CA Rennes, 5e ch., 13 novembre 2024, n° 24/02603
RENNES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Selira (SAS)
Défendeur :
Groupe Mahé (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Le Champion
Vice-président :
Mme Parent
Conseiller :
Mme Hauet
Par acte notarié du 8 avril 2021, la société Groupe Mahé a donné à bail commercial à la société Selira des locaux situés au sein du bâtiment 2 d'un ensemble immobilier situé [Adresse 4] à [Localité 3], moyennant un loyer mensuel de 1 600 euros, hors charges et hors taxes, payable mensuellement et par avance.
Des loyers sont demeurés impayés.
Le bailleur a fait délivrer un commandement de payer, visant la clause résolutoire, par acte d'huissier du 8 juillet 2023, à la société Selira, pour une somme de 8 856,32 euros en principal et frais, au titre de l'arriéré locatif arrêté à juillet 2023.
Par acte de commissaire de justice du 9 juin 2024, la société Groupe Mahé a fait assigner la société Selira devant la juridiction des référés du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire.
Par ordonnance du 19 mars 2024, le juge des référés du tribunal de Saint-Nazaire a :
- constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 8 août 2023,
- ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société Selira et de tout occupant de son chef des lieux situé [Adresse 4] à [Localité 3] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier,
- dit n'y avoir lieu au prononcé d'une astreinte,
- dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis
aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point,
- fixé à titre provisionnel l'indemnité d'occupation due par la société Selira, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à la libération effective des lieux par la remise des clés, à une somme égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires,
- condamné par provision la société Selira à payer la société Groupe Mahé la somme 8 110,48 euros (loyer du mois de juillet compris) arrêtée au 8 août 2023, avec intérêts au taux légal depuis la date de délivrance du commandement à hauteur de 6 537,28 euros et à compter de l'assignation sur le surplus,
- dit que les sommes versées par la société Selira postérieurement au 8 août 2023 s'imputeront sur les sommes dues,
- dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes formées au titre de la clause pénale,
- condamné la société Selira aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement,
- condamné la société Selira à payer à la société Groupe Mahé la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- rejeté toutes les autres demandes des parties,
- rappelé que l'ordonnance de référé rendue en matière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a autorité de chose jugée provisoire et est exécutoire à titre provisoire.
Le 29 avril 2024, la société Selira a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 22 mai 2024, elle demande à la cour de :
- la recevoir en son appel,
- la déclarer bien fondée,
- réformer l'ordonnance de référé rendue par le président du tribunal judiciaire de Saint-Nazaire en date du 19 mars 2024,
Statuant à nouveau,
- suspendre les effets de la clause résolutoire du commandement de payer du 8 juillet 2023,
- lui accorder un délai de paiement de douze mois pour s'acquitter de sa dette de 8 687,28 euros,
- juger qu'elle s'est acquittée durant le cours des délais octroyés de 8 687,28 euros ainsi que des frais d'actes,
En conséquence,
- juger n'y avoir lieu à appliquer la clause résolutoire et constater la résiliation du bail du 8 avril 2021,
- juger qu'il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de chaque partie les frais répétibles et non répétibles qu'elles ont exposés pour faire valoir leurs droits.
Par dernières conclusions notifiées le 24 juin 2024, la société Groupe Mahé demande à la cour de :
- confirmer les dispositions de l'ordonnance de référé en ce qu'elle a :
* constaté l'acquisition de la clause résolutoire insérée au bail à la date du 8 août 2023,
* ordonné, à défaut de restitution volontaire des lieux dans les quinze jours de la signification de la présente ordonnance, l'expulsion de la société Selira et de tout occupant de son chef des lieux situés [Adresse 4] à [Localité 3] avec le concours, en tant que de besoin, de la force publique et d'un serrurier,
* dit, en cas de besoin, que les meubles se trouvant sur les lieux seront remis aux frais de la personne expulsée dans un lieu désigné par elle et qu'à défaut, ils seront laissés sur place ou entreposés en un autre lieu approprié et décrit avec précision par l'huissier chargé de l'exécution, avec sommation à la personne expulsée d'avoir à les retirer dans un délai de quatre semaines à l'expiration duquel il sera procédé à leur mise en vente aux enchères publiques, sur autorisation du juge de l'exécution, ce conformément à ce que prévoient les dispositions du code des procédures civiles d'exécution sur ce point,
* condamné par provision la société Selira à lui payer la somme de 8 110,48 euros (loyer du mois de juillet compris) arrêtée au 8 août 2023,
* condamné la société Selira aux entiers dépens, en ce compris le coût du commandement,
* condamné la société Selira à lui payer la somme de 1 500 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* rappelé que l'ordonnance de référé rendue en manière de clause résolutoire insérée dans le bail commercial a autorité de chose jugée provisoire et est exécutoire à titre provisoire,
