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Cass. 1re civ., 27 novembre 2024, n° 23-13.795

COUR DE CASSATION

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Rejet

Cass. 1re civ. n° 23-13.795

27 novembre 2024

CIV. 1

SA9

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 novembre 2024

Rejet

Mme CHAMPALAUNE, président

Arrêt n° 657 F-B

Pourvoi n° V 23-13.795

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 27 NOVEMBRE 2024

Mme [J] [K], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 23-13.795 contre l'arrêt rendu le 31 janvier 2023 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 5), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Avendis Enhanced Fixed Income Trading Ltd (AEFI),

2°/ à la société Avendis Global Strategies Trading Ltd (AGS),

ayant toutes deux leur siege [Adresse 2], Cayman Islands (Iles Caïmans),

défenderesses à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Corneloup, conseiller, les observations de la SARL Gury & Maître, avocat de Mme [K], de la SAS Hannotin Avocats, avocat de la société Avendis Enhanced Fixed Income Trading Ltd et de la société Avendis Global Strategies Trading Ltd, après débats en l'audience publique du 8 octobre 2024 où étaient présentes Mme Champalaune, président, Mme Corneloup, conseiller rapporteur, Mme Guihal, conseiller doyen, et Mme Vignes, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 31 janvier 2023), M. [E] a créé, en 2001, la société Avendis Capital, société de droit suisse, dont il détenait 60 % du capital, son épouse, Mme [K], en détenant 25 %.

2. La société Avendis Capital a créé un fonds de placement, Avendis Global Fund, lui-même composé de deux sociétés relevant du droit des Iles Caïmans, la société Avendis Enhanced Fixed Income Trading Ltd (la société AEFI) et la société Avendis Global Strategies Trading Ltd (la société AGS).

3. Les tribunaux des Iles Caïmans ont prononcé la liquidation judiciaire de la société Avendis Global Fund le 6 septembre 2007 et celle des sociétés AGS et AEFI le 20 mars 2012.

4. Par arrêt n° AARP/401/2020 du 2 décembre 2020, la Chambre pénale d'appel et de révision de la Cour de justice du canton de Genève (Suisse), après avoir retenu la culpabilité de M. [E] et de Mme [K] du chef de différentes infractions et prononcé des condamnations pénales à leur encontre, les a condamnés, sur l'action civile, conjointement et solidairement, à payer certaines sommes aux sociétés AEFI et AGS.

5. Par déclaration du 2 décembre 2021, le directeur des services de greffe judiciaires du tribunal judiciaire de Paris a constaté le caractère exécutoire en France de l'arrêt n° AARP/401/2020 du 2 décembre 2020, au visa de l'article 509-2 du code de procédure civile et de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (la Convention de Lugano de 2007).
Examen des moyens

Sur le premier moyen et le troisième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches

6. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

7. Mme [K] fait grief à l'arrêt de dire que la Convention de Lugano de 2007 est applicable, et de confirmer la déclaration du directeur des services de greffe judiciaires établie le 2 décembre 2021 constatant le caractère exécutoire de l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la Cour de justice, Chambre pénale d'appel et de révision de Genève (Suisse), sauf à préciser qu'elle ne concerne que les chefs relevant de la matière civile, et de rejeter ses demandes de dommages et intérêts, alors « que le champ d'application de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007 est en principe limité aux décisions rendues en matière civile et commerciale ; que n'entrent pas dans ce champ d'application les condamnations prononcées par une juridiction pénale étrangère dans le cadre de l'action civile, tendant à réparer les dommages causés à la victime par l'auteur de l'infraction ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que la Convention de Lugano était applicable à la demande d'exécution de l'arrêt rendu le 2 décembre 2010 par la cour de justice, chambre pénale d'appel et de révision de Genève en Suisse, en retenant, d'une part, que l'article 5 de cette convention relative aux « compétences spéciales » permettait à la victime d'une infraction d'attraire l'auteur de cette infraction devant la juridiction étrangère saisie de l'action publique et, d'autre part, que les dispositions dont l'exécution était demandée étaient de nature civile ; qu'en se prononçant ainsi, par un motif inopérant relatif à une dérogation sur la compétence territoriale, et tandis que la Convention de Lugano ne s'applique pas à l'exécution de condamnations, même de nature civile, dès lors qu'elles ont été prononcées par une juridiction pénale, la cour d'appel a violé l'article 509-2 du code de procédure civile et les articles 1 et 38 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007. »

