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Cass. soc., 27 novembre 2024, n° 22-22.145

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. soc. n° 22-22.145

27 novembre 2024

SOC.

JL10

COUR DE CASSATION
______________________

Audience publique du 27 novembre 2024

Cassation partielle

M. SOMMER, président

Arrêt n° 1233 FS-B

Pourvoi n° A 22-22.145

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 27 NOVEMBRE 2024

1°/ La société Altran technologies, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 5],

2°/ la société Altran lab, société par actions simplifiée,

3°/ la société Altran éducation services, société par actions simplifiée unipersonnelle,

4°/ la société Altran prototypes automobiles, société par actions simplifiée unipersonnelle,

tous trois ayant leur siège [Adresse 2],

5°/ la société Altran Technology & Engineering Center, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 4],

ont formé le pourvoi n° A 22-22.145 contre l'arrêt rendu le 8 septembre 2022 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige les opposant :

1°/ au comité social et économique de l'établissement Altran Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 3],

2°/ au syndicat CGT Altran Ile-de-France, dont le siège est [Adresse 1],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat des sociétés Altran technologies, Altran lab, Altran éducation services, Altran prototypes automobiles et Altran Technology & Engineering Center, de la SARL Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du comité social et économique de l'établissement Altran Ile-de-France et du syndicat CGT Altran Ile-de-France, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 23 octobre 2024 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bérard, M. Dieu, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, Arsac, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Dumont, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 8 septembre 2022), statuant en matière de référé, le comité social et économique de l'établissement Altran Ile-de-France (le comité) est l'un des six que compte l'union économique et sociale (UES) rassemblant les sociétés Altran technologies, Altran lab, Altran éducation services, Altran prototypes automobiles et Altran Technology & Engineering Center (les sociétés Altran).

2. La plupart des salariés de l'UES rattachés à l'établissement d'Ile-de-France exercent leurs missions au sein d'entreprises clientes.

3. Invoquant l'entrave à l'exercice de ses fonctions que constituerait le refus de l'employeur de lui communiquer la liste nominative des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention, le comité a assigné, par actes des 10 décembre 2020, 3 et 5 février 2021, les sociétés Altran devant la juridiction des référés aux fins d'obtenir communication de ces éléments.

4. Le syndicat CGT Altran Ile-de-France (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Les sociétés Altran font grief à l'arrêt de leur ordonner de transmettre, pendant deux ans, au plus tard le 10 de chaque mois, au comité, la liste des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention, dans le périmètre du comité, sous astreinte de 500 euros par jour de retard dans les huit jours suivant la signification de l'arrêt, de dire que l'astreinte courra sur une durée de vingt-quatre mois et de les condamner in solidum à payer au comité une somme à titre de provision sur les dommages-intérêts résultant de l'entrave constituée par le trouble manifestement illicite, alors :

