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TA La Réunion, 24 janvier 2024, n° 2300903

LA RÉUNION

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Banvillet

Avocat :

Me Codet

TA La Réunion n° 2300903

23 janvier 2024

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 juillet 2023, 20 octobre 2023 et 23 novembre 2023, M. A B, représenté par Me Codet, avocat, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative et dans le dernier état de ses écritures :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la provision de 223 868,32 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 11 août 2018 en réparation du préjudice subi du fait du refus du préfet de La Réunion de lui prêter le concours de la force publique pour assurer l'exécution de l'arrêt du 3 octobre 2006 de la Cour d'appel de Saint-Denis ordonnant l'expulsion d'une occupante sans droit ni titre de la parcelle cadastrée section AL n°362 sise à la Plaine des Palmistes ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le refus du préfet de la Réunion de lui prêter le concours de la force publique en raison des troubles graves à l'ordre public qu'engendrerait l'exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Saint-Denis du 3 février 2006 ordonnant l'expulsion de l'occupante sans titre de la parcelle sise à la Plaine des Palmistes dont il est le propriétaire engage la responsabilité de l'Etat et lui ouvre droit à obtenir réparation du préjudice anormal et spécial subi qui peut être évalué à la somme de 223 868,32 euros ;

- cette créance présente, contrairement à ce que soutient le préfet, un caractère non sérieusement contestable. En effet, l'huissier instrumentaire s'est trouvé dans l'impossibilité technique de procéder à la réquisition du concours de la force publique par voie électronique conformément aux prescriptions de l'article L. 431-2 du code des procédures civiles d' exécution et a donc pu valablement procéder une telle réquisition par une remise en mains propres à un agent de la préfecture. A supposer même qu'une telle réquisition ne puisse, dans les circonstances de l'espèce, être regardée comme régulière, il appartenait au préfet, comme les dispositions de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration lui en font l'obligation, de l'inviter à régulariser sa demande ;

- la créance en litige n'est pas prescrite ;

- il y a dès lors lieu de condamner l'Etat à lui verser une provision de 223 868,32 euros augmentée des intérêts légaux à compter du 11 août 2018.

Par des mémoires en défense enregistrés les 31 août et 8 novembre 2023, le préfet de La Réunion conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des procédures civiles d'exécution ;

- la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 68C28F944AF6C6973FB043B26128440C relative à l'égalité et à la citoyenneté ;

- l'arrêté du 23 juin 2016 F26B9900ADA711C3EF4219660DFA9D24 portant création d'un traitement de données à caractère personnel relatif à la prévention et à la gestion des procédures d'expulsions locatives dénommé " EXPLOC " ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Banvillet, premier conseiller, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative 4AFB779173ED0F27A2B70D0C26ECE093 , en qualité de juge des référés.

Considérant ce qui suit :

1. M. B est propriétaire de la parcelle section AL n°362 située à la Plaine des Palmistes. Par un arrêt du 3 février 2006, la Cour d'appel de Saint-Denis a ordonné l'expulsion de l'occupante sans titre de cette parcelle. M. B, après avoir sans succès saisi le préfet de La Réunion d'une telle demande le 17 novembre 2006, a, requis un nouvelle fois le 11 juin 2018 le concours de la force publique pour procéder à cette expulsion . Il a ensuite demandé au préfet de La Réunion de l'indemniser du préjudice résultant du refus de lui accorder le concours de la force publique. Par la présente requête, M. B demande au juge des référés de condamner l'Etat à lui verser, sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, une provision de 223 868,32 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait du refus du préfet de La Réunion de lui accorder le concours de la force publique.

