CA Paris, Pôle 1 ch. 3, 24 octobre 2024, n° 24/11779
PARIS
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. RISPE
Conseillers :
Mme BLANC, Mme GEORGET
Avocat :
SELARL BAECHLIN MOISAN
Par acte extrajudiciaire du 21 mars 2023, la société Galeries drancéennes a fait délivrer à la société Annamalaiyaar une sommation de payer la somme de 50 078, 23 euros TTC en principal.
Les 14 et 15 novembre 2023, la société Galeries drancéennes a fait délivrer au preneur un commandement, visant la clause résolutoire insérée au bail, d'avoir à payer la somme en principal de 105 019,27 euros TTC représentant un arriéré de loyers et charges.
Par acte extrajudiciaire du 16 janvier 2024, la société Galeries drancéennes a fait assigner la société Annamalaiyaar devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris aux fins de :- constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 15 décembre 2023 ;
- en conséquence, ordonner l'expulsion de la société Annamalaiyaar et celle de tous occupants de son chef du local n°20 qu'elle exploite au centre commercial Drancy Avenir sis à Drancy (93700), 60, rue Saint-Stenay, ce à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- condamner provisionnellement la société Annamalaiyaar au paiement de la sommede 105 019,27 euros TTC représentant les loyers, charges et indemnités d'occupation, selon comptes arrêtés au 31 décembre 2023 inclus ;
- du 1 janvier 2024 jusqu'à parfaite libération des lieux, la condamner er provisionnellement au paiement d'une indemnité d'occupation égale à 1 % du loyer annuel facturé et indexé de la dernière année de location, par jour de calendrier, conformément à l'article 31 du bail.
L'affaire a été appelée à l'audience du juge des référés du 9 février 2024 et renvoyée devant la formation collégiale siégeant en état de référé le 23 avril 2024.
A l'audience du 23 avril 2024, MM. les professeurs Goujon-Bethan et Roda ont été entendus par la juridiction comme amici curiae sur les enjeux systémiques de la compétence territoriale.
Par jugement rendu en état de référé, réputé contradictoire, du 21 juin 2024, le tribunal judiciaire de Paris :- s'est déclaré incompétent territorialement pour connaître du litige ;
- a renvoyé l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé ;
- a dit que le dossier de l'affaire serait transmis par le greffe de la juridiction désignée, avec une copie de la décision de renvoi, à défaut d'appel dans le délai, conformément aux dispositions de l'article 82 du code de procédure civile ;
- a réservé les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Par déclaration du 5 juillet 2024, la société Galeries drancéennes a relevé appel de cette décision en ce que :- le tribunal s'est déclaré incompétent territorialement pour connaître du litige,- renvoyé l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé.
La société Galeries drancéennes a déposé une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe, qui a été acceptée par décision du 8 juillet 2024.
Aux termes de son assignation signifiée le 17 juillet 2024 à la société Annamalaiyaar, dans les conditions de l'article 659 du code de procédure civile, le commissaire de justice ayant procédé aux diligences requises, et remise au greffe le 19 juillet 2024, la société Galeries drancéennes demande à la cour de :- réformer le jugement rendu en état de référé le 21 juin 2024 par le tribunal judiciaire de Paris en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour statuer sur les demandes formées par elle ;
- en conséquence, constater l'acquisition de la clause résolutoire du bail au 15 décembre 2023 ;
- ordonner l'expulsion de la société Annamalaiyaar et celle de tous occupants de son chef du local n°20 qu'elle exploite au centre commercial Drancy avenir, sis à Drancy (93700), 60, rue Saint Stenay, ce à compter de la signification de la décision à intervenir ;
- condamner provisionnellement la société Annamalaiyaar au paiement de la somme de 163 480,68 euros TTC représentant les loyers, charges et indemnités d'occupation, selon comptes arrêtés au 3 juillet 2024 inclus ;
- du 1 octobre 2024 jusqu'à parfaite libération des lieux, la condamner er provisionnellement au paiement d'une indemnité d'occupation égale à 1 % du loyer annuel facturé et indexé de la dernière année de location, par jour de calendrier, conformément à l'article 31 du bail ;
- condamner la société Annamalaiyaar aux entiers dépens, qui comprendront le coût du commandement de payer et les éventuelles dénonciations aux créanciers inscrits, ainsi qu'au paiement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
La société Annamalaiyaar n'a pas constitué avocat.
