CA Versailles, ch. civ. 1-4 construction, 18 novembre 2024, n° 21/02586
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Damacesno (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Trouiller
Conseillers :
Mme Romi, Mme Moulin-Zys
Avocats :
Me Rivierre, Me Riviere-Dupuy, Me Dumont, Me Mongodin
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte authentique du 8 août 2011, M. [C] [V] a fait l'acquisition auprès des époux [S] d'un immeuble à usage d'habitation situé [Adresse 4], équipé d'un assainissement non collectif.
La chronologie des faits ayant amené le litige est la suivante.
Ce pavillon avait été réalisé en 2007, par la société CTVL, constructeur de maison individuelle.
Le système d'assainissement non collectif a été réalisé par la société PL bat, selon un devis du 15 janvier 2007, pour un montant de 11 287 euros HT. Les travaux ont été réceptionnés.
Un an après, M. [S] a constaté des problèmes d'évacuation des eaux usées, la fosse septique ayant basculé vers l'avant en direction de la porte d'entrée de la maison.
Le représentant de la société PL bat avait admis que l'affaissement vers l'avant était certainement dû à la proximité de cette dernière avec les terres de remblai dans le trou des fondations. La société PL bat a alors déconnecté les tuyaux reliant la fosse septique à la maison, retiré la fosse de son emplacement, injecté du sable fin mouillé afin qu'il durcisse et stabilise le terrain pour accueillir une nouvelle fosse septique.
Les travaux ont été réalisés en 2010.
Peu de temps après la prise de possession de la maison, M. [V] a constaté un mauvais fonctionnement de l'installation d'assainissement.
L'installation a été contrôlée en avril 2014 par le Service d'assistance technique à l'assainissement non collectif (Satanc) qui a constaté plusieurs dysfonctionnements. M. [V] a pris contact avec la société PL bat pour obtenir la reprise des dommages, en vain.
Par ordonnance de référé du président du tribunal de grande instance de Chartres, du 6 novembre 2015, une expertise judiciaire a été ordonnée. Le rapport de Mme [O] a été déposé le 7 décembre 2017. L'expert a conclu que la fosse n'était pas fonctionnelle et devait être remplacée en raison d'un basculement de la fosse vers la maison.
Le remplacement de la fosse a été réalisé en juin 2017, par l'entreprise Genet, pour un montant de 12 163 80 euros.
C'est dans ce contexte, que par actes du 20 juillet 2018, M. [V] a assigné devant le tribunal de grande instance de Chartres la société PL bat et M. [S] afin d'être indemnisé de ses préjudices.
M. [S], par acte du 4 juillet 2019, a assigné la société Damasceno -qui a réalisé le mur de soutènement du garage indépendamment de la construction de la maison- pour qu'elle soit condamnée à le garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre.
Les procédures ont été jointes.
Par jugement contradictoire du 3 mars 2021, le tribunal judiciaire de Chartres a :
- déclaré la société PL bat responsable sur le fondement de la responsabilité décennale des désordres affectant la fosse septique de M. [V],
- condamné la société PL bat à payer à M. [V] les sommes de :
- 12 163, 80 euros au titre du remplacement de la fosse
- 4 000 euros à titre de dommages et intérêts
- 499 euros au titre du remplacement du nettoyeur haute pression
- 193 euros au titre de la vidange de la fosse,
- débouté M. [V] de son action en garantie décennale à l'encontre de M. [S], de la société Damasceno et de la société PL bat concernant le mur de soutènement du garage,
- condamné la société PL bat à payer à M. [V], la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté les autres parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société PL bat aux entiers dépens, dont les frais d'expertise judiciaire et le coût de l'expertise amiable (ANC Conseils) d'un montant de 360 euros recouvrés directement par la société Gibier-Festivi- Riverre-Guepin en application de l'article 699 du code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement à intervenir par application des dispositions de l'article 515 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 21 avril 2021, M. [V] a interjeté appel de ce jugement.
Aux termes de ses conclusions remises au greffe le 21 mars 2024, M. [V] demande à la cour :
- d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il l'a débouté de son action en garantie des constructeurs à l'encontre de M. [S], concernant le mur de soutènement du garage
- condamner M. [S] à lui payer les sommes de :
- 19 579, 02 euros au titre de la démolition et de la reconstruction du mur
- 3 000 euros de dommages-intérêts
- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel et aux dépens d'appel.
Aux termes de ses conclusions, remises au greffe le 1er avril 2024, M. [S] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [V] de ses demandes à son encontre faute de justifier de la nature décennale des désordres invoqués,
- infirmer le jugement en ce qu'il a écarté la prescription décennale de l'action de M. [V],
- à titre subsidiaire, condamner la société Damasceno à le garantir de l'ensemble des condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre au titre des désordres du mur tant en principal qu'au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Damasceno et M. [V] à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 compte tenu de l'ensemble des frais d'avocat qu'il a dû supporter tant dans le cadre du référé que de l'expertise et de cette procédure au fond,
- condamner in solidum M. [V] et la société Damasceno aux entiers dépens.
Aux termes de ses premières conclusions, remises au greffe le 11 janvier 2022, la société Damasceno forme appel incident et demande à la cour de :
- juger l'appel principal de M. [V] et l'appel provoqué de M. [S] infondés, les en débouter,
- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action de M. [S] à son encontre, l'a déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles,
- juger irrecevable en ce qu'elle est prescrite l'action de M. [S] à son encontre,
- condamner M. [S] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel,
- confirmer le jugement pour le surplus,
- condamner M. [S] à lui payer la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner M. [S] aux dépens de l'instance conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures de celles-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 juillet 2024 et l'affaire a été fixée à l'audience de plaidoirie du 9 septembre 2024. Elle a été mise en délibérée au 18 novembre 2024.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour constate que l'appel du jugement est circonscrit à l'action de M. [V] en ce qu'il a été débouté de son action à l'encontre de M. [S], concernant le mur de soutènement du garage.
