Décisions
CA Cayenne, ch. civ., 25 novembre 2024, n° 23/00001
CAYENNE
Arrêt
Autre
COUR D'APPEL DE CAYENNE
[Adresse 8]
Chambre Civile
ARRÊT N° 135
N° RG 23/00001 - N° Portalis 4ZAM-V-B7G-BEDE
PG/HP
S.A.R.L. ARLETTY Représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
C/
[S] [D]
[N] [D]
[K] [D]
[F] [D]
[E] [D]
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2024
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAYENNE, décision attaquée en date du 14 Décembre 2022, enregistrée sous le n° 21/01544
APPELANTE :
S.A.R.L. ARLETTY Représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 14]
représentée par Me Julie PAGE, avocat au barreau de GUYANE
INTIMES :
Madame [S] [D]
[Adresse 10]
[Localité 13]/FRANCE
Madame [N] [D]
[Adresse 12]
[Localité 15]/FRANCE
Monsieur [K] [D]
[Adresse 11]
[Localité 15]/FRANCE
Monsieur [F] [D]
[Adresse 1]
[Localité 15]/FRANCE
Madame [E] [D]
[Adresse 3]
[Localité 15]/FRANCE
représentés par Me Eric BICHARA, avocat au barreau de GUYANE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 mars 2024 en audience publique et mise en délibéré au 17 juin 2024 prorogé jusqu'au 25 novembre 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM,
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
Mme Patricia GOILLOT, Conseillère
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Madame Lysiane DESGREZ, Directrice de Greffe, présente lors des débats;
Madame [R] [P], Greffière stagiaire, présente lors du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon acte authentique de vente en date du 7 décembre 2017, la SARL Arletty a acquis dans le cadre d'une opération de promotion immobilière auprès de Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [D], un ensemble de parcelles issues de la division parcellaire cadastrée originairement AT [Cadastre 2], d'une contenance de 6 ha23a47ca lieudit [Adresse 17] à [Localité 15], pour un prix de
2 593 438€.
Par ce même acte, les consorts [D] ont acquis diverses résidences au sein de ce projet immobilier, et consenti au promoteur une servitude de passage sur les parcelles AT [Cadastre 4], AT [Cadastre 5] et [Cadastre 6], dont ils sont restés propriétaires.
Par acte authentique de vente en date 2 juillet 2018, la SARL Arletty a acquis auprès des consorts [J] une parcelle cadastrée AT [Cadastre 7] pour un prix de
80 000€ afin de permettre un accès à la voie publique du projet immobilier.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 novembre 2019, la SARL Clos d'Arletty a mis en demeure les consorts [D] de lui rembourser la somme de 80 000€.
Par acte d'huissier, la SARL Clos d'Arletty a assigné les consorts [D] devant le tribunal judiciaire de Cayenne aux fins d'être indemnisée de son préjudice en raison de l'enclavement des parcelles acquise.
Par jugement contradictoire du 14 décembre 2022, le juge du tribunal judiciaire de Cayenne a :
- débouté la SARL Le clos Arletty, inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 de l'ensemble de ses prétentions,
- condamné la SARL Le clos Arletty inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 à verser à Mme [S] [D], M. [F] [D], Mme [N] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D] la somme de 1 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL Arletty inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 30 décembre 2022, la SARL Arletty a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement.
Par avis en date du 6 janvier 2023, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le conseiller de la mise en état de la chambre civile de la cour d'appel.
La SARL Arletty a déposé ses premières conclusions d'appelante le 30 mars 2023, lesquelles ont été signifiées le 18 avril 2023.
Les intimés ont constitué avocat le 9 mai 2023, et déposé leurs premières conclusions le 28 juin 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 25 octobre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, la SARL Arletty sollicite que la cour infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau:
Vu l'article 1603 du code civil,
- condamne solidairement les consorts [D] à verser à la SARL Arletty la somme de 80 000€ en manquement de leur obligation de délivrance conforme,
Vu l'article 682 du code civil,
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 80 000€ à titre d'indemnisation du préjudice causé par l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7],
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre du présent appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la SARL Arletty expose que les consorts [D] avaient connaissance de la destination des parcelles acquises, que le seul accès du complexe immobilier ne pouvait se réaliser qu'en passant sur certaines parcelles demeurées la propriété des consorts [D], qu'il était convenu, à titre de dation en paiement d'une partie du prix d'achat des parcelles, que chacun d'eux serait propriétaire d'un bien immobilier compris dans ce complexe immobilier, et qu'une servitude de passage a ainsi été constituée par les consorts [D] à son profit. Elle explique que toutefois, la servitude ne permettait pas le désenclavement total, l'accès à la voie publique devant se réaliser par une parcelle cadastrée [Cadastre 7] appartenant aux consorts [J], et se trouvant dans le prolongement de la parcelle [Cadastre 6] demeurée propriété des consorts [D]. Elle indique que ceci l'a contrainte à engager des frais supplémentaires en acquérant une partie de la parcelle AT [Cadastre 7].
