Cass. crim., 20 novembre 2024, n° 23-84.817
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonnal
Rapporteur :
Mme Chafaï
Avocat général :
M. Crocq
Avocat :
SCP Spinosi
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. Les investigations diligentées dans le cadre d'une enquête préliminaire ont mis en évidence que M. [F] [I] et son épouse, Mme [J] [K], ont financé l'achat du terrain et la construction de leur maison sise à [Localité 1] (34) notamment par des fonds détournés de trois sociétés dont M. [I] était le gérant ainsi que par des flux financiers provenant de parents et de proches, présentés comme des prêts.
3. M. [I] et Mme [K] ont été poursuivis, du chef notamment de blanchiment, pour avoir apporté leur concours à une opération de placement, dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un délit de fraude fiscale et d'abus de confiance, en l'espèce en finançant un bien immobilier et les dépenses y afférentes, grâce à l'apport de fonds de tiers aux origines et motifs économiquement injustifiés et sans aucune contrepartie, et notamment des virements en provenance de six personnes, et en usant de fonds issus d'abus de confiance commis au préjudice d'une société dirigée par le prévenu.
4. Le tribunal correctionnel a condamné M. [I], pour blanchiment, abus de confiance, abus de biens sociaux, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 3 000 euros d'amende, une interdiction définitive de gérer, cinq ans de privation du droit d'éligibilité, Mme [K], pour blanchiment, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, 1 000 euros d'amende, cinq ans de privation du droit d'éligibilité. Il a prononcé à l'encontre des deux prévenus une peine complémentaire de confiscation des scellés et de leur maison.
5. M. [I] et Mme [K] ont relevé appel de la décision, le ministère public formant appel incident.
Examen des moyens
Sur les premier et deuxième et moyens
6. Ils ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.
Mais sur le troisième moyen et le moyen relevé d'office et mis dans le débat
Enoncé des moyens
7. Le troisième moyen critique l'arêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [I] et Mme [K] coupables de blanchiment, alors « que, le délit de blanchiment ne peut porter que sur le produit d'un crime ou d'un délit, lequel s'entend de l'avantage économique retiré de l'infraction ; qu'en retenant que « le produit de cette non-déclaration est constitué par la somme totale des sommes non déclarées, et non par le bénéfice tiré de la commission de cette infraction » (arrêt, p. 15, in fine), la cour d'appel, qui a confondu la notion de produit et celle d'objet de l'infraction principale, a méconnu les articles 242 ter, 3, 1783 B du Code général des impôts, 324-1 du Code pénal et 591 du Code de procédure pénale. »
8. Le moyen relevé d'office est pris de la violation des articles 593 du code de procédure pénale, 324-1, alinéa 2, du code pénal et 1741 du code général des impôts.
Réponse de la Cour
9. Les moyens sont réunis.
Vu les articles 593 du code de procédure pénale, 324-1, alinéa 2, du code pénal, 1741 du code général des impôts :
10. Il résulte du premier de ces textes que le juge répressif ne peut déclarer un prévenu coupable d'une infraction sans en avoir caractérisé tous les éléments constitutifs.
11. Tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision. L'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence.
12. Aux termes du deuxième, le blanchiment est le fait d'apporter un concours à une opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit direct ou indirect d'un crime ou d'un délit.
13. Il s'en déduit que la caractérisation du délit de blanchiment nécessite que soit établie l'existence de biens ou fonds, qui sont le produit de l'infraction principale.
14. Il découle des deux derniers de ces textes que l'objet du délit de blanchiment de fraude fiscale, produit de la fraude fiscale, est constitué de l'économie qu'elle a permis de réaliser et dont le montant est équivalent à celui des impôts éludés.
15. Pour établir l'existence du délit principal de fraude fiscale dont le produit est l'objet du blanchiment pour lequel il condamne les prévenus, l'arrêt attaqué énonce qu'a été mise dans le débat, que ce soit pendant l'enquête, devant le tribunal correctionnel ou la cour d'appel, l'hypothèse que ces fonds puissent provenir d'une fraude fiscale ou d'une non-déclaration frauduleuse de réception de fonds.
16. Les juges relèvent que les sommes reçues de proches sont des donations s'analysant en dons manuels, qui doivent faire l'objet, en application de l'article 635 A du code général des impôts, d'une déclaration par le donataire afin de calculer l'éventuel droit de mutation dû.
17. Ils retiennent qu'en accumulant les sommes d'argent provenant de donations déguisées en prêts, et en omettant de les déclarer à l'administration fiscale, les prévenus ont commis le délit fiscal de défaut de déclaration, et que le produit de cette non-déclaration est constitué par la somme totale des sommes non déclarées, et non par le bénéfice tiré de la commission de cette infraction.
18. Ils concluent que le transfert de ces fonds perçus par la commission de délits fiscaux, puis leur remploi pour l'achat d'un terrain et d'une maison, constituent dès lors le délit de blanchiment par placement et conversion.
19. D'une part, en statuant ainsi, alors que le délit de blanchiment de fraude fiscale porte sur l'économie d'impôt permise par celle-ci, la cour d'appel a méconnu les textes ci-dessus visés et le principe ci-dessus rappelé.
20. D'autre part, en se déterminant ainsi, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
21. En effet, dès lors qu'aux termes de l'article 757 du code général des impôts seuls l'acte qui contient la déclaration d'un don manuel, la décision de justice qui en constate l'existence ou la révélation d'un tel don à l'administration fiscale sont sujets aux droits de mutation, et non le fait du don manuel en lui-même, le défaut de déclaration par le donataire n'est pas susceptible de constituer en soi une fraude fiscale, de sorte qu'elle a caractérisé le délit ayant procuré les sommes blanchies par des motifs inopérants.
22. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
23. La cassation à intervenir ne concerne que les dispositions relatives à la déclaration de culpabilité des prévenus du chef de blanchiment et aux peines. Les autres dispositions seront donc maintenues.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Montpellier, en date du 4 janvier 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la déclaration de culpabilité des prévenus du chef de blanchiment et aux peines, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.