M. [S] soulève une fin de non-recevoir et appelle en tant que de besoin la société Damasceno en garantie.
Sur la demande de M. [V] à l'encontre de M. [S]
Sur la recevabilité de la demande
La demande est fondée sur la garantie décennale.
En application de l'article 1792-4-1 du code civil, toute personne physique ou morale dont la responsabilité peut être engagée en vertu des articles 1792 à 1792-4 du même code est déchargée des responsabilités et garanties pesant sur elle, en application de ces articles après dix ans à compter de la réception des travaux.
Le délai de dix ans commence à courir à compter de la réception des travaux.
En l'espèce, s'il n'est pas contesté que la réception est intervenue, aucune réception formelle n'est produite, ni aucune pièce objective probante quant à la date de celle-ci.
En effet, il n'est versé que des attestations contradictoires des deux parties dont une attestation de la société Damasceno, partie à l'instance.
Ainsi rien ne permet avec certitude de connaître la date de réalisation des travaux du mur de soutènement du garage qui n'est pas la date de réception de la maison litigieuse, les travaux étant indépendants.
En conséquence, c'est justement que le premier juge a retenu que l'action de M. [V] était recevable, la prescription de l'action ne pouvant être considérée comme acquise.
Sur le fond de la demande
L'article 1792 du code civil-dispose que tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages, même résultant d'un vice du sol, qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination. Une telle responsabilité n'a point lieu si le constructeur prouve que les dommages proviennent d'une cause étrangère.
Toute personne qui vend après achèvement un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire est soumise à cette garantie en application de l'article 1792-1 du code civil.
En l'espèce, M. [V] se retourne contre son vendeur, M. [S].
Comme il a été évoqué ci-avant, il n'est pas contesté que les travaux concernant le mur du garage ont été réceptionnés.
M. [V] pour soutenir que l'ouvrage est impropre à sa destination se fonde sur le rapport d'expertise judiciaire.
Or, comme l'a relevé le premier juge la mission de l'expert ne portait pas sur ce point, puisque sa mission était limitée aux désordres de la fosse septique, la demande d'extension des opérations d'expertise formulée au cours des opérations, devant le juge des référés, le 20 octobre 2017, ayant été rejetée faute d'avoir attrait la société Damasceno à l'instance.
Toutefois, il est admis que les juges du fond restent en droit de s'approprier l'avis d'un technicien, même si celui-ci a excédé les limites de sa mission contrevenant ainsi à l'article 238 du code de procédure civile qui impose à l'expert de, « donner son avis sur les points pour l'examen desquels il a été commis. Il ne peut répondre à d'autres questions, sauf accord écrit des parties. Il ne doit jamais porter d'appréciations d'ordre juridique ».
M. [V] pour se prévaloir de la garantie décennale des constructeurs invoque le rapport d'expertise dans son « Observation du site
L'Expert constate :
Un affaissement de terrain dans l'angle de la maison au droit de la descente de garage, (photo 1 ci-après)
Le mur de la rampe non chainé bascule, (photo 2 ci-après)
Le remblai technique n'est pas suffisamment compacté, (photo 3 ci-après)
La fosse a basculé vers la maison avec un léger angle vers la porte du garage ».
M. [V] ajoute que l'expert a constaté « hors périmètre des opérations d'expertise un mouvement de sol dans l'angle de la maison et un basculement du mur de soutènement des terres de la rampe d'accès au garage qui nécessitent la mise en 'uvre de mesures constructives dans des délais courts ».
M. [V] prétend avoir fait réaliser ces travaux de confortement, sans en justifier, puisqu'il ne produit qu'un devis daté du 12 mars 2024, soit sept années après la constatation de ces désordres.
Quoi qu'il en soit ces seules constatations lapidaires et non étayées de considérations techniques de l'expert, hors périmètre de ses opérations comme elle le reconnaît elle-même, ne sont pas de nature à convaincre la présente juridiction, qu'il existe un désordre de nature décennale c'est-à-dire un désordre qui compromet la solidité de l'ouvrage ou le rend impropre à sa destination.
En conséquence, le jugement est confirmé en ce qu'il a débouté M. [V] de sa demande à l'encontre de M. [S] dont l'appel en garantie de la société Damasceno est de ce fait sans objet.
Sur les dépens et les autres frais de procédure
Le sens de l'arrêt conduit à confirmer la décision de première instance en ce qui concerne les dépens et les frais irrépétibles.
En appel, M. [V], qui succombe, est condamné aux dépens d'appel, conformément à l'article 696 du code de procédure civile. Les dépens pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du même code.
Selon l'article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Les circonstances de l'espèce justifient de condamner M. [V] à payer à M. [S] une somme de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d'appel et M. [S] une somme de 1 500 euros à la société Damasceno.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant après débats en audience publique, par arrêt contradictoire,
Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Y ajoutant,
Condamne M. [C] [V] aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l'article 699 du code de procédure civile, ainsi qu'à payer à M. [W] [S] une indemnité de 3 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne M. [W] [S] à payer à la société Damasceno une indemnité de 1 500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.