L'appelante soutient que la parcelle vendue sans qu'un passage ne soit établi constitue un défaut de conformité du bien, puisque la parcelle n'est pas accessible et empêche la concrétisation d'un projet immobilier alors que la vente a été conclue dans cet objectif, la destination étant expressément mentionnée à l'acte. Elle conteste avoir eu connaissance de cette situation d'enclave en affirmant que les différents plans ne mentionnent pas cette situation, laquelle n'est pas non plus mise en évidence par les permis de constuire qui se réfèrent seulement à un projet de création d'un réseau routier.
La SARL Arletty ajoute que l'exercice d'un droit de passage sur le fonds d'autrui étant tenu au paiement d'une indemnité qui a pour fonction de réparer le dommage causé par l'exercice de ce droit de passage en application des dispositions de l'article 682 du code civil,et qu'elle n'a pas à justifier d'un préjudice particulier, lequel résulte ipso facto de l'exercice de ce droit de passage.
Aux termes de leurs conclusions d'intimés transmises le 28 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], et Mme [S] [D] sollicitent que la cour confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Cayenne le 14 décembre 2022 en toutes ses dispositions, déboute la SARL Arletty de l'intégralité de ses demandes en appel et la condamne au paiement de la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, les consorts [D] font valoir que la connaissance par un acquéreur professionnel de la vente immobilière de la situation d'enclavement des parcelles par lui acquises et sa nécessaire renonciation à faire de la situation de desserte de ces parcelles une condition substantielle de la vente ne lui permettent pas d'invoquer un manquement à son obligation de délivrance conforme. Ils soutiennent que la connaissance par la société Arletty de la situation de desserte et d'accès à la voie publique des parcelles acquises ressort clairement des plans de division et d'arpentage annexés à l'acte de vente, ainsi que des mentions figurant au permis de construire afférent au programme immobilier. Ils ajoutent que la SARL Arletty a convenu avec eux qu'elle consentait à l'acquisition des parcelles en cet état et sans recours possible contre eux pour quelque cause que ce soit, ainsi que stipulé à l'acte de vente du 7 décembre 2017, et que les parcelles sont conformes aux stipulations contractuelles.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 14 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de la SARL Arletty au titre de l'obligation de délivrance conforme
Aux termes de l'article 1603 du code civil, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. Les dispositions de l'article 1604 du code civil prévoient que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.
Il est admis que la preuve de la non conformité de la chose vendue incombe à l'acquéreur qui soulève cette exception, et qui doit démontrer que la chose livrée ne présente pas les caractéristiques spécifiées par la convention des parties.
En l'espèce, il ressort de l'acte authentique an date du 7 décembre 2017 (pièce n°1 intimés) que les consorts [D] ont vendu à la SARL Arletty 'un terrain nu destiné à la réalisation d'une opération immobilière' et 'tel que le bien existe, s'étend, se poursuit et comporte, avec toutes ses aisances, dépendances et immeubles pr destination, servitudes et mitoyennetés, tous droits et facultés quelconques y attachées, sans exception ni réserve autres que celles pouvant être le cas échéant relatées aux présentes'.
L'acte précise également que 'Ces parcelles proviennent de la division d'un immeuble de plus grande importance originairement cadastré section AT numéro [Cadastre 2] lieudit [Localité 18] pour une contenance de six hectares vingt-trois ares quarante sept centiares (...) Cette division résulte d'un document d'arpentage dressé par la cabinet Serg, géomètre expert à [Localité 15], le 23 octobre 2017 sous le numéro 2513. Une copie de ce document est annexée. Ce document est annexé à l'éxtrait cadastral modèle 1, délivré par le service du cadastre, dont le notaire sousigné requiert la publication auprès du service de la publicité foncière (...)'
