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Décisions

Cass. com., 27 novembre 2024, n° 23-11.476

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vigneau

Rapporteurs :

Mme Ducloz, M. Ponsot

Avocat :

Me Soltner

Paris, du 29 nov. 2022, n° 19/20185

29 novembre 2022

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 novembre 2022), M. et Mme [I] ont créé la société Euromedika, dont le capital social est composé de 500 actions et qui a pour objet la distribution exclusive pour la France, la Belgique et la Suisse des produits de la société de droit espagnol Silhouette Lift LV, dont les fils tenseurs Silhouette lift et Silhouette soft.

2. Le 8 juillet 2010, M. et Mme [I] ont cédé, respectivement, 199 et 1 actions du capital social de la société Euromedika à M. [X].

3. Le 18 janvier 2013, M. [I] a racheté les 200 actions de la société Euromedika détenues par M. [X] et a consenti à ce dernier une reconnaissance de dette d'un montant de 104 000 euros payable au plus tard le 30 juin 2015.

4. Le 1er juillet 2013, la société Euromedika a conclu un contrat de distribution avec la société de droit néerlandais Arkea BV, laquelle dispose d'une licence de distribution des produits Silhouette lift et Silhouette soft.

5. En mai 2014, la société Silhouette Lift LV a été rachetée par la société de droit anglais Sinclair.

6. Le 21 novembre 2014, la société Euromedika a transféré son fonds de commerce à la société Sinclair Pharma France, filiale de la société Sinclair, en ce compris les droits afférents au contrat de distribution conclu le 1er juillet 2013 avec la société Arkea BV. Le même jour, la société Euromedika s'est vu confier par la société Sinclair Pharma France une mission de conseil portant sur l'activité de distribution des produits Silhouette en France.

7. Le 18 novembre 2014, soutenant avoir été victime d'un dol, M. [X] a assigné M. [I] en nullité de la cession des actions de la société Euromedika du 18 janvier 2013, en indemnisation de son préjudice et en paiement d'une somme au titre de la reconnaissance de dette.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi principal et sur le second moyen de ce pourvoi, pris en sa première branche

8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en ses deuxième à quatrième branches

Enoncé du moyen

9. M. [X] fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes tendant à voir prononcer la nullité pour dol du contrat du 18 janvier 2013, par lequel il a cédé à M. [I] les actions qu'il détenait dans le capital social de la société Euromedika et à voir condamner M. [I] à lui payer, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 2 400 000 euros en réparation de son préjudice matériel et 500 euros en réparation de son préjudice moral, alors :

« 2°/ que le dol peut être constitué par le silence d'une partie, dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; qu'en écartant néanmoins l'existence d'un dol imputable à M. [I] lors du rachat des actions de M. [X], motif pris que seules des manœuvres frauduleuses antérieures ou concomitantes à la conclusion du contrat étaient de nature à caractériser un dol, bien qu'une réticence dolosive du cessionnaire ait été également de nature à justifier la nullité du contrat de cession d'actions, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 ;

3°/ que commet une réticence dolosive, le dirigeant cessionnaire qui, tenu à un devoir de loyauté à l'égard de tout associé, s'abstient d'informer l'associé cédant de l'existence de négociations en cours et qui sont de nature à valoriser ses parts sociales, peu important l'état d'avancement de ces négociations ; qu'en écartant néanmoins l'existence d'un dol, au motif inopérant qu'il n'était pas établi qu'une ébauche de contrat de distribution devant être conclu entre la société Euromedika et la société Arkea BV aurait été d'ores établi à la date à laquelle M. [I] s'est porté acquéreur des actions de M. [X], bien que la dissimulation de pourparlers, quel que soit leur état d'avancement, suffise à caractériser une réticence dolosive, la cour d'appel a violé l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 ;

4°/ que commet une réticence dolosive, le dirigeant cessionnaire qui, tenu à un devoir de loyauté à l'égard de tout associé, s'abstient d'informer l'associé cédant de l'existence de négociations en cours, qui sont de nature à valoriser ses parts sociales ; qu'en écartant l'existence d'un dol commis par M. [I], lors du rachat par celui-ci des actions détenues par M. [X] dans le capital social de la société Euromedika, sans rechercher, comme elle y était invitée, s'il s'était volontairement abstenu, à la date de la cession litigieuse, de révéler à son cocontractant qu'il négociait la distribution exclusive en France par la société Euromedika d'un nouveau dispositif médical dont il connaissait les perspectives de vente extrêmement prometteuses, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. »

