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Cass. 3e civ., 21 novembre 2024, n° 23-13.989

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Generali IARD (SA), Société Bryarde de Travaux Publics SBTP (SAS), Abeille IARD et Santé (SA), Axa France IARD (SA), Maaf Assurances (SA), Maisons Berval (SASU)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Teiller

Rapporteur :

Mme Vernimmen

Avocats :

Me Célice, Texidor, Périer, Me Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, Me Le Prado-Gilbert, Me Ohl et Vexliard, Me Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Paris, 8 mars 2023

8 mars 2023

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 8 mars 2023), M. et Mme [R] ont confié la conception et la construction de leur maison à la société Maisons Berval, assurée auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et santé, en se réservant la réalisation :
- des travaux de terrassement, de drainage périphérique et de branchements exécutés par la Société Bryarde de travaux publics (la SBTP), assurée auprès des sociétés Axa France IARD (la société Axa) et Generali France (la société Generali),
- d'un mur de soutènement, d'une rampe d'accès et des travaux de dallage au sous-sol, réalisés par la société AZS habitat, assurée auprès de la Maaf assurances (la Maaf).

2. Une police dommages-ouvrage a été souscrite auprès de la société Aviva assurances, désormais dénommée Abeille IARD et santé.

3. Un procès-verbal de réception a été établi le 27 juillet 2004.

4. Se plaignant d'infiltrations en sous-sol, M. et Mme [N], devenus propriétaires de la maison, ont, après expertise, assigné M. et Mme [R], les intervenants à l'opération de construction et leurs assureurs en indemnisation de leurs préjudices.

Examen des moyens

Sur le quatrième moyen

5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

6. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes à l'encontre des sociétés Maisons Berval et Abeille IARD et santé, en qualité d'assureur dommages-ouvrage et décennal de cette société, alors :

« 1°/ que le juge doit observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, la société Aviva s'était opposée à la demande de garantie présentée par les époux [N] sans toutefois soutenir que la police dommage-ouvrage contractée par les époux [R], vendeurs, n'aurait couvert que les travaux relevant du contrat de construction de maison individuelle à l'exclusion de ceux commandés directement par les maitres de l'ouvrage aux sociétés AZS Habitat et SBTP ; que dès lors, en relevant d'office ce moyen, sans avoir préalablement invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction, en violation de l'article 16 du code de procédure civile ;

2°/ que le juge ne peut statuer par voie de simple affirmation ; qu'en l'espèce, en énonçant que les « travaux [en cause], exclus du contrat de construction de maison individuelle, n'entrent pas dans l'assiette de l'assurance dommage-ouvrage souscrite par les maîtres de l'ouvrage pour les travaux visés au contrat de construction » sans viser la clause du contrat limitant, selon elle, le champ d'application de la police dommage-ouvrage aux seuls travaux relevant du CMI, la cour d'appel a procédé par voie de simple affirmation et ainsi violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Ayant relevé que le contrat de construction de maison individuelle conclu avec la société Maisons Berval avait laissé à la charge des maîtres de l'ouvrage la réalisation de certains travaux et que celle-ci leur avait notifié, au paragraphe IV d'un avenant à ce contrat, l'obligation de souscrire une assurance dommages-ouvrage pour les travaux qu'ils exécutaient eux-mêmes, ce dont il ressortait que l'assurance dommages-ouvrage précédemment souscrite pour leur compte ne couvrait que les ouvrages réalisés par le constructeur, la cour d'appel, devant laquelle la société Aviva contestait devoir sa garantie au titre des travaux que les maîtres de l'ouvrage s'étaient réservés, a pu en déduire, sans relever aucun moyen qui n'aurait été dans le débat, ni statuer par voie de simple affirmation, que les demandes contre l'assureur dommages-ouvrage ne pouvaient être accueillies.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

9. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable leur action à l'encontre de la Maaf, assureur de la société AZS habitat, alors « qu'à défaut de réception expresse et contradictoire, l'existence d'une réception tacite peut être admise à la condition que soit établie la volonté non équivoque du maître de l'ouvrage de recevoir les travaux, celle-ci ne résultant pas nécessairement du paiement des factures ; qu'en l'espèce, en déduisant l'existence d'une réception tacite au mois de décembre 2003 du paiement du solde des travaux à cette date, quand cette circonstance était insusceptible, à elle seule, de caractériser une réception univoque de la part des maîtres de l'ouvrage, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2224 du code civil, ensemble l'article 1792-6 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1792-6 du code civil :

10. Il résulte de ce texte que la réception tacite de l'ouvrage est caractérisée par la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de l'accepter. Cette volonté n'est présumée qu'en cas de prise de possession de l'ouvrage jointe au paiement intégral du prix des travaux.

11. Pour déclarer irrecevable la demande d'indemnisation contre l'assureur de responsabilité décennale de la société AZS habitat, l'arrêt relève qu'aucune partie ne conteste que la date du 8 décembre 2003 correspondait à l'exécution effective des travaux de dallage et à leur paiement intégral, de sorte que la prise de possession de l'ouvrage, conjuguée au paiement du solde du prix, établissent l'univocité de la réception tacite intervenue sans réserve en décembre 2003.