Le permis de construire valant division annexé à l'acte de vente authentique prévoit par ailleurs en son article 5 intitulé 'Aménagement et entretien des voies de desserte' que :
'Le bénéficiaire de la présente autorisation devra aménager,conformément au profil en travers transmis à l'appui de sa demande, des voies de son programme qui devront être entretenues par l'Association Syndicale des acquéreurs de lots que le pétitionnaire s'est engagé à créer conformèment aux textes en vigueur.
Une attention particulière devra être apportée à la connexion prévue avec le programme arrêté sur le fonds voisin cadastré [Cadastre 16]. L'emprise correspondante devra demeurer ouverte à la circulation publique (...)'
Il est acquis qu'il est nécessaire pour qu'un projet immobilier puisse se réaliser qu'un accès à la voie publique puisse s'effectuer.
Le seul fait que cet accès ne soit pas contractuellement prévu à l'acte de vente n'est cependant pas de nature à empêcher la SARL Arletty de procéder aux formalités nécessaires au désenclavement.
En effet, cette dernière, acheteuse professionnelle, a connaissance de l'extrait du plan cadastral qui montre que la desserte à la voie publique peut être réalisée par l'octroi d'une servitude de passage sur une autre parcelle que celles appartenant aux consorts [D], et il lui est loisible d'envisager de solliciter l'octroi de la servitude de passage nécessaire.
L'attestation de l'architecte versée aux débats par la SARL Arletty (pièce n° 5) établit d'ailleurs précisément la faisabilité de l'opération immobilière, qui a été réalisée en procédant à l'acquisition de la servitude de passage concernée.
En ce sens, le jugement déféré a exactement relevé qu'il serait tout à fait possible que le promoteur fasse l'acquisition dans le cadre de son projet global d'autres parcelles annexes permettant une accessibilité à la voie publique, et ce sans que les vendeurs en soient informés.
A titre surabondant, il peut être souligné que les dispositions de l'article 682 du code civil prévoient une servitude légale en cas d'enclavement d'un fonds qui n'aurait pas d'accès sur la voie publique.
Dans ces conditions, il ne peut qu'être constaté que l'appelante ne démontre pas la non conformité de la chose vendue, et la SARL Arletty sera déboutée de sa demande à ce titre, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur la demande en indemnisation du préjudice qui serait causé par l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7]
La SARL Arletty fait valoir les dispositions de l'article 682 du code civil pour fonder sa demande en indemnisation résultant de l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7].
Aux termes de l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
Il est admis que l'indemnité est proportionnée au dommage que le passage peut occasionner, et ne peut se monter à la valeur vénale du terrain correspondant.
En l'espèce, il convient de relever que la SARL Arletty sollicite en fait l'indemnisation du montant de la somme qu'elle a versée pour bénéficier de la servitude de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7]. Elle ne démontre cependant pas quels sont les préjudices qui seraient liés à l'exercice de ce passage, et ne justifie pas du fondement en vertu duquel les consorts [D] seraient redevables d'une indemnité concernant une servitude sur une parcelle dont ils ne sont pas propriétaires.
La SARL Arletty sera par conséquent déboutée de sa demande en en indemnisation au titre de l'exercice du droit de passage, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au vu de la solution du litige, la SARL Arletty sera condamnée à payer à Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [D] la somme de 3 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et sera déboutée de ses demandes formées sur ce fondement.
La SARL Arletty sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Cayenne en date du 14 décembre 2022 en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL Arletty à payer à Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [V] somme de 3 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
DEBOUTE la SARL Arletty de ses demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel,
CONDAMNE la SARL Arletty aux entiers dépens d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et la Greffière.
