Cass. 2e civ., 4 juillet 2024, n° 22-16.292
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme MARTINEL
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 30 mars 2022) et les productions, les sociétés Arcole industries et Mallarmé conseil ont relevé appel de l'ordonnance du président d'un tribunal de commerce ayant rejeté leur demande tendant, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, à voir ordonner une mesure d'instruction au siège de la société Fruehauf dont elles soupçonnaient des actes de concurrence déloyale.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
2. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en ses première, quatrième et cinquième branches
Enoncé du moyen
3. Les sociétés Arcole industries et Mallarmé conseil font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance rendue le 13 octobre 2021 par le président du tribunal de commerce d'Auxerre et, en conséquence, de rejeter leur demande de désignation d'un huissier de justice aux fins de constat dans les locaux de la société Fruehauf, alors :
« 1°/ qu'une mesure in futurum doit être octroyée lorsque le requérant justifie d'un motif légitime à la solliciter dans la perspective d'un litige plausible, crédible, bien qu'éventuel et futur, sans que le juge ne puisse ni exiger du requérant qu'il prouve ce qui fait l'objet de la mesure, ni prétendre lever tout doute sur le bien-fondé de cette éventuelle action, ledit doute devant bénéficier au demandeur pour respecter son droit à la preuve ; qu'en l'espèce, les requérantes établissaient que M. [E] [X], ancien directeur technique et directeur de l'innovation de leur filiale spécialisée dans les bennes en aluminium, la société Benalu, et associé minoritaire de cette dernière, avait quitté brutalement l'entreprise le 22 janvier 2021, pour être aussitôt embauché par la société Fruehauf, laquelle lui a offert un salaire de 44 % supérieur et venait de se lancer dans le marché des bennes en aluminium ; qu'en retenant, pour rejeter la requête, que « les appelantes n'invoquent pas d'autre élément justifiant leur crainte de comportements déloyaux que le recrutement de M. [X], fût-ce à des conditions très avantageuses pour ce dernier, par la société Fruehauf, laquelle, opérant principalement dans le secteur des semi-remorques et accessoirement dans celui des bennes en acier, s'est lancée en 2016 dans celui des bennes en aluminium, devenant ainsi la concurrente de la société Benalu cinq ans avant le recrutement litigieux », quand ces éléments objectifs et prouvés rendaient crédible l'existence d'actes de concurrence déloyale et de déloyauté de M. [X] et la complicité de la société Fruehauf et justifiaient donc l'octroi de la mesure sollicitée, la cour d'appel, qui a ainsi exigé des requérantes des preuves que la mesure avait précisément pour objectif de trouver et a refusé de faire bénéficier les requérantes du doute sur la réalité de manquements de M. [X] et de la société Fruehauf, a violé l'article 145 du code de procédure civile ;
4°/ que les juges du fond doivent motiver leur décision sans pouvoir se contenter de motifs dubitatifs ; qu'en l'espèce, les exposantes faisaient valoir que le recours à une procédure non-contradictoire était requis, dès lors que : « à ce stade, le contradictoire ne peut pas être respecté, dans la mesure où il aurait pour conséquence immédiate la disparition des preuves des échanges entre M. [X] et les sociétés Fruehauf et Wielton. Au vu des pratiques habituelles en matière commerciale, de la localisation des personnes concernées et de la crise sanitaire, il y a tout lieu de considérer que l'essentiel de ces échanges est intervenu par voie électronique. Si la mesure de constat était ordonnée de façon contradictoire, la disparition de ces preuves pourrait très facilement intervenir avant que le constat ne soit mis en oeuvre » et que « le respect du contradictoire à l'égard de la société Fruehauf aurait pour effet d'entraîner la disparition des preuves des actes de concurrence déloyale dont les sociétés Arcole industries et Mallarmé conseil sont victimes. En raisonnant selon la logique de l'ordonnance du 13 octobre 2021, le Président semble avoir, implicitement, considéré qu'une action en responsabilité tendant à l'obtention de dommages-intérêts serait de nature à indemniser le préjudice causé aux requérantes. Cependant, le dommage sera causé » ; qu'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés de l'ordonnance confirmée de première instance, qu'« une procédure contradictoire semble plus appropriée », la cour d'appel s'est contentée de motifs dubitatifs et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°/ subsidiairement que les juges du fond doivent motiver leur décision sans pouvoir se contenter d'une simple affirmation ; qu'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés de l'ordonnance confirmée de première instance, qu'« une procédure contradictoire semble plus appropriée », la cour d'appel s'est contentée d'une simple affirmation et a violé l'article 455 du code de procédure civile. »
Réponse de la Cour
4. Selon l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.
5. Ayant estimé, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation des éléments de la cause, que les sociétés Arcole industries et Mallarmé conseil n'invoquaient pas d'éléments suffisants pour suspecter des faits de concurrence déloyale de nature à constituer un litige potentiel, la cour d'appel, qui n'a pas exigé des requérantes de rapporter des preuves que la mesure sollicitée avait précisément pour objectif de recueillir, par ce seul motif caractérisant l'absence de motif légitime de nature à justifier le prononcé d'une mesure d'instruction in futurum, et abstraction faite des motifs erronés mais surabondants critiqués par les quatrième et cinquième branches du moyen, a légalement justifié sa décision.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Arcole industries et Mallarmé conseil aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-quatre.