CA Versailles, ch. com. 3-2, 19 novembre 2024, n° 23/05073
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Ora e Car (SAS), BDG Finance (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Roth
Vice-président :
M. Guerlot
Conseiller :
Mme Cougard
Avocats :
Me Amanou, Me Ladouce, Me Janssen, Me Azam
EXPOSE DU LITIGE
Le 7 juillet 2017, le tribunal de commerce de Toulouse a autorisé la cession du fonds de commerce de la société Ora Véhicules Electriques à la société [O] [B].
Le 10 juillet 2017, la société [O] [B], aujourd'hui dénommée [W], a créé la SAS Ora e-Car, qui s'est substituée à elle pour reprendre ce fonds de commerce.
Le 28 avril 2020, M. [R] est devenu le président de la société Ora e-Car.
Le 5 octobre 2020, il en a convoqué une assemblée générale extraordinaire.
A cette date, le capital de la société Ora e-Car était réparti entre la société luxembourgeoise BDG Finance (7 000 actions), la société [O] [B] (7 000 actions) et Mme [F] (6 000 actions).
Le 15 octobre 2020, l'assemblée générale extraordinaire a notamment décidé une augmentation de capital et la modification de l'article 17 des statuts relatif à l'agrément par les associés des cessions d'actions.
Le 30 novembre 2020, M. [R], ès qualités, a constaté la souscription de 764 000 actions nouvelles au profit de la société BDG Finance.
Le 2 décembre 2020, la société BDG Finance a cédé la totalité de ses actions à la société luxembourgeoise DG Finances, celle-ci ayant pour associés la société BDG Finance elle-même et M. [R].
Par exploits des 24 juin, 29 juin et 1er juillet 2022, la société Michel Nore a assigné respectivement la société BDG Finance, Mme [F] et la société Ora e-Car devant le tribunal de commerce de Nanterre.
Le 20 juin 2023, par jugement contradictoire, ce tribunal a :
- débouté la société Michel Nore de sa demande de nullité des délibérations prises à l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020 ;
- débouté la société Michel Nore de sa demande de nullité de la première résolution de l'assemblée générale du 15 octobre 2020 et de l'augmentation de capital conséquente ;
- débouté Mme [F], la société BDG Finance et la société Ora e-Car de leur demande reconventionnelle au titre d'un abus de minorité ;
- condamné la société Michel Nore à payer à Mme [F], la société BDG Finance et la société Ora e-Car, chacune, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [O] [B] aux dépens.
Le 24 juillet 2023, la société Michel Nore a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition, à l'exception de celui ayant débouté Mme [F] et les sociétés BDG Finance et Ora e-Car de leur demande reconventionnelle au titre d'un abus de minorité.
Par conclusions n°4 du 10 septembre 2024, elle demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions critiquées et, statuant à nouveau, de :
- débouter la société BDG Finance et Mme [F] de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;
- constater l'abus de majorité commis par la société BDG Finance et Mme [F] à l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020 ;
- prononcer la nullité des délibérations prises à l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020 ;
- prononcer la nullité de l'augmentation de capital constatée le 30 novembre 2020 ;
- constater la nullité de la cession d'actions du 2 décembre 2020 entre la société BDG Finance et la société DG Finances ;
- prononcer la nullité subséquente de toutes les assemblées tenues postérieurement à la cession d'actions annulée, du 2 décembre 2020 entre les sociétés BDG Finance et DG Finances ;
- déclarer irrecevable la demande des intimés tendant à voir condamner la société [O] [B] à leur payer à chacun à titre de dommages et intérêts une somme supérieure à celle demandée devant le premier juge, ou subsidiairement les en débouter ;
- condamner la société BDG Finance et Mme [F] à lui payer la somme de 15 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile de première instance et d'appel, outre les entiers dépens.
