CA Toulouse, 2e ch., 19 novembre 2024, n° 22/00272
TOULOUSE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Bordas (SCI)
Défendeur :
Le Coeur du Village (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Salmeron
Conseillers :
Mme Martin de la Moutte, Mme Moulayes
Avocats :
Me Lacamp, Me Blanquer, Me Salva
Faits et procédure
Selon le bail commercial en date des 26 et 31 mai 2016, la Sci Bordas a donné à bail à la Sas [8] les lots 1 et 2 d'un immeuble sis [Adresse 2] et [Adresse 4] à [Localité 7] à compter du 1er mars 2016 pour une durée de 9 ans et moyennant un loyer mensuel de 500 euros outre une provision sur charges de 150 euros.
Le 6 mars 2019, le comptoir du bar est tombé sous l'affaissement du plancher en bois endommageant le matériel se trouvant dessus et mettant en évidence l'humidité et l'état de pourrissement du plancher en bois se trouvant sous le plancher apparent.
Le preneur, la Sas [8], a alors sollicité par sms le bailleur, la Sci Bordas, concernant la charge des réparations.
Par courrier recommandé en date du 4 avril 2019, la Sas [8] a mis en demeure la Sci Bordas de procéder aux réparations du sol.
Aucune solution amiable n'a pu être trouvée entre les parties.
Par acte d'huissier en date du 28 juin 2019, la Sas [8] a assigné la Sci Bordas devant le tribunal de grande instance de Foix pour que la nullité du bail soit prononcée et qu'elle soit indemnisée de ses préjudices liés à la perte du fonds de commerce et à la perte du matériel liée à la chute du bar.
Les clés des locaux loués ont été restituées en cours de procédure en janvier 2020.
Par jugement du 12 mai 2021, le tribunal judiciaire de Foix a :
- prononcé la nullité du bail en date des 26 et 31 mai 2016 ;
- en conséquence, condamné la Sci Bordas à restituer la somme de 21 450 euros au titre des loyers versés et condamné la Sas [8] au paiement de la somme de 21 450 euros au titre de l'indemnité d'occupation ;
- ordonné la compensation entre les créances respectives des parties;
- débouté chacune des parties du surplus de ses demandes ;
- condamné la Sci Bordas au paiement des dépens ;
- condamné la Sci Bordas au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;
- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision.
Par déclaration en date du 13 janvier 2022, la Sci Bordas a relevé appel du jugement. La portée de l'appel est l'infirmation de l'ensemble des chefs du jugement, à l'exception de celui relatif à l'exécution provisoire, que la déclaration d'appel critique tous expressément.
Par des conclusions d'incident du 1er juin 2022, la Sas Le Coeur du Village (anciennement dénommée [8]), a demandé au Conseiller de la mise en état, au visa de l'article 524 du code de procédure civile, d'ordonner la radiation du rôle de l'affaire l'opposant à la société Sci Bordas.
L'intimée s'est finalement désistée de sa demande par conclusions du 19 août 2022, la Sci Bordas ayant procédé au paiement des frais irrépétibles et des dépens de première instance.
La clôture est intervenue le 29 juillet 2024, et l'affaire a été appelée à l'audience de plaidoirie du 10 septembre 2024.
