CE, 5e et 4e sous-sect. réunies, 18 décembre 2013, n° 363126
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Annulation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
Mme Gautier-Melleray
Rapporteur public :
Mme Lambolez
Avocat :
SCP Thouin-Palat, Boucard
Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er octobre 2012 et 2 janvier 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société Omnium de gestion immobilière d'Île-de-France (OGIF), dont le siège est 18 bis rue de Villiers à Levallois-Perret (92594) ; la société OGIF demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler le jugement n° 1001075/4 du 28 juin 2012 par lequel le tribunal administratif de Melun n'a fait droit que pour la période postérieure au 24 août 2009 à sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices ayant résulté pour elle du refus du préfet du Val-de-Marne de lui apporter le concours de la force publique pour l'exécution d'une décision de justice ordonnant l'expulsion des occupants d'un logement lui appartenant ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit aux conclusions de sa demande ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;
Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Marie Gautier-Melleray, Maître des Requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Fabienne Lambolez, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de la société Omnium de gestion immobiliere d'Île de France (OGIF) ;
1. Considérant qu'aux termes des premier et quatrième alinéas de l'article 62 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d'exécution, applicables au litige porté devant le tribunal administratif de Melun et dont les dispositions sont reprises aux articles L. 412-1, et L. 412-5 du code des procédures civiles d'exécution : " Si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu, sans préjudice des dispositions des articles L. 613-1 à L. 613-5 du code de la construction et de l'habitation, qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement (...) / Dès le commandement d'avoir à libérer les locaux à peine de suspension du délai avant l'expiration duquel l'expulsion ne peut avoir lieu, l'huissier de justice chargé de l'exécution de la mesure d'expulsion doit en informer le représentant de l'Etat dans le département en vue de la prise en compte de la demande de relogement de l'occupant dans le cadre du plan départemental d'action pour le relogement des personnes défavorisées prévu par la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en oeuvre du droit au logement " ; qu'aux termes du premier alinéa de l'article 197 du décret du 31 juillet 1992, alors en vigueur et dont les dispositions sont désormais reprises à l'article R. 412-2 du code des procédures civiles d'exécution : " L'huissier de justice envoie au préfet du département du lieu de situation de l'immeuble, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, copie du commandement d'avoir à libérer les locaux " ;
2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que le concours de la force publique ne peut être légalement accordé avant l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la réception par le préfet du commandement d'avoir à quitter les lieux antérieurement signifié à l'occupant ; que le préfet saisi d'une demande de concours avant l'expiration de ce délai, qu'il doit mettre à profit pour tenter de trouver une solution de relogement de l'occupant, est légalement fondé à la rejeter, par une décision qui ne saurait engager la responsabilité de l'Etat, en raison de son caractère prématuré ; que, toutefois, lorsque, à la date d'expiration du délai, la demande n'a pas été rejetée pour ce motif par une décision expresse notifiée à l'huissier, le préfet doit être regardé comme valablement saisi à cette date ; qu'il dispose alors d'un délai de deux mois pour se prononcer sur la demande ; que son refus exprès, ou le refus implicite né à l'expiration de ce délai, est de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par un jugement du 13 mai 2008, le tribunal d'instance d'Ivry-sur-Seine a ordonné l'expulsion des occupants sans titre d'un appartement situé 100 rue Maurice Thorez à Ivry-sur-Seine, propriété de la société OGIF ; que le préfet du Val-de-Marne a accusé réception le 16 juin 2008 de la notification, par l'huissier mandaté par cette société, du commandement de quitter les lieux signifié aux occupants sans titre ; qu'il n'a pas répondu à la demande de réquisition de la force publique présentée par l'huissier le 12 août 2008 ; qu'en jugeant que le refus résultant de ce silence n'engageait pas la responsabilité de l'Etat dès lors que la demande avait été présentée moins de deux mois après la notification au préfet du commandement de quitter les lieux, alors qu'en l'absence, au 16 août 2008, d'une décision notifiée à l'huissier rejetant expressément la demande comme prématurée, le préfet devait être regardé comme ayant été valablement saisi à cette date et que le refus résultant de son silence engageait la responsabilité de l'Etat à compter du 16 octobre 2008, le tribunal administratif de Melun a commis une erreur de droit ; que, par suite, son jugement doit être annulé en tant qu'il fixe le début de la période de responsabilité de l'Etat au 24 août 2009, date à laquelle le préfet a rejeté une nouvelle demande de concours de la force publique présentée par la société ;
4. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à la société OGIF au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Melun du 28 juin 2012 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions indemnitaires présentées par la société OGIF au titre de la période antérieure au 24 août 2009.
Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans la mesure de la cassation ainsi prononcée, au tribunal administratif de Melun.
Article 3 : L'Etat versera à la société OGIF une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Omnium de gestion immobilière d'Île-de-France (OGIF) et au ministre de l'intérieur.