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Décisions

CA Versailles, ch. com. 3-2, 26 novembre 2024, n° 23/02412

VERSAILLES

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guerlot

Vice-président :

M. Roth

Avocats :

Me Portet, Me Vaucanson, Me Dupuis, Me Bessis, Me Cycman, Me Dumont, Me Sleiman, Me Thomas

TJ Versailles, du 10 janv. 2023, n° 19/0…

10 janvier 2023

EXPOSE DU LITIGE

Le 13 octobre 2016, M. [F], exerçant la profession de chirurgien-dentiste, a constitué la SELARL de chirurgiens-dentistes des Ecrins (ci-après société des Ecrins), au capital social de 7 500 euros, divisé en 7 500 parts sociales qui lui ont été attribuées. M. [F] a été nommé gérant de cette société ayant son siège social à [Localité 14] (78).

Le 12 janvier 2017, M. [F] a cédé à M. [G], exerçant la même profession, une part sociale de la société des Ecrins ; M. [G] en a alors été nommé co-gérant.

Le 24 janvier 2017, M. [F] a créé une société de participations financières de professions libérales (SPFPL), dénommée SPFPL de chirurgiens-dentistes Queyras (ci-après société Queyras), au capital social de 5 000 euros.

Le 6 septembre 2017, une assemblée générale extraordinaire de la société des Ecrins a agréé la cession de 7 490 parts sociales détenues par M. [F] au profit de la société Queyras.

Fin septembre 2017, suite à des désaccords entre MM. [F] et [G], ce dernier a cessé son activité dans la société des Ecrins.

Le 14 novembre 2017, la commission de conciliation de l'ordre départemental des chirurgiens-dentistes des Yvelines s'est réunie à la demande de M. [G], sans toutefois parvenir à une conciliation. Le 15 novembre 2017, M. [G] a déposé plainte contre M. [F] devant le conseil départemental des Yvelines de l'ordre des chirurgiens-dentistes (CDO 78) qui a transmis à la chambre disciplinaire d'Ile de France. Par décisions de cette chambre du 27 juin 2019, MM. [F] et [G], ainsi que la société des Ecrins ont été condamnés, chacun à des sanctions d'interdiction d'exercice de la profession pour une durée d'un an ferme. Ces décisions ont été confirmées par la chambre nationale de discipline et le pourvoi formé devant le Conseil d'Etat a été rejeté.

Entre septembre 2017 et octobre 2018, Mmes [U], [I], [M] et M. [B] [L] ont intégré la société des Ecrins en tant que collaborateurs ou associés.

Le 28 novembre 2018, une assemblée générale extraordinaire a constaté qu'en raison de la démission de M. [G], celui-ci avait perdu ses droits d'associé. Elle a agréé le rachat de la part sociale de M. [G] par la société des Ecrins.

Les 21, 26, 27, 28 août et 6 septembre 2019, M. [G] a assigné la société des Ecrins, M. [F], le CDO 78, la société Queyras, M. [B] [L] et Mmes [I], [U] et [M] devant le tribunal judiciaire de Versailles.

Le 10 janvier 2023, par jugement contradictoire, le tribunal judiciaire de Versailles a :

- déclaré irrecevables les demandes présentées par M. [G] tendant à voir prononcer la nullité des assemblées générales extraordinaires et des cessions de parts sociales, révoquer M. [F] de ses fonctions de gérant, et nommer un administrateur provisoire ;

- débouté M. [G] de sa demande de dommages-intérêts pour préjudice moral du fait de conclusions insultantes ;

- débouté les sociétés des Ecrins et Queyras et MM. [F] et [B] [L] de leur demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- condamné M. [G] aux dépens, comprenant les dépens d'exécution, dont distraction au profit de la société Lexavoue Paris-Versailles ;

- condamné M. [G] à verser aux sociétés des Ecrins et Queyras et MM. [F] et [B] [L] la somme de 1 000 euros chacun, à Mmes [U], [I] et [M] la somme de 1 000 euros chacune et au CDO 78 celle de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- rejeté la demande présentée par le CDO 78 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre des sociétés des Ecrins et Queyras et de MM. [F] et [B] [L] ;

- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire du présent jugement ;

- rejeté toutes autres demandes plus amples ou contraires.