Prétentions et moyens
Vu les conclusions n°2 notifiées le 24 novembre 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sci Bordas demandant, au visa des articles 1134 du code civil ancien, 1722, 1728 et 1732 du code civil, 1108, 1109 et 1110 anciens du code civil, de :
- infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Foix du 12 mai 2021 en ce qu'il a :
- prononcé la nullité du bail en date des 26 et 31 mai 2016 ;
- en conséquence, condamné la Sci Bordas à restituer la somme de 21 450 euros au titre des loyers versés et condamné la Sas [8] au paiement de la somme de 21 450 euros au titre de l'indemnité d'occupation ;
- ordonné la compensation entre les créances respectives des parties ;
- débouté chacune des parties du surplus de ses demandes ;
- condamné la Sci Bordas au paiement de la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens ;
Statuant à nouveau,
- dire et juger que le contrat de bail litigieux n'est pas nul car il n'y a pas eu d'erreur excusable sur une qualité substantielle du local loué,
- dire et juger que la résiliation du bail des 26 et 31 mai 2016, aux torts exclusifs de la Sas Le C'ur du Village, est intervenu le 23 juin 2019 par l'effet de la clause résolutoire,
- dire et juger que la Sas Le C'ur du Village a manqué à ses obligations contractuelles en ne payant pas les loyers et les provisions sur charges aux échéances convenues
Par conséquent,
- condamner la Sas Le C'ur du Village à payer à la Sci Bordas la somme de 8 600 euros au titre des loyers, accessoires impayés et indemnité d'occupation, augmentée d'intérêts de retard sur la base de l'intérêt légal majoré de trois points à compter du 22 mai 2019 et jusqu'au paiement intégral des sommes dues, conformément aux dispositions contractuelles,
- dire et juger que les travaux de réfection du plancher étaient contractuellement à la charge de la Sas Le C'ur du Village et que la Sci Bordas n'a donc pas manqué à ses engagements contractuels,
- dire et juger que la Sas Le C'ur du Village n'a pas respecté son obligation d'adapter les lieux loués à son activité et qu'elle ne peut pas se plaindre des dégradations intervenues du fait de sa négligence,
- dire et juger que la Sas Le C'ur du Village n'a pas respecté son obligation d'entretien des lieux loués et qu'elle ne peut pas se plaindre des dégradations intervenues du fait de sa négligence,
- dire et juger que la Sas Le C'ur du Village n'a pas respecté son obligation d'entretien et de réparation des installations dans les lieux loués et qu'elle ne peut pas se plaindre des dégradations intervenues du fait de sa négligence,
- dire et juger que la Sas Le C'ur du Village n'a pas parfaitement respecté son obligation de libérer les lieux loués,
- dire et juger que les multiples fautes de la Sas Le C'ur du Village exonèrent la Sci Bordas de tout prétendu manquement à ses obligations,
Par conséquent,
- condamner la Sas Le C'ur du Village à payer à la Sci Bordas la somme de 10.000 euros pour réparer les préjudices causés par ses manquements à ses obligations de conservation et d'entretien des lieux loués,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la Sas Le C'ur du Village du surplus de ses demandes,
- condamner la Sas Le C'ur du Village à payer à la Sci Bordas la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner la Sas Le C'ur du Village aux entiers dépens de l'instance, en ce compris le coût du commandement de payer en date du 14 mai 2019.
Elle conteste la nullité du bail sur le fondement de l'erreur, rappelant que l'erreur s'apprécie au jour de la conclusion du contrat, et non en fonction d'éléments découverts ultérieurement.
Elle affirme que le preneur, s'est installé très rapidement dans les lieux pour commencer son activité au plus vite, acceptant ainsi un aléa sur la qualité de la prestation excluant l'erreur, a pris les lieux en l'état en ne faisant pas procéder à un état des lieux d'entrée, et a accepté de n'exiger du bailleur aucune réfection ou remise en état liée à la vétusté des locaux, ce qui démontre que l'état des locaux n'était pas une qualité substantielle.
Le bailleur demande qu'il soit fait application de la clause résolutoire du bail, du fait des carences du preneur dans le paiement des loyers, et du commandement de payer demeuré infructueux, et maintient ses demandes indemnitaires présentées devant le premier juge relatives aux loyers impayés, à la remise en état des lieux après leur restitution, et à la prise en charge des travaux de réfection du plancher.
Vu les conclusions responsives d'intimée et d'appel incident n°2 notifiées le 6 février 2024 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la société Le Coeur du Village (anciennement dénommée [8]) demandant, au visa des articles 1108, 1109, 1110 et 1134 anciens du code civil, 1382 et 1383 anciens du code civil, 1134, 1184 anciens du code civil, R145-35 du code de commerce, 1722 du code civil, 700 du code de procédure civile, 695, 696 et 699 du code de procédure civile de :
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a prononcé la nullité du contrat de bail liant les sociétés Sci Bordas et [8] désormais dénommée Le C'ur du Village mais pour cause de dol commis par la Sci Bordas ou, à défaut de l'existence d'un dol, pour erreur,
- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que l'obligation de restitution des loyers se compensera parfaitement avec l'indemnité de jouissance,
- l'infirmer en ce qu'il a débouté la société [8] désormais dénommée Le C'ur du Village de ses demandes de réparation,
En conséquence et statuant à nouveau,
- condamner la société Sci Bordas à payer à la société Le C'ur du Village les sommes de :
- 24.000 euros en réparation de la perte du fonds de commerce,
- 500 euros en réparation du matériel abîmé lors de la chute du comptoir,
A titre infiniment subsidiaire,
- prononcer la résiliation du contrat de bail, à compter du mois de mars 2019, pour manquement de la société Sci Bordas à ses obligations contractuelles et légales,
- condamner la société Sci Bordas à payer à la société Le C'ur du Village les sommes de :
- 24.000 euros en réparation de la perte du fonds de commerce,
- 500 euros en réparation du matériel abîmé lors de la chute du comptoir,
Si par impossible extraordinaire, à titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que les locaux ayant été rendus impropres à leur destination sont, au sens de la loi, considérés comme partiellement détruits,
En conséquence,
- prononcer la résiliation du contrat de bail à compter du 06 mars 2019,
- en tout état de cause, confirmer le jugement dont appel en ses dispositions relatives à la charge des frais irrépétibles et des dépens de première instance,
- y ajouter, condamner la société Sci Bordas à payer à la société Le C'ur du Village la somme de 3.000 euros,
- condamner la société Sci Bordas aux entiers dépens de l'instance d'appel.
