CA Nîmes, 4e ch. com., 22 novembre 2024, n° 24/01180
NÎMES
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Société Internationale de Transit (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Divisia, Me Gregori, Me Bonan, Me Lestournelle
EXPOSÉ
Vu la déclaration de saisine du 2 avril 2024 de la cour en suite de l'arrêt du 30 août 2023 prononcé par la cour de cassation (pourvoi n°2210108) cassant et annulant en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 par la cour d'appel de Montpellier,
Vu l'avis du 9 avril 2024 de fixation de l'affaire à bref délai du 7 novembre 2024 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 12 septembre 2024 par Monsieur [J] [L], appelant et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 26 septembre 2024 par Monsieur [F] [L], Madame [O] [L], intimés et appelants incidents, la société internationale de transit (SIT) intimés et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu l'ordonnance du 9 avril 2024 de clôture de la procédure à effet différé au 31 octobre 2024.
***
La SA Société Intemationale de Transit (la SIT) a été créé en 1963 par [K] [L] avec pour objet social l'exercice d'activités de transport et de transit.
Monsieur [K] [L] est décédé le [Date décès 11] 2021 et le capital de la SIT est désormais réparti entre [J] [L] qui détient 43,36 % du capital, [F] et [O] [L] qui détiennent 56,64% du capital.
La SIT n'exerce plus d'activité commerciale depuis longtemps. Elle s'occupe de la gestion d'un patrimoine immobilier lui appartenant en propre ou détenu par une filiale à 80 %, la société civile immobilière les Mûriers.
Aux termes de la troisième résolution adoptée lors de l'assemblée générale mixte des actionnaires de la SIT du 26 juin 2014, le groupe des actionnaires majoritaires constitué de [K] [L], [F] [L] et [O] [L] épouse [S] (les consorts [L]) ont décidé d'affecter le bénéfice de 1'exercice clos le 31 décembre 2013 s'é1evant à 687 511 euros au poste «report à nouveau» pour la somme de 137 165 euros et aux réserves pour la somme de 550 346 euros.
S'estimant victime d'un abus de majorité, [J] [L] a, par exploit du 13 octobre 2014, fait assigner les consorts [L] et la SIT devant le tribunal de commerce de Marseille en vue d'obtenir l'annulation des assemblées générales des 25 juin 2013 et 26 juin 2014, l'annulation de la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014 ayant décidé l'affectation de la somme de 550 346 euros aux réserves et le versement d'une provision de 500 000 euros à valoir sur sa participation aux bénéfices.
Le tribunal de commerce de Marseille, par jugement du 3 septembre 2015 :
- s'est déclaré matériellement incornpétent pour qualifier les relations successorales existant entre [K] [L], d'une part, et ses enfants [J] [L], [F] [L] et [O] [L] épouse [S] et ce au profit du tribunal de grande instance de Marseille,
- a donné acte à la SIT de ce qu'elle s'en rapporte à justice sur les questions relatives au con'it entre ses associés,
- a débouté [J] [L] de toutes ses demandes, 'ns et conclusions relatives à l'affectation des bénéfices de la SIT,
- a condamné [J] [L] à payer aux consorts [L] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts,
- a condamné [J] [L] à payer aux consorts [L] la somme de 1200 euros, chacun, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Sur l'appel formé par Monsieur [J] [L], la cour d'appel d'Aix-en-Provence (8èmechambre C) a, par arrêt du 8 février 2018, in'rmé le jugement sauf en ce qu'il s'est déclaré incompétent pour connaître du litige successoral opposant les parties et en ce qu'il a débouté Monsieur [J] [L] de sa demande d'annulation de l'assemblée générale du 23 juin 2013 et, statuant à nouveau, a :
- annulé pour abus de majorité la troisième résolution de l'assemblée générale des actionnaires de la SIT du 26 juin 2014 ayant décidé l'affectation de 550 346 euros aux réserves
Y ajoutant,
- a rejeté la demande de provision à valoir sur la participation de Monsieur [J] [L] aux bénéfices et ses demandes subsidiaires aux mêmes fins.
