CA Bordeaux, 4e ch. com., 18 novembre 2024, n° 22/04353
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
SNS (SARL)
Défendeur :
Gambetta Revival (SCI), Gambetta Revival 2 (SCI)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Franco
Conseillers :
Mme Masson, Mme Jarnevic
Avocats :
Me Lief, Me Leroy-Maubaret, Me Maubaret
EXPOSE DU LITIGE
Par contrat du 11 août 1993, portant effet au 16 juillet 1993, la société civile immobilière Dauphine Gambetta a donné à bail commercial tous commerces à la société à responsabilité limitée SNS des locaux comprenant un rez-de-chaussée, un entresol et une cave, sis à [Adresse 3], bail consenti pour une durée de neuf ans. Ce bail a été renouvelé par acte du 06 octobre 2011 pour une nouvelle durée de neuf ans, avec effet au 1er novembre 2011.
Par contrat du 23 septembre 2014, portant effet au 1er octobre 2014, la SCI Dauphine Gambetta a donné à bail au même preneur des locaux se trouvant dans le même immeuble sis à [Adresse 3], comprenant une pièce au premier étage et des WC, à usage exclusif de remise et bureau.
Le 27 décembre 2016, la société Dauphine Gambetta s'est engagée à céder l'immeuble à la société Financière immobilière bordelaise (avec faculté de substitution), vente intervenue le 29 décembre 2017 au bénéfice de la société en nom collectif Gambetta Revival. Celle-ci a ensuite cédé l'immeuble le 27 mars 2019 à la société civile immobilière Gambetta Revival 2.
Dans la perspective de l'échéance de la période triennale, les sociétés Dauphine Gambetta et Gambetta Revival ont donné congé avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction au preneur, sur le fondement des articles L. 145-4 et L. 145-18 du code de commerce, au titre des deux baux susvisés par acte du 26 avril 2017 avec effet au 31 octobre 2017 pour le premier bail, et par acte du 31 mars 2017 portant effet au 30 septembre 2017 pour le second bail.
Par ordonnance du 15 juillet 2019, le juge des référés du tribunal judiciaire de Bordeaux, saisi par la société Gambetta Revival 2, a ordonné une expertise en évaluation des indemnités d'éviction et d'occupation dues au titre de ces deux baux.
Par acte d'huissier du 19 septembre 2019, le preneur a assigné au fond les sociétés Dauphine Gambetta, Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 en nullité des congés délivrés les 31 mars et 26 avril 2017.
Le 26 mars 2020, la société Gambetta Revival 2 a fait délivrer deux nouveaux congés avec refus de renouvellement et offre d'indemnité d'éviction des deux baux précités, à effet pour le premier au 31 octobre 2020 correspondant au terme contractuel, et à effet pour le second au 30 septembre 2020, correspondant à la fin de la seconde période triennale du second sur le fondement des articles L. 145-4 et L. 145-18 du code de commerce.
L'expert a déposé son rapport le 29 avril 2020.
Par jugement rendu le 15 septembre 2022, le tribunal judiciaire de Bordeaux a statué comme suit :
- valide le congé délivré le 26 avril 2017 par la société Dauphine Gambetta et la société Gambetta revival à la SARL SNS avec refus de renouvellement du bail commercial portant sur le rez-de-chaussée, l'entresol et la cave d'un immeuble sis à [Adresse 3], avec offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 octobre 2017 ;
- valide le congé délivré par la société Dauphine Gambetta et la société Gambetta Revival le 31 mars 2017 avec refus de renouvellement du bail portant sur une pièce de 11,50m² au premier étage et WC dépendant d'un immeuble sis à [Adresse 3], et offre d'indemnité d'éviction à la SARL SNS à effet au 30 septembre 2017 ;
- condamne solidairement la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 au paiement à la SARL SNS de la somme de 820.842 euros au titre de l'indemnité d'éviction;
- fixe à 68.100 euros annuels hors taxes et hors charges l'indemnité d'occupation due à compter du 01 novembre 2017 solidairement à la société Gambetta Revival et à la société Gambetta Revival 2 par la SARL SNS au titre du bail commercial portant sur le rez-de-chaussée, l'entresol et la cave d'un immeuble sis à [Adresse 3] ;
- fixe à compter du 01 octobre 2017, l'indemnité d'occupation à 2 000 euros annuels hors taxes et hors charges, due solidairement à la société Gambetta Revival et à la société Gambetta revival 2 par la SARL SNS au titre du bail commercial portant sur une pièce de 11,50m² au premier étage et WC dépendant d'un immeuble sis à [Adresse 3] ;
- dit que les indemnités d'occupation sont indexables annuellement sur la variation de l'indice des loyers commerciaux à leur date anniversaire ;
- dit que, selon les disposition de l'article L. 145-29 du code de commerce, la SARL SNS a trois mois pour libérer les locaux sis à [Adresse 3], à compter du versement de l'indemnité d'éviction ou de la notification de sa remise à un séquestre et à défaut, ordonne l'expulsion de la SARL SNS et de tous occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique ;
- condamne in solidum la SARL SNS, la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 au paiement à la société Dauphine Gambetta la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne aux dépens, comprenant l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [W], la SARL SNS pour moitié et pour l'autre moitié in solidum la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.