Le preneur affirme avoir été trompé par le bailleur, qui connaissait la vétusté du plancher caché sous un revêtement neuf ; il maintient ne pas avoir accepté dans le bail ce défaut de solidité des sols, dont il n'a pas été informé, et rappelle que les locaux délivrés ne doivent pas présenter de danger pour les personnes.
Il sollicite en conséquence la confirmation du prononcé de la nullité du bail, mais sur le fondement du dol à titre principal, et de l'erreur subsidiairement.
A titre subsidiaire, il invoque la résiliation du contrat de bail sur le fondement de la garantie des vices cachés, et subsidiairement du fait de la carence du bailleur qui n'a pas fait réaliser les travaux de reprise nécessaires suite à l'effondrement du plancher.
A titre encore plus subsidiaire, il fonde sa demande en résiliation du contrat de bail sur les dispositions de l'article 1722 du code civil, relatives à la destruction partielle des locaux loués.
MOTIFS
Sur la demande en nullité du bail commercial
La société bailleresse conteste tout vice du consentement lors de la conclusion du contrat de bail, de nature à entraîner sa nullité ; elle conclut ainsi à l'infirmation du premier jugement.
Le preneur affirme que son consentement a été vicié par le dol, et à titre subsidiaire par l'erreur, la Sci Bordas ne lui ayant pas donné toutes les informations sur l'état des locaux, et en particulier des planchers.
Il ajoute que la bailleresse ne pouvait pas ignorer le caractère déterminant d'un plancher solide, pour lui permettre d'exploiter une activité induisant l'accueil du public.
Il ressort des dispositions de l'article 1109 du code civil, dans sa version antérieure à l'entrée en vigueur de l'ordonnance du 10 février 2016, applicable en l'espèce, qu'il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.
Selon l'article 1110 de ce même code, l'erreur n'est une cause de nullité de la convention que lorsqu'elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l'objet.
Elle n'est point une cause de nullité, lorsqu'elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention.
Enfin, selon l'article 1116 du code civil applicable en l'espèce, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man'uvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces man'uvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas, et doit être prouvé.
Il a été constamment jugé, sur l'application de ce texte, et avant que ce principe ne soit codifié ultérieurement, que le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter.
La Cour de Cassation a par ailleurs récemment rappelé que la validité du consentement doit être appréciée au moment de la formation du contrat ; le vice du consentement ne peut pas être caractérisé par des motifs tirés d'éléments postérieurs à la conclusion du contrat.
Sur le dol
Il appartient à celui qui invoque le dol d'en rapporter la preuve ; cette preuve suppose, ainsi qu'il découle des principes repris ci-dessus, de démontrer en l'espèce l'intention dolosive de la société bailleresse.
La Sas le C'ur du Village affirme à plusieurs reprises dans ses conclusions, que la Sci Bordas lui a sciemment donné à bail des locaux dont elle connaissait le mauvais état, qu'elle avait pris le soin de masquer sous l'habillage d'un revêtement de sol neuf.
La Cour constate toutefois qu'elle ne rapporte pas la preuve de ses allégations ; il n'est en effet pas démontré que les travaux ayant consisté à poser sur le plancher ancien, un revêtement neuf, non seulement aient été réalisés par la société bailleresse, mais également qu'ils aient été effectués juste avant l'entrée dans les lieux du preneur.
