CA Nancy, 1re ch., 18 novembre 2024, n° 23/02429
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cunin-Weber
Conseillers :
M. Firon, Mme Olivier-Vallet
Avocat :
Me Gasse
EXPOSÉ DU LITIGE
Selon certificat de cession du 16 novembre 2021, Monsieur [W] [D] a vendu à Monsieur [J] [U] un véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 3].
Par courrier recommandé du 23 septembre 2022, l'avocat de Monsieur [U] a mis en demeure Monsieur [D] de procéder à l'annulation à l'amiable de la vente et au remboursement de la somme de 2550 euros correspondant au prix de vente et de celle de 160 euros au titre des frais d'assurance, se prévalant du fait que le véhicule était gagé depuis le 13 août 2021 et que le certificat d'immatriculation n'était pas établi au nom de Monsieur [D], mais de Monsieur [C] [H].
Par acte d'huissier en date du 10 mars 2023, Monsieur [U] a fait assigner Monsieur [D] devant le tribunal judiciaire de Verdun afin qu'il prononce, à titre principal, la résolution du contrat de vente et, à titre subsidiaire, la nullité du contrat pour dol.
Par jugement réputé contradictoire du 25 mai 2023, le tribunal judiciaire de Verdun a :
- déclaré les demandes de Monsieur [U] recevables,
- prononcé la résolution de la vente du véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 3] en date du 16 novembre 2021 conclue entre Monsieur [U] et Monsieur [D],
- dit que Monsieur [U] devra tenir à disposition de Monsieur [D] aux fins de restitution le véhicule sus-mentionné objet du contrat de vente conclu le 16 novembre 2021,
- débouté Monsieur [U] de sa demande tendant à la condamnation de Monsieur [D] à lui restituer la somme de 2550 euros correspondant au prix de vente du véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 3],
- débouté Monsieur [U] de sa demande tendant à la condamnation de Monsieur [D] à lui payer une somme de 160 euros au titre des frais d'assurance,
- condamné Monsieur [D] à payer à Monsieur [U] une somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,
- condamné Monsieur [D] aux dépens,
- condamné Monsieur [D] à payer à Monsieur [U] la somme de 400 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les parties de toutes autres demandes différentes, plus amples ou contraires au dispositif,
- rappelé l'exécution provisoire du jugement en toutes ses dispositions.
Pour statuer ainsi, le premier juge a relevé que le certificat de situation administrative du 23 juin 2022 contredisait celui du 9 novembre 2021 ne mentionnant aucun gage, ni opposition ou suspension d'immatriculation, le véhicule ayant fait l'objet d'une immobilisation par la police judiciaire en date du 13 août 2021, soit antérieurement la vente, empêchant de ce fait Monsieur [U] d'utiliser le véhicule vendu. Il a ajouté que le certificat d'immatriculation portait le nom d'un tiers et ne comportait pas l'indication de la revente du véhicule à Monsieur [U]. Il a considéré en conséquence que Monsieur [D] avait gravement manqué à son obligation de délivrance et qu'il y avait lieu de prononcer la résolution de la vente.
Il a toutefois débouté Monsieur [U] de sa demande de restitution de la somme de 2550 euros correspondant au prix de vente, considérant que du fait de la combinaison des articles 1347, 1361 et 1362 du code civil, Monsieur [U] devait en rapporter la preuve par écrit. Il a considéré que l'attestation de Madame [R] et le relevé de compte mentionnant un virement étaient insuffisants et ne constituaient pas un commencement de preuve par écrit émanant du défendeur, et que les échanges produits ne mentionnaient aucun accord sur le prix.
Il a néanmoins ajouté que Monsieur [U] devrait tenir le véhicule à la disposition de Monsieur [D].
Il a enfin considéré que Monsieur [U] avait subi un préjudice de jouissance consécutif à l'impossibilité de circuler avec le véhicule, que ce dernier ne justifiait pas avoir acquis un véhicule de remplacement depuis l'acte de cession du 16 novembre 2021 et lui a alloué à ce titre une indemnité d'un montant de 500 euros.
Il l'a débouté de sa demande relative aux frais d'assurance au motif qu'il ne démontrait pas s'être acquitté d'un paiement à ce titre.
Monsieur [U] a relevé appel de ce jugement par déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 20 novembre 2023, puis par une seconde déclaration reçue au greffe de la cour, sous la forme électronique, le 30 novembre 2023.
Par ordonnance du 21 mai 2024, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction des procédures n° RG 23/02519 et RG 23/02429 sous le n° 23/02429.