La cour a également rejeté les autres demandes des parties, notamment celles fondées sur l'article 700 du code de procédure civile et a dit que chacune d'elles conservera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel.
Cet arrêt a été cassé et annulé le 10 juin 2020, sauf en ce que, confirmant le jugement du tribunal de commerce de Marseille du 3 septembre 2015, il déclare le tribunal de commerce incompétent pour connaître du litige successoral opposant les parties et rejette la demande d'annulation de l'assemblée générale du 23 juin 2013, aux motifs suivants :
"Vu l'article 1382, devenu 1240 du code civil :
4. Aux termes de ce texte, tout fait quelconque de l'homme, qui cause å autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer
5. Pour annuler la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014, l'arrêt, après avoir énoncé que la mise en réserve systématique, pendant de nombreuses années et sans projet d'investissement ou nécessité de gestion, des bénéfices d'une société est susceptible de caractériser un abus de majorité, 1orsqu'elle a pour effet de priver les actionnaires minoritaires de leur droit aux dividendes, retient que la vocation d'une société ayant une activité foncière est, en principe, de procurer un revenu périodique aux associés.
6. Relevant ensuite que la société SIT, qui a pour activité la gestion d'un patrimoine immobilier, n'a pas de crédit en cours ni de projet d'investissement, l'arrêt retient que si une gestion prudente peut justi'er la constitution de réserves au regard de l'éventualité d'une vacance prolongée des biens, les justifications avancées à cet égard par les consorts [L] en des termes très généraux et exempts de chiffrage ne permettent pas de rendre compte de la légitimité de la mise en réserve litigieuse, cependant que les réserves de la société s'élèvent déjà à la somme de 624 284 euros.
7. L'arrêt relève encore que les biens immobiliers appartenant à la société SIT sont donnés en location à une vingtaine de locataires différents et que le plus important des deux biens appartenant à la SCI Les Mûriers, sa 'liale, est loué au conseil régional, ce dont il déduit que la nécessité de se prémunir contre un risque de vacance massif et subi doit être fortement relatívisée et ne peut justi'er la constitution de réserves représentant plus de cinq fois le montant des charges externes de la société.
8. L'arrêt constate, en'n, que les disponibilités de la société s'élevaient, au 3 décembre 2013, à la somme de 744 249 euros, à rapprocher du montant des valeurs mobilières de placement, qui n'est que de 6 106 euros.
9. L'arrêt déduit de l'ensemble de ces énonciations, constatations et appréciations que la politique de mise en réserve suivie par la société SIT est une politique de pure thésaurisation, contraire à l'intérêt social, et qu'en privant ainsi M. [J] [L] de son droit au bénéfice, cependant qu'aucun dividende n'avait été distribué depuis de nombreuses années, les actionnaires majoritaires ont commis un abus.
10. En se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi la résolution litigieuse avait été prise dans 1'unique dessein de favoriser les consorts [L] au détriment de M. [J] [L], la cour d'appe1 a privé sa décision de base légale."
Désignée comme juridiction de renvoi, la cour d'appel de Montpellier a été saisie par Monsieur [J] [L] suivant déclaration du 21 juillet 2020.
Par arrêt du 12 octobre 2021, la cour :
« Réforme le jugement du tribunal de commerce de Marseille en date du 3 septembre 2015 en ce qu'il a débouté [J] [L] de toutes ses demandes, fins et conclusions relatives à l'affectation des bénéfices de la société SIT, condamné celui-ci à payer aux consorts [L] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts et condamné [J] [L] aux dépens, ainsi qu'à payer à chacun des défendeurs la somme de 1200 euros au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau de ces chefs,
Prononce l'annulation pour abus de majorité de la troisième résolution de l'assemblée générale des actionnaires de la SA Société Internationale de Transit (la société SIT) en date du 26 juin 2014 ayant décidé l'affectation de 550 346 euros aux réserves,
Déboute les consorts [L] de leur demande en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive,
Les condamne aux dépens de première instance.