Sur ce, La société Annamalaiyaar n'ayant pas constitué avocat, il appartient à la cour, en application de l'article 472 du code de procédure civile, de ne faire droit à la demande de la société Galeries drancéennes que dans la mesure où elle l'estime régulière, recevable et bien fondée.
Sur l'exception d'incompétence territoriale Aux termes de l'article R. 145-23 du code de commerce, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire. Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l'alinéa précédent.
La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.
Selon l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire, en matière civile, les tribunaux judiciaires spécialement désignés sur le fondement de l'article L. 211-9-3 connaissent seuls, dans l'ensemble des ressorts des tribunaux judiciaires d'un même département ou, dans les conditions prévues au III de l'article L. 211-9-3, dans deux départements, de l'une ou plusieurs des compétences (...) des actions relatives aux baux commerciaux fondées sur les articles L. 145-1 à L. 145-60 du code de commerce.
L'article 48 du code de procédure civile dispose que toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu'elle n'ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu'elle n'ait été spécifiée de façon très apparente dans l'engagement de la partie à qui elle est opposée.
Il se déduit de la combinaison de ces textes que les parties contractant en qualité de commerçantes un bail commercial peuvent prévoir par une clause, spécifiée de façon très apparente dans l'acte, de déroger à la règle prévue par l'article R. 145-23 précité selon laquelle “la juridiction compétente est celle du lieu de la situation de l'immeuble.”, sous réserve de respecter les dispositions de l'article R. 211-4 du code de l'organisation judiciaire.
Au cas présent, la société Galeries drancéennes, qui poursuit l'infirmation du jugement, a fait assigner la société Annamalaiyaar devant le juge des référés de Paris aux fins, notamment, de voir constater l'acquisition de la clause résolutoire et la voir condamnée, à titre provisionnel, au paiement de l'arriéré des loyers et charges dûs et à une indemnité d'occupation.
Les deux parties, commerçantes, ont contracté, en cette qualité, un bail commercial ayant pour objet un immeuble situé à Drancy dans le département de la Seine-Saint-Denis.
Le bail contient une clause, spécifiée de façon très apparente, ainsi libellée : article 37 - compétence Tout litige relatif aux présente et à leurs suites sera de la compétence des tribunaux de Paris.
De plus, contrairement à ce que les premiers juges ont retenu, la juridiction choisie par les parties est déterminable.
Cette clause remplit, en conséquence, les exigences de l'article 48 du code de procédure civile précité.
Le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris est donc territorialement compétent pour connaître du litige.
Le jugement sera infirmé en ce qu'il déclare le tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé, incompétent et renvoie l'examen du dossier devant le président du tribunal judiciaire de Bobigny statuant en référé.
Sur l'évocation
Aux termes de l'article 88 du code de procédure civile, lorsque la cour est juridiction d'appel relativement à la juridiction qu'elle estime compétente, elle peut évoquer le fond si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d'instruction.
Au cas présent, eu égard à la nature du litige, il n'apparaît pas d'une bonne justice d'évoquer les points non jugés par le premier juge et d'écarter ainsi le principe du double degré de juridiction.
Il convient de renvoyer à la juridiction initialement saisie l'examen du fond du litige entre les parties.
Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile Chaque partie conservera la charge de ses propres dépens.
Les demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile seront rejetées.
PAR CES MOTIFS
Infirme le jugement ;
Statuant à nouveau,
Dit que le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris est compétent ;
Dit n'y avoir lieu à évocation ;
Ordonne le renvoi de l'affaire à la juridiction initialement saisie ;
Laisse à chaque partie la charge de ses propres dépens ;
Rejette la demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.