Cass. 2e civ., 12 janvier 2023, n° 21-18.762
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
M. Delbano
Avocat général :
M. Adida-Canac
Avocats :
SARL Ortscheidt, SCP Célice, Texidor, Périer
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Douai, 23 avril 2021), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438) et les productions, M. [F], engagé par la société Daw France (la société) à compter du 2 janvier 2001 en qualité de directeur technique international grand public et de directeur technique de Caparol France au statut de cadre dirigeant, est parti à la retraite à effet au 1er janvier 2015.
2. Le 19 juin 2016, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins de dire que son départ à la retraite, imputable à l'employeur, s'analysait en un licenciement nul et a réclamé le paiement de diverses sommes au titre de cette rupture du contrat de travail ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence.
3. Par jugement du 6 décembre 2016, un conseil de prud'hommes a condamné la société à lui payer une certaine somme au titre de l'indemnité de départ à la retraite ainsi qu'à lui remettre les documents y afférents et l'a débouté de ses autres demandes.
4. Sur l'appel de M. [F], une cour d'appel a, par arrêt du 6 juin 2018, infirmé le jugement en toute ses dispositions et a condamné la société à lui payer diverses sommes à titre d'indemnité compensatrice de préavis, d'indemnité contractuelle, de dommages-intérêts pour licenciement nul ainsi qu'au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et des congés payés y afférents.
5. Par arrêt du 8 janvier 2020 (Soc., 8 janvier 2020, pourvoi n° 18-20.438), la Cour de cassation a cassé et annulé, mais seulement en ce qu'il condamne la société Daw France à payer à M. [F] la somme de 244 810 euros au titre de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la somme de 24 481 euros au titre des congés payés afférents, l'arrêt rendu le 6 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens.
6. La cour d'appel saisie sur renvoi a déclaré la saisine recevable et, dans les limites de la cassation, a confirmé le jugement.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deux premières branches
Enoncé du moyen
7. M. [F] fait grief à l'arrêt de confirmer le jugement rendu en formation de départage par le conseil des prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016 section encadrement qui avait rejeté la demande relative à la condamnation de la société Daw France au paiement de la somme de 161 953,75 euros à titre de contrepartie financière de la clause de non-concurrence due au 31 mars 2016, et chaque mois à compter de cette date à la somme de 11 047,75 euros, outre les congés payés afférents soit la somme de 1 104,75 euros, alors que :
« 1°/ la cour d'appel de renvoi doit statuer sur les dernières conclusions déposées par les parties ; que si dans ses premières conclusions en date du 5 juin 2020, M. [F] avait sollicité voir : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros », il avait complété celles-ci par des conclusions n° 2, sur renvoi après cassation, notifiées par RPVA du 27 novembre 2020, et avait demandé à la cour de renvoi de : « Réformer le jugement en ce qu'il a débouté Monsieur [F] de sa demande de contrepartie financière à la clause de non-concurrence, - Donner acte à Monsieur [F] de ce qu'il accepte que les appointements mensuels à prendre en compte correspondent à son salaire de base, soit, la somme mensuelle brute de 10 165 euros. - En conséquence, dire que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence qui lui est due, est d'un montant brut de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit 16 263,99 euros. - Condamner par voie de conséquences la société DAW France à payer à Monsieur [F] la somme de 162 639,99 euros, outre les congés payés y afférents, soit la somme de 16 263,99 euros » ; qu'en refusant de statuer au vu des dernières conclusions du 27 novembre 2020 sollicitant la condamnation de la société Daw France à payer M. [F] une somme au titre de la contrepartie financière à la clause de non-concurrence, aux motifs que le salarié s'était borné dans le dispositif de ses premières conclusions à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens, de sorte que la cour n'était pas saisie de prétentions relatives à ces demandes, la cour d'appel a violé l'article 954 du code de procédure civile ;
2°/ l'article 910-4 du code de procédure civile, qui dispose qu'« à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond », ne renvoie pas aux conclusions visées par l'article 1037-1 du même code concernant la procédure de renvoi après cassation ; qu'en conséquence, le demandeur peut, devant la cour d'appel de renvoi, compléter ses premières conclusions et formuler de nouvelles demandes ou prétentions dans des conclusions postérieures ; qu'en affirmant que « l'article 954 du code de procédure civile fait désormais obligation aux parties de récapituler leurs prétentions sous forme de dispositif dans les conclusions, la cour ne statuant que sur les prétentions visées dans le dispositif, lesquelles auront par ailleurs été toutes présentées, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, dès le premier jeu de conclusions notifiées devant la cour » et en décidant que l'obligation de concentration des prétentions dès les premières conclusions d'appel était applicable aux conclusions déposées devant la cour d'appel de renvoi, de sorte que les conclusions initiales de M. [F] ne formulant pas de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu par le conseil de prud'hommes d'Amiens le 6 décembre 2016, il n'y avait pas lieu de tenir compte des demandes formulées à l'encontre de la société Daw France dans des conclusions ultérieures, la cour d'appel a violé les articles 910-4, 954 et 1037-1 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 910-4 et 954, alinéa 3 et 1037-1 du code de procédure civile :
8. Il résulte du premier de ces textes qu'à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond, et du second, que la cour d'appel ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n'examine les moyens au soutien de ces prétentions que s'ils sont invoqués dans la discussion.
9. Il résulte du dernier de ces textes que, lorsque la connaissance d'une affaire est renvoyée à une cour d'appel par la Cour de cassation, ce renvoi n'introduit pas une nouvelle instance, la cour d'appel de renvoi étant investie, dans les limites de la cassation intervenue, de l'entier litige tel que dévolu à la juridiction dont la décision a été cassée, l'instruction étant reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation.
10. Ainsi, la cassation de l'arrêt n'anéantit pas les actes et formalités de la procédure antérieure, et la cour d'appel demeure saisie des conclusions remises à la cour d'appel initialement saisie.
11. Il s'ensuit que le principe de concentration des prétentions résultant de l'article 910-4 s'applique devant la cour d'appel de renvoi, non pas au regard des premières conclusions remises devant elle par l'appelant, mais en considération des premières conclusions de celui-ci devant la cour d'appel dont l'arrêt a été cassé.
12. Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le dispositif des premières conclusions remises devant elle par l'appelant ne comporte aucune demande à l'encontre de la société et que c'est dans les conclusions déposées dans un second temps qu'une demande en ce sens a été formulée. Il ajoute que M. [F] se borne, dans le dispositif de ses conclusions, à conclure à la réformation de la décision sans formuler de prétentions sur les demandes tranchées dans le jugement rendu le 6 décembre 2016 par le conseil des prud'hommes d'Amiens.
13. En statuant ainsi, en prenant en compte, non le dispositif des premières conclusions de l'appelant remises à la cour d'appel dont la décision a été cassée, mais celui des premières conclusions de l'appelant devant elle, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 avril 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Douai autrement composée.