Au dernier état de la procédure, par conclusions reçues au greffe de la cour d'appel sous la forme électronique le 6 février 2024, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des prétentions et moyens, Monsieur [U] demande à la cour de :
- le dire recevable et fondé dans son appel du jugement rendu par le tribunal judiciaire de Verdun le 25 mai 2023,
- infirmer ledit jugement et statuant à nouveau,
- prononcer la nullité de la vente du véhicule de marque BMW, immatriculé [Immatriculation 3] par application des dispositions de l'article 1599 du code civil pour vente de la chose d'autrui,
- juger que l'annulation de cette vente peut également être prononcée pour dol sur le fondement des dispositions de l'article 1137 du code civil,
En conséquence,
- condamner Monsieur [D] à lui rembourser la somme de 2550 euros,
À titre subsidiaire,
- constater que la délivrance de la voiture n'a pas été possible et sur le fondement des articles 1604 et suivants du code civil, en raison de l'irrégularité des pièces administratives fournies, prononcer alors la résolution de la vente et en conséquence de cette résolution, condamner Monsieur [D] à lui rembourser la somme de 2550 euros,
- condamner Monsieur [D] à lui payer une somme de 1200 euros pour le préjudice subi et l'impossibilité d'utiliser le véhicule,
- condamner Monsieur [D] à lui payer une somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner Monsieur [D] aux dépens.
Monsieur [U] fait valoir que Monsieur [D] a remis un certificat administratif détaillé manifestement falsifié et qu'il est apparu, après la vente, que la carte grise était au nom de Monsieur [H], le véritable propriétaire. Il en conclut que Monsieur [D] lui a vendu un véhicule qui n'était pas le sien et qu'en application des dispositions de l'article 1599 du code civil, cette vente est nulle.
Il ajoute que Monsieur [D] lui a présenté des documents falsifiés, lui cachant la mention relative à l'immobilisation du véhicule par la police judiciaire, ce qui est constitutif d'un dol justifiant également l'annulation de la vente.
À titre subsidiaire, il allègue un manquement à l'obligation de délivrance justifiant la résolution de la vente.
Concernant la restitution du prix, il expose que le véhicule a été vendu pour le prix de 2550 euros, qu'il justifie d'un virement à Monsieur [D] le 16 novembre d'un montant de 1420 euros et il ajoute avoir retiré le 17 novembre la somme de 1130 euros. Il fait valoir les nombreux SMS échangés avec Monsieur [D] et le fait que ce dernier n'a à aucun moment prétendu ne pas avoir perçu le prix.
Enfin, il soutient que selon la Cour de cassation, le paiement d'une somme d'argent constitue un fait, dont la preuve peut être rapportée par tous moyens.
Bien que la déclaration d'appel lui ait été régulièrement signifiée le 4 janvier 2024 en l'étude, et les conclusions d'appelant le 15 février 2024 en l'étude, Monsieur [D] n'a pas constitué avocat.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 21 mai 2024.
L'audience de plaidoirie a été fixée le 16 septembre 2024 et le délibéré au 18 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
SUR LES DEMANDES PRINCIPALES
Monsieur [U] sollicite l'infirmation du jugement ayant prononcé la résolution du contrat de vente et demande à la cour de prononcer l'annulation de ce contrat pour vente de la chose d'autrui, ou pour dol.
S'agissant de la cause de nullité prévue par l'article 1599 du code civil, soit la vente de la chose d'autrui, la seule production du certificat d'immatriculation mentionnant le nom d'un tiers, Monsieur [C] [H], est insuffisante à cet égard en ce que ce certificat d'immatriculation ne constitue pas un titre de propriété.
Concernant le dol, l'article 1130 du code civil dispose : 'L'erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu'ils sont de telle nature que, sans eux, l'une des parties n'aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes.
Leur caractère déterminant s'apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné'.
Selon l'article 1131 de ce code, 'Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat'.
L'article 1137 du même code prévoit : 'Le dol est le fait pour un contractant d'obtenir le consentement de l'autre par des man'uvres ou des mensonges.
Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l'un des contractants d'une information dont il sait le caractère déterminant pour l'autre partie.
Néanmoins, ne constitue pas un dol le fait pour une partie de ne pas révéler à son cocontractant son estimation de la valeur de la prestation'.
Et selon l'article 1138 de ce code, 'L'erreur qui résulte d'un dol est toujours excusable ; elle est une cause de nullité alors même qu'elle porterait sur la valeur de la prestation ou sur un simple motif du contrat'.
Enfin, l'article 1178 du même code dispose : 'Un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. La nullité doit être prononcée par le juge, à moins que les parties ne la constatent d'un commun accord.
Le contrat annulé est censé n'avoir jamais existé.
Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9.
Indépendamment de l'annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle'.
En l'espèce, Monsieur [U] produit en pièce n° 2 le 'certificat de situation administrative détaillé' qui lui a été remis par Monsieur [D] lors de la vente et attestant la situation administrative à la date du 9 novembre 2021, soit avant la vente du 16 novembre 2021, lequel ne mentionne aucune difficulté particulière.
Monsieur [U] produit en pièce n° 4 le 'certificat de situation administrative détaillé' attestant la situation administrative à la date du 23 juin 2022, faisant état, entre le paragraphe 'Gage' et le paragraphe 'Immatriculation annulée', d'une 'Immatriculation suspendue' au motif d'une 'Immobilisation par la police judiciaire', la suspension étant en date du 13 août 2021 et donc antérieure à la vente litigieuse du 16 novembre 2021.