Réponse de la Cour

8. L'article 1er, paragraphe 1er, de la Convention de Lugano de 2007 dispose : « La présente convention s'applique en matière civile et commerciale et quelle que soit la nature de la juridiction. Elle ne recouvre notamment pas les matières fiscales, douanières ou administratives. »
9. Pour la définition de son champ d'application matériel, la Convention n'opère pas de distinction entre son titre II, relatif à la compétence, et le titre III, relatif à la reconnaissance et l'exécution.

10. Il s'en déduit que la matière des actions civiles portées devant les tribunaux répressifs entre dans le champ d'application de la Convention, tant en ce qui concerne le règlement de la compétence, que la reconnaissance et l'exécution des jugements rendus, à la suite de telles actions, par les tribunaux répressifs.

11. Après avoir cité l'article 1er de la Convention, l'arrêt relève que le dispositif de la décision suisse émanant de la Chambre pénale d'appel et de révision comporte également des dispositions de nature civile, fondées sur les règles relatives à la responsabilité civile.

12. De ces énonciations et constatations, abstraction faite du motif surabondant tiré de l'article 5 de la Convention, la cour d'appel a exactement déduit que la condamnation de Mme [K] par une juridiction pénale suisse au paiement d'indemnités, due en réparation de dommages subis par les sociétés AGS et AEFI, relève de la matière civile et entre dans le champ d'application de la Convention.

13. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le troisième moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

14. Mme [K] fait grief à l'arrêt de confirmer la déclaration du directeur des services de greffe judiciaires établie le 2 décembre 2021 constatant le caractère exécutoire de l'arrêt rendu le 2 décembre 2020 par la Cour de justice, Chambre pénale d'appel et de révision de Genève (Suisse), sauf à préciser qu'elle ne concerne que les chefs relevant de la matière civile, et de rejeter ses demandes de dommages et intérêts, alors « qu'en vertu de l'article 34 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007, une décision rendue par une juridiction étrangère n'est pas reconnue si l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été notifié ou signifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à l'encontre de la décision alors qu'il était en mesure de le faire ; qu'il résulte de ce texte que seule une décision étrangère devenue irrévocable peut faire l'objet d'une décision d'exequatur ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que Mme [K] était représentée à l'instance ayant donné lieu à la décision du 2 décembre 2020 et avait exercé à son encontre plusieurs recours, de sorte qu'elle n'était pas défaillante ; qu'elle a également retenu que cette décision était exécutoire en Suisse ; qu'en se prononçant ainsi, par un motif impropre seulement relatif à l'absence de défaillance de Mme [K] et au caractère exécutoire de la décision en Suisse, et sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'arrêt du 2 décembre 2020, à défaut de notification ou signification, n'était pas irrévocable, de sorte qu'il n'était pas définitif et ne pouvait recevoir l'exequatur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 509-2 du code de procédure civile et 34 de la Convention de Lugano du 30 octobre 2007. »

Réponse de la Cour

15. Selon les articles 38 et 54 de la Convention de Lugano de 2007, sous réserve des motifs de refus énoncés aux articles 34 et 35, les décisions rendues dans un Etat contractant, et qui y sont exécutoires, sont mises à exécution dans l'Etat contractant requis, à la condition que la partie, qui sollicite la délivrance d'une déclaration constatant la force exécutoire, produise le certificat figurant à l'annexe V de la Convention.

16. L'arrêt constate qu'il est établi, par certificat délivré le 22 octobre 2021, que la décision rendue par la Chambre pénale d'appel et de révision est exécutoire en Suisse.

17. En l'état de ces constatations, la cour d'appel, qui n'avait pas à procéder à une recherche inopérante dès lors que la Convention n'exige pas que la décision étrangère soit devenue irrévocable, a légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [K] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer aux sociétés AEFI et AGS chacune la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.