Le 12 avril 2023, M. [G] a interjeté appel de ce jugement en tous ses chefs de disposition, à l'exception du rejet de la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, et de la demande présentée par le CDO 78 sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile à l'encontre des sociétés des Ecrins et Queyras et de MM. [F] et [B] [L].

Par dernières conclusions du 14 août 2024, il demande à la cour de :

- le recevoir en son appel et le déclarer bien-fondé ;

- infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

- prononcer et ordonner la nullité des actes suivants, passés en violation de ses droits d'associé et surtout du fait des fausses mentions inscrites dans ces actes :

après avoir rappelé qu'il était au 6 septembre 2017 associé et co-gérant de la société des Ecrins et qu'il n'a jamais été informé ou même convoqué à l'assemblée générale extraordinaire qui se serait prétendument tenue le 6 septembre 2017, la cour jugera que le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire du 6 septembre 2017, que la convention de cession de parts sociales intervenue entre M. [F] et la société Queyras en date du 11 septembre et que les statuts mis à jour le 6 septembre 2017 sont des faux documents ;

la cour fera donc droit à sa demande de juger nuls et nuls d'effet le procès-verbal d'assemblée générale extraordinaire ayant agréé la cession de parts sociales entre M. [F] et la société Queyras en date du 6 septembre 2017, la convention de cession de parts sociales intervenue entre M. [F] et la société Queyras en date du 11 septembre et les statuts mis à jour le 6 septembre 2017 ;

la nullité de la cession de parts sociales intervenue le 13 octobre 2017 entre M. [F] et Mme [I] ;

la nullité de la cession de parts sociales intervenue entre MM. [F] et [B] [L] le 30 mars 2018 ;

la nullité de la cession de parts sociales intervenue entre M. [F] et Mme [M] le 30 mars 2018 ;

la nullité de la cession de parts sociales intervenue entre M. [F] et Mme [U] ;

la nullité de l'assemblée générale extraordinaire du 28 novembre 2018 ayant agréé le rachat de sa part sociale par la société des Ecrins, et, en conséquence, la nullité du rachat de sa part sociale par la société des Ecrins ;

- révoquer M. [F] de ses fonctions de gérant de la société des Ecrins et, en conséquence ;

- nommer un administrateur provisoire ayant pouvoir de gérer la société des Ecrins ;

- débouter M. [F], les sociétés des Ecrins et Queyras, le CDO78, Mmes [M], [I], [U] et M. [B] [L] de toutes leurs demandes ;

- dire et juger que c'est bien M. [F] qui a mis fin à son exercice professionnel au sein de la société des Ecrins ;

- condamner M. [F], les sociétés des Ecrins et Queyras, le CDO78, Mmes [M], [I], [U] et M. [B] [L] à lui verser chacun la somme de 3 000 euros de dommages et intérêts pour le préjudice moral qu'il subit par des conclusions insultantes ;

- condamner le CDO 78 à lui verser la somme de 10 000 euros en dommages et intérêts pour le préjudice moral qu'il subit du fait des mensonges et manipulations de cette institution ;

- condamner M. [F], les sociétés des Ecrins et Queyras, le CDO 78, Mmes [M], [I], [U] et M. [B] [L] à lui verser chacun la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [F], les sociétés des Ecrins et Queyras, le CDO 78, Mmes [M], [I], [U] et M. [B] [L] aux entiers dépens.

