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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 9, 5 avril 2024, n° 23/00126

PARIS

Ordonnance

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CABINET SALLARD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme FETIZON

Avocat :

Me COHEN

CA Paris n° 23/00126

4 avril 2024

Statuant en application des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991, Monsieur le Bâtonnier de l'Ordre des Avocats de Paris a rendu une décision contradictoire sur la saisine de la SELARL SALLARD [D] le 21 février 2023 qui a :

- Vu l'absence de désignation par Mme [T] [U] d'un avocat successeur après dessaisissement de la SELARL SALLARD [D],

- constaté que la mission était toujours en cours

- en conséquence s'est déclaré incompétente pour statuer en l'état sur la demande de fixation des honoraires de cette dernière

- a rejeté toutes autres demandes plus amples ou complémentaires

La SELARL SALLARD [D] a formé un recours contre cette décision le 27 février 2023.

A l'audience du 21 février 2024, la SELARL SALLARD [D] est représentée par Maître [D] substitué par Maître Miyuki COHEN.

Ce dernier soutient dans des conclusions visées à l'audience et auxquelles la Cour se réfère :

- l'infirmation de la décision critiquée

- la fixation des honoraires dus par Madame [T] [L] épouse [U] à Maître [H] [D] à la somme de 13 250 euros HT outre la TVA en vigeur et 61 euros au titre des frais non soumis

- la condamnation de Madame [U] à lui verser la somme de 5000 euros au titre de dommages et intérêts

- la condamnation de Madame [U] à lui verser la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel

Maître COHEN soutient notamment

- qu'il s'est tourné vers le service de déontologie du Barreau de Paris en raison de son désir qu'un de ses confrères soit désigné à ses lieu et place sur le fondement de l'article 419 al 2 du code de procédure civile.

- que ce service lui a répondu le 20 avril 2022, faisant état de ce que l'usage à [Localité 5] était de ne pas désigner de confrère dès lors qu'une partie est tout à fait à même de faire elle-même le choix d'un conseil au regard du nombre et des compétences des avocats inscrits

- qu'il a donc réitéré son dessaisissement à sa cliente au vu de ce courrier dès le 27 avril 2022 par mail et par lettre recommandée avec accusé de réception

- qu'il appartenait à Madame [U] de trouver un confrère pour lui succéder, la mission ayant pris fin le 22 décembre 2022 au plus tard conformément à la jurisprudence applicable et au texte de l'article 418 du code de procédure civile s'appliquant à sa cliente, les dispositions de l'article 419 du même code ayant mal été interprétées

- que les diligences effectuées sont justifiées et correspondent à l'équivalent de 66H09 sur la base du taux horaire applicable de 200 euros HT

- que des dommages et intérêts seront prononcés en raison des mails incalculables adressés par Madame [U] et son mari, constituant un harcèlement incessant et pesant

Madame [T] [L] épouse [U] est absente mais représentée par son mari lequel dépose un pouvoir à cette fin.

Il dépose des conclusions visées par le greffe et auxquelles la cour se réfère.

Il sollicite notamment :

- de constater que la SELARL SALLARD [D] est toujours officiellement constituée au moins jusqu'au 13 décembre 2023 en la défense des intérêts de Mme [U]

- de constater le caractère abusif de l'appel de la SELARL SALLARD [D]

- de constater l'existence d'actions judiciaires , pénale, disciplinaire et civile contre Maître [H] [D] ou la SELARL SALLARD [D]

- de débouter en conséquence le recours de la SELARL SALLARD [D] de toutes ses demandes

- de condamner la SELARL SALLARD [D] à verser à Madame [U] une somme de 3136 euros correspondant au montant des honoraires qu'il a perçu sans contrepartie avec les intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2022

- de condamner la SELARL SALLARD [D] à verser à madame [U] à titre de provision la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts correspondant aux prétentions exprimées dans sa demande de taxation

- de condamner la SELARL SALLARD [D] à une amende civile pour procédure abusive

Il fait valoir notamment que Maître [D] doit être maintenu dans la charge des intérêts de la défense de Madame [U] au vu de l'article 419 du code de procédure civile. De plus, Maître [D] a confirmé sa carence absolue en refusant de transmettre les projets de conclusions que lui soumettait Madame [U], ignorant toute instruction de sa cliente. De même, l'avocat a cessé de transmettre les bulletins de procédure et n'a participé à aucune audience de mise en état ni à aucune audience de plaidoiries.

Il ajoute que la jurisprudence établit que ne peuvent être tranchés en taxation d'honoraires les litiges de droit commun entre un avocat et son client.

Enfin, les honoraires versés à l'avocat en pure perte devront être remboursés soit la somme de 3136 euros.

SUR CE

La cour rappelle qu'en matière de contestations relatives à la fixation et au recouvrement des honoraires des avocats, les règles prévues par les articles 174 à 179 du décret n° 91-1197 du 27 novembre1991 organisant la profession d'avocat doivent recevoir application, alors qu'elles sont d'ordre public et instituent une procédure obligatoire et exclusive (cf. Cass. 2ème Civ., 1er juin 2011, pourvoi n° 10-16.381, Bull. n 124 ; 2 Civ., 13 septembre 2012, P. pourvoi n° 10-21.144).

Ainsi, dans ce cadre procédural, il appartient au bâtonnier de l'ordre des avocats et, en appel, au premier président, à qui une contestation d'honoraires est soumise d'apprécier, d'après les conventions des parties et les circonstances de la cause, le montant de l'honoraire dû à l'avocat.

Sur le recours :

Le recours est recevable en la forme, le recours ayant été formé dans les délais légaux.