Déboute les parties du surplus de leurs demandes formulées devant la cour de renvoi,
Condamne les consorts [L] et la société SIT aux dépens d'appel, y compris ceux afférents à la décision cassée, ainsi qu'à payer à [J] [L] la somme de 4000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile. »
Par arrêt du 30 août 2023, la cour de cassation « casse et annule en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 12 octobre 2021 entre les parties par la cour d'appel de Montpellier, remet l'affaire et les parties dans l'état où elle se trouvait avant l'arrêt et et les renvoie devant ia cour d'appel de Nimes, condamne M. [J] [L] aux dépens », aux motifs suivants :
« 5. Pour annuler pour abus de majorité, la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014, l'arrêt retient que la mise en réserve de la somme de 550 846 euros constitue. au préjudice de M. [J] [L], actionnaire minoritaire, une rupture d'égalité dès lors que les associés majoritaires bénéficient, par leurs fonctions de direction au sein de le société. de rémunérations ou d'avantages en nature, dont lui-même ne bénéficie pas au moment du vote de la résolution litigieuse, cependant que, détenant 43,36 % du capital social, il se trouvait privé de toute répartition de dividendes.
6. En se déterminant ainsi. sans constater que le montant des rémunérations versées aux actionnaires majoritaires et les avantages en nature dont ils bénéficiaient n'étaient pas justifiés au regard des fonctions de direction qu'ils exerçaient, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision . »
Désignée comme juridiction de renvoi, la cour d'appel de Nîmes a été saisie par Monsieur [J] [L] suivant déclaration du 2 avril 2024.
***
Dans ses dernières conclusions, Monsieur [J] [L], appelant, demande à la cour, au visa de la loi du 24 juillet 1966, de :
« Infirmer la décision dont appel.
Débouter les intimés de leur appel incident.
Débouter Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] et la SOCIETE INTERNATIONALE DE TRANSIT (SIT) de toutes leurs demandes.
Annuler l'assemblée générale du 26 juin 2014 pour abus de majorité.
À défaut Annuler pour abus de majorité la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014 ayant décidé l'affectation de 550.346 € aux réserves.
Constater que par une Assemblée Générale en date du 15 mai 2018 de la SIT il a été décidé de procéder à la distribution de dividendes de 550.346 € au titre de l'exercice 2013 et que les demandes suivantes sont devenues sans objet :
« Condamner la SIT à verser à Monsieur [J] [L] une provision de 500.000 € à valoir sur sa participation aux bénéfices.
Subsidiairement condamner sous astreinte de 5.000 € par jour de retard Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] à faire verser par la SIT à Monsieur [J] [L] (qui détient 43,36 % du capital) une provision de 500.000 € à valoir sur sa participation aux bénéfices.
A titre infiniment subsidiaire condamner Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] verser à Monsieur [J] [L] une provision de 500.000 € au titre de sa participation aux bénéfices dont il est actuellement privé. »
Condamner solidairement Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] et la SOCIETE INTERNATIONALE DE TRANSIT (SIT) à verser à Monsieur [J] [L] la somme de 50.000 € à titre de dommages et intérêts.
Condamner solidairement Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] et la SOCIETE INTERNATIONALE DE TRANSIT (SIT) à verser à Monsieur [J] [L] la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du CPC.