- infirmer l'ordonnance pour le surplus,
Statuant à nouveau :
À titre principal :
- condamner la société Selira à lui payer par provision une indemnité d'occupation de 104,64 euros par jour au titre de son occupation depuis le 9 août 2023 et jusqu'à la libération effective des lieux,
- assortir l'expulsion d'une astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
À titre subsidiaire, en cas de suspension des effets de la clause résolutoire et d'octroi de délais de paiement :
- juger que faute pour la société Selira de payer, en sus du loyer, des charges et des accessoires échus et courants dans les termes du bail, une seule des mensualités de l'échéancier, et huit jours l'après l'envoi d'une simple mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception :
* le tout deviendra immédiatement exigible,
* la clause résolutoire sera acquise,
* il sera prononcé l'expulsion immédiate de la société Selira des locaux,
* une indemnité provisionnelle d'occupation établie conformément au contrat sur la base du loyer global de la dernière année de location majoré de 50 %, soit égale à 104,64 euros par jour, sera mise à sa charge jusqu'à la libération effective des locaux,
En tout état de cause :
- assortir la condamnation provisionnelle de la société Selira à lui payer la somme de 8 110,48 euros d'intérêts de retard au taux contractuel de 9,22 % à compter du 26 septembre 2023,
- condamner la société Selira à lui payer par provision la somme de 876,07 euros à titre de pénalité forfaitaire,
- condamner la société Selira à supporter les entiers dépens en ce compris les frais de signification de l'ordonnance de référé et du commandement de quitter les lieux,
- condamner la société Selira à lui payer la somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La société Selira explique que M. [D] a racheté les parts de la société à hauteur de 50 %, que M. [D] n'était pas avisé du montant exact de l'arriéré de loyers notamment et que l'intéressé a essayé de régulariser la situation.
Elle signale que le commandement de payer du bailleur n'a pas été signifié à personne mais déposé à l'étude.
Le représentant de la société affirme qu'il n'était pas informé de ce commandement ni de l'assignation devant le juge des référés.
Il demande la suspension des effets de la clause résolutoire.
Il indique qu'il a payé une somme supérieure au montant figurant dans le commandement.
Il précise que la situation découlant du commandement a été complètement régularisée, et que les loyers sont à jour.
En réponse, la société Groupe Mahé expose que depuis son entrée dans les lieux, la société Selira a méconnu plusieurs de ses obligations :
- la société Selira a refusé de justifier de la souscription d'une assurance,
- elle n'a réglé qu'une faible quote-part du loyer à compter de la fin de l'année 2022.
Elle écrit que la société Selira ne démontre pas la réalité de ses demandes.
Elle expose que le défendeur s'est contenté de verser une somme de 2 150 euros sur les 8 687,28 euros dans le délai d'un mois du commandement.
La société Groupe Mahé soutient que les conditions d'octroi de délais de grâce ne sont pas réunies parce que :
- la société Selira n'apporte pas d'élément permettant d'apprécier sa viabilité et sa capacité de remboursement,
- le preneur prétend avoir exécuté entre avril et décembre 2023 les causes du commandement alors qu'il assure n'en avoir eu connaissance que le 23 avril 2024,
- elle évalue à 7 224,61 euros la dette locative au 18 juin 2024 et à la somme de 4 638,92 euros au 2 octobre 2024, soit plus de deux mois de loyer,
- elle n'a pas reçu le paiement annoncé de 796,27 euros,
- elle discute l'imputation des règlements intervenus sur les causes du commandement de payer.
Dans l'hypothèse d'octroi de délais de paiement, elle souhaite que la suspension de la clause résolutoire soit conditionnée au règlement de l'arriéré locatif depuis la prise d'effet du commandement et des loyers courants.
La société Groupe Mahé rappelle que les sommes dues s'élèvent à 6 537,28 euros au titre de la dette locative au 8 août 2023 et 1 573,20 euros au titre de la taxe foncière 2023.
Elle réclame l'application du taux d'intérêt contractuel soit 9,22 % et une majoration forfaitaire de 10 % de la somme due.
Concernant l'indemnité d'occupation, la société Groupe Mahé demande sa majoration de 50 % par rapport du dernier loyer.
En préliminaire, la cour constate que la société Selira critique les modalités de signification du commandement de payer et de l'assignation devant le juge des référés sans en tirer de conséquences juridiques et sans formuler de demande à ce titre.
- Sur la résiliation.
En application de l'article L. 145-41 du code de commerce, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu'un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Les juges saisis d'une demande présentée dans les formes et conditions prévues à l'article 1343-5 du code civil peuvent, en accordant des délais, suspendre la réalisation et les effets des clauses de résiliation, lorsque la résiliation n'est pas constatée ou prononcée par une décision de justice ayant acquis l'autorité de la chose jugée. La clause résolutoire ne joue pas, si le locataire se libère dans les conditions fixées par le juge.
La société Selira affirme avoir payé :
- une somme de 2 150 euros le 26 juillet 2023,
- une somme globale de 8 350 euros entre le 21 août et le 29 novembre 2023.