Il ressort au contraire des pièces produites par le preneur lui-même, qu'informé par sms des désordres affectant le plancher ancien, le gérant de la société bailleresse a indiqué « le plancher fait partie des aménagement effectués par [J] lors de la création du restaurant ».
Il se déduit des échanges postérieurs entre les parties que « [J] » était le prénom de l'ancien locataire des locaux.
Cette déclaration est le seul élément produit à la Cour concernant la réalisation du revêtement posé sur le plancher ancien ; le preneur ne donne aucun élément permettant de dater ces travaux, ou de démontrer que lorsqu'ils ont été réalisés, la société bailleresse avait connaissance de l'état dégradé du vieux plancher.
A défaut pour le preneur de rapporter la preuve d'une dissimulation de la part de la société bailleresse, le dol n'est pas caractérisé, et ne peut pas donner lieu à nullité du bail.
Sur l'erreur
A titre subsidiaire, le preneur invoque l'erreur excusable, retenue par les premiers juges, pour fonder sa demande en nullité du bail commercial ; il affirme que s'il avait connu l'état dégradé des sols, il n'aurait pas pris les locaux à bail pour y exercer une activité impliquant l'accueil du public.
Une nouvelle fois, il appartient au preneur d'établir qu'il a commis une erreur sur les qualités substantielles des locaux donnés à bail.
Or, en l'espèce, cette preuve fait défaut, et ce d'autant plus qu'à la lecture du bail, il apparaît que la Sas le C'ur du Village a accepté de prendre les locaux en l'état, sans faire réaliser d'état des lieux d'entrée ; si cet état des lieux ne pouvait pas permettre de déceler les désordres affectant le plancher ancien, situé sous le revêtement de sol récent, son absence de réalisation permet de constater que le bon état des locaux n'était pas un élément déterminant du consentement du preneur.
Le fait que le preneur exerce une activité impliquant l'accueil du public ne l'a pas encouragé à s'assurer, préalablement à son entrée dans les lieux, que les conditions d'un tel accueil étaient réunies.
En outre, les désordres affectant le plancher n'ont été découverts que trois ans après la signature du bail commercial ; or, il a été précédemment rappelé que le vice du consentement s'apprécie au jour de la conclusion du contrat.
Cet évènement postérieur, dont il n'est ni affirmé ni démontré qu'il trouve son origine antérieurement à la signature du bail commercial, ou qu'il était prévisible et connu de la bailleresse, ne peut pas être invoqué pour caractériser une erreur lors de la conclusion du contrat.
Dès lors, le vice du consentement n'est pas caractérisé ; la Cour infirmera le premier jugement qui a prononcé la nullité du contrat de bail commercial de ce chef.
Sur la demande en résiliation du bail commercial
Chacune des parties demande à la Cour de prononcer la résiliation du bail commercial aux torts de l'autre.
Le bailleur reproche au preneur de ne pas avoir satisfait à son obligation de paiement des loyers, avant même l'apparition de désordres affectant le plancher.
Le preneur fait quant à lui reproche à la société bailleresse de lui avoir dissimulé un vice caché, et de ne pas avoir satisfait à ses obligations contractuelles, en refusant de procéder aux réparations nécessaires.
S'agissant de la question du vice caché soulevée par le preneur, il convient de rappeler que le bail commercial objet du litige, comporte en page 12 une clause d'exclusion de la garantie des vices cachés par le bailleur, rédigée en ces termes : « Le locataire prend les lieux loués en l'état où ils se trouvent. Il ne peut exiger aucune réfection, remise en état, adjonction d'équipements supplémentaires, ou travaux quelconques, rendus nécessaires par l'état de vétusté ou par l'existence de vices cachés ».
Dans ces circonstances, seule la preuve de la mauvaise foi du bailleur peut permettre d'exclure l'application de cette clause.
Or, en l'espèce, cette mauvaise foi n'est pas démontrée dans la mesure où la preuve n'est pas rapportée d'une connaissance préalable des désordres affectant le vieux plancher par la société bailleresse.
Les fautes reprochées au bailleur par le preneur, qui trouvent leur cause postérieurement au sinistre, sont indifférentes à ce stade, dans la mesure où c'est la mauvaise foi au jour du contrat qui doit être rapportée.
