Cass. 2e civ., 4 mars 2021, n° 19-13.344
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pireyre
Rapporteur :
Mme Maunand
Avocat général :
M. Aparisi
Avocats :
SCP Alain Bénabent, SCP Célice, Texidor, Périer
Jonction
1. En raison de leur connexité, les pourvois n° 19-13.344 et 19-14.055 sont joints.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Amiens, 15 novembre 2018 et 21 février 2019), par acte du 13 mars 1998, la Société Générale (la banque) a accordé à la société Medianor (la société) un concours financier pour un montant de trois millions de francs (457 347,05 euros), ce prêt étant remboursable le 30 juin 1998. Le même jour, M. A... s'est porté caution solidaire des engagements de cette société, Mme L... A..., son épouse, acquiesçant à ce cautionnement.
3. La société Medianor a été placée en redressement judiciaire par jugement d'un tribunal de commerce du 18 janvier 1999, puis après l'échec du plan de continuation, en liquidation judiciaire par jugement de ce même tribunal du 21 juin 2000.
4. Le liquidateur de la société a obtenu la condamnation de la banque au paiement d'un certaine somme, à raison de sa responsabilité pour soutien abusif résultant de l'octroi fautif de crédits, par un jugement d'un tribunal de commerce du 12 juin 2003 confirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 30 mars 2006.
5. M. et Mme A... ont assigné cette même banque en réparation de leur préjudice personnel résultant de leurs engagements de cautions et ont obtenu sa condamnation au versement d'une somme de ce chef par un arrêt d'une cour d'appel du 20 septembre 2012. Cette décision a été partiellement cassée par un arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 2014 et l'affaire renvoyée devant la même cour autrement composée, qui a sursis à statuer dans l'attente de la procédure de renvoi après cassation de l'arrêt du 30 octobre 2014.
6. La banque a assigné M. et Mme A... en paiement de la somme garantie par le cautionnement. Un tribunal de commerce a accueilli la demande par un jugement du 25 septembre 2013, infirmé par un arrêt d'une cour d'appel du 30 octobre 2014, qui a jugé que le cautionnement était devenu sans cause. Cette décision a été cassée en toutes ses dispositions par arrêt du 28 juin 2016 (Com, 28 juin 2016, pourvoi n° 14-29346).
7. M. et Mme A... ont saisi la cour d'appel de renvoi par une première déclaration du 31 août 2016. Le conseiller de la mise en état a déclaré nul cet acte de saisine par ordonnance du 15 mai 2018, déférée à la cour d'appel qui l'a confirmée par un arrêt du 15 novembre 2018.
8. M. et Mme A... ont déposé une seconde déclaration de saisine le 18 mai 2018. Par ordonnance du 6 novembre 2018, la présidente de la chambre saisie a dit irrecevable la banque en son incident tendant à voir déclarer cette seconde déclaration de saisine.
Examen des moyens
Sur le moyen du pourvoi n° 19-13.344, dirigé contre l'arrêt du 15 novembre 2018
Enoncé du moyen
9. M. et Mme A... font grief à l'arrêt du 15 novembre 2018 de confirmer l'ordonnance rendue le 15 mai 2018 par le conseiller de la mise en état ayant annulé la déclaration de saisine faite le 31 août 2016, leurs conclusions déposées et subséquemment tous les actes de communication de pièces alors que « l'irrégularité affectant la mention de l'adresse figurant dans la déclaration d'appel n'entraîne la nullité de l'acte que si elle fait grief à l'adversaire ; que les mentions de la déclaration d'appel sont exigées en vue d'assurer l'identification de la partie appelante et non l'exécution des décisions ; qu'en annulant la déclaration de saisine faite par M. et Mme A... à raison de l'inexactitude de la mention de leur domicile sans caractériser, autrement que par des difficultés éventuelles d'exécution du jugement ou de l'arrêt à intervenir, le grief que l'irrégularité commise aurait causé à l'intimée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 58, 114 et 901 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
10. Il résulte de l'article 114 du code de procédure civile que la nullité d'un acte de procédure pour vice de forme est prononcée dès lors que celui qui l'invoque prouve le grief que lui cause cette irrégularité.