A titre subsidiaire sur l'article 700 du code de procédure civile,
- juger n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions du 11 septembre 2024, Mme [F] et les sociétés Ora e-Car et BDG Finance demandent à la cour de :
- confirmer le jugement du 20 juin 2023 en ce qu'il a :
- débouté la société Michel Nore (devenue la société [W]) de sa demande de nullité des délibérations prises à l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020 ;
- débouté la société [O] [B] (devenue la société [W]) de sa demande de nullité de la première résolution de l'assemblée générale du 15 octobre 2020 et de l'augmentation de capital conséquente ;
- condamné la société [O] [B] (devenue la société [W]) à leur payer, chacune, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société [O] [B] (devenue la société [W]) aux dépens.
- infirmer le jugement du 20 juin 2023 pour le surplus et en ce qu'il les a déboutées de leur demande reconventionnelle au titre d'un abus de minorité ;
Statuant à nouveau :
- juger que la société [W] (anciennement la société [O] [B]) s'est rendue coupable d'abus de minorité ;
- à défaut, juger que la société [W] a commis une faute, caractérisée notamment par son comportement vindicatif et déloyal, qui leur a causé un préjudice certain qu'il y a lieu de réparer ;
En toute hypothèse :
- condamner la société [W] (anciennement la société [O] [B]) à verser les dommages-intérêts suivants, proratisés sur la base de leur participation respective, à savoir à :
- la société Ora e-Car : la somme de 812 229,20 euros arrêtée au 30 septembre 2024, date des plaidoiries et à parfaire à date du jugement ;
- la société BDG Finance (771 000 actions/784 000 actions) : 798 761,11 euros, arrêtée au 30 septembre 2024, date des plaidoiries et à parfaire à date du jugement ;
- Mme [F] (6 000 actions/784 000 actions) : 6 216,03 euros, arrêtée au 30 septembre 2024, date des plaidoiries et à parfaire à date du jugement.
Y ajoutant :
- prendre acte que la cession d'actions intervenue entre la société BDG Finance et DG Finances (réalisée en décembre 2020 et qui encourait la nullité) a été régularisée par actes du 22 août 2022 de sorte qu'aucune nullité n'est encourue ;
- prendre acte que les Assemblées générales intervenues entre la cession d'actions intervenue entre la société BDG Finance et DG Finances le 2 décembre 2020 et la régularisation du 22 août 2022, ont été régularisées par Assemblées générales du 30 août 2022 de sorte qu'aucune nullité n'est encourue ;
- juger éteintes les actions en nullité, portant tant sur la cession d'actions intervenue le 2 décembre 2020 que sur les assemblées subséquentes tenues jusqu'à régularisation en août 2022, au jour où les juges de première instance ont statué, soit au 20 juin 2023, dans la mesure où les éventuelles causes de nullité ont définitivement cessé d'exister et ce, avant même la première audience fixée au 22 septembre 2022 ;
- prendre acte que la société [W] (anciennement société [O] [B]), dès le stade de la première instance, avait, de surcroit, reconnu que le moyen de nullité soulevé initialement était devenu sans objet et renoncé à solliciter la nullité de la cession d'actions intervenue entre la société BDG Finance et DG Finances.
En conséquence :
- juger, le cas échéant, irrecevable la société [W] en ses demandes de nullité pour défaut d'intérêt à agir du fait de la régularisation intervenue avant que le tribunal ne soit saisi du présent litige ;
- débouter, en toute hypothèse, la société [W] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner la société [W] à leur verser la somme de 15 000 euros chacun au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ;
- la condamner aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de l'avocat constitué sur son affirmation de droit.
La clôture de l'instruction a été prononcée le 12 septembre 2024.
Le 12 septembre 2024, après la clôture de l'instruction, la société [W] a fait parvenir à la cour des conclusions n°5 et sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture afin qu'elles soient prises en considération, ce à quoi les intimées se sont opposées.
MOTIFS
Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture
L'appel a été interjeté le 24 juillet 2023.
La clôture, initialement prévue le 5 septembre 2024, a été reportée à la demande des parties.
Sur quoi l'appelante a conclu le 10 septembre 2024 et les intimées le 11 septembre 2024.
Tant l'appelante que les intimées ont conclu à quatre reprises.
Dans ces conditions, et en l'absence de justification d'une cause grave au sens de l'article 803 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de révoquer l'ordonnance de clôture.
Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, il est donc renvoyé aux seules conclusions susvisées.