Condamner solidairement Monsieur [K] [L], Monsieur [F] [L], Madame [O] [L] épouse [S] et la SOCIETE INTERNATIONALE DE TRANSIT (SIT) aux dépens. »
Au soutien de ses prétentions, Monsieur [L] expose que seuls [K], [O] et [F] [L] tirent profit de leur participation au capital de la SIT car ils disposent de rémunérations et d'avantages en nature qui ne sont pas justifiés, la seule activité de la SIT consistant en la perception de loyers. Il fait valoir que n'exerçant aucune fonction au sein de la société, il ne retire rien de sa détention de 43,36% du capital. Alors que les recettes de la SIT sont de l'ordre de 700 000 euros par an, qu'elle n'a aucun emprunt à rembourser, elle a des charges annuelles ' dont certaines de pure convenance ' de l'ordre de 180 000 euros. Monsieur [L] en déduit que l'externalisation de la gestion du patrimoine en faisant appel à un administrateur de biens permettrait d'économiser environ 140 000 euros par an mais que cette option a été rejetée lors de l'assemblée générale du 28 juin 2018. Il prétend que les réserves de la SIT n'ont pas de justification au regard de l'objet social, l'activité ou les perspectives de la société, qui ne fait que poursuivre son activité et assurer la gestion de ses participations.
Il considère que la mise en réserve systématique des bénéfices favorise les consorts [L] à son détriment car il ne bénéficie d'aucune somme en provenance de la société et ses actions étant détenues en avance d'hoirie, la dette de Monsieur [J] [L] s'accroit dans la succession de son père du fait de la mise en réserve de sommes qui augmente la valeur de la société.
Monsieur [L] s'oppose aux demandes reconventionnelles des intimés qui ne sont pas justifiées, la demande de provision s'apparentant à une pression exercée à son encontre et l'abus de procédure n'étant pas démontré.
Il admet que la dissolution en cours de la SIT fait perdre de son intérêt à la décision de refus de distribution des dividendes mais il reste à examiner les demandes croisées de dommages-intérêts, ce qui implique de se prononcer sur l'abus de majorité. Il n'y a donc aucune intention de nuire de sa part.
Dans ses dernières conclusions, Monsieur [F] [L] et Madame [O] [L], intimés et appelants incidents, la SIT, intimée, demandent à la cour de :
« CONSTATER que les demandes de [J] [L] devant la Cour sont limitées à l'annulation de l'assemblée générale du 26 juin 2014 pour abus de majorité et à défaut à l'annulation de la troisième résolution de l'assemblée générale du 26 juin 2014,
- CONFIRMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 3 septembre 2015 en toutes ses dispositions, à l'exception du montant indemnitaire retenu au bénéfice de Madame [O] [L] , de Monsieur [F] [L] et de la Société Internationale de Transit
- DEBOUTER M. [J] [L] de toutes demandes à l'encontre de la SIT qui s'en rapporte à Justice sur les demandes relatives à l'abus de majorité,
Y ajoutant,
ACCUEILLIR L'APPEL INCIDENT de Mme [O] [L] et de M. [F] [L],
Y faire droit,
REFORMER le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de Marseille le 3 septembre 2015 sur le montant indemnitaire accordé :
- CONDAMNER [J] [L] à verser à [O] [L] et à [F] [L] une somme globale et forfaitaire d'un montant de 100.000€ à titre de dommages-intérêts pour le maintien d'une procédure particulièrement abusive,
- LE CONDAMNER au paiement d'une somme de 6.000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile au profit de [O] [L] et de [F] [L],
- LE CONDAMNER au paiement d'une somme de 3.000 € au profit de la Sté SIT en liquidation au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile,
- LE CONDAMNER aux entiers dépens distrait au profit de ELEOM SELARL ROCHELEMAGNE GREGORI HUC-BEAUCHAMPS. »
Au soutien de leurs prétentions, les consorts [L] et la SIT exposent que Monsieur [J] [L] a exercé par le passé les fonctions de directeur général et qu'il percevait lui aussi des rémunérations alors que l'activité de la SIT était identique, au demeurant supérieures à celles de Madame [O] [L] exerçant pourtant la double activité de présidente et de directrice générale. De même, Monsieur [J] [L] se faisait rembourser ses frais et il a entériné en assemblée générale l'occupation d'une villa appartenant à la SIT par son père.
Les consorts [L] soutiennent que l'activité de transit de la SIT n'a pas été abandonnée, même si elle a développé une activité immobilière importante. Ils contestent le montant des recettes indiqué par l'appelant et indiquent que les revenus de la SIT se situent dans une fourchette allant de 217 000 euros au 30 septembre 2014 à 277 000 euros au 30 septembre 2018. En outre, des emprunts significatifs ont été contractés et l'activité de gestionnaire de biens locatifs nécessite des diligences. Des locataires de biens commerciaux ont donné congé et des procédures de contestation de loyers commerciaux sont en cours.
Les consorts [L] estiment, au vu des résultats de la SIT, que la stratégie de mise en réserve a été payante car elle a permis de valoriser et de stabiliser la société dans un souci de pérennité. Ils remarquent que cette politique prudente a permis à Monsieur [J] [L] de recevoir une soulte lors du règlement de la succession.
Ils rappellent qu'il n'y a abus de majorité que si la décision adoptée par les actionnaires majoritaires est contraire à l'intérêt social et a été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des autres actionnaires. Or, la décision de report à nouveau et/ou un compte de réserve bénéficie à chacun des actionnaires qui retrouveront leur part de bénéfices lorsqu'ils seront distribués. Cette décision est conforme à l'article 41 des statuts, à l'intérêt social eu égard à la période difficile sur le plan économique du secteur de l'immobilier. Les intimés se réfèrent à l'assemblée générale mixte du 26 juin 2019 au cours de laquelle il a été fait état d'une incertitude de paiement des loyers par un preneur à bail important et du départ du Conseil Régional qui payait un loyer annuel HT de 54 652 euros, au montant des charges courantes représentant 3 330 475 euros pour la SIT et la SCI des Mûriers sur 5 ans pour démontrer leur saine gestion de la société.
Ils ajoutent que par délibération du 31 janvier 2023, l'assemblée générale mixte de la SIT a décidé de sa dissolution et a désigné Madame [O] [L] en qualité de liquidatrice. L'assemblée générale mixte a également décidé la distribution exceptionnelle d'un dividende de 900 000 euros et la liquidation a libéré un acompte sur boni de liquidation d'un montant de 1 500 000 euros suivant décision du 6 novembre 2023. Une nouvelle assemblée générale du 25 juillet 2024 a décidé une nouvelle distribution d'un acompte sur boni de liquidation de 2 100 000 euros. Monsieur [J] [L] qui détient 43,36% du capital, a donc reçu la somme de 1 955 700 euros. Selon les consorts [L], leur frère ne maintient donc cette procédure que pour leur nuire et c'est la raison pour laquelle il doit payer des dommages-intérêts d'un montant de 100 000 euros à ses associés.
La SIT précise toutefois qu'elle s'en rapporte à justice sur l'abus de majorité mais conclut au déboutement de Monsieur [J] [L] sur sa demande de condamnation solidaire à son égard.
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Il y a abus de majorité si la décision adoptée par les actionnaires majoritaires est contraire à l'intérêt social et a été prise dans l'unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment de l'actionnaire minoritaire. C'est pourquoi la mise en réserve systématique des bénéfices privant un actionnaire minoritaire du versement de dividendes est en soi insuffisante à caractériser un abus de majorité.
L'intérêt social de la SIT :
L'article 41 (et non 44) des statuts de la SIT relatif à l'affectation des résultats dispose que « l'assemblée générale ordinaire annuelle peut prélever sur le béné'ce distribuable toutes sommes qu'elle juge convenables de fixer pour les reporter à nouveau ou pour les porter à tous fonds de réserve ».
L'assemblée générale du 26 juin 2014 a décidé d'affecter le bénéfice de l'cxercice 2013 pour 135 165 euros au compte « report à nouveau '' et pour 550 346 euros aux réserves, étant observé que l'exercice 2012 s'était soldé par une perte de 137 165 euros affectée au compte « report à nouveau '' et que du fait de l'affectation d'une somme équivalente provenant du bénéfice réalisé en 2013, le solde débiteur du compte a ainsi été régularisé.
Le rapport de gestion présentée à l'assemblée générale le 26juin 2014 ne contient aucune indication sur les raisons pour lesquelles la somme de 550 346 euros devrait être affectée aux réserves, alors que le compte « autres réserves '' au passif du bilan s'élevait déjà à 624 284 euros à la clôture de l'exercice 2012 et qu'il était donc proposé de porter ce compte à 1 174 630 euros au bilan 2013.
Il n'est pas discuté que depuis les années 2000, la SIT a pour activité principale la gestion d'un important patrimoine immobilier, qu'elle possède personnellement ou que détient la SCI les Mûriers, sa 'liale à 80 %. Cette activité est conforme à l'article 3 des statuts qui prévoit, entre autres, que la société a pour objet, « à titre de placement, la propriété et/ou la jouissance, l'exploitation ou la gestion de tous biens et droits immobiliers situés en France ou à l'étranger' »
À l'examen du bilan et du compte de résultat afférents à l'exercice 2013, il apparaît que la SIT totalise une somme de 180 685 euros de dettes financières et que ses principales charges d'exploitation sont constituées par des charges externes pour 182 758 euros et des charges de personnel (salaires et charges sociales) pour 196 154 euros, sachant que les charges de personnel représentent près de 40 %, du chiffre d'affaires de la société s'élevant à 502 926 euros . A ce chiffre d'affaires, s'ajoutent des produits financiers pour 732 372 euros. L'excédent brut d'exploitation a été évalué en 2013 à la somme de 65 276 euros et la capacité d'autofinancement de la SIT a été portée à 760 408 euros cette même année.
Il ressort du procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 20 décembre 2011 que le bénéfice de l'exercice clos le 31 décembre 2010 décide d'affecter le bénéfice de l'exercice (47 508 euros) au poste « autres réserves ».
Le procès-verbal de l'assemblée générale mixte du 11 septembre 2012 affecte le bénéfice de l'exercice clos le 31 décembre 2011 (175 104 euros) au poste « autres réserves ».
La mise en réserves de 550 346 euros décidée par l'assemblée générale du 26 juin 2014, alors que le montant des réserves précédemment constituées s'élevait déjà à 624 284 euros, ne se trouve justifiée ni pour faire face à un endettement particulier, ni pour réaliser un investissement déterminé.
Cette mise en réserve systématique des béné'ces participe d'une politique de thésaurisation au regard de l'activité de la société, réduite à la simple gestion d'un patrimoine immobilier, bien que les consorts [L] fasse état d'une persistance de l'activité de transit, dont ils ne justifient d'ailleurs pas. Le risque évoqué par les consorts
[L] d'une vacance des locaux industriels ou à usage de bureaux loués en cas de cessation d'actívité des locataires ou de mévente de ces locaux à un prix conforme à leur prix d'achat ou leur prix de revient, n'est que purement hypothétique durant ces années. Il n'y a d'ailleurs aucune provision pour risques ou charges dans l'exercice 2013. Les litiges mentionnés par les consorts [L] sont exposés dans le procès-verbal d'assemblée générale du 26 juin 2019 et conduisent au départ du locataire Intertitan en 2019 et du locataire Conseil Régional en 2020. L'assemblée générale décide alors d'affecter le bénéfice de l'exercice clos le 31 décembre 2018 au poste « autres réserves » qui s'élève, après affectation à la somme de 1 562 129 euros alors même qu'il avait été distribué aux actionnaires la somme de 550 346 euros en exécution de l'arrêt prononcé par la cour d'appel d'Aix en Provence. L'intérêt d'une mise en réserve systématique n'est donc pas démontré.
Il est ainsi démontré que la gestion de la SIT excède la qualification de prudente et relève d'une thésaurisation contraire à l'intérêt social puisqu'aucun investissement n'est réalisé, ne serait-ce que pour moderniser le parc immobilier afin de prévenir tout risque de litige, et que nul projet n'est même esquissé. Aucun placement n'est effectué alors que la SIT, dont les charges externes ne représentent que 15 % du montant des réserves ainsi constituées, dispose de disponibilités à hauteur de 744 249 euros au vu du bilan de l'exercice 2013.