Par dernières conclusions du 26 octobre 2023, les sociétés des Ecrins et Queyras et M. [F] demandent à la cour de :

Sur l'appel principal,

- déclarer irrecevable et mal fondé l'appel principal interjeté par M. [G], et en conséquence :

- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et notamment en ce qu'il a déclaré irrecevables les demandes présentées par M. [G] tendant à voir prononcer la nullité des assemblées générales extraordinaires et des cessions de parts sociales, révoquer M. [F] de ses fonctions de gérant et nommer un administrateur provisoire ;

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné M. [G] à leur payer la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Subsidiairement au fond,

Et pour le cas où, par extraordinaire, la cour d'appel réformerait le jugement déféré et ne prononcerait pas le défaut de qualité à agir de M. [G],

- juger la demande d'annulation des assemblées générales des 6 septembre 2017 et 28 novembre 2018 et des cessions de parts consécutives, infondée ;

- juger les demandes de révocation du mandat de gérant et de désignation d'un administrateur provisoire également infondées ;

En conséquence,

- débouter M. [G] de toutes ses demandes formulées sur ces points ;

Sur l'appel incident,

- juger que la procédure engagée par M. [G] est abusive ;

- faire droit à leurs demandes reconventionnelles ;

- condamner M. [G] à verser à chacun d'entre eux la somme de 25 000 euros, à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, en réparation des préjudices qui sont la conséquence d'une procédure manifestement abusive ;

- condamner M. [G] à verser à chacun des concluants la somme de 10 000 euros, au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [G] aux entiers dépens, en ce compris notamment les frais d'exécution.

Par dernières conclusions du 25 octobre 2023, le CDO 78 demande à la cour de :

A titre principal :

- déclarer recevable l'appel formé par M. [G] ;

- déclarer irrecevables les conclusions signifiées par M. [G] ;

- confirmer le jugement entrepris ;

A titre reconventionnel,

- déclarer recevable et fondée sa demande reconventionnelle de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral au nom des personnes morales et physiques dont il défend les intérêts moraux ;

- condamner M. [G] à lui verser la somme de 5 000 euros ;

En tout état de cause,

- débouter M. [G] de l'ensemble de ses demandes ;

- confirmer la condamnation de M. [G] à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [G] à lui payer une indemnité de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner M. [G] aux entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel dont distraction au profit de la société Lexavoué Paris-Versailles ;

- dire que ceux d'appel pourront être recouvrés directement par lui conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par dernières conclusions du 26 octobre 2023, M. [B] [L] ainsi que Mmes [U], [I] et [M] demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement du 10 janvier 2023 ;

- débouter M. [G] de toutes ses demandes ;

- condamner M. [G] à payer la somme de 5 000 euros à M. [B] [L], au titre des frais irrépétibles d'appel, outre les entiers dépens de l'instance.

La clôture de l'instruction a été prononcée le 5 septembre 2024.

Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures susvisées.

MOTIFS

1 - sur la recevabilité des demandes formées par M. [G]

M. [G] sollicite l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu son défaut de qualité à agir en nullité des assemblées et des cessions de parts, au motif que, par application de l'article 12 des statuts, il avait perdu l'exercice de ses droits d'associés avant la tenue des assemblées. Il soutient que l'article 12.2 des statuts - évoquant la perte de l'exercice des droits d'associé (et notamment le droit de solliciter la nullité d'une assemblée) - n'est applicable que lorsque la cessation d'activité incombe à l'associé, et non pas lorsque cette cessation lui est imposée comme c'est le cas le concernant. Il fait valoir qu'il n'a jamais voulu cesser son activité, mais qu'il a été " renvoyé " ou " licencié " par M. [F], ce dernier lui reprochant de ne pas vouloir s'associer à ses actes délictueux (emploi de salariés syriens ne disposant pas de diplômes reconnus en France). Il ajoute que, contrairement aux dispositions de l'article R. 4113-19 du code de la santé publique, il n'a jamais notifié à la société, par courrier recommandé, la cessation de son activité, ce qui empêche également de retenir une volonté de sa part en ce sens. Il indique enfin qu'il n'a fait l'objet d'aucune décision d'exclusion de la société.