Par déclaration en date du 21 septembre 2022, la société SNS a relevé appel de ce jugement en ses chefs expressément critiqués intimant les sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2.
Par jugement du 15 février 2023, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement de judiciaire à l'égard de la SNC Gambetta Revival et a désigné les SELARL Ekip' et Firma en qualité de mandataires liquidateurs et la SCP CBF Associés et la SELARL AJAssociés en qualité d'administrateurs judiciaires.
Par jugement du 22 février 2023, le tribunal de commerce a ouvert une procédure de redressement de judiciaire à l'égard de la SCI Gambetta Revival 2 et a désigné les SELARL Ekip' et Firma en qualité de mandataires liquidateurs et la SCP CBF Associés et la SELARL AJAssociés en qualité d'administrateurs judiciaires.
L'appelant a assigné en intervention forcée les administrateurs et mandataires judiciaires : les sociétés Ekip', FIRMA, et CBF le 31 mars 2023 et la société AJAssociés le 3 avril 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES :
Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 27 septembre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, la société SNS demande à la cour de :
Réformer le jugement entrepris en ce qu'il a statué comme suit :
- valide le congé délivré le 26 avril 2017 par la société Dauphine Gambetta et la société Gambetta Revival à la société SNS avec refus de renouvellement du bail commercial portant sur le rez-de- chaussée, l'entresol et la cave d'un immeuble sis à [Adresse 3], avec offre d'indemnité d'éviction à effet au 31 octobre 2017 ;
- valide le congé délivré par la société Dauphine Gambetta et la société Gambetta Revival le 31 mars 2017 avec refus de renouvellement du bail portant sur une pièce de 11,50m² au premier étage et WC dépendant d'un immeuble sis à [Adresse 3], et offre d'indemnité d'éviction à la société SNS à effet au 30 septembre 2017 ;
- condamne solidairement la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 au paiement à la société SNS de la somme de 820.842 euros au titre de l'indemnité d'éviction ;
- fixe à 68.100 euros annuels hors taxes et hors charges l'indemnité d'occupation due à compter du 01 novembre 2017 solidairement à la société Gambetta Revival et à la société Gambetta Revival 2 par la société SNS au titre du bail commercial portant sur le rez-de-chaussée, l'entresol et la cave d'un immeuble sis à [Adresse 3] ;
- fixe à compter du 01 octobre 2017, l'indemnité d'occupation à 2 000 euros annuels hors taxes et hors charges, due solidairement à la société Gambetta Revival et à la société Gambetta Revival 2 par la société SNS au titre du bail commercial portant sur une pièce de 11,50m² au premier étage et WC dépendant d'un immeuble sis à [Adresse 3] ;
- dit que les indemnités d'occupation sont indexables annuellement sur la variation de l'indice des loyers commerciaux à leur date anniversaire ;
- dit que, selon les disposition de l'article L. 145-29 du code de commerce, la société SNS a trois mois pour libérer les locaux sis à [Adresse 3], à compter du versement de l'indemnité d'éviction ou de la notification de sa remise à un séquestre et à défaut, ordonne l'expulsion de la société SNS et de tous occupants de son chef, si besoin avec le concours de la force publique ;
- condamne in solidum la société SNS, la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 au paiement à la société Dauphine Gambetta la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamne aux dépens, comprenant l'expertise judiciaire réalisée par Monsieur [W], la société SNS pour moitié et pour l'autre moitié in solidum la société Gambetta Revival et la société Gambetta Revival 2 ;
Statuant à nouveau,
A titre principal :
' sur le fondement des articles L. 145-4 et L. 145-18 alinéa 2 du code de commerce et de l'article L. 313-4 du code de l'urbanisme, prononcer la nullité des congés délivrés à la société SNS les 30 septembre et 31 octobre 2017 ;
