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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 24 octobre 2024, n° 24/11828

PARIS

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Avocat :

SELARL BAECHLIN MOISAN

TJ Paris, du 21 juin 2024

21 juin 2024

Par acte sous seing privé du 29 novembre 2019, la société A a donné à bail commercial à la société B un local dépendant du centre commercial pour une activité de déstockage de vêtements.

Se plaignant d'une interruption du règlement des loyers et charges par la société B, la société A a, par courriers adressés entre le 8 juin 2021 et le 15 novembre 2023, mis le preneur en demeure de payer.

Le 19 septembre 2023, la société A a fait délivrer au preneur un commandement visant la clause résolutoire insérée au bail d'avoir à payer la somme en principal de euros TTC représentant un arriéré de loyers et charges.

Par acte extrajudiciaire du 29 décembre 2023, la société A a fait assigner la société B evant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de :

- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 19 octobre 2023 ;

- en conséquence, ordonner l'expulsion de la société Bet celle de tous occupants de son chef du local ce, à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner provisionnellement la société B au paiement de la somme de euros TTC représentant les loyers, charges et indemnités d'occupation, selon comptes arrêtés au 31 décembre 2023 inclus ;

- du 1er janvier 2024 jusqu'à parfaite libération des lieux, la condamner provisionnellement au paiement d'une indemnité d'occupation égale à 1 % du loyer annuel facturé et indexé de la dernière année de location, par jour de calendrier, conformément à l'article 31 du bail.

L'affaire a été appelée à l'audience du juge des référés du 22 janvier 2024 et renvoyée devant la formation collégiale siégeant en état de référé le 23 avril 2024.

A l'audience du 23 avril 2024, MM. les professeurs Goujon-Bethan et Roda ont été entendus par la juridiction comme amici curiae sur les enjeux systémiques de la compétence territoriale.

Par jugement rendu en état de référé, réputé contradictoire, du 21 juin 2024, le tribunal judiciaire de Paris :

- s'est déclaré incompétent territorialement pour connaître du litige ;

- a renvoyé l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé ;

- a dit que le dossier de l'affaire serait transmis par le greffe de la juridiction désignée, avec une copie de la décision de renvoi, à défaut d'appel dans le délai, conformément aux dispositions de l'article 82 du code de procédure civile ;

- a réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.

Par déclaration du 5 juillet 2024, la société A a relevé appel de cette décision en ce que le tribunal :

- s'est déclaré incompétent territorialement pour connaître du litige ;

- a renvoyé l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référés.

La société A a déposé une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe, qui a été acceptée par décision du 8 juillet 2024.

Aux termes de son assignation signifiée le 17 juillet 2024 à la société B dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile, le commissaire de justice ayant procédé aux diligences requises, et remise au greffe le 19 juillet 2024, la société KC 20 demande à la cour de :

- réformer le jugement rendu en état de référé le 21 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées par elle ;

- en conséquence, constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 15 décembre 2023 ;

- ordonner l'expulsion de la société B et celle de tous occupants de son chef du local qu'elle exploite a , à compter de la signification de la décision à intervenir ;

- condamner provisionnellement la société B au paiement de la somme de euros TTC représentant les loyers, charges et indemnités d'occupation, selon comptes arrêtés au 3 juillet 2024 inclus ;

- du 1er octobre 2024, jusqu'à parfaite libération des lieux, la condamner provisionnellement au paiement d'une indemnité d'occupation égale à 1 % du loyer annuel facturé et indexé de la dernière année de location, par jour de calendrier, conformément à l'article 31 du bail ;

- condamner la société B aux entiers dépens, qui comprendront le coût du commandement de payer et les éventuelles dénonciations aux créanciers inscrits, ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société B n'a pas constitué avocat.

Sur ce,

La société B n'ayant pas constitué avocat, il appartient à la cour, en application de l'article 472 du code de procédure civile, de ne faire droit à la demande de la société A que dans la mesure où elle l'estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur l'exception d'incompétence territoriale

Aux termes de l'article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.

La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.

Selon l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire, en matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d'un même département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L. 211-9-3, dans deux départements, de l'une ou plusieurs des compétences (...) des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.

L'article 48 du code de procédure civile dispose que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.

Il se déduit de la combinaison de ces textes que les parties contractant en qualité de commerçantes un bail commercial peuvent prévoir par une clause, spécifiée de façon très apparente dans l'acte, de déroger à la règle prévue par l'article R. 145-23 précité selon laquelle “la juridiction compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble”, sous réserve de respecter les dispositions de l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire.

Au cas présent, la société A, qui poursuit l'infirmation du jugement, a fait assigner la société B devant le juge des référés de Paris aux fins, notamment, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et la voir condamnée, à titre provisionnel, au paiement de l'arriéré des loyers et charges dûs et à une indemnité d'occupation.

Les deux parties, commerçantes, ont contracté en cette qualité un bail commercial ayant pour objet un immeuble situé à dans le département de la Seine-Saint-Denis.

Le bail contient une clause, spécifiée de façon très apparente, ainsi libellée : article 37 - compétence Tout litige relatif aux présentes et à leurs suites sera de la compétence des tribunaux de Paris.

De plus, contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, la juridiction choisie par les parties est déterminable.

Cette clause remplit, en conséquence, les exigences de l'article 48 du code de procédure civile précité.

Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris est donc territorialement compétent pour connaître du litige.

Le jugement sera infirmé en ce qu'il déclare le tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, incompétent et renvoie l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé.

Sur l'évocation

Aux termes de l'article 88 du code de procédure civile, lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.

Au cas présent, eu égard à la nature du litige, il n'apparaît pas d'une bonne justice d'évoquer les points non jugés par le premier juge et d'écarter ainsi le principe du double degré de juridiction.

Il convient de renvoyer à la juridiction initialement saisie l'examen du fond du litige entre les parties.

Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile

Chaque partie supportera la charge de ses propres dépens.

La demande de la société A fondée sur l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Infirme le jugement ;

Statuant à nouveau,

Dit que le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris est compétent ;

Dit n'y avoir lieu à évocation ;

Ordonne le renvoi de l'affaire à la juridiction initialement saisie ;

Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;

Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.