Il n'y a donc pas lieu de retenir le vice caché comme cause de résiliation du contrat de bail commercial.
La Sci Bordas reproche à la Sas le C'ur du Village d'avoir manqué à son obligation de paiement des loyers, avant même l'apparition des désordres sur le plancher.
Il ressort des dispositions de l'article 1134 du code civil, dans sa version applicable en l'espèce, que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles doivent être exécutées de bonne foi.
Aux termes du bail commercial signé entre les parties, le preneur était tenu de s'acquitter d'un loyer mensuel de 500 euros par mois, outre les charges évaluées à 150 euros par mois.
Par courrier du 4 mars 2019, soit deux jours avant l'apparition des désordres, la société bailleresse a adressé au preneur un compte locatif pour l'année 2018, faisant état d'un solde débiteur de 2 100 euros.
Elle a fait ensuite signifier au preneur un commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire, en date du 14 mai 2019, portant sur la somme de 3 400 euros en principal.
Si le commandement ne détaille pas les impayés, force est de constater qu'au regard du montant mensuel du loyer, une majorité de la créance est constituée de loyers antérieurs à l'effondrement d'une partie du plancher.
Dans ces conditions, la Sas le C'ur du Village ne peut pas valablement invoquer les désordres affectant le plancher pour refuser de payer les loyers antérieurs à la survenance des désordres, et ce alors qu'elle a exploité les locaux sans difficulté pendant la période d'impayés, jusqu'au 6 mars 2019.
Il résulte du bail commercial signé les 26 et 31 mai 2016 (page 17) que :
« A défaut par le preneur d'exécuter une seule des charges et conditions du présent bail, qui sont toutes de rigueur, ou de payer exactement à son échéance un seul terme de loyer, le présent bail sera, si bon semble au bailleur, résilié de plein droit et sans aucune formalité judiciaire, un mois après un simple commandement de payer contenant déclaration par le bailleur de son intention d'user de la présente clause et demeuré sans effet. »
Le commandement de payer les loyers visant la clause résolutoire du 14 mai 2019, a été signifié au gérant de la Sas le C'ur du Village le 22 mai 2019, et est demeuré sans effet.
Dans ces conditions, le bail a été résilié de plein droit, aux torts du preneur, à la date du 23 juin 2019.
Les autres causes de résiliation invoquées par le preneur, à savoir la carence du bailleur dans la réalisation des travaux de reprise du plancher, et la perte partielle des locaux, sont ainsi sans effet sur le bail qui est résilié pour une cause antérieure.
Sur les conséquences de la résiliation du bail
Il résulte des développements qui précèdent, que la société bailleresse est fondée à réclamer le paiement des loyers impayés antérieurs à la survenance des désordres affectant le plancher, le preneur n'opposant aucun motif légitime à son inexécution.
Il n'est en effet ni allégué ni démontré qu'avant le 6 mars 2019, les locaux ont été rendus partiellement ou totalement inutilisables ; le preneur a pu exploiter son activité, et en contrepartie, il devait s'acquitter du montant du loyer.
Il résulte du compte locatif adressé au preneur le 4 mars 2019, qui ne fait l'objet d'aucune contestation, qu'à la date du 6 mars 2019, la Sas le C'ur du Village était redevable de la somme de 2 100 euros au titre des loyers impayés.
Cette somme sera due par le preneur, et en application des dispositions du bail commercial liant les parties (page 10), elle sera majorée d'un intérêt de retard sur la base de l'intérêt légal majoré de trois points.
Ces intérêts doivent commencer à courir 15 jours après une mise en demeure infructueuse ; en l'espèce, le courrier du 4 mars 2019 ne comporte pas de mise en demeure ; en revanche, le commandement de payer signifié le 22 mai 2019 permet de faire courir les intérêts après un délai de 15 jours.
La Sas le C'ur du Village sera en conséquence condamnée à payer à la Sci Bordas la somme de 2 100 euros au titre des loyers impayés, majorée d'un intérêt de retard sur la base de l'intérêt légal majoré de trois points à compter du 6 juin 2019 et jusqu'au paiement intégral des sommes dues.
En revanche, à compter de la survenance du sinistre affectant le plancher, l'analyse des obligations entre les parties ne peut qu'être différente.