A titre subsidiaire, dans l'éventualité dans laquelle la cour confirmerait le jugement en ce que celui-ci a validé les congés délivrés à la société SNS :
' fixer comme suit la créance de la société SNS au titre de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-4 du Code de commerce pour les deux baux en cause, au passif des société Gambetta Revival et société Gambetta Revival 2 :
' à titre d'indemnité principale : 1.074.696 euros à titre principal, 806.610 euros à titre subsidiaire,
' au titre des indemnités accessoires :
' frais et droits de mutation : 107.469 euros à titre principal, 80.661 euros à titre subsidiaire,
' frais de déménagement : 3 000 euros
' frais de licenciement du personnel : sur justificatifs au jour des licenciements effectifs
' trouble commercial : 18.710 euros
' aménagements, installations et agencements non amortis : 78.632 euros
' fixer comme suit les indemnités d'occupation dues pour chacun des deux baux :
' indemnité d'occupation due au titre du bail du rez-de-chaussée, entresol et cave (« le magasin »), à compter du 1er novembre 2017 : 46 200 euros/an, hors-taxes et hors charges,
' indemnité d'occupation due au titre du bail du bureau du 1er étage et WC, à compter du 1er octobre 2017 : 1 300 euros par an, hors-taxes et hors charges ;
A titre également subsidiaire, dans l'éventualité dans laquelle la cour :
- annulerait les congés délivrés les 31 mars 2017 et 26 avril 2017,
- annulerait le congé délivré le 26 mars 2020 pour l'expiration de la 2ème période triennale du bail du local à usage de bureau et wc,
- et validerait le congé délivré le 26 mars 2020 pour le terme contractuel du bail du magasin :
' fixer comme suit la créance de la société SNS au titre de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-4 du code de commerce pour le bail du rez-de-chaussée, entresol et cave, au passif des société Gambetta Revival et société Gambetta Revival 2 :
' à titre d'indemnité principale : 1.074.696 euros à titre principal, 806.610 euros à titre subsidiaire,
' au titre des indemnités accessoires :
' frais et droits de mutation : 107.469 euros à titre principal, 80.661 euros à titre subsidiaire,
' frais de déménagement : 3 000 euros
' frais de licenciement du personnel : sur justificatifs au jour des licenciements effectifs
' trouble commercial : 18.710 euros
' aménagements, installations et agencements non amortis : 78.632 euros
dont à déduire une quote-part correspondant au bail du bureau du 1er étage et WC, à chiffrer par complément d'expertise ;
- fixer comme suit l'indemnité d'occupation due au titre du bail du rez-de-chaussée, entresol et cave, à compter du 31 octobre 2020 : 46 200 euros/an, hors-taxes et hors charges,
A titre également subsidiaire, dans l'éventualité dans laquelle la cour :
- annulerait les congés délivrés les 31 mars 2017 et 26 avril 2017,
- et validerait les congés délivrés le 26 mars 2020 pour l'expiration de la 2ème période triennale du bail du local à usage de bureau et wc, et pour le terme contractuel du bail du magasin :
' fixer comme suit la créance de la société SNS au titre de l'indemnité d'éviction prévue par l'article L. 145-4 du Code de commerce pour les deux baux en cause, au passif des société Gambetta Revival et société Gambetta Revival 2 :
' à titre d'indemnité principale : 1.074.696 euros à titre principal, 806.610 euros à titre subsidiaire,
' au titre des indemnités accessoires :
' frais et droits de mutation : 107.469 euros à titre principal, 80.661 euros à titre subsidiaire,
' frais de déménagement : 3 000 euros
' frais de licenciement du personnel : sur justificatifs au jour des licenciements effectifs
' trouble commercial : 18.710 euros
' aménagements, installations et agencements non amortis : 78.632 euros
' fixer comme suit les indemnités d'occupation dues pour chacun des deux baux :