M. [F] et les sociétés Queyras et des Ecrins sollicitent la confirmation du jugement en ce qu'il a retenu que M. [G] n'avait pas, au regard de la perte de sa qualité d'associé résultant des dispositions statutaires, qualité pour agir en nullité des assemblées générales ou en révocation du gérant. Ils soutiennent que, par application des dispositions statutaires, M. [G] a bien perdu - dès le 20 septembre 2017, date de sa démission - l'exercice des droits attachés à la part sociale qu'il détenait.

Mmes [U], [I], [M] et M. [B] [L] invoquent également le défaut de qualité à agir de M. [G], indiquant que la perte de l'exercice des droits découle de toute cessation d'activité, peu important l'origine de cette cessation.

Le CDO 78 sollicite la confirmation du jugement quant à l'irrecevabilité des demandes de M. [G].

Réponse de la cour

Il résulte des articles 31 et 32 du code de procédure civile que l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

L'article 1869 du code civil dispose que, sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ('). A moins qu'il ne soit fait application de l'article 1844-9 al. 3, l'associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d'accord amiable, conformément à l'article 1843-4.

En principe, la perte de la qualité d'associé ne peut être préalable au remboursement de la valeur de ses droits sociaux. Il est toutefois possible de prévoir dans les statuts, qui constituent le contrat accepté par les parties, que l'associé qui cesse toute activité perd, dès ce moment-là, l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détient. (notamment Com. 8 décembre 2015, pourvoi n° 14-19.261).

Il résulte enfin de l'article 12-2 al.4 des statuts de la société des Ecrins que : " tout associé professionnel intérieur [= chirurgien-dentiste exerçant son activité au sein de la société] qui cesse définitivement d'exercer sa profession au sein de la société, sans mettre fin à toute activité professionnelle, comme tout associé professionnel frappé d'une interdiction définitive d'exercer la profession, perd dès ce moment l'exercice des droits attachés aux parts qu'ils détiennent (sic). En tout état de cause conformément à l'article R. 4113-19 du code de la santé publique, l'associé doit informer la société par lettre recommandée avec avis de réception de la cessation de son activité professionnelle au sein de la société en respectant le délai de préavis de 6 mois. Il doit en informer le Conseil départemental de l'Ordre. Leurs (sic) parts sont rachetées au pair à la diligence de la gérance. ('). "

L'article R. 4113-19 du code de la santé publique dispose que l'associé peut, à la condition d'en informer la société par lettre recommandée avec avis de réception, cesser l'activité professionnelle qu'il exerce au sein de cette société. Il respecte le délai fixé par les statuts sans que ce délai puisse excéder six mois à compter de la notification relative à la cession d'activité. Il avise le conseil départemental de l'ordre de sa décision.

En l'espèce, il n'est pas discuté que l'action en nullité des assemblées générales ne pouvait être exercée par M. [G] qu'à condition que ce dernier dispose, à la date des assemblées, de la qualité d'associé, ce dernier soutenant qu'il disposait toujours de cette qualité dès lors que l'article 12.2 ne lui est pas applicable dès lors que sa cessation d'activité lui a été imposée.

La cour note en premier lieu que, s'agissant de l'assemblée du 6 septembre 2017, M. [G] disposait bien de la qualité d'associé à cette date, puisqu'il ne l'a perdu que le 21 septembre 2017. Il est donc recevable, contrairement à ce qu'a décidé le tribunal, à agir en nullité de cette assemblée, ainsi qu'il sera examiné plus avant.