Il a été convenu entre les parties, en page 13 du bail :
« Pendant tout le cours du bail et de ses renouvellements, le preneur aura la charge des réparations, y compris les remplacements d'éléments assimilables aux dites réparations, consécutives à l'usage normal des locaux et équipements à usage privatif à l'exception des grosses réparations définies à l'article 606 du Code civil qui seront supportées par le bailleur ».
Il est ajouté que le preneur devra également : « supporter toutes les réparations qui seraient rendues nécessaires en raison d'un défaut d'entretien ou d'exécutions de travaux lui incombant au en cas de dégradations de son fait, de celui de sa clientèle ou de son personnel. »
La Sci Bordas ne conteste pas que les travaux définis par l'article 606 du code civil sont demeurés à sa charge dans le cadre du bail commercial ; elle estime en revanche que les planchers ne sont pas expressément visés par ce texte, qui est d'interprétation stricte.
Elle ajoute que le preneur a accepté de prendre les lieux en l'état, et de n'exiger du bailleur « aucune réfection, remise en état, adjonction d'équipements supplémentaires, ou travaux quelconques, rendus nécessaires par l'état de vétusté ou par l'existence de vices cachés » (page 12 du bail).
Il ressort des dispositions de l'article 606 du code civil que les grosses réparations sont celles des gros murs et des voûtes, le rétablissement des poutres et des couvertures entières.
Celui des digues et des murs de soutènement et de clôture aussi en entier.
Toutes les autres réparations sont d'entretien.
La Cour de Cassation a toutefois précisé cette définition, rappelant que les réparations d'entretien, qui relèvent du preneur, sont celles qui sont utiles au maintien permanent en bon état de l'immeuble tandis que les grosses réparations visées à l'article 606 du code civil, intéressent l'immeuble dans sa structure et sa solidité générale.
Les juges du fond apprécient souverainement si une réparation correspond à l'une ou à l'autre de ces qualifications.
En l'espèce, suite à la survenance du sinistre, le preneur a fait réaliser un constat d'huissier, et un devis de réparation ; si ces éléments n'ont pas été réalisés au contradictoire du bailleur, les constatations qui en résultent sont concordantes.
Ainsi, il ressort du procès-verbal de constat du 18 avril 2019 que le plancher de bois, se trouvant sous le revêtement de sol, est en très mauvais état général, l'huissier le définissant comme pourri.
Sur le lieu du sinistre, un trou béant est constaté au niveau du plancher supérieur mais également du vieux plancher situé en dessous.
Sous ce plancher se trouve directement le sol composé de terra battue brute.
Le devis du 8 avril 2019 porte la mention suivante : « Cause : Nous avons pu constater que sous la structure du plancher il y a de la terre battue pas d'isolation ni de ventilation, ce qui a pour effet un taux d'humidité très important qui impacte la structure du plancher ».
Ainsi, le rez-de-chaussée de l'immeuble repose exclusivement sur le plancher ancien, dans la mesure où aucun autre support n'existe entre ce plancher et le sol en terre ; ce plancher constitue donc un élément de structure et de solidité de l'immeuble, dont la réparation relève des dispositions de l'article 606 du code civil.
La lecture des dispositions pré-citées du bail commercial permet de relever que le bailleur n'a pas transféré la charge de ces travaux au preneur.
La clause du bail selon laquelle le preneur accepte de prendre les lieux loués dans l'état dans lequel ils se trouvent, n'équivaut pas à une renonciation à se prévaloir ensuite de l'obligation d'entretien en cours de bail.
Par ailleurs, le bailleur ne peut pas se décharger de son obligation de délivrance résultant de l'article 1719 du code civil. Il importe peu que le preneur ait accepté de ne réclamer aucune réfection rendue nécessaire par la vétusté lors de son entrée dans les lieux, dans la mesure où le vice affecte la structure même de l'immeuble, et qu'il est constant que le bailleur doit en répondre du fait de son obligation de délivrance, quelles que soient les clauses du bail.
La dégradation du plancher telle qu'elle ressort du procès-verbal de constat et du devis de réparation produit, ne résulte pas d'un défaut d'entretien du preneur, qui ne pouvait d'ailleurs pas constater la réalité des désordres sans procéder à la destruction du revêtement de sol posé par-dessus.
Dans ces conditions, la réparation du plancher endommagé relevait du bailleur ; il n'est pas fondé à réclamer au preneur les loyers postérieurs au sinistre, alors que son refus de prendre en charge les travaux de réfection a fait obstacle à l'exploitation des locaux.