Des pièces versées au dossier, il résulte que la société Selira a versé :
- une somme de 2 150 euros le 26 juillet 2023, soit dans le mois suivant le commandement,
- 2 150 euros le 21 août 2023,
- 950 euros le 28 août 2023.
La société Selira indique avoir fini de payer l'intégralité des causes du commandement de payer le 30 août 2024 en versant le solde d'un montant de 796,27 euros.
Ce paiement n'est pas justifié par les pièces du dossier.
De plus, l'affirmation de la société Selira contredit ses propres écritures puisqu'elle a indiqué qu'elle avait payé plus que les causes du commandement en novembre 2023.
En outre, si la société Selira a essayé de régler au moins partiellement sa dette locative, elle ne justifie pas de l'inexistence d'une dette locative.
Elle ne fournit aucun document, notamment comptable ou bancaire, permettant à la cour d'analyser sa situation financière et donc sa capacité à faire face à ses obligations contractuelles.
La société Selira est déboutée de ses demandes de délais de paiement et de suspension des effets de la clause résolutoire du commandement de payer du 8 juillet 2023.
L'ordonnance critiquée est confirmée en ce qu'elle a constaté l'acquisition de la clause résolutoire et ordonner l'expulsion de la société Selira à défaut de restitution volontaire des locaux.
La société Groupe Mahé ne démontre pas la nécessité de l'instauration d'une astreinte.
L'ordonnance critiquée est confirmée en ce qu'elle a débouté cette société de sa demande.
- Sur les demandes en paiement.
Selon l'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président du tribunal peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Au vu du décompte produit par la société Groupe Mahé, il convient de condamner, au titre des loyers, charges, taxes et accessoires, à la date du 8 août 2023, la société Selira à payer, à titre de provision, à la société Groupe Mahé la somme de 8 110,48 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date du commandement sur la somme de 6 537,28 euros et à compter de l'assignation pour le surplus.
Les sommes versées postérieurement au 8 août 2023 par la société Selira s'imputeront sur les sommes dues.
L'ordonnance critiquée est confirmée sur ce point.
La société Groupe Mahé sollicite en exécution du bail :
- le paiement d'une indemnité d'occupation établie forfaitairement sur la base du loyer global de la dernière année de location majorée de 50 %, fondée sur l'article
- le paiement d'intérêt au taux légal majoré de 5 points sur les impayés locatifs,
- une majoration forfaitaire de 10 % de la somme due.
Cette majoration de 10 % et l'application de cet intérêt de retard s'analysant en des clauses pénales, sont susceptibles de revêtir un caractère manifestement excessif au sens de l'article 1231-5 du code civil, de sorte que la demande formulée à ce titre se heurte à une contestation sérieuse, telle que prévue à l'article 835, alinéa 2, du code de procédure civile.
L'indemnité forfaitaire d'occupation majorée qui a été contractuellement prévue s'analyse comme une clause pénale. Il en est de même de la majoration de 10 % et de l'intérêt de retard à hauteur de 9,22 %.
S'il appartient au juge des référés d'appliquer une clause contractuelle claire et précise, et en l'occurrence une clause pénale, il ne peut, sur le fondement de l'article 1231-5 du code civil la modérer s'il l'estime manifestement excessive. Or, le contrat de bail ne prévoit pas une mais plusieurs clauses pénales afin de réparer le préjudice subi par l'intimée résultant de la résiliation du bail. Il est fort probable que ces pénalités contractuelles, cumulées, excèdent le préjudice effectivement subi par la société Groupe Mahé. Outre le fait qu'il n'appartient pas au juge des référés de se prononcer sur le préjudice effectivement subi par la bailleresse du fait de la constatation de la résiliation du bail, il n'a pas le pouvoir d'appliquer une seule clause pénale au détriment des autres, ni même de la ou les modérer selon la ou les clauses pénales retenues.
En conséquence, c'est par une juste appréciation que le premier juge a dit qu'il n'y a pas lieu à faire application du taux contractuel et qu'il n'y a pas lieu à référé sur la clause pénale.
L'ordonnance est confirmée en ce qui concerne la majoration forfaitaire de 10 %.
L'indemnité d'occupation est, à compter de la résiliation du bail et jusqu'à libération des lieux, égale au montant du loyer contractuel, outre les taxes, charges et accessoires. L'ordonnance critiquée est confirmée.
- Sur les autres demandes.
Succombant en appel, la société Selira est condamnée à payer à la société Groupe Mahé la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens, étant par ailleurs précisé que les dispositions de l'ordonnance entreprise sur les frais irrépétibles et les dépens sont confirmées.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
Confirme l'ordonnance en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Déboute la société Selira de ses demandes en suspension de la clause résolutoire et en délais de paiement ;
Condamne la société Selira à payer à la société Groupe Mahé la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Selira aux dépens.