S'agissant des autres assemblées d'octobre 2017, mars et novembre 2018, les premiers échanges de SMS ou courriels semblent établir une volonté de M. [G] de cesser son activité. Ce dernier indique ainsi par SMS du 21 septembre 2017, suite à un déjeuner de la veille en compagnie de M. [F] (dans un restaurant japonais) : " je n'ai pas trouvé de solution pour continuer ensemble ". Le 25 septembre à 14 h 56, M. [G] indique : " j'aimerais passer ce jeudi en début d'après-midi pour te rendre les clefs du cabinet, récupérer le matériel de lingual que j'ai apporté, et récupérer mon salaire de septembre, est-ce possible ' d'autre part, je n'ai pas reçu le courrier de rupture, il me le faut avant jeudi. " M. [F] répond le même jour à 15 h 10 : " oui, c'est ok pour jeudi 13h 30. Beh, c'est pas moi qui t'ai dit de quitter le cabinet. Bonne après-midi ".

Le lendemain, 26 septembre, M. [G] écrit : " si tu ne veux pas que je reprenne mon travail au sein de la SELARL, fais-moi un mail pour me le signifier clairement, sans cela je serai demain matin à mon poste de travail". M. [F] lui répond le lendemain matin : " conformément à l'entretien au restaurant japonais de la semaine dernière, j'ai pris acte que tu voulais mettre un terme à notre collaboration, et j'ai donc pris mes dispositions en la matière dès la semaine passée. Je te remercie de ta proposition de revenir, mais ce n'est pas la peine que tu reviennes. Je te libère des 3 mois de préavis conformément aux statuts de la SELARL. ".

Le fait que M. [F] ait ensuite dit à M. [G] qu'il n'avait pas à travailler le 27 septembre et qu'il lui ait demandé de ne plus venir au cabinet ne peut être interprété comme une exclusion de ses fonctions d'associé, alors même que M. [G] avait clairement manifesté, dès le 21 septembre, une impossibilité " de continuer ensemble ". En outre, M. [F] a indiqué à M. [G] ne pas lui avoir demandé de quitter le cabinet, ce que ce dernier n'a pas contesté, exerçant simplement une forme de pression en menaçant de reprendre son activité (ce qui signifie qu'il l'avait arrêtée) s'il n'obtenait pas un courriel lui signifiant la non-reprise de son activité.

Il n'est ainsi justifié d'aucun " renvoi " ou exclusion de M. [G] en sa qualité d'associé, ce qui, en tout état de cause serait contraire au principe selon lequel tout associé a le droit fondamental de faire partie de la société aussi longtemps qu'il le désire. L'associé ne peut être exclu, ni contraint de céder ses parts contre son gré par ses coassociés, sauf application de clauses légales ou statutaires d'exclusion. En l'espèce, l'article 12.2 al.2 des statuts prévoit deux causes précises d'exclusion, à savoir : " mesure disciplinaire entraînant une interdiction d'exercice d'une durée supérieure à 3 mois, et contravention aux règles de fonctionnement de la société ". L'article 12.4 des statuts, intitulé : " autres cas d'exclusion pour manquement aux obligations professionnelles " est suivi de la mention " néant ".

En outre, M. [G], bien qu'invoquant son " renvoi de son poste de travail ", voire son "licenciement', admet expressément qu'il n'a fait l'objet d'aucune exclusion par la société pour un motif légal ou statutaire, de sorte que la cessation de l'exercice de sa profession dans la société des Ecrins ne peut être que volontaire, contrairement à ce qu'il soutient.

Aucune exclusion statutaire n'ayant été mise en 'uvre, et aucune exclusion ne pouvant intervenir contre le gré de M. [G], la cessation de sa profession au sein de la société est nécessairement volontaire, de sorte qu'il convient de faire application de l'article 12.2 qui prévoit expressément la perte de la qualité d'associé lors de cette cessation, en l'espèce le 21 septembre 2017.

Le fait que M. [G] n'ait pas informé la société par lettre recommandée avec avis de réception de la cessation de son activité professionnelle au sein de la société, est sans incidence, ce dernier ne pouvant l'invoquer pour échapper à la perte de sa qualité d'associé.