Par comparaison avec la pièce n° 2, il apparaît que cette rubrique 'Immatriculation suspendue' a été dissimulée sur le certificat du 9 novembre 2021 remis par Monsieur [D] à Monsieur [U] lors de la vente. Il existe en effet un 'blanc' entre le paragraphe 'Gage' et le paragraphe 'Immatriculation annulée'.
Il y a là des man'uvres constitutives d'un dol, lequel présente un caractère déterminant pour Monsieur [U] qui n'aurait pas acquis le véhicule s'il avait eu connaissance de son immobilisation par la police judiciaire.
En conséquence, il y a lieu de prononcer la nullité du contrat de vente pour dol.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé la résolution de ce contrat.
L'annulation du contrat a pour effet de replacer les parties dans la situation dans laquelle elles se seraient trouvées s'il n'avait jamais été conclu. Monsieur [U] devra donc restituer le véhicule à Monsieur [D], ce dernier devant lui rembourser le prix perçu.
Contrairement à ce qu'a indiqué le premier juge, le fait que la somme en cause excède 1500 euros n'a pas pour effet d'imposer la preuve du paiement par écrit. En effet, le paiement d'une somme d'argent constitue un fait juridique, dont la preuve peut être rapportée par tout moyen. Cette solution a été consacrée par l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, l'article 1342-8 du code civil prévoyant expressément que 'Le paiement se prouve par tout moyen'.
En l'espèce, le paiement du prix de 2550 euros est suffisamment démontré par la production d'un relevé bancaire du 7 décembre 2021 mentionnant un virement de Monsieur [U] à Monsieur [D] le 16 novembre 2021 d'un montant de 1420 euros, ainsi qu'un retrait en espèces de 1130 euros le même jour, soit la somme totale de 2550 euros, ainsi que par l'attestation de Madame [R] produite en pièce n° 9 confirmant le prix de 2550 euros.
En conséquence, Monsieur [D] sera condamné à verser à Monsieur [U] la somme de 2550 euros au titre de la restitution du prix et le jugement sera infirmé en ce qu'il a rejeté cette demande.
S'agissant de sa demande d'indemnisation, Monsieur [U] ne fait que solliciter dans le dispositif de ses conclusions l'allocation de la somme de 1200 euros 'pour le préjudice subi et l'impossibilité d'utiliser le véhicule'. Il n'expose nullement dans le corps de ces conclusions en quoi la somme de 500 euros accordée par le premier juge serait insuffisante. Ainsi, il n'explique pas sa situation, notamment quant à l'utilisation attendue du véhicule litigieux, ni quant à l'éventuelle acquisition d'un véhicule de remplacement.
En conséquence, Monsieur [U] sera débouté de sa demande d'infirmation du jugement, lequel sera confirmé en ce qu'il lui a alloué la somme de 500 euros à ce titre.
Enfin, il n'appartient pas à la cour de statuer sur les demandes tendant à ce qu'il soit 'dit que', 'jugé que', 'constaté que' ou 'donné acte que' qui ne sont pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile.
SUR LES DÉPENS ET L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE
Il n'y a pas lieu de statuer sur ces chefs de jugement qui ne sont pas critiqués.
Y ajoutant, Monsieur [D] sera condamné aux dépens d'appel et à payer à Monsieur [U] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR, statuant par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort prononcé publiquement, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Verdun le 25 mai 2023 en ce qu'il a :
- prononcé la résolution de la vente du véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 3] en date du 16 novembre 2021 conclue entre Monsieur [J] [U] et Monsieur [W] [D],
- débouté Monsieur [J] [U] de sa demande tendant à la condamnation de Monsieur [W] [D] à lui restituer la somme de 2550 euros correspondant au prix de vente ;
Confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Verdun le 25 mai 2023 en ce qu'il a :
- condamné Monsieur [W] [D] à payer à Monsieur [J] [U] une somme de 500 euros (CINQ CENTS EUROS) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de jouissance,
- débouté Monsieur [J] [U] du surplus de sa demande d'indemnisation ;
Statuant à nouveau sur les chefs de décision infirmés,
Prononce la nullité pour dol du contrat de vente du véhicule de marque BMW immatriculé [Immatriculation 3] conclu le 16 novembre 2021 entre Monsieur [W] [D], vendeur, et Monsieur [J] [U], acquéreur ;
Condamne Monsieur [W] [D] à verser à Monsieur [J] [U] la somme de 2550 euros (DEUX MILLE CINQ CENT CINQUANTE EUROS) au titre de la restitution du prix de vente ;
Y ajoutant,
Condamne Monsieur [W] [D] à payer à Monsieur [J] [U] la somme de 1500 euros (MILLE CINQ CENTS EUROS) au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel ;
Condamne Monsieur [W] [D] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Madame CUNIN-WEBER, Présidente de la première chambre civile de la Cour d'Appel de NANCY, et par Madame PERRIN, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Signé : C. PERRIN.-