12. Puis, constatant que l'ordonnance étendant les opérations d'expertise à la Maaf et son assurée était intervenue le 20 juin 2014, il en conclut que la demande d'indemnisation de M. et Mme [N] était déjà prescrite avant leur mise en cause.

13. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la volonté non équivoque des maîtres de l'ouvrage de recevoir en décembre 2003 les travaux de dallage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Et sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

14. M. et Mme [N] font grief à l'arrêt de limiter la condamnation in solidum de M. et Mme [R], des sociétés SBTP, Generali et Axa à une certaine somme au titre des travaux de reprise et des frais annexes, alors :

« 1°/ que le principe de la réparation intégrale impose de verser à la victime une indemnisation sans perte ni profit ; qu'en l'espèce, après avoir admis que la solution « retenue par l'expert judiciaire » - correspondant à la solution « P2 » préconisée par GEOS, consistant en la mise en place d'un système de drainage sous le dallage associée à une remise en état du drainage périphérique, à une réduction des apports d'eau de surface et à un traitement des remontées capillaires, solution de travaux chiffrée par les époux [N] à hauteur de 203 976,91 euros TTC - devait être entérinée, la cour d'appel a retenu que « seuls doivent être retenus ceux qui sont directement en lien avec l'objet du marché confié à la société SBTP soit le coût de la reprise du drainage périmétrique ; qu'en statuant de la sorte, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale et, partant, a violé l'article 1382, devenu 1240, du code civil ;

2°/ que la dépense correspondante à la souscription d'une assurance obligatoire dommages-ouvrage eu égard à la nature des travaux à effectuer n'est pas dissociable du coût des travaux et constitue un dommage direct indemnisable par l'assureur ; qu'en l'espèce, l'expert avait conclu que « l'intervention d'un maître d'œuvre définissant le cahier des charges et la surveillance de chantier paraît incontournable, l'expert penchant pour une prise en charge de cette prestation » ; qu'en conséquence, en retenant que « la souscription d'une police d'assurance dommages-ouvrage n'est pas nécessaire au regard de la nature des travaux de même que les honoraires du bureau d'études techniques GEOS, de la maîtrise d'œuvre AXIS et du géomètre SOGEFRA », la cour d'appel a de nouveau méconnu le principe de la réparation intégrale, en violation de l'article 1382, devenu 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

15. La société Generali conteste la recevabilité du moyen. Elle soutient qu'il est irrecevable en ce qu'il est incompatible avec la thèse soutenue en appel.

16. Cependant, dans leurs conclusions d'appel, M. et Mme [N] soutenaient que les désordres d'infiltration étant imputables à plusieurs intervenants, ceux-ci étaient tenus de réparer entièrement les préjudices en résultant.

17. Le moyen est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article 1792 du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

18. Selon ce texte, tout constructeur d'un ouvrage est responsable de plein droit, envers le maître ou l'acquéreur de l'ouvrage, des dommages qui compromettent la solidité de l'ouvrage ou qui, l'affectant dans un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, le rendent impropre à sa destination.

19. En application de ce principe, le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour la victime.

20. Il en résulte que le constructeur, dont la responsabilité décennale a été retenue dans la survenance des désordres, doit réparer intégralement le préjudice imputable à son intervention.

21. Pour limiter le montant de l'indemnisation au titre des travaux de reprise et des frais annexes, l'arrêt retient que la responsabilité décennale de la SBTP était engagée au titre des désordres d'infiltrations au sous-sol, puis relève que la réparation intégrale du préjudice résultant de ces désordres imposait la mise en place d'un système de drainage sous le dallage, associé à une remise en état du drainage périphérique, la mise en place de remblais de comblement et un traitement des remontées capillaires des murs.

22. Puis, constatant que l'intervention de la SBTP était limitée à la réalisation du drainage périphérique, il en déduit que celle-ci ne pouvait être tenue qu'au paiement des travaux de reprise directement en lien avec l'objet de son marché et qu'au regard de la nature de ces travaux, la souscription d'une assurance dommages-ouvrage et les honoraires d'un bureau d'études et d'un maître d'oeuvre n'étaient pas nécessaires.

23. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte et le principe susvisés.
.
Mise hors de cause

24. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause la société Generali et la Maaf, dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.

25. En revanche, il y a lieu de mettre hors de cause la société Abeille IARD et santé, en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de la société Maisons Berval.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il :
- déclare irrecevables les demandes de M. et Mme [N] à l'encontre de la société Maaf assurances, prise en sa qualité d'assureur de la société AZS habitat,
- condamne in solidum M. et Mme [R], la Société Bryarde de travaux publics, la société Generali IARD, la société Axa France IARD, celle-ci dans les limites de la franchise et des plafonds prévus à la somme de 8 866,50 euros hors taxe, outre la TVA applicable au jour de l'arrêt, au titre des travaux de reprise et des frais annexes,
- statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
l'arrêt rendu le 8 mars 2023, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause la société Abeille IARD et santé, en sa double qualité d'assureur dommages-ouvrage et d'assureur de responsabilité de la société Maisons Berval,

Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause les sociétés Generali IARD et Maaf assurances,

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;

Condamne M. et Mme [R], les sociétés Generali IARD et Maaf assurances aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un novembre deux mille vingt-quatre.