M. [G] ayant perdu, le 21 septembre 2017, sa qualité d'associé, il n'avait plus, au 21 septembre 2019, date de l'assignation, intérêt à agir en révocation de M. [F] de ses fonctions de gérant, ni en nomination d'un administrateur provisoire pour la société des Ecrins. Il n'était pas non plus recevable à agir en nullité des actes postérieurs à cette perte, notamment ceux des 13 octobre 2017, 30 mars et 28 novembre 2018.

Comme vu plus avant, et dès lors qu'il avait la qualité d'associé jusqu'au 21 septembre 2017, M. [G] est recevable à agir en nullité du procès-verbal d'assemblée du 6 septembre 2017, et en nullité de la convention de cession de parts du 11 septembre 2017. Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a prononcé une irrecevabilité totale des demandes de M. [G], et la cour limitera l'irrecevabilité des demandes à celles visant la nullité des assemblées des 13 octobre 2017, 30 mars et 28 novembre 2018, et à celles concernant la révocation des fonctions de M. [F] et la nomination d'un administrateur provisoire.

2 - sur la demande de nullité de l'assemblée générale du 6 septembre 2017 et de la convention de cession de parts du 11 septembre 2017

M. [G] soutient que le procès-verbal d'assemblée extraordinaire du 6 septembre 2017 est un " faux " en ce qu'il mentionne sa présence, ce qui est inexact, ajoutant qu'il ignorait tout de cette assemblée à laquelle il n'a jamais été convoqué. Il invoque également la nullité des statuts mis à jour en application des décisions de l'assemblée du 6 septembre 2017. Il ajoute que la nullité de cette assemblée (ayant agréé la cession de parts de M. [F] à la société Queyras) doit entraîner, par voie de conséquence, la nullité de la convention de cession de parts. Il observe enfin que le projet de cession de parts ne lui a jamais été notifié, alors même que cette notification est prévue par les statuts.

M. [F] et les sociétés des Ecrins et Queyras s'opposent à la demande de nullité, au motif que M. [G] ne justifie d'aucun grief, ajoutant : " sa présence, qu'au demeurant il conteste, n'aurait pas modifié la teneur des décisions prises compte tenu du quorum requis et du nombre de voix qu'il possède, à savoir une part sur 7 500 parts sociales ". Ils indiquent, s'agissant du défaut éventuel d'agrément de la cession de parts, que ce dernier n'entraînerait pas la nullité de la cession, mais simplement son inopposabilité à la société et aux associés. Ils indiquent enfin qu'une nouvelle assemblée a été convoquée le 28 novembre 2018, autorisant et agréant la cession intervenue le 6 septembre 2017.

Réponse de la cour

Il résulte de l'article L.235-1, alinéa2, du code de commerce, dans sa version applicable au présent litige, que la nullité d'actes ou délibérations autres que ceux prévus à l'alinéa précédent (nullité de la société) ne peut résulter que de la violation d'une disposition impérative du présent livre ou des lois qui régissent les contrats.

L'article L. 223-27 du même code dispose que toute assemblée irrégulièrement convoquée peut être annulée. Toutefois, l'action en nullité n'est pas recevable lorsque tous les associés étaient présents ou représentés.

En l'espèce, le procès-verbal d'assemblée extraordinaire du 6 septembre 2017 précise que les trois associés, dont M. [G] titulaire d'une part sociale sur 7 500 parts, étaient présents. M. [G] conteste sa présence à cette assemblée, relevant que le procès-verbal n'est paraphé et signé que par M. [F].