La Greffière La Présidente de chambre
Hélène PETRO Aurore BLUM
[Adresse 8]
Chambre Civile
ARRÊT N° 135
N° RG 23/00001 - N° Portalis 4ZAM-V-B7G-BEDE
PG/HP
S.A.R.L. ARLETTY Représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
C/
[S] [D]
[N] [D]
[K] [D]
[F] [D]
[E] [D]
ARRÊT DU 25 NOVEMBRE 2024
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CAYENNE, décision attaquée en date du 14 Décembre 2022, enregistrée sous le n° 21/01544
APPELANTE :
S.A.R.L. ARLETTY Représentée par son gérant en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 9]
[Localité 14]
représentée par Me Julie PAGE, avocat au barreau de GUYANE
INTIMES :
Madame [S] [D]
[Adresse 10]
[Localité 13]/FRANCE
Madame [N] [D]
[Adresse 12]
[Localité 15]/FRANCE
Monsieur [K] [D]
[Adresse 11]
[Localité 15]/FRANCE
Monsieur [F] [D]
[Adresse 1]
[Localité 15]/FRANCE
Madame [E] [D]
[Adresse 3]
[Localité 15]/FRANCE
représentés par Me Eric BICHARA, avocat au barreau de GUYANE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS :
En application des dispositions des articles 907 et 805 du Code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 11 mars 2024 en audience publique et mise en délibéré au 17 juin 2024 prorogé jusqu'au 25 novembre 2024, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :
Mme Aurore BLUM, Présidente de chambre
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Mme Aurore BLUM,
M. Laurent SOCHAS, Conseiller
Mme Patricia GOILLOT, Conseillère
qui en ont délibéré.
GREFFIER :
Madame Lysiane DESGREZ, Directrice de Greffe, présente lors des débats;
Madame [R] [P], Greffière stagiaire, présente lors du prononcé
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 al 2 du Code de procédure civile.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Selon acte authentique de vente en date du 7 décembre 2017, la SARL Arletty a acquis dans le cadre d'une opération de promotion immobilière auprès de Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [D], un ensemble de parcelles issues de la division parcellaire cadastrée originairement AT [Cadastre 2], d'une contenance de 6 ha23a47ca lieudit [Adresse 17] à [Localité 15], pour un prix de
2 593 438€.
Par ce même acte, les consorts [D] ont acquis diverses résidences au sein de ce projet immobilier, et consenti au promoteur une servitude de passage sur les parcelles AT [Cadastre 4], AT [Cadastre 5] et [Cadastre 6], dont ils sont restés propriétaires.
Par acte authentique de vente en date 2 juillet 2018, la SARL Arletty a acquis auprès des consorts [J] une parcelle cadastrée AT [Cadastre 7] pour un prix de
80 000€ afin de permettre un accès à la voie publique du projet immobilier.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 14 novembre 2019, la SARL Clos d'Arletty a mis en demeure les consorts [D] de lui rembourser la somme de 80 000€.
Par acte d'huissier, la SARL Clos d'Arletty a assigné les consorts [D] devant le tribunal judiciaire de Cayenne aux fins d'être indemnisée de son préjudice en raison de l'enclavement des parcelles acquise.
Par jugement contradictoire du 14 décembre 2022, le juge du tribunal judiciaire de Cayenne a :
- débouté la SARL Le clos Arletty, inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 de l'ensemble de ses prétentions,
- condamné la SARL Le clos Arletty inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 à verser à Mme [S] [D], M. [F] [D], Mme [N] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D] la somme de 1 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SARL Arletty inscrite au RCS de Cayenne sous le N° 811 834 437 000 26 aux entiers dépens.
Par déclaration en date du 30 décembre 2022, la SARL Arletty a relevé appel de l'ensemble des chefs de ce jugement.
Par avis en date du 6 janvier 2023, l'affaire a fait l'objet d'un renvoi devant le conseiller de la mise en état de la chambre civile de la cour d'appel.
La SARL Arletty a déposé ses premières conclusions d'appelante le 30 mars 2023, lesquelles ont été signifiées le 18 avril 2023.
Les intimés ont constitué avocat le 9 mai 2023, et déposé leurs premières conclusions le 28 juin 2023.
Aux termes de ses dernières conclusions en date du 25 octobre 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, la SARL Arletty sollicite que la cour infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau:
Vu l'article 1603 du code civil,
- condamne solidairement les consorts [D] à verser à la SARL Arletty la somme de 80 000€ en manquement de leur obligation de délivrance conforme,
Vu l'article 682 du code civil,
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 80 000€ à titre d'indemnisation du préjudice causé par l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7],
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile de première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance,
- condamne solidairement les consorts [D] à payer à la SARL Arletty la somme de 5 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile au titre du présent appel, ainsi qu'aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses prétentions, la SARL Arletty expose que les consorts [D] avaient connaissance de la destination des parcelles acquises, que le seul accès du complexe immobilier ne pouvait se réaliser qu'en passant sur certaines parcelles demeurées la propriété des consorts [D], qu'il était convenu, à titre de dation en paiement d'une partie du prix d'achat des parcelles, que chacun d'eux serait propriétaire d'un bien immobilier compris dans ce complexe immobilier, et qu'une servitude de passage a ainsi été constituée par les consorts [D] à son profit. Elle explique que toutefois, la servitude ne permettait pas le désenclavement total, l'accès à la voie publique devant se réaliser par une parcelle cadastrée [Cadastre 7] appartenant aux consorts [J], et se trouvant dans le prolongement de la parcelle [Cadastre 6] demeurée propriété des consorts [D]. Elle indique que ceci l'a contrainte à engager des frais supplémentaires en acquérant une partie de la parcelle AT [Cadastre 7].
L'appelante soutient que la parcelle vendue sans qu'un passage ne soit établi constitue un défaut de conformité du bien, puisque la parcelle n'est pas accessible et empêche la concrétisation d'un projet immobilier alors que la vente a été conclue dans cet objectif, la destination étant expressément mentionnée à l'acte. Elle conteste avoir eu connaissance de cette situation d'enclave en affirmant que les différents plans ne mentionnent pas cette situation, laquelle n'est pas non plus mise en évidence par les permis de constuire qui se réfèrent seulement à un projet de création d'un réseau routier.
La SARL Arletty ajoute que l'exercice d'un droit de passage sur le fonds d'autrui étant tenu au paiement d'une indemnité qui a pour fonction de réparer le dommage causé par l'exercice de ce droit de passage en application des dispositions de l'article 682 du code civil,et qu'elle n'a pas à justifier d'un préjudice particulier, lequel résulte ipso facto de l'exercice de ce droit de passage.
Aux termes de leurs conclusions d'intimés transmises le 28 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], et Mme [S] [D] sollicitent que la cour confirme le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Cayenne le 14 décembre 2022 en toutes ses dispositions, déboute la SARL Arletty de l'intégralité de ses demandes en appel et la condamne au paiement de la somme de 3 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Au soutien de leurs demandes, les consorts [D] font valoir que la connaissance par un acquéreur professionnel de la vente immobilière de la situation d'enclavement des parcelles par lui acquises et sa nécessaire renonciation à faire de la situation de desserte de ces parcelles une condition substantielle de la vente ne lui permettent pas d'invoquer un manquement à son obligation de délivrance conforme. Ils soutiennent que la connaissance par la société Arletty de la situation de desserte et d'accès à la voie publique des parcelles acquises ressort clairement des plans de division et d'arpentage annexés à l'acte de vente, ainsi que des mentions figurant au permis de construire afférent au programme immobilier. Ils ajoutent que la SARL Arletty a convenu avec eux qu'elle consentait à l'acquisition des parcelles en cet état et sans recours possible contre eux pour quelque cause que ce soit, ainsi que stipulé à l'acte de vente du 7 décembre 2017, et que les parcelles sont conformes aux stipulations contractuelles.
La clôture de la procédure a été ordonnée le 14 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de la SARL Arletty au titre de l'obligation de délivrance conforme
Aux termes de l'article 1603 du code civil, le vendeur a deux obligations principales, celle de délivrer et celle de garantir la chose qu'il vend. Les dispositions de l'article 1604 du code civil prévoient que la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.
Il est admis que la preuve de la non conformité de la chose vendue incombe à l'acquéreur qui soulève cette exception, et qui doit démontrer que la chose livrée ne présente pas les caractéristiques spécifiées par la convention des parties.
En l'espèce, il ressort de l'acte authentique an date du 7 décembre 2017 (pièce n°1 intimés) que les consorts [D] ont vendu à la SARL Arletty 'un terrain nu destiné à la réalisation d'une opération immobilière' et 'tel que le bien existe, s'étend, se poursuit et comporte, avec toutes ses aisances, dépendances et immeubles pr destination, servitudes et mitoyennetés, tous droits et facultés quelconques y attachées, sans exception ni réserve autres que celles pouvant être le cas échéant relatées aux présentes'.
L'acte précise également que 'Ces parcelles proviennent de la division d'un immeuble de plus grande importance originairement cadastré section AT numéro [Cadastre 2] lieudit [Localité 18] pour une contenance de six hectares vingt-trois ares quarante sept centiares (...) Cette division résulte d'un document d'arpentage dressé par la cabinet Serg, géomètre expert à [Localité 15], le 23 octobre 2017 sous le numéro 2513. Une copie de ce document est annexée. Ce document est annexé à l'éxtrait cadastral modèle 1, délivré par le service du cadastre, dont le notaire sousigné requiert la publication auprès du service de la publicité foncière (...)'
Le permis de construire valant division annexé à l'acte de vente authentique prévoit par ailleurs en son article 5 intitulé 'Aménagement et entretien des voies de desserte' que :
'Le bénéficiaire de la présente autorisation devra aménager,conformément au profil en travers transmis à l'appui de sa demande, des voies de son programme qui devront être entretenues par l'Association Syndicale des acquéreurs de lots que le pétitionnaire s'est engagé à créer conformèment aux textes en vigueur.
Une attention particulière devra être apportée à la connexion prévue avec le programme arrêté sur le fonds voisin cadastré [Cadastre 16]. L'emprise correspondante devra demeurer ouverte à la circulation publique (...)'
Il est acquis qu'il est nécessaire pour qu'un projet immobilier puisse se réaliser qu'un accès à la voie publique puisse s'effectuer.
Le seul fait que cet accès ne soit pas contractuellement prévu à l'acte de vente n'est cependant pas de nature à empêcher la SARL Arletty de procéder aux formalités nécessaires au désenclavement.
En effet, cette dernière, acheteuse professionnelle, a connaissance de l'extrait du plan cadastral qui montre que la desserte à la voie publique peut être réalisée par l'octroi d'une servitude de passage sur une autre parcelle que celles appartenant aux consorts [D], et il lui est loisible d'envisager de solliciter l'octroi de la servitude de passage nécessaire.
L'attestation de l'architecte versée aux débats par la SARL Arletty (pièce n° 5) établit d'ailleurs précisément la faisabilité de l'opération immobilière, qui a été réalisée en procédant à l'acquisition de la servitude de passage concernée.
En ce sens, le jugement déféré a exactement relevé qu'il serait tout à fait possible que le promoteur fasse l'acquisition dans le cadre de son projet global d'autres parcelles annexes permettant une accessibilité à la voie publique, et ce sans que les vendeurs en soient informés.
A titre surabondant, il peut être souligné que les dispositions de l'article 682 du code civil prévoient une servitude légale en cas d'enclavement d'un fonds qui n'aurait pas d'accès sur la voie publique.
Dans ces conditions, il ne peut qu'être constaté que l'appelante ne démontre pas la non conformité de la chose vendue, et la SARL Arletty sera déboutée de sa demande à ce titre, le jugement déféré étant confirmé sur ce point.
Sur la demande en indemnisation du préjudice qui serait causé par l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7]
La SARL Arletty fait valoir les dispositions de l'article 682 du code civil pour fonder sa demande en indemnisation résultant de l'exercice de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7].
Aux termes de l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
Il est admis que l'indemnité est proportionnée au dommage que le passage peut occasionner, et ne peut se monter à la valeur vénale du terrain correspondant.
En l'espèce, il convient de relever que la SARL Arletty sollicite en fait l'indemnisation du montant de la somme qu'elle a versée pour bénéficier de la servitude de passage sur la parcelle AT [Cadastre 7]. Elle ne démontre cependant pas quels sont les préjudices qui seraient liés à l'exercice de ce passage, et ne justifie pas du fondement en vertu duquel les consorts [D] seraient redevables d'une indemnité concernant une servitude sur une parcelle dont ils ne sont pas propriétaires.
La SARL Arletty sera par conséquent déboutée de sa demande en en indemnisation au titre de l'exercice du droit de passage, et le jugement déféré sera confirmé sur ce point.
Sur les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens
Au vu de la solution du litige, la SARL Arletty sera condamnée à payer à Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [D] la somme de 3 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel, et sera déboutée de ses demandes formées sur ce fondement.
La SARL Arletty sera condamnée aux entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition au greffe,
CONFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Cayenne en date du 14 décembre 2022 en toutes ses dispositions,
Et y ajoutant,
CONDAMNE la SARL Arletty à payer à Mme [N] [D], M. [F] [D], M. [K] [D], Mme [E] [D], Mme [S] [V] somme de 3 000€ sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en appel,
DEBOUTE la SARL Arletty de ses demandes formées sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais exposés en première instance et en appel,
CONDAMNE la SARL Arletty aux entiers dépens d'appel.
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par la Présidente de chambre et la Greffière.
La Greffière La Présidente de chambre
Hélène PETRO Aurore BLUM