Réponse de la Cour

10. Après avoir retenu que M. [X] ne démontre pas que M. [I] aurait été informé, lors de la cession litigieuse du 18 janvier 2013, des projets du contrat de distribution conclu le 1er juillet 2013 entre la société Euromedika et la société Arkéa BV, du contrat de cession de la société Silhouette Lift SL au profit de la société Sinclair Pharma France, filiale de la société Sinclair, conclu en mai 2014, puis de la cession du fonds de commerce de la société Euromedika au profit de la société Sinclair Pharma France le 21 novembre 2014, l'arrêt relève que les gérants des sociétés Silhouette Lift LV et Sinclair ne se sont rencontrés qu'à l'occasion d'un congrès qui s'est déroulé du 31 janvier au 3 février 2013 et que les discussions préalables au contrat de cession conclu entre ces sociétés en mai 2014 n'ont débuté qu'en octobre 2013, soit neuf mois après la cession des parts sociales de M. [X]. L'arrêt ajoute qu'il n'est pas établi par les pièces produites aux débats que le projet de contrat de distribution conclu le 1er juillet 2013 existait au moment de la conclusion du contrat litigieux de cession de parts sociales, que la circonstance que M. [I] ait consulté un avocat fiscaliste en décembre 2012 n'établit pas qu'il aurait eu connaissance du projet de contrat de distribution conclu par la société Euromedika le 1er juillet 2013 et du projet de contrat de cession du fonds de commerce de la société Eurémedika du 20 novembre 2014, étant observé que M. [I] a spontanément informé M. [X] avoir consulté un avocat à propos de leur projet de cession de parts sociales, lequel était alors effectivement en cours, et qu'il n'est pas démontré que cette consultation du mois de décembre 2012 visait en réalité à optimiser fiscalement la cession de la société Euromedika en la vidant de sa substance, aucun élément n'établissant qu'à cette époque il était envisagé la cession, intervenue le 21 novembre 2014 au profit de la société Sinclair Pharma France, du fonds de commerce de la société Euromedika contenant le contrat de distribution conclu le 1er juillet 2013 avec la société Arkea BV et que M. [I] ait été informé d'un tel projet. L'arrêt en déduit qu'il n'est pas établi que la cession de parts litigieuse est entachée d'un dol.

11. En l'état de ces constatations et appréciations souveraines, dont il résulte qu'à la date de la cession de parts litigieuse, aucune négociation entre la société Euromedika et les sociétés Arkea BV et Sinclair quant à la distribution des produits Silhouette n'avait débuté ni même n'avait été envisagée et qu'aucune réticence dolosive quant à l'existence de ces négociations ne pouvait, dès lors, être reprochée à M. [I], la cour d'appel a, sans avoir à se livrer à la recherche invoquée par la quatrième branche que ses constatations rendaient inopérante, légalement justifié sa décision.

12. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen du pourvoi incident

Enoncé du moyen

13. M. [I] fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [X] une somme de 104 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 novembre 2014 en exécution de la reconnaissance de dette du 18 janvier 2013, alors « que l'intérêt au taux légal n'est dû que si la créance est exigible ; qu'en l'espèce, la cour d'appel constatait que les termes de la reconnaissance de dette en date du 18 janvier 2013 laissaient à M. [I] jusqu'au 30 juin 2015 au maximum pour s'acquitter de sa dette ; qu'il en résultait que la créance n'était pas exigible à la date de l'assignation délivrée par M. [X] le 18 novembre 2014 ; qu'en assortissant pourtant que la condamnation de M. [I] à payer à M. [X] la somme de 104 000 euros des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation, soit au 18 novembre 2014, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a, ce faisant, violé l'article 1153 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1153 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 :

14. Il résulte de ce texte que l'intérêt au taux légal n'est dû que si la créance est exigible.

15. Pour fixer à la date du 18 novembre 2014 le point de départ des intérêts au taux légal portant sur la somme de 104 000 euros due par M. [I] à M. [X], l'arrêt, après avoir relevé que M. [I] avait reconnu, dans un acte du 18 janvier 2013, devoir cette somme à M. [X] qui « lui sera payée avant la date maximum du 30 juin 2015 », retient que M. [I] doit, en conséquence, être condamné à payer la somme de 104 000 euros à M. [X] assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 novembre 2014, date de l'assignation délivrée devant le tribunal valant mise en demeure.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la créance en litige n'était exigible qu'à compter du 30 juin 2015 et que l'intérêt au taux légal n'était, en conséquence, dû qu'à compter de cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3,alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

18. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

20. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de fixer au 30 juin 2015, date d'exigibilité de la dette, le point de départ de l'intérêt au taux légal portant sur la somme de 104 000 euros due par M. [I] à M. [X].

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne M. [I] à payer à M. [X] la somme de 104 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 novembre 2014, en exécution de la reconnaissance de dette, l'arrêt rendu le 29 novembre 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Condamne M. [I] à payer à M. [X] la somme de 104 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 30 juin 2015, en exécution de la reconnaissance de dette ;

Condamne M. [X] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [X] et le condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept novembre deux mille vingt-quatre.