Sur les conclusions tendant au versement d'une provision :

2. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 153-1 du code des procédures civiles d' exécution : " L'Etat est tenu de prêter son concours à l'exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l'Etat de prêter son concours ouvre droit à réparation ". Aux termes de l'article L. 153-2 du même code : " L'huissier de justice chargé de l'exécution peut requérir le concours de la force publique ". Aux termes de l'article L. 431-2 du même code : " en matière d' expulsion , lorsqu'il requiert le concours de la force publique, l'huissier de justice chargé de l'exécution procède par voie électronique par l'intermédiaire du système d'information prévu au dernier alinéa de l'article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement ". Aux termes du III de l'article 152 de la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté, les dispositions de l'article L. 431-2 précité " entrent en vigueur à la date de mise en œuvre opérationnelle des modules concernés du système d'information prévu au dernier alinéa de l'article 7-2 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, qui est fixée par arrêté du ministre de l'intérieur, et au plus tard le 31 décembre 2017 () ". Il résulte de ces dispositions que, pour toute demande présentée après le 31 décembre 2017 par un huissier de justice en vue de l'exécution d'une décision de justice en matière d' expulsion , la requête de concours de la force publique doit, à peine d'irrégularité, être adressée par celui-ci au représentant de l'Etat dans le département en faisant usage du système d'information prévu par les dispositions précitées de l'article L. 431-2 du code des procédures civiles d' exécution .

4. Enfin, aux termes de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration : " Lorsqu'une demande adressée à une administration est affectée par un vice de forme ou de procédure faisant obstacle à son examen et que ce vice est susceptible d'être couvert dans les délais légaux, l'administration invite l'auteur de la demande à la régulariser en lui indiquant le délai imparti pour cette régularisation, les formalités ou les procédures à respecter ainsi que les dispositions légales et réglementaires qui les prévoient. () ".

5. Pour rechercher la responsabilité de l'Etat du fait du refus de concours de la force publique afin de procéder à l'exécution de l'arrêt de la Cour d'appel de Saint-Denis du 3 février 2006 prononçant l'expulsion de l'occupante sans titre de la parcelle section AL n°362 située à la Plaine des Palmistes dont il est propriétaire, M. B soutient que le préfet de La Réunion a été saisi d'une réquisition à laquelle il n'a donné aucune suite. S'il est constant qu'un agent de la préfecture a réceptionné une demande d'octroi de la force publique, sous format papier, déposée par l'huissier instrumentaire en charge de ce dossier le 11 juin 2018, il résulte toutefois des dispositions précitées de l'article L. 431-2 du code des procédures civiles d' exécution que, depuis le 1er janvier 2018, l'huissier en charge de la réquisition du concours de la force publique est tenu, à peine d'irrégularité, de procéder à la saisine du préfet par voie électronique. Le requérant soutient que l'huissier instrumentaire s'est trouvé cependant dans l'impossibilité technique de saisir le préfet par voie électronique en raison d'une défaillance de la plateforme électronique à La Réunion à la date du dépôt de la réquisition. Toutefois, de telles allégations ne sauraient être tenues pour établies par la seule production d'un courriel de la société gestionnaire de la plateforme électronique du 14 août 2018 se bornant à faire état d'un dysfonctionnement, de surcroît temporaire, à une date postérieure à la date de la réquisition du préfet et sont par ailleurs sérieusement contredites par les pièces produites en défense qui ne font, quant à elles, état d'aucune anomalie technique le 11 juin 2018. Dans ces conditions et sans que M. B puisse utilement soutenir que le préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 114-6 du code des relations entre le public et l'administration, la demande de concours de la force publique présentée le 11 juin 2018 n'a pu saisir valablement le préfet de La Réunion et partant, engager la responsabilité de l'Etat. Par suite, la créance de M. B ne peut être regardée comme présentant un caractère non sérieusement contestable. Il y a, dès lors, lieu de rejeter sa demande de versement d'une provision d'un montant de 223 868, 32 euros augmentée des intérêts légaux calculés à compter du 11 août 2018.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du préfet de La Réunion, qui n'est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante, la somme réclamée par M. B au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de M. B est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B et au préfet de La Réunion.

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