' indemnité d'occupation due au titre du bail du rez-de-chaussée, entresol et cave, à compter du 31 octobre 2020 : 46 200 euros/an, hors-taxes et hors charges,
' indemnité d'occupation due au titre du bail du bureau du 1er étage et WC, à compter du 30 septembre 2020 : 1 300 euros par an, hors-taxes et hors charges ;
En tout état de cause :
' fixer comme suit la créance de la société SNS au titre de l'article 700 du code de procédure civile, au passif des société Gambetta Revival et société Gambetta Revival 2 : 5.000 euros
' fixer comme suit la créance de la société SNS au titre des frais d'expertise, au passif des société Gambetta Revival et société Gambetta Revival 2 : 3.000 euros
' ordonner l'inscription au passif des sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 des entiers dépens de l'instance et frais éventuels d'exécution, avec application au profit de la SCP Gravellier-Lief-de Lagausie-Rodrigues des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Par dernières conclusions notifiées par RPVA, le 27 décembre 2023, auxquelles la cour se réfère expressément, les sociétés Gambetta Revival, Gambetta Revival 2, CBF Associés, AJAssocés, Firma et Ekip' demandent à la cour de :
Vu notamment les articles L 145-14, L 145-18, L 145-28, L 145-29 et L 145-30 du code de commerce, L 621-21 et suivants du code de commerce
- débouter la société SNS de ses demandes, fins et prétentions.
- confirmer le jugement sur la validité des congés délivrés les 31 mars et 26 avril 2017 et subsidiairement sur ce point valider les congés délivrés les 25 et 26 mars 2020 donnés pour le bail principal pour le 31 octobre 2020 et pour le bail accessoire pour le 30 septembre 2020,
- confirmer le jugement sur le montant de l'indemnité d'éviction de 822.132 euros à parfaire du fait de la déduction des amortissements intervenus depuis le 30 juin 2021 et fixer à ce montant la créance chirographaire de la société SNS au passif des procédures collectives des sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2.
- reformer le jugement sur le coefficient d'abattement de précarité des indemnités d'occupation qui sera fixé à 10 %.
- condamner dès lors la société SNS au paiement pour le bail principal d'une indemnité d'occupation d'un montant annuel de 76 608 euros (charges et taxes en sus) à compter du 1er novembre 2017 (subsidiairement au 1er novembre 2020) jusqu'à la parfaite libération des locaux et remise des clés avec indexation annuelle à la date anniversaire sur la variation de l'indice des loyers commerciaux.
- condamner la société SNS au paiement pour le bail accessoire d'une indemnité d'occupation d'un montant annuel de 2.268 euros (charges et taxes en sus) à compter du 1er octobre 2017 (subsidiairement au 1er octobre 2020) jusqu'à la parfaite libération des locaux et remise des clés avec indexation annuelle à la date anniversaire sur la variation de l'indice des loyers commerciaux.
- condamner la société SNS et la société Dauphine Gambetta au paiement chacune d'une indemnité de 4.000 euros sur le fondement des dispositions prévues par l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui comprendront notamment les frais d'expertise judiciaire.
En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie expressément aux dernières conclusions précitées des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 23 septembre 2024.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur la validation des congés délivrés les 31 mars et 26 avril 2017
1- La société SNS soutient que les congés délivrés visent non pas l'hypothèse de démolition/reconstruction prévue par le premier alinéa de l'article L. 145-18, mais celle visée au second alinéa de l'article L. 145-18. Il doit s'agir de travaux de restauration immobilière visant la transformation des conditions d'habitabilité d'un ou plusieurs immeubles, travaux ayant été prévus par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvée (PSMV) ou ayant fait l'objet d'une déclaration d'utilité publique (DUP).