La décision adoptée par les actionnaires le 26 juin 2014 d'affecter les bénéfices au poste « autres réserves était ainsi manifestement contraire à1'intérêt social. Il importe peu que par le passé, alors qu'il était lui-même directeur général de la SIT, Monsieur [J] [L] ait voté la mise en réserve d'une partie des béné'ces. Ces décisions ont eu pour conséquence de constituer des réserves suffisantes, qu'il convenait de cesser d'abonder en 2014.
Sur la rupture d'égalité :
Ainsi que le soutiennent les consorts [L], la décision d'affecter aux réserves une partie importante du béné'ce de l'exercice 2013 concerne 1'ensemble des actionnaires, majoritaires comme minoritaires. La valorisation de la société se fait également au bénéfice de tous les associés.
Il est établi, par les pièces produites, que Monsieur [J] [L] ne retire de la société aucun avantage particulier, distinct du droit de participer, comme tout actionnaire, à la répartition du bénéfice décidée par l'assemblée générale, par la perception de dividendes.
Madame [O] [L] épouse [S], administratrice de la société et nommée aux fonctions de président du conseil d'administration et de directeur général de celle-ci lors d'une réunion du conseil d'administration du 24 juin 2011, perçoit une rémunération, qui était de 58 766 euros en 2013, hors les remboursements de frais.
Son frère [F] [L], administrateur et salarié de la société, dispose d'une rémunération, chiffrée à 45 522 euros en 2013 plus les remboursements de frais.
Monsieur [J] [L] énonce que la famille [L] inclut dans les charges externes des dépenses de pure convenance mais l'achat de documentation générale se justifie au regard de l'activité de la société, tout comme des frais de chien de garde afin de protéger le parc immobilier, les cadeaux à la clientèle afin de la fidéliser. Il n'est pas davantage démontré que les frais de déplacement, les réceptions et les frais de téléphone/internet soient de pure convenance. Enfin, le montant des rémunérations versées à Madame [L] et à Monsieur [F] [L] ainsi que les avantages en nature dont ils bénéficiaient n'apparaissent pas discordants au regard des fonctions de direction et d'administration qu'ils exerçaient. En tout état de cause, Madame [O] [L] détenait 0,12% du capital et Monsieur [F] [L] 2,52% du capital en 2014.
Il en va différemment pour Monsieur [K] [L], qui détenait en 2014, 2700 actions, soit 54% du capital. Il était ainsi l'actionnaire majoritaire de la SIT.
Monsieur [K] [L], né le [Date naissance 12] 1932 ' et décédé le [Date décès 11] 2021- avait dépassé la limite d'âge de 65 ans pour être président directeur général de la SIT. En conséquence, par procès-verbaux de l'assemblée générale ordinaire et du conseil d'administration du 24 juin 2011, Monsieur [K] [L] a été nommé administrateur et la direction de la société a été confiée à Madame [L].
Monsieur [K] [L] occupait une villa avec piscine, propriété de la SIT, située [Adresse 6] à [Localité 14], sans contrepartie avérée depuis le 24 juin 2011. En effet, le procès-verbal du conseil d'administration du [Date décès 11] 1985 allouait un logement de fonction à Monsieur [K] [L], en sa qualité de président directeur général. Il est indifférent que jusqu'au 24 juin 2011, [J] [L] ait lui-même bénéficié d'un tel avantage en nature en tant que directeur général de la société, car tel n'était plus le cas en 2014.
Le bien immobilier situé dans le 15ème arrondissement était, selon les intimés, situé dans un quartier extrêmement sensible nécessitant du gardiennage. Il est composé de divers bâtiments dont une partie est louée.