Sur la compétence de la cour en l'espèce :

Madame [T] [L] épouse [U] a saisi le cabinet [D] pour la défense de ses intérêts en début de l'année 2021 pour plusieurs litiges, une contestation d'assemblée générale de copropriété , une demande de paiement contesté de charges de copropriété, un litige l'opposant à son bailleur commercial et une contestation d'une assemblée générale de copropriété en octobre 2021.

Les relations entre les parties se sont dégradées.

Différentes factures ont été adressées à la cliente datées des 12 février 2021, 22 février 2021, 4 mars et 13 juillet 2021.

La somme de 3136 euros TTC a été versée par Madame [U] selon les écritures déposées à l'audience dont elle demande le remboursement.

Toutefois, Maître [D] estimant ne pas avoir été réglé de l'intégralité des factures émises, a décidé de se dessaisir des intérêts de sa cliente par mail en date du 27 avril 2022, confirmé par lettre recommandée avec accusé de réception et ce dessaisissement a été adressé aux juridictions par RPVA ou courriel.

Le 14 novembre 2022, le cabinet d'avocat a saisi les services du Bâtonnier pour que ses honoraires soient fixés à la somme de 13 250 euros HT, outre la TVA au cours.

Maître [D] avait saisi auparavant le service de déontologie du Barreau de Paris le 4 avril 2022.

Ce dernier a répondu par écrit le 20 avril 2022 au cabinet d'avocat afin de lui donner la marche à suivre.

Ainsi, il était indiqué par le service de déontologie que l'avocat pouvait interrompre sa mission sans aucune justification particulière, cependant le client doit en être averti et « il est d'usage à [Localité 5] de ne pas désigner de confrère dès lors qu'une partie est tout à fait en mesure de faire elle-même le choix d'un conseil au regard du nombre et des compétences des avocats inscrits. »

Madame [U] n'a pas accepté ce dessaisissement et fait valoir que les conventions d'honoraires conclues valent contrats entre les parties et ne peuvent être unilatéralement dénoncées par une seule partie.

Des procédures disciplinaires, civiles et pénales ont été intentées par Madame [U] contre la SELARL SALLARD [D] et Maître [H] [D].

Malgré ces procédures engagées qui témoignent à l'évidence d'une perte de confiance de la part de la cliente vis à vis de son avocat, M [U] sollicite cependant que Maître [D] soit maintenu dans son rôle d'avocat des intérêts de son épouse.

L'article 419 du code de procédure civile dispose que « lorsque la représentation est obligatoire, l'avocat ne peut se décharger de son mandat de représentation que du jour où il est remplacé par un nouveau représentant constitué par la partie ou, à défaut, commis par le bâtonnier ou par le président de la chambre de discipline ».

Aux termes d'une jurisprudence constante réaffirmée par la Cour de Cassation, « lorsque la représentation est obligatoire, l'avocat ne peut se décharger de son mandat de représentation que du jour où il est remplacé par un nouveau représentant constitué par la partie ou, à défaut, commis par le bâtonnier ou par le président de la chambre de la discipline ».

Ainsi, le dessaisissement de Maître [D] dans les instances où la représentation par avocat est obligatoire est dénué d'effet.

En l'espèce, il est avéré que le cabinet d'avocat saisi par Madame [U] reste toujours saisi du litige nécessitant une représentation obligatoire par avocat même qu'il est évident que Madame [U] a su trouver les coordonnées du cabinet [D] pour décider de lui confier quatre procédures avec représentation obligatoire devant le tribunal judiciaire ou de commerce et pourrait elle-même trouver un avocat avec lequel elle aurait des liens de confiance conformément à la jurisprudence ci-dessus rappelée . En effet, Madame [U] souhaite garder les services de Maître [D] tout en diligentant contre lui diverses procédures en responsabilité civile, professionnelle et pénale, ne permettant pas ainsi une relation sereine entre les parties ni que le présent litige soit tranché, que ce soit pour la fixation des honoraires sollicités par l'avocat ni pour le remboursement des honoraires déjà versés demandés par Mme [U].

Dès lors, et au vu de cet arrêt qui ne laisse place à aucune interprétation malgré la situation d'espèce rendant impossible la continuation de fait des relations de confiance avocat-client, la Cour confirme la décision critiquée, le problème de la désignation de l'avocat pouvant être notamment réglé par le président de la Chambre de Discipline conformément à la loi sus visée.

Sur les demandes en dommages et intérêts :

La cour statuant dans ce type de contentieux n'a pas compétence pour fixer d'éventuels dommages et intérêts dans le cadre d'une responsabilité professionnelle de l'avocat.

Cette demande sera donc écartée.

Sur l'application de l'article 700 du CPC :

Il n'apparaît pas inéquitable de faire supporter par les parties des sommes non comprises dans les dépens.

Sur l'amende civile :

Aucune somme ne sera prononcée à ce titre, compte tenu de la nature du litige.

Sur les dépens :

Chacune des parties conservera par devers elles, les dépens par elles exposés.

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant par arrêt rendu en dernier ressort, par arrêt contradictoire et publiquement par disposition de la décision au greffe de la chambre,

Dit le recours recevable en la forme ;

Confirme la décision critiquée en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant

Constate que la Cour est incompétente pour statuer sur des demandes en dommages et intérêts ;

Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du CPC ni au prononcé d'une amende civile ;

Dit que chacune des parties conservera la charge des dépens par elles exposés ;

Dit qu'en application de l'article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l'arrêt sera notifié aux parties par le Greffe de la Cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.