La société SNS fait observer que les travaux n'ont pas été prévus par le PSMV en vigueur, et n'ont pas fait l'objet d'une DUP. Par ailleurs, la notice descriptive du permis de construire vise 'Le programme du projet est un magasin de 7 niveaux', que les avis de la commission de sécurité et de la commission d'accessibilité aux personnes handicapées décrivent la nature des des travaux comme étant une : 'Rénovation d'un immeuble à vocation commerciale'. Le fait que les travaux aient été autorisés ne suffit pas ; il est nécessaires que les travaux aient été auparavant prévus par le PSMV.
2- Les sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 font valoir que l'autorisation a été obtenue le 8 juillet 2021, s'agissant d'un permis de construire expressément instruit au regard du plan du secteur sauvegardé et ayant recueilli l'accord de l'architecte des bâtiments de France.
Sur ce
- L'ancien article L 145-4 ancien du code de commerce dispose :
'La durée du contrat de location ne peut être inférieure à neuf ans. (...)
Le bailleur a la même faculté, dans les formes et délai de l'article L. 145-9, s'il entend invoquer les dispositions des articles L. 145-18, L. 145-21, L. 145-23-1 et L. 145-24 afin de construire, de reconstruire ou de surélever l'immeuble existant, de réaffecter le local d'habitation accessoire à cet usage ou d'exécuter des travaux prescrits ou autorisés dans le cadre d'une opération de restauration immobilière et en cas de démolition de l'immeuble dans le cadre d'un projet de renouvellement urbain.'
L'article L 145-18 du code de commerce dispose : 'Le bailleur a le droit de refuser le renouvellement du bail pour construire ou reconstruire l'immeuble existant, à charge de payer au locataire évincé l'indemnité d'éviction prévue à l'article L. 145-14.
Il en est de même pour effectuer des travaux nécessitant l'évacuation des lieux compris dans un secteur ou périmètre prévu aux articles L. 313-4 et L. 313-4-2 du code de l'urbanisme et autorisés ou prescrits dans les conditions prévues audits articles.
Toutefois, le bailleur peut se soustraire au paiement de cette indemnité en offrant au locataire évincé un local correspondant à ses besoins et possibilités, situé à un emplacement équivalent.
Le cas échéant, le locataire perçoit une indemnité compensatrice de sa privation temporaire de jouissance et de la moins-value de son fonds. Il est en outre remboursé de ses frais normaux de déménagement et d'emménagement.
Lorsque le bailleur invoque le bénéfice du présent article, il doit, dans l'acte de refus de renouvellement ou dans le congé, viser les dispositions de l'alinéa 3 et préciser les nouvelles conditions de location. Le locataire doit, dans un délai de trois mois, soit faire connaître par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec demande d'avis de réception son acceptation, soit saisir la juridiction compétente dans les conditions prévues à l'article L. 145-58.
Si les parties sont seulement en désaccord sur les conditions du nouveau bail, celles-ci sont fixées selon la procédure prévue à l'article L. 145-56.'
L'ancien article L 313-4 du code de l'urbanisme dispose :
' Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative soit des collectivités publiques, soit d'un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies par la section 3 du présent chapitre.
Lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique..'
- L'article L 145-4 du code de commerce renvoie à l'article L 145-18 du même code, lequel renvoie à l'article L 313-4-2 du code de l'urbanisme.
Il ressort de la combinaison de ces articles que le bailleur peut refuser le renouvellement du bail en secteur sauvegardé pour exécuter des travaux autorisés ou prescrits dans le cadre d'une opération de restauration immobilière. Deux conditions sont posées par le code de l'urbanisme : les travaux doivent avoir été prévus par le PSMV (ou faire l'objet d'une DUP) et doivent avoir pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité de l'immeuble.
- En l'espèce, le permis de construire mentionne comme description du projet : 'Rénovation d'un immeuble R+4 à vocation commerciale et d'habitation'.
Toutefois, plusieurs documents liés à la demande de permis de construire font référence à 'la rénovation d'un immeuble à vocation commerciale' .