Sur la demande d'annulation de la cession du 2 décembre 2020
L'appelante soutient que la cession d'actions du 2 décembre 2020 est nulle faute de respect de la clause de préemption au profit des associés prévue à l'article 16 des statuts de la société Ora e-Car ; que les intimés eux-mêmes ont reconnu cette nullité devant le tribunal de commerce ; qu'une assemblée générale réunie le 22 août 2022 a d'ailleurs voté l'annulation de la cession.
Les intimées admettent que la cession du 2 décembre 2020 était entachée de nullité, mais font valoir qu'une régularisation est intervenue par une assemblée générale extraordinaire, tenue le 22 août 2022, qui a constaté cette nullité et modifié l'article 16 des statuts ; qu'une nouvelle cession d'actions entre la société BDG Finance et la société DG Finances est intervenue le même jour. Elle fait valoir que cette régularisation est indispensable à l'Intérêt social ; que l'annulation de la cession aurait eu pour conséquence la nullité de l'augmentation de capital, celle d'une avance de trésorerie de l'État et d'un compte courant d'actionnaire, ce qui mettrait péril son existence.
Réponse de la cour
L'article L. 227-15 du code de commerce dispose que, dans une société par actions simplifiée, toute cession effectuée en violation des clauses statutaires est nulle.
L'article 16 des statuts de la société Ora e-Car confère aux associés un droit de préemption en cas de cession des actions de la société et prévoit les modalités de l'information des associés destinées à en permettre l'exercice.
Selon l'article 23 des statuts, toute cession d'action en violation de ce droit de préemption est nulle.
Les intimées ne contestent pas que la cession du 2 décembre 2020 a été réalisée sans que les associés aient été mis en mesure d'exercer leur droit de préemption, de sorte qu'elle est nulle.
Contrairement à ce que soutiennent les intimées, cette cession entre un associé et un tiers ne constitue pas une délibération ou un acte pouvant être régularisé en application de l'article L 235-3 du code de commerce, aux termes duquel " l'action en nullité est éteinte lorsque la cause de la nullité a cessé le jour où le tribunal statue sur le fond en première instance, sauf si cette nullité est fondée sur l'illicéité de l'objet social. "
Quant à la modification de l'article 16 des statuts par l'assemblée générale du 22 août 2022, elle est dépourvue d'effet rétroactif.
La société [O] [B] a, en première instance, renoncé à la demande initialement formée tendant au constat de la nullité de la cession critiquée, ce dont il résulte que, contrairement à ce que laissent entendre les intimées, elle n'est pas irrecevable, au regard du principe de l'estoppel, à formuler cette demande devant la cour.
Il convient ainsi de constater la nullité de la cession du 2 décembre 2020.
Sur la nullité des délibérations des assemblées générales postérieures à la cession nulle
L'appelante soutient que sont nulles toutes les assemblées générales postérieures à la cession, dès lors qu'y a participé la société DG Finances, qui a rétroactivement perdu la qualité d'associé du fait de l'annulation de la cession en sa faveur ; que l'assemblée générale du 22 août 2022 n'a pas été valablement convoquée.
Les intimées font valoir que la convocation de l'assemblée générale du 22 août 2022 est régulière ; que les actions en nullité sont éteintes en raison de la régularisation intervenue en août 2022, par les assemblées générales du 22 août 2022 et la cession d'actions subséquente, avant la première audience devant le tribunal de commerce.
Réponse de la cour
Il résulte de l'article 1844 du code civil que seuls les associés ont le droit de participer aux délibérations collectives d'une société (3e Civ., 8 juillet 2015, n°13-27.248, publié), de sorte qu'une assemblée générale à laquelle a participé une personne réputée n'avoir jamais eu cette qualité ne peut qu'être annulée Com, 11 octobre 2023, n°21-24.646, publié).
La société DG Finances qui, en raison de la nullité de la cession du 2 décembre 2020, doit être considérée rétroactivement comme dépourvue de la qualité d'associé de la société Ora e-Car à ces dates, a participé aux assemblées générales des :
- 21 décembre 2020, qui a notamment décidé d'une augmentation de capital ;
- 22 août 2022, qui a notamment constaté la nullité de la cession du 2 décembre 2020 et modifié l'article 16 des statuts de la société relatif au droit de préemption des associés en cas de cessions de parts.