« 1°/ qu'aucune disposition légale n'impose à l'employeur de transmettre aux membres du comité social et économique la liste nominative des salariés affectés sur chacun des sites d'entreprises clientes ; que si les membres du comité peuvent se déplacer librement dans l'entreprise et hors de l'entreprise et prendre tout contact nécessaire à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès des salariés à leur poste de travail, il n'en résulte aucune obligation, pour l'employeur, de transmettre aux membres du comité des informations individuelles sur l'affectation de chaque salarié ou la liste nominative des salariés travaillant sur chacun des sites d'une entreprise cliente ; qu'en affirmant néanmoins, pour ordonner aux sociétés exposantes de remettre au comité tous les mois la liste actualisée des salariés par site client et les lieux de leur intervention, que l'employeur doit fournir au comité les informations qui lui sont nécessaires pour l'exercice de ses missions et que le droit des membres du comité à prendre contact avec les salariés sur leur poste de travail, qui suppose à l'évidence une individualisation du contact qui doit pouvoir se faire sur site entre un salarié déterminé et les élus, impose à la direction de faire connaître régulièrement à ces derniers la position de chaque salarié sur chacun des sites, la cour d'appel a violé les articles L. 2315-14 du code du travail et 835 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en toute hypothèse, l'effectivité du droit des membres du comité à la prise de contact avec les salariés sur leur poste de travail est assurée par la communication aux membres du comité de la liste des sites où travaillent les salariés et de l'adresse électronique professionnelle de chaque salarié, ainsi que par la diffusion, auprès du personnel, des coordonnées des membres du comité ; qu'en l'espèce, les sociétés exposantes soutenaient que les coordonnées des membres du comité sont affichées dans l'entreprise et sur le site intranet du groupe, de sorte que les salariés peuvent prendre contact à tout moment avec eux ; que, par ailleurs, elles ont communiqué aux membres du comité la liste des sites sur lesquels des salariés sont affectés en mission, le nombre de salariés sur chaque site et l'adresse électronique professionnelle de tous les salariés, de sorte que les membres du comité peuvent librement prendre contact avec les salariés avant de se déplacer sur un site client ; qu'en refusant de rechercher si ces mesures ne garantissent pas l'effectivité du droit de contact des élus, au motif inopérant qu'un échange de courriels ne pouvant suppléer la spontanéité d'un contact sur place, la cour d'appel a encore violé les articles L. 2315-14 du code du travail et 835 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu les articles L. 2315-14 du code du travail et 835 du code de procédure civile :

6. Aux termes de l'article L. 2315-14 du code du travail, pour l'exercice de leurs fonctions, les membres élus de la délégation du personnel du comité social et économique et les représentants syndicaux au comité peuvent, durant les heures de délégation, se déplacer hors de l'entreprise. Ils peuvent également, tant durant les heures de délégation qu'en dehors de leurs heures habituelles de travail, circuler librement dans l'entreprise et y prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, sous réserve de ne pas apporter de gêne importante à l'accomplissement du travail des salariés.

7. Selon l'article 835, alinéa 1er, du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

8. Pour ordonner de transmettre, pendant deux ans, au plus tard le 10 de chaque mois, au comité, la liste nominative, dans le périmètre du comité, des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention, l'arrêt retient que la possibilité qu'ont ses membres élus de prendre tous contacts nécessaires à l'accomplissement de leur mission, notamment auprès d'un salarié à son poste de travail, suppose une individualisation du contact qui doit pouvoir se faire sur site, entre un salarié déterminé et les élus, qu'il impose dès lors à l'employeur de faire connaître régulièrement à ces derniers la position de chaque salarié, sur chacun des sites, un échange de courriels ne pouvant suppléer la spontanéité d'un contact sur place, qu'enfin, le fait que les missions des consultants, amenés à changer régulièrement de lieux de travail, soient d'une durée déterminée impose seulement un suivi des missions que l'employeur assure par ailleurs et n'est nullement un obstacle à la communication d'une liste nominative par site.

9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de l'impossibilité pour les membres élus du comité de prendre tout contact nécessaire à l'accomplissement de leur mission auprès des salariés à leur poste de travail dans une entreprise tierce, alors qu'il résultait de ses constatations que les membres du comité disposaient de la liste des sites d'intervention des salariés rattachés au périmètre du comité ainsi que du nombre des salariés présents sur ces sites et pouvaient prendre contact avec les salariés par leur messagerie professionnelle, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

10. La cassation des chefs de dispositif ordonnant aux sociétés Altran de transmettre, pendant deux ans, au plus tard le 10 de chaque mois, au comité, la liste des salariés par « site client » et les lieux de leur intervention, dans le périmètre du comité, sous astreinte et les condamnant in solidum à payer au comité une somme à titre de provision sur les dommages-intérêts résultant de l'entrave constituée par le trouble manifestement illicite emporte celle des chefs de dispositif de l'arrêt condamnant les sociétés aux dépens de première instance et d'appel ainsi qu'au paiement d'une somme en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable l'intervention volontaire du syndicat CGT Altran Ile-de-France, l'arrêt rendu le 8 septembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet, sauf sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;

Condamne le comité social et économique de l'établissement Altran Ile-de-France et le syndicat CGT Altran Ile-de-France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.