11. D'une part, la cour d'appel a, à bon droit, énoncé que l'exécution d'une décision de justice étant le prolongement nécessaire de celle-ci, l'identification d'une partie en justice dans le cadre de l'instance aboutissant au prononcé de celle-ci est également destinée à permettre l'exécution de celle-ci, et que l'absence ou l'inexactitude de la mention du domicile dans l'acte d'appel sur lequel s'aligne l'acte de saisine après renvoi de cassation est une cause de nullité de forme de nature à faire grief s'il est justifié qu'il nuit à l'exécution du jugement ou de l'arrêt à intervenir.
12. D'autre part, elle a exactement relevé par motifs propres et adoptés, que l'irrégularité affectant l'adresse avait privé la banque de la possibilité effective de faire procéder à des mesures conservatoires sur des biens susceptibles d'être détenus par M. et Mme A... condamnés à son profit en première instance et que la dissimulation par ces derniers de leur véritable adresse à l'occasion de l'exécution d'une précédente décision de justice et la révélation de leur véritable adresse dans l'instance en cours qu'après l'introduction de l'incident de nullité étaient de nature à exclure que l'inexactitude de leur adresse sur l'acte de saisine fût fortuite mais révélaient la difficulté qu'ils avaient entretenue quant à leur identification et qui faisait grief, celui-ci n'ayant pas été couvert par la seconde déclaration de saisine du 18 mai 2018.
13. La cour d'appel a, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation de l'existence d'un grief, qu'elle a caractérisé, statué comme elle l'a fait.
14. Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen du pourvoi n° 19-14.055, dirigé contre l'arrêt du 21 février 2019
15. M. et Mme A... font grief à l'arrêt du 21 février 2019 de déclarer la saisine de la cour d'appel de renvoi par déclaration du 18 mai 2018 irrecevable alors que :
« 1°/ aux termes de l'article 2241 du code civil, l'acte de saisine d'une juridiction interrompt le délai de forclusion même lorsqu'il est annulé par l'effet d'un vice de procédure ; que pour déclarer irrecevable la seconde déclaration de saisine du 18 mai 2018, la cour d'appel a affirmé que « le comportement de mauvaise foi de M. et Mme A... avait empêché la première déclaration de saisine déclarée nulle [pour vice de forme] d'avoir eu un effet interruptif du délai de forclusion » ; qu'en subordonnant ainsi l'effet interruptif de la première saisine à l'absence de mauvaise foi des appelants, la cour d'appel a ajouté une condition que la loi ne prévoit pas, violant ainsi l'article 2274 du code civil ;
2°/ subsidiairement, la mauvaise foi n'est de nature à faire obstacle à l'effet interruptif prévu à l'article 2241 du code civil, que lorsqu'elle vise à contourner l'expiration d'un délai de prescription ou de forclusion ; que pour écarter l'effet interruptif de la première déclaration de saisine, la cour d'appel a affirmé que M. et Mme A... auraient agi de mauvaise foi, en dissimulant leur véritable adresse aux fins de rendre difficile leur « identification en justice » ; qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une volonté, de la part des époux A..., d'échapper à l'acquisition du délai de forclusion, la cour d'appel violé l'article 2241 du code civil. »
Réponse de la Cour
16. Selon l'article 625 alinéa 1er du code de procédure civile, sur les points qu'elle atteint, la cassation replace les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le jugement cassé. Aux termes de l'article 631 du même code, devant la juridiction de renvoi, l'instruction est reprise en l'état de la procédure non atteinte par la cassation. Suivant l'article 638 du même code, l'affaire est à nouveau jugée en fait et en droit par la juridiction de renvoi à l'exception des chefs non atteints par la cassation.
17. Il résulte de la combinaison de ces textes que la déclaration de saisine de cette juridiction, qui a pour objet d'assurer la poursuite de la procédure antérieure régie par les dispositions des articles 1032 et suivants du code de procédure civile, ne constitue pas une demande en justice au sens de l'article 2241 alinéa 1er du code civil.
18. Il s'ensuit que la déclaration de saisine annulée n'interrompt pas le délai de forclusion de deux mois prévu à l'article 1034 alinéa 1er du code de procédure civile pour saisir la juridiction de renvoi.
19. La cour d'appel a confirmé l'ordonnance du conseiller de la mise en état ayant prononcé la nullité de la déclaration de saisine déposée par M. et Mme A... le 31 août 2016 et relevé que la seconde déclaration de saisine avait été remise au greffe le 18 mai 2018, après l'expiration du délai pour saisir la cour d'appel de renvoi.
20. Dès lors, la déclaration de saisine du 18 mai 2018 est irrecevable.
21. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux de l'arrêt attaqué, après avis adressé aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois.