CA Nîmes, 4e ch. com., 22 novembre 2024, n° 24/02143
NÎMES
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Gouin, SCP Lobier & Associés
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Vu les appels interjetés le 22 juin 2024 par la SELARL [9] prise en la personne de Maître [U] [O], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [4] ([4]), à l'encontre du jugement prononcé le 14 mai 2024 et rectifié le 11 juin 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes, dans l'instance n° RG 2023F1108,
Vu la signification des déclarations d'appel le 4 juillet 2024 à Monsieur [V] [E], par acte remis en l'étude du commissaire de justice, et le 5 juillet 2024 à la SARL [4], selon la procédure prévue par l'article 659 du code de procédure civile,
Vu la jonction des procédures ordonnée le 5 juillet 2024, l'affaire étant désormais enrôlée sous le seul n°RG 24/02143,
Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 27 juin 2024,
Vu les conclusions remises par la voie électronique le 16 juillet 2024 par l'appelante, et le bordereau de pièces qui y est annexé,
Vu la signification de ces conclusions le 25 juillet 2024 à Monsieur [V] [E], par acte remis en l'étude du commissaire de justice, et le 26 juillet 2024 à la SARL [4], selon la procédure prévue par l'article 659 du code de procédure civile,
Vu les conclusions remises par la voie électronique le 15 octobre 2024, puis à nouveau le 25 octobre 2024, par le ministère public,
Vu l'ordonnance du 27 juin 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 31 octobre 2024 ;
Selon jugement du 22 mars 2023, le tribunal de commerce de Nîmes a prononcé la liquidation judiciaire de la SARL [4], ayant pour gérant Monsieur [V] [E], et désigné la SELARL [9] prise en la personne de Maître [U] [O], en sa qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploit du 14 septembre 2023, la SELARL [9], ès qualités, a fait citer Monsieur [V] [E] devant le tribunal de commerce de Nîmes aux fins de voir, à titre principal, étendre la liquidation judiciaire à ce dernier et de voir, à titre subsidiaire, engager sa responsabilité pour insuffisance d'actif.
Par jugement du 14 mai 2024, rectifié le 11 juin 2024, le tribunal de commerce de Nîmes a :
- rejeté la demande en extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL [4] à l'égard de Monsieur [V] [E],
Vu les dispositions de l'article L.651-2 du code de commerce,
- condamné Monsieur [V] [E] à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actifs de la SARL [4] et à ce titre, à payer la somme de 496 732,64 euros ainsi qu'aux entiers dépens
- prononcé à l'encontre de Monsieur [V] [E] une mesure de faillite personnelle pendant cinq ans,
- dit que cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes, fins et conclusions
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Le 22 juin 2024, la SELARL [9], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [4] ([4]), a interjeté appel de cette décision aux fins de la voir réformer en ce qu'elle a rejeté sa demande d'extension de la liquidation judiciaire à l'égard de Monsieur [V] [E].
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique, l'appelante demande à la cour, au visa des articles L 621-2 et L 641-1 I du code de commerce, de :
- lnfirmer les jugements du tribunal de commerce de Nîmes des 14 mai 2024 et 11 juin 2024 en ce qu'ils ont rejeté la demande en extension de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à l'encontre de la SARL [4] à l'égard de Monsieur [V] [E];
Statuant a nouveau,
- Déclarer recevable l'action en extension de la procédure de liquidation judiciaire de la SARL [4] ([4]) à l'égard de Monsieur [V] [E]
- Constater la confusion des patrimoines entre la SARL [4] ([4]) et Monsieur [V] [E],
En conséquence,
- Etendre la liquidation judiciaire de la SARL [4] ([4]) à Monsieur [V] [E],
- Désigner la SELARL [9], prise en la personne de Maître [U] [O], liquidateur judiciaire
- Fixer la date de cessation des paiements Monsieur [V] [E] à la même date que celle de la SARL [4] ([4])
- Ordonner les publicités prévues par la loi en pareille matière
- Dire et juger que les dépens seront privilégiés de la procédure collective.
Au soutien de ses prétentions, l'appelante fait valoir que la société [4] a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2018 au 31 mai 2021, à l'occasion de laquelle l'administration fiscale a opéré un réhaussement à hauteur de 204 782,99 euros correspondant à des sommes inscrites en comptabilité dans le compte 641 au titre de la rémunération du personnel mais qui n'ont pu être identifiées comme ayant été versées au profit de salariés.
Il s'agit principalement de retraits d'espèces aux distributeurs et des chèques ne comportant aucun motif. Il s'en déduit des distributions occultes de revenus au titre de l'exercice 2018 au profit de l'actionnaire unique et dirigeant.
Le redressement fiscal objective les relations financières incompatibles avec des obligations contractuelles réciproques normales intervenues entre la société et son dirigeant, lesquelles ont généré un préjudice financier pour la société et un enrichissement injustifié de son président. L'élément moral ayant conduit à l'existence de ces relations financières anormales est totalement indifférent.
L'appelante indique également qu'au 1er janvier 2019, le compte courant d'associé de Monsieur [V] [E] apparaît comme créditeur à hauteur de 50 559,44 euros; or l'examen de la liasse fiscale de la SARL [4] permet de constater qu'il n'existait aucune créance au passif du bilan à la clôture de l'exercice 2018 à l'égard de l'actionnaire.
Le solde créditeur du compte courant d'associé de Monsieur [V] [E] au 1er janvier 2019 est totalement fictif ; l'utilisation massive et abusive des deniers sociaux par Monsieur [V] [E], sur les exercices 2019 à 2021, a été masquée par le jeu de cette écriture comptable au 1er janvier 2019 portant report à nouveau de 50 559,44 euros.
Le ministère public conclut à la confirmation du jugement rendu le 14 mai 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes.
Pour un plus ample exposé, il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
MOTIFS
1) Sur la demande d'extension de la procédure de liquidation judiciaire
Aux termes de l'article L. 621-2, alinéa 2 du code de commerce, à la demande de l'administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure de sauvegarde ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes, en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.
L'article L.641-1 du code de commerce prévoit que ces dispositions sont applicables à la procédure de liquidation judiciaire.
Il résulte de l'interprétation de ces dispositions par la Cour de cassation, que les juges du fond, pour caractériser des relations anormales constitutives d'une confusion des patrimoines, n'ont pas à rechercher si ces relations anormales ont augmenté le passif à la procédure collective dont l'extension est demandée (Com. 16 juin 2015 n°14-10.187).
Il n'est pas non plus nécessaire de démontrer que les relations financières anormales aient appauvri la société débitrice soumise à la procédure collective dont l'extension est demandée (Com. 2 décembre 2016 n°15-13.006).
Le demandeur à l'action en extension doit rapporter la preuve de l'existence de relations financières anormales entre les deux sociétés, à savoir :
D'un mélange patrimonial avec transfert d'actif ou de passif d'un patrimoine à l'autre,
D'un déséquilibre patrimonial significatif, tenant à une absence de contrepartie,
Du caractère anormal et systématique des relations financières, soit parce que ces relations ne peuvent se rattacher à aucune obligation juridique, soit au fait que ces relations soient dépourvues d'intérêt pour l'appauvri.
Il est également nécessaire de caractériser une volonté systématique portant sur des relations financières anormales.
Il résulte de la proposition de rectification du 21 décembre 2021 et de la réponse aux observations du contribuable du 28 février 2022 que la SARL [4] n'a justifié qu'à hauteur de 177 722,17 euros les charges exposées au titre de la rémunération du personnel sur le montant de 382 505,16 euros qui est inscrit sur le compte n°641 au titre de l'exercice 2018. Or, le différentiel de 204 783 euros correspond principalement à des retraits aux distributeurs automatiques de banque et des chèques ne comportant aucune indication de motif.
S'il est incontestable que la somme de 204 783 euros n'a pas été versée aux salariés de la SARL [4] déclarés auprès de l'URSSAF, il ne peut en être déduit pour autant que le différentiel de 204 783 euros soit constitué de distributions occultes de revenus au profit de Monsieur [V] [E]. En l'absence de preuve d'un transfert d'actif et donc d'un flux entre le patrimoine de la SARL [4] et celui de Monsieur [V] [E], les relations financières anormales ne sont pas caractérisées.
A la lecture des extraits des grands livres 2019 et 2020 de la SARL [4], il apparaît que les comptes courants d'associés ont fait l'objet de nombreuses opérations de débit et de crédit du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2020 sans que le caractère anormal de ces mouvements ne soit démontré.
Le mandataire liquidateur fait observer que le solde créditeur de 50 559,44 euros au 1er janvier 2019 ne correspond pas à la rubrique 'groupe et associés' figurant dans l'état des dettes de la liasse fiscale de l'exercice 2018 qui ne mentionne aucune créance. Cependant, la page 8 de la pièce 7 qui est visée par l'appelant est relative à l'exercice clos le 31 décembre 2019 et non pas à celui clos le 31 décembre 2018. Or, si le compte 45517000 'associés et compte courant' figurant dans le grand livre 2019 fait apparaître un solde nul au 31 décembre 2019, il n'y a pas d'anomalie puisque que l'état des dettes de la liasse fiscale de l'exercice 2019 ne comporte aucune dette contractée envers les associés.
Le compte 45517000 'associés et compte courant' figurant dans le grand livre 2018 n'est pas versé au débat. L'administration fiscale a indiqué, dans sa proposition de rectification du 21 décembre 2021, que ce compte présentait avant clôture de l'exercice au 31 décembre 2018 un débit de 47 408,74 euros et un crédit de 97 968,18 euros, ce qui est cohérent avec le solde créditeur de 50 559,44 euros faisant l'objet d'un report au 1er janvier 2019 sur le même compte dans les grands livres 2019 et 2020 de la SARL [4] Le bilan simplifié de l'exercice 2018 mentionne quant à lui une dette de 44 998 euros au titre du compte 172 autres dettes (dont comptes courants d'associés).
La preuve de la fictivité du compte courant d'associé de Monsieur [V] [E] n'étant pas rapportée, l'existence de relations financières anormales n'est pas démontrée alors qu'au surplus, lors des exercices concernés, Monsieur [V] [E] n'était pas le seul associé de la SARL [4] et il ne détenait que 49% de son capital social, comme souligné par l'administration fiscale en page 6 de sa proposition de rectification.
Les conditions prévues par l'article L. 621-2, alinéa 2 du code de commerce n'étant pas réunies, le jugement critiqué sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en extension de la procédure de liquidation judiciaire à l'égard de Monsieur [V] [E].
2) Sur les frais du procès
Monsieur [V] [E] a été condamné, à juste titre, aux dépens de la première instance qui a abouti à l'engagement de sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif et au prononcé d'une mesure de faillite personnelle à son égard.
En revanche, l'appelante qui succombe en appel sera condamnée aux dépens de cette instance qui seront employés en frais privilégiés de procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Confirme le jugement en ses dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant,
Condamne la SELARL [9], prise en la personne de Maître [U] [O], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la SARL [4] ([4]) aux entiers dépens d'appel, qui seront employés en frais privilégiés de liquidation judiciaire.