Ces deux assemblées générales doivent en conséquence être annulées, sans qu'il y ait lieu de s'interroger sur la validité de celle du 22 août 2022 au regard des modalités de sa convocation.
En revanche, le 22 août 2022, dans les heures ayant suivi la tenue de l'assemblée générale de la société Ora e-Car, la société BDG Finance a à nouveau cédé ses actions à la société DG Finances.
L'annulation de cette cession, qui n'est pas une délibération ni un acte de la société Ora e-Car, ne fait l'objet d'aucune des prétentions formulées par la société [W].
De là suit que sa demande tendant à l'annulation des deux assemblées générales ordinaire et extraordinaire du 30 août 2022, à laquelle la société DG Finances a participé en qualité d'associée, doit être écartée.
Sur la validité de l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020
L'appelante fait valoir qu'en vue de l'assemblée générale du 15 octobre 2020, elle a été convoquée et s'est vue transmettre les documents préalables par courriel plutôt que par lettre recommandée avec accusé de réception, ce à quoi elle n'avait pas consenti, ce qui justifie l'annulation de la première délibération votée lors de cette assemblée, à laquelle elle n'était pas présente ; qu'en votant, par sa troisième résolution, la modification de l'article 17 des statuts, les associés présents ont commis un abus de majorité contraire à l'intérêt social, ce qui a permis à la société BDG Finance, puis à la société DG Finances, de prendre l'entier contrôle de la société, valorisée quelque 12 millions d'euros en 2022.
Selon les intimées, il n'existe aucun commencement de preuve d'un abus de majorité au cours de l'assemblée générale du 15 octobre 2020, à laquelle la société [O] [B] a participé en votant par correspondance ; l'augmentation de capital objet de la première résolution était à l'évidence dans l'intérêt social, destinée à faire face à la crise sanitaire et à obtenir des financements ; qu'elle seule a permis à la société de se redresser, d'obtenir un financement de la BPI et de se développer ; que c'est volontairement que la société Michel Nore n'y a pas souscrit ; que l'inobservations des formalités de communication aux actions des documents préalables à une assemblée générale n'est pas sanctionnée par la nullité si l'actionnaire qui s'en prévaut ne prouve pas d'atteinte à son droit d'information ; qu'aucun grief n'est établi, la société Michel NOore ayant exprimé son vote en toute connaissance de cause.
Réponse de la cour
En droit, il résulte de l'article 1833 du code civil qu'est abusive la décision d'une société prise contrairement à l'intérêt général, dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de la minorité.
Un tel abus de majorité affecte la régularité des délibérations d'une assemblée générale.
Les dispositions de l'article R. 223-20 relatives aux modalités de la communication avec les associés dans les SARL invoquées par l'appelante ne sont pas applicables aux sociétés par actions simplifiées.
L'article 32 des statuts constitutifs de la société Ora e-Car stipule, au sujet de la convocation des assemblées générales :
La convocation est effectuée par tous moyens de communication écrite 30 jours au moins avant la date de la réunion. Elle indique l'ordre du jour.
Toutefois, l'assemblée peut se réunir sans délai si tous les associés y consentent.
L'article 34 de ces statuts stipule :
Quel que soit le mode de consultation, toute décision des associés doit avoir fait l'objet d'une information préalable comprenant tous les documents et informations permettant aux associés de se prononcer en connaissance de cause sur la ou les résolutions soumises à leur approbation.
Lorsque les décisions collectives doivent être prises en application de la loi sur le ou les rapports du Président et des Commissaires aux comptes, si la société en est dotée, le ou les rapports doivent être communiqués aux associés 15 jours avant la date d'établissement du procès-verbal de la décision des associés.
L'article 35 précise :
Le droit de communication des associés, la nature des documents mis à leur disposition et les modalités de leur mise à disposition ou de leur envoi s'exercent dans les conditions prévues par les dispositions légales et réglementaires.