Le procès-verbal d'assemblée (tel que publié au registre du commerce) mentionne in fine : " de tout ce que dessus, il a été dressé le présent procès-verbal qui a été signé par tous les associés ". Il apparaît toutefois qu'une seule signature est apposée, à savoir celle de M. [F]. Cette seule circonstance est toutefois insuffisante à remettre en cause l'authenticité des mentions du procès-verbal, et notamment celle relative à la présence de M. [G] qui n'est pas autrement contestée. Cette présence n'étant pas utilement contestée, il convient de faire application des dispositions précitées, et de dire que l'action en nullité de l'assemblée du 6 septembre 2017 n'est pas recevable.

Dès lors que M. [G] fonde sa demande en nullité de la convention de cession de parts sur une prétendue nullité de l'assemblée du 6 septembre 2017 qui vient d'être rejetée, cette demande doit elle-même être rejetée.

3 - sur les demandes indemnitaires formées par M. [G]

M. [G] reprend en appel la demande rejetée en première instance, visant, à l'égard de toutes les parties à l'octroi de dommages et intérêts pour préjudice moral du fait de conclusions insultantes. Il forme une autre demande indemnitaire, à l'encontre du seul CDO 78, en réparation d'un préjudice moral du fait de mensonges et manipulations.

* sur la demande indemnitaire du fait de " conclusions insultantes "

M. [G] rappelle que M. [F] et la société des Ecrins ont été condamnés par le conseil de l'ordre à une sanction d'un an d'interdiction d'exercice de la profession de chirurgien-dentiste, notamment du fait de l'emploi de personnes syriennes ne disposant pas des diplômes requis. Il s'étonne d'avoir été condamné dans les mêmes conditions alors que l'embauche de ces personnes était antérieure à son arrivée dans la société, et qu'il n'était en outre pas informé de cette activité illégale. Il rappelle également son absence de rémunération durant les 6 mois de travail dans la société, et le litige qui en résulte devant le conseil de prud'hommes. Il soutient que les propos de M. [F], des sociétés des Ecrins et Queyras, du conseil de l'ordre et de M. [B] [L] à son égard, tendant à établir l'illégalité des allocations chômage qu'il percevait, sont " diffamatoires " dès lors que, non rémunéré par la société, il pouvait légitimement percevoir de telles allocations.

Le CDO 78 fait valoir que M. [G] ne rapporte pas la preuve du caractère insultant de ses conclusions, dès lors qu'elles ne comportent aucune atteinte à son honneur ou à sa considération.

De même, M. [B] [L], Mmes [U], [I] et [M] soutiennent que la preuve du caractère insultant de leurs conclusions n'est nullement établie, ces dernières ne contenant aucun terme de mépris, d'invective ou caractère outrageant. Ils indiquent au surplus que M. [G] ne justifie pas du préjudice moral qu'il invoque.

M. [F] et les sociétés des Ecrins et Queyras n'ont pas conclu sur ce point.

Réponse de la cour

Ainsi que relevé par les premiers juges, le fait que les intimés évoquent l'illégalité du cumul d'une activité rémunérée avec des indemnités de chômage ne constitue qu'un élément de défense soumis à la libre discussion des parties, sur lequel M. [G] s'est d'ailleurs exprimé, sans que cela ne constitue une atteinte à son honneur ou à sa considération. Il n'est pas justifié en outre de quelconques termes de mépris ou d'outrage prononcés à l'encontre de M. [G]. Le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire à ce titre.

"Sur la demande en réparation d'un préjudice moral du fait des mensonges et manipulations du CDO 78

M. [G] soutient que le CDO 78 est " totalement impliqué dans les agissements malicieux de M. [F] ", notamment en ce qu'il a validé sans réserve des documents qu'il savait faux, notamment le procès-verbal d'assemblée du 9 octobre 2017, la convention de cession de parts et les statuts modifiés du 11 octobre 2017, outre des documents sociaux de mars et avril 2018. Il lui reproche également d'avoir inscrit la société Queyras à l'Ordre alors qu'elle n'avait aucune activité réelle, et soutient que le CDO 78 a sali sa réputation en faisant notamment un signalement au procureur (cumul activité et indemnités de chômage) qui n'a eu aucune suite, alors même qu'aucun signalement n'a été fait à l'encontre de M. [F] pour l'emploi de personnes dépourvues de diplôme. Il reproche encore au CDO 78 d'avoir refusé sa radiation administrative, et de ne pas lui avoir fourni certains documents, ce qui a nécessité la saisine du conseil régional et du CADA qui ont accédé à ses demandes.