Il n'est pas plus légitime à réclamer à la Sas le C'ur du Village une indemnité relative à la prise en charge de ces travaux.
La Sci Bordas ne pourra qu'être déboutée de ses demandes de ce chef.
La société bailleresse réclame également à la Cour, la condamnation de la Sas le C'ur du Village au titre d'un manquement à son obligation d'entretien, d'adaptation des locaux loués à son activité, et de remise en état au moment de la restitution.
Elle fonde sa demande sur un procès-verbal de constat réalisé le 6 février 2020, réalisé de manière non contradictoire, révélant certains dégâts au niveau des sols et des murs, l'absence de nettoyage et d'enlèvement du mobilier des locaux ; aucun autre élément ne vient étayer ces constatations.
Par ailleurs, la Sci Bordas forfaitise son préjudice, résultant tant de sa demande de prise en charge de la réfection du plancher par le preneur, qui a été rejetée par la Cour, que de ses prétentions relatives à l'état des locaux lors de leur restitution, à la somme de 10 000 euros ; elle ne produit ni devis ni facture, permettant à la Cour de distinguer entre ces demandes.
Or le devis produit par le preneur concernant uniquement la reconstruction du plancher excède la somme de 10 000 euros.
La Sci Bordas, qui ne justifie pas suffisamment de l'existence même d'un préjudice, et qui en outre n'en détermine pas l'étendue, ne peut qu'être déboutée de sa demande de ce chef.
Sur les demandes indemnitaires du preneur
La Sas le C'ur du Village affirme que son fonds de commerce a perdu sa valeur, au motif qu'il ne pouvait plus être exploité dans les lieux ; elle sollicite la condamnation du bailleur à lui payer la somme de 24 000 euros de ce chef.
Il ressort de l'article 9 du code de procédure civile, qu'il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
La Cour constate que si le preneur n'a plus été en mesure d'exercer son activité dans les locaux après le 6 mars 2019, il ne s'est pour autant pas acquitté du paiement du loyer, et la présente décision n'a pas mis à sa charge les loyers postérieurs au sinistre.
La Sci Bordas produit un article de presse démontrant que le preneur a rapidement trouvé de nouveaux locaux, dans la même rue, pour y exploiter son activité.
Le preneur ne justifie en conséquence pas du préjudice de perte du fonds de commerce invoqué ; il sera débouté de sa demande de ce chef.
Par ailleurs, il demande à la Cour de lui allouer la somme de 500 euros en réparation du matériel abîmé suite au sinistre.
Toutefois, il ne produit aucun élément de nature à démontrer la réalité de ce désordre, et ne donne pas le détail du matériel qu'il affirme être endommagé.
Cette absence d'explication sur le préjudice invoqué ne permet pas à la Cour d'y faire droit ; la Sas le C'ur du Village sera déboutée de sa demande.
Sur les demandes accessoires
La Sas le C'ur du Village, qui succombe, sera condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de commandement de payer, la présente décision venant ainsi infirmer le premier jugement de ce chef.
En revanche, l'équité ne commande pas d'allouer d'indemnité en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; infirmant le premier jugement, la Cour déboutera les parties de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant dans les limites de sa saisine, en dernier ressort, de manière contradictoire, par mise à disposition au greffe,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déboute la Sas le Coeur du Village de sa demande en nullité du bail commercial pour vice du consentement ;
Constate la résiliation du bail commercial aux torts du preneur à la date du 23 juin 2019 ;
Déboute la Sas le C'ur du Village de ses demandes en résiliation du bail aux torts du bailleur ;
Condamne la Sas le C'ur du Village à la Sci Bordas la somme de 2 100 euros au titre des loyers impayés, majorée d'un intérêt de retard sur la base de l'intérêt légal majoré de trois points à compter du 6 juin 2019 et jusqu'au paiement intégral des sommes dues ;
Déboute la Sci Bordas de ses demandes indemnitaires relatives au paiement des loyers postérieurs au sinistre, à la réfection des planchers, et à l'état des locaux lors de leur restitution ;
Déboute la Sas le C'ur du Village de ses demandes indemnitaires relatives à la perte de valeur du fonds de commerce et au matériel endommagé ;
Déboute la Sas le C'ur du Village et la Sci Bordas de leurs demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;
Condamne la Sas le C'ur du Village aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de commandement de payer ;