;

Attendu qu'en statuant ainsi alors que le contrat stipulait que les assureurs garantissent le paiement des loyers au bailleur durant le temps effectif de la réparation des dommages, proportionnellement à la partie des biens détruite, et ce avec un maximum de deux années et que les conditions spéciales précisaient que cette garantie avait pour objet le versement des loyers au bailleur en cas d'impossibilité pour le preneur ou l'occupant d'utiliser temporairement tout ou partie des locaux après un sinistre, la cour d'appel a dénaturé les clauses du contrat et violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi incident :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté la société Lion salaisons Normandie de sa demande aux fins d'annulation du rapport de l'expert judiciaire et de la récusation de l'expert, l'arrêt rendu le 22 janvier 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne la société Lion salaisons Normandie et la société Axa France IARD aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, déboute la société Axa et la société Lion salaisons Normandie de leurs demandes ; condamne la société Lion salaisons Normandie à payer à la société Finamur la somme de 2 500 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit novembre deux mille dix.