Le CDO 78 invoque en premier lieu l'irrecevabilité de cette demande nouvelle en appel. Il soutient, à titre subsidiaire, que la preuve de mensonges ou de manipulations n'est pas rapportée, indiquant notamment qu'il était légitime qu'il s'interroge sur le devenir de sa part sociale dans la société des Ecrins avant de procéder à sa radiation administrative sur le département des Yvelines.

Réponse de la cour

Il résulte des articles 564 à 566 du code de procédure civile qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait. Les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent. Les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.

En l'espèce, la seule demande indemnitaire présentée par M. [G] en première instance était celle visant au paiement d'une somme de 3 000 euros en réparation d'un préjudice moral du fait de

" conclusions insultantes ". La prétention tendant au paiement de dommages-intérêts en réparation de " mensonges et manipulations " ne tend pas à la même fin que celle soumise au premier juge, de sorte qu'il s'agit d'une prétention nouvelle, ce qui n'est d'ailleurs pas discuté par M. [G]. Cette prétention nouvelle est donc irrecevable en appel.

4 - sur la demande reconventionnelle formée par M. [F] et les sociétés des Ecrins et Queyras

M. [F] et les sociétés des Ecrins et Queyras reprennent en appel la demande reconventionnelle dont ils ont été déboutés en première instance, en paiement de dommages et intérêts pour procédure abusive à l'encontre de M. [G]. Ils rappellent que ce dernier ne disposait que d'une part sociale sur 7 500 parts, et qu'il a exercé moins de 8 mois dans la société des Ecrins, alors qu'il percevait parallèlement des indemnités de chômage. Ils soutiennent que M. [G] manifeste ainsi une évidente volonté de leur nuire dont ils demandent réparation à hauteur de 25 000 euros chacun.

Réponse de la cour

Comme justement relevé par les premiers juges, la mauvaise appréciation qu'un justiciable fait de ses droits ne peut être assimilée à un abus de procédure. Le seul fait que M. [G] ait agi en justice alors qu'il n'était que très minoritaire et n'avait eu la qualité d'associé que sur une courte période est insuffisant à caractériser un abus de droit, étant au surplus rappelé qu'il n'est pas justifié de l'illicéité de la perception des allocations chômage.

Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a rejeté la demande indemnitaire de M. [F] et des sociétés des Ecrins et Queyras.

5 - sur la demande reconventionnelle formée par le CDO 78

Le CDO 78 forme, au nom des personnes morales et physiques dont il défend les intérêts, une demande reconventionnelle en paiement de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral. Il soutient que les termes employés par M. [G] à son égard sont " vifs ", excédant les limites de ce qu'autorise l'exercice des droits de la défense, ajoutant que son impartialité est " violemment mise en cause sans la moindre preuve ".

M. [G] n'a pas répondu sur ce point.

Réponse de la cour

S'il est exact que certains propos de M. [G] à l'égard du CDO 78 sont excessifs, notamment en ce qu'il met en cause : " son esprit médiocrement partisan en faveur de M. [F] et de ses manigances douteuses ", indiquant que le CDO 78 " excelle dans les basses invectives ", il n'est pas soutenu que ces propos polémiques aient été proférés hors du cadre de la présente instance, ni qu'ils aient eu un impact quelconque sur les personnes dont le CDO 78 défend les intérêts. Il n'est pas justifié non plus du préjudice moral allégué, de sorte que la demande indemnitaire sera rejetée.

6 - sur les demandes accessoires

Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.

M. [G