Ainsi, l'avis des services de la métropole du 29 juin 2021 sur la demande d'autorisation d'occupation des sols fait référence à un projet de 'Rénovation d'un immeuble à vocation commerciale en R+4 sur deux niveaux de sous-sol'. La lettre de la mairie du 15 janvier 2021, relative à une demande de pièces complémentaires et de modification de délai d'instruction, renvoie elle aussi à la rénovation d'un immeuble à vocation commerciale. Les avis du 1er juin 2021 de la commission de sécurité de la ville de [Localité 7] et de la commission d'accessibilité aux personnes handicapées font également référence à la rénovation d'un immeuble à vocation commerciale. La notice d'accessibilité du 21 décembre 2020 précise au demeurant : 'Le programme du projet est un magasin de 7 niveaux'.
Il ressort de l'ensemble de ces documents que le projet n'est pas lié à la transformation des conditions d'habitabilité de l'immeuble mais a pour objet la création d'un centre commercial.
Au surplus, les travaux en question n'ont pas été prévus par un PSMV ; ils ont simplement reçus l'avis positif avec réserve de l'architecte des bâtiments de France dans le cadre de l'instruction de la demande de permis de construire, ce qui n'est pas suffisant au regard des prescriptions légales.
Dès lors, les conditions posées par le code de l'urbanisme ne sont pas remplies et il convient de prononcer la nullités des deux congés délivrés les 31 mars et 26 avril 2017. La décision du tribunal judiciaire sera infirmée de ce chef.
Sur la validation des congés délivrés le 26 mars 2020
- A titre subsidiaire, les sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 sollicitent la validation des congés délivrés le 26 mars 2020; lesquels se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant. Elles précisent que le congé donné pour les locaux principaux avec effet au 31 octobre 2020, date d'expiration du bail, valide le congé donné le même jour avec effet au 30 septembre 2020 pour les locaux accessoires, du fait de l'indissociabilité des demandes.
- La société SNS réplique que la demande des sociétés intimées n'a pas de lien suffisant avec la demande originaire en nullité des congés délivrés en 2017. Elle ajoute qu'en raison de cette absence de connexité, elle a saisi le tribunal judiciaire d'une contestation de la validité des congés délivrés en 2020 par assignation du 15 septembre 2022.
Sur ce
- L'article 70 du code de procédure civile dispose :
'Les demandes reconventionnelles ou additionnelles ne sont recevables que si elles se rattachent aux prétentions originaires par un lien suffisant.
Toutefois, la demande en compensation est recevable même en l'absence d'un tel lien, sauf au juge à la disjoindre si elle risque de retarder à l'excès le jugement sur le tout.'
- En première instance, la société SNS avait sollicité la nullité des congés de 2017. Les sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 avaient formé une demande reconventionnelle relative à la validation desdits congés. En cause d'appel, la demande des sociétés intimées relative à la validation des congés de 2020 se rattache non pas aux prétentions originaires mais à la demande reconventionnelle formée en première instance.
Dès lors, il convient de déclarer irrecevable la demande de validation des congés délivrés en 2020.
Sur les demandes accessoires
il convient de fixer à hauteur de 5 000 euros la créance de la société SNS au titre de l'article 700 du code de procédure civile,.
Les sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 seront également condamnées aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, s'agissant d'une expertise taxée.
Les créance de la société SNS seront inscrites au passif des deux sociétés.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :
Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Bordeaux le 15 septembre 2022,
Statuant à nouveau,
Annule les congés délivrés à la société SNS les 31 mars et 26 avril 2017,
Y ajoutant,
Déclare irrecevable la demande des sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2 de validation des congés délivrés 26 mars 2020,
Fixe à 5 000 euros la créance de la société SNS, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au passif des procédures de redressement judiciaire des sociétés Gambetta Revival et Gambetta Revival 2,
Ordonne l'emploi des dépens, incluant les frais de l'expertise judiciaire, en frais privilégiés de redressement judiciaire des SCI Gambetta Revival et SCI Gambetta Revival 2, avec application au profit de la SCP GRAVELLIER LIEF- de LAGAUSIE-RODRIGUES des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Monsieur Jean-Pierre FRANCO, président, et par Monsieur Hervé GOUDOT, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.