La société [O] [B] a été convoquée par courrier électronique du 5 octobre 2020 en vue de l'assemblée générale du 15 octobre suivant. Contrairement à ce qu'elle soutient, aucune disposition législative, réglementaire ou statutaire n'interdisait ce mode de convocation écrite.
Cette convocation mentionne l'ordre du jour ; il y est joint le texte des résolutions proposées et le rapport du président.
Selon le procès-verbal de l'assemblée générale critiquée (page 1), qui n'est pas contesté sur ce point, tous les associés ont donné leur accord à la réduction du délai de convocation prévu à l'article 32 des statuts.
Le 26 novembre 2020, le délégué interministériel à la restructuration des entreprises du ministère des finances a fait savoir à la société Ora e-Car qu'elle lui consentirait un prêt bonifié sous la condition, notamment, d'une augmentation de capital d'un million d'euros.
Or, par l'article 8 de ses statuts constitutifs, le capital social de la société avait été fixé à 20 000 euros.
L'augmentation de capital votée par la première résolution votée par l'assemblée générale le 15 octobre 2020 était donc manifestement dans l'intérêt social, comme le soutiennent à juste titre les intimées, nonobstant le fait que la société [O] [B], ayant exprimé son vote par correspondance, s'y soit opposée.
Quant à la troisième résolution, par laquelle cette assemblée générale a modifié l'article 17 des statuts relatif à l'agrément des cessions d'actions, sans dénaturer le principe de cet agrément, il n'est aucunement démontré qu'elle soit contraire à l'intérêt social.
L'événement postérieur à l'assemblée générale critiquée constitué par la libération des actions souscrites par la société BDG Finance est indifférent à la validité de ses délibérations.
Sous le couvert d'une argumentation inopérante, l'appelante fait en réalité grief à la société BDG Finances d'être devenu majoritaire en souscrivant à une augmentation du capital social qui était dans l'intérêt général, à laquelle elle-même n'a pas souscrit.
Le jugement entrepris doit ainsi être confirmé en ce qu'il a débouté la société [O] [B] de sa demande d'annulation des délibérations prises au cours de l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020.
Sur la validité de l'augmentation de capital constatée le 30 novembre 2020
L'appelante prétend que le procès-verbal dressé par le président d'Ora e-Car est antérieur au certificat du commissaire aux comptes constatant la libération, ce qui caractérise une fraude au regard des dispositions de l'article L. 225-146 du code de commerce.
Les intimées font valoir que l'appelante dénature les pièces et que le certificat du commissaire aux comptes est antérieur à l'attestation du président de la société.
Réponse de la cour
L'article 9 des statuts constitutifs de la société Ora e-Car prévoit que les associés peuvent déléguer au président les pouvoirs nécessaires à l'effet de réaliser ou de décider de l'augmentation de capital.
Il fait référence au second alinéa de l'article L. 225-146 du code de commerce, selon lequel les libérations d'actions par compensation de créances liquides et exigibles sur la société sont constatés par un certificat d'un notaire ou d'un commissaire aux comptes, qui tient lieu de certificat du dépositaire.
Par sa première résolution, l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020 a nommé le cabinet Mazars en qualité de commissaire aux comptes pour constater une telle compensation et établir le certificat correspondant ; elle a, par ailleurs, donné au président de la société tous pouvoirs pour recueillir les souscriptions, limiter l'augmentation de capital aux souscriptions recueillies, obtenir le ou les certificats du dépositaire, constater la réalisation de l'augmentation de capital et procéder à la modification corrélative des statuts.
Le 30 novembre 2020, à 16 heures, 18 minutes, 32 centièmes - et non à 18h32, comme le soutient à tort l'appelante, le cabinet Mazars a émis un certificat du dépositaire attestant de la souscription de 764 000 actions par la société BDG Finance, associé, de sa décision de libérer cette souscription par compensation avec sa créance de 764 000 euros sur la société et du caractère liquide et exigible de cette créance.
Sur quoi, par un procès-verbal dressé le même jour à 17h00, le président de la société a limité l'augmentation de capital à la souscription recueillie, constaté sa réalisation définitive, porté le capital de 20 000 à 784 000 euros et modifié les statuts en conséquence.
