Cass. 3e civ., 7 novembre 2024, n° 23-13.727
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Teiller
Rapporteur :
Mme Rat
Avocats :
SARL Le Prado-Gilbert, SCP Claire Leduc et Solange Vigand
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 13 avril 2022), la société civile immobilière de [Localité 5] (la SCI) a été constituée en 1995 à parts égales entre MM. [P] et [V] [G], M. [B] [C] et Mme [R] [C].
2. La SCI a acquis un bien immobilier, qui est devenu le domicile conjugal de [M] [G], père de MM. [P] et [V] [G], et de Mme [Y], mère de M. [C] et de Mme [C].
3. Souhaitant se retirer de la société, MM. [P] et [V] [G] ont obtenu, en 2014, la désignation par le président du tribunal de grande instance d'Agen, statuant en la forme des référés, d'un expert chargé d'évaluer leurs droits sociaux, en application des articles 1869 et 1843-4 du code civil.
4. Après dépôt du rapport de l'expert, ils ont assigné la SCI, M. [C] et Mme [C] devant le tribunal de grande instance, afin d'être autorisés à se retirer de la SCI, d'obtenir remboursement de leurs parts sociales et de se voir reconnaître diverses créances sur la SCI.
5. L'instance a été jointe à celle introduite par Mme [Y], aux fins de se voir reconnaître diverses créances à l'encontre de la SCI.
6. [M] [G] est intervenu volontairement à l'instance, revendiquant également une créance sur la société.
Examen des moyens
Sur les premier et second moyens du pourvoi principal
7. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen du pourvoi incident
Enoncé du moyen
8. La SCI fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à MM. [V] et [P] [G] la somme de 55 762,50 euros chacun au titre de la valeur de remboursement de leurs droits sociaux, alors :
« 1°/ que, tenu de respecter en toutes circonstances le principe du contradictoire, le juge ne peut fonder sa décision sur un moyen de droit qu'il a relevé d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, aucune des parties à l'instance ne s'était prévalue de l'intangibilité prétendue de la valeur de rachat des droits sociaux, telle que déterminée par l'expert saisi en vertu de l'article 1843-4 du code civil, si bien que c'est d'office que la cour d'appel s'est emparée de ce texte, tel qu'interprété par la jurisprudence, pour refuser d'examiner les moyens des parties tendant à la réévaluation tantôt la baisse, s'agissant de la SCI de [Localité 5], de M. [B] [C] et de Mme [R] [C], tantôt à la hausse, s'agissant de MM. [V] et [P] [G], de la valeur des parts sociales des associés retrayants ; qu'il ne s'infère pourtant, ni de son arrêt, ni des pièces de la procédure, que ce moyen ait été préalablement soumis à la discussion des parties, ce en quoi la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°/ que si la valeur de rachat des droits sociaux fixée à dire d'expert s'impose aux parties et lie le juge, c'est sous la réserve que cette évaluation ne procède pas d'une erreur grossière ; que tel est le cas lorsque l'expert fixe la valeur des droits sociaux litigieux en prenant en considération des éléments d'actif ou de passif faisant l'objet d'une contestation, sans attendre que celle-ci ne soit préalablement tranchée, et que le jugement tranchant cette contestation fait ressortir que l'expert a pris en compte un élément d'actif inexistant, ou au contraire refusé de prendre en considération tout ou partie des dettes de la société, ce dans des proportions affectant lourdement la valeur des droits litigieux ; qu'à l'appui de sa demande tendant à ce que la valeur de remboursement des droits sociaux des associés sortants soit déclarée nulle, en raison d'un passif social excédant son actif, la SCI de [Localité 5] reprochait à l'expert judiciaire de n'avoir pas pris en compte la totalité des dettes sociales de la SCI de [Localité 5] à l'égard de Mme [U] [Y], telle que la cour d'appel les a ensuite elle-même constatées, et d'avoir inscrit à l'actif de la SCI de [Localité 5] une créance d'indemnité d'occupation à la charge de Mme [Y] en réalité inexistante, ce que la cour d'appel a elle-même reconnu en disant n'y avoir lieu de mettre à la charge de Mme [U] [Y] une telle indemnité ; qu'en opposant aux parties l'intangibilité de l'évaluation expertale, sans avoir pris en considération les enseignements de son propre arrêt pour déterminer si celle-ci n'était pas entachée, à ce double titre, d'une erreur grossière, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1843-4 et 1869 du code civil ;
3°/ qu'en l'absence de dispositions contraires des statuts, la valeur des droits sociaux de l'associé retrayant doit être déterminée à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ses droits ; qu'en affirmant néanmoins que ne pouvait être prise en compte l'évolution de l'actif et du passif de la société depuis l'estimation réalisée par l'expert, sans s'être assurée que celui-ci ne s'était pas placé, pour évaluer les droits sociaux litigieux, à la date d'établissement de son rapport, plutôt qu'à la date prévisible du remboursement des parts sociales, une telle erreur étant constitutive d'une erreur grossière autorisant la remise en cause de l'évaluation expertale, la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard des articles 1843-4 et 1869 du code civil. »
Réponse de la Cour
9. En premier lieu, en énonçant que la valeur des droits sociaux, déterminée à dire de l'expert désigné sur le fondement de l'article 1843-3 du code civil, s'imposait aux parties et au juge, sauf erreur grossière de celui-ci, la cour d'appel, qui s'est bornée à examiner les conditions d'application d'un texte invoqué par les parties, n'a relevé aucun moyen d'office.
10. En second lieu, en relevant, alors qu'aucune partie ne reprochait à l'expert d'avoir évalué les droits sociaux à la date de sa mission et non à la date la plus proche de celle du remboursement de la valeur de ces droits, d'une part, que l'expert s'était déterminé au vu des pièces remises par les parties et en répondant à leurs dires et, d'autre part, que la valeur déterminée à dire d'expert s'imposait au juge et aux parties, indépendamment de la durée du contentieux ultérieurement engagé par celles-ci, elle a nécessairement exclu, sans être tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, que les évolutions de valeur intervenues postérieurement à la fin de mission de l'expert puissent caractériser une erreur grossière de sa part.
11. Elle a ainsi légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.