Le bâtiment 3 (pièce 1 de l'appelant) est constitué d'un bâtiment d'habitation de 450 m2 avec parc arboré de 3 000 m2.
L'ensemble immobilier d'une superficie de 10 306 m2est valorisé à 1 740 000 euros.
Ce n'est donc pas Monsieur [K] [L], âgé de plus de 80 ans, qui pouvait en assurer le gardiennage, comme soutenu par les intimés'
Le 25 avril 2014, la SIT déclare un avantage en nature accordé à Monsieur [K] [L] pour un montant de 4 500 euros, au titre de l'exercice 2013, constitué par l'occupation de ce logement.
L'avantage en nature dont bénéficiait Monsieur [K] [L], déclaré pour une somme extrêmement modique n'étaient pas justifié au regard de la fonction d'administrateur qu'il exerçait.
Ainsi, la mise en réserves de la somme de 550 346 euros au titre de 1'exercice 2013, décidée lors de l'assemblée générale du 26 juin 2014, est non seulement contraire à 1'intérêt social, mais est également constitutive, au préjudice de [J] [L], actionnaire minoritaire, d'une rupture d'égalité des lors que Monsieur [K] [L], actionnaire majoritaire béné'ciait d'un avantage en nature injustifié au regard de sa fonction d'administrateur de la SIT.
Cette résolution a été prise dans l'unique dessein de favoriser l'actionnaire majoritaire [K] [L] (54% du capital social), disposant d'un avantage en nature dénué de réelle contrepartie, au détriment de l'actionnaire minoritaire [J] [L] (43,6% du capital social) qui se trouvait privé de toute répartition des dividendes.
Il y a lieu en conséquence de réformer le jugement rendu le 3 septembre 2015 par le tribunal de commerce de Marseille et de prononcer l'annulation ' non de l'assemblée générale dont les autres résolutions ne sont pas contraires à l'intérêt social de la SIT ' mais de sa troisième résolution ayant décidé de l'affectation de 550 346 euros aux réserves.
Sur les demandes de dommages-intérêts :
Monsieur [J] [L] ne justifie pas d'un préjudice distinct de celui découlant de la résolution dont l'annulation est prononcée, ne motivant aucunement sa demande de dommages intérêts d'un montant de 50 000 euros et ne produisant aucune pièce de nature à l'étayer. Il doit donc en être débouté.
Dès lors qu'il est fait droit à la demande d'annulation de la troisième résolution, le jugement déféré sera infirmé en ce qu'il a condamné Monsieur [J] [L] à payer 30 000 euros de dommages intérêts aux consorts [L] pour procédure abusive, la demande incidente des consorts [L] en paiement de la somme de 100 000 euros de ce chef devant être rejetée pour les mêmes raisons.
Sur les frais de l'instance :
Succombant en leurs prétentions, les consorts [L] sont condamnés aux dépens de première instance et d'appel. L'équité commande en outre qu'ils soient condamnés à payer la somme de 4 000 euros à Monsieur [J] [L].
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté [J] [L] de toutes ses demandes, 'ns et conclusions relatives à l'affectation des bénéfices de la SIT, a condamné [J] [L] à payer aux consorts [L] la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts, a condamné [J] [L] à payer aux consorts [L] la somme de 1200 euros, chacun, au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, a condamné Monsieur [J] [L] aux dépens,
Et statuant à nouveau,
Prononce l'annulation pour abus de majorité de la troisième résolution de l'assemblée générale des actionnaires de la SA Société Internationale de Transit du 26 juin 2014 ayant décidé de l'affectation de 550 346 euros,
Déboute Monsieur [J] [L] de sa demande de dommages-intérêts,
Déboute Madame [O] [L], Monsieur [F] [L] et la SIT de leurs demandes de dommages intérêts,
Condamne Madame [O] [L] et Monsieur [F] [L] aux dépens de première instance et d'appel et à payer à Monsieur [J] [L] une somme de 4 000 € par application de l'article 700 du code de procédure civile.