Ces décisions prises par délégation, conformes à la délibération de l'assemblée générale extraordinaire du 15 octobre 2020, n'encourent aucune critique.
Le jugement entrepris doit donc être confirmé en ce qu'il a écarté la demande d'annulation de l'augmentation de capital du 30 novembre 2020.
Sur l'abus allégué de minorité
Au soutien de leurs demandes reconventionnelles, écartées par le tribunal de commerce, les intimées font valoir que la société [W], cliente d'Ora e-Car, refuse d'honorer les loyers de plusieurs véhicules ; qu'elle en a détourné deux ; qu'elle persiste à remettre en cause la validité de l'augmentation de capital ; qu'en tout cas, par son action dilatoire, elle bloque l'entreprise dans ses projets, notamment de fusion ou de financement par l'entrée d'un nouvel actionnaire ; que les dommages-intérêts réclamés sont proportionnels à leurs participations au capital de la société. Elles prétendent que ces demandes reconventionnelles sont recevables en cause d'appel, dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins indemnitaires que celles soumises au premiers juges.
L'appelante réplique que ces prétentions sont irrecevables comme nouvelles en cause d'appel ; qu'en tout cas, elle ne dispose d'aucune minorité de blocage qui aurait entraîné en assemblée générale une délibération contraire à l'intérêt général, ce qui exclut tout abus de minorité ; qu'en outre, les intimées ne justifient pas du quantum de leur préjudice ni d'un lien de causalité.
Réponse de la cour
L'article 564 du code de procédure civile dispose :
A peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du même code précise :
Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
En première instance, ainsi qu'il résulte du jugement entrepris, les intimées ont chacune réclamé, par voie reconventionnelle, la condamnation de la société [O] [B] à leur verser une somme de 10 000 euros de dommages-intérêts, alléguant un abus de minorité.
L'augmentation du montant de leurs prétentions, qui reposent sur le même fondement juridique et tend aux mêmes fins, ne les rend pas nouvelles au sens de l'article 564 précité ; elles sont donc recevables.
Pour être abusif, le refus de l'associé minoritaire doit faire obstacle à l'adoption d'une décision utile pour la société et être motivé par le souci de faire prévaloir son intérêt sur l'intérêt commun des associés.
En l'espèce, le refus de la société Michel Nore de voter l'augmentation de capital décidée en assemblée générale extraordinaire le 15 octobre 2020 n'a pas empêché l'adoption de la résolution correspondante.
Comme elle le fait valoir à juste titre, son opposition à l'augmentation de capital et à ses suites n'a ainsi entraîné aucune décision collective contraire à l'intérêt social.
Les reproches de non-paiement de loyer et de détournement de matériels articulés contre elle sont étrangers à tout abus de minorité possible.
Les demandes indemnitaires tendent donc en réalité, non à la sanction d'un abus de minorité, mais à la sanction d'un abus imputé à l'appelante dans l'exercice du droit d'ester en justice.
Dès lors que cette action est pour partie fondée, ces demandes ne peuvent qu'être écartées ; le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes reconventionnelles se présentant comme fondées sur un abus de minorité.
Sur les demandes accessoires
Chacune des parties succombe partiellement dans ses prétentions.
L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société [O] [B] aux dépens et alloué à la société Ora-e-Car, à Mme [F] et à la société BDG Finance certaines sommes au titre des frais non compris dans les dépens ; de mettre les dépens d'appel à la charge exclusive de l'appelante et d'allouer aux intimées l'indemnité de procédure prévue au dispositif.
PAR CES MOTIFS,
la cour, statuant contradictoirement,
Dit n'y avoir lieu de révoquer l'ordonnance de clôture ;
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Constate la nullité de la cession d'actions du 2 décembre 2020 ;
Annule les assemblées générales des 21 décembre 2020 et 22 août 2022 ;
Rejette la demande tendant à l'annulation des deux assemblées générales du 30 août 2022 ;
Condamne la société [W] aux dépens d'appel ;
Condamne la société [W] à verser aux sociétés Ora e-Car et BDG Finance et à Mme [F] la somme globale de 30 000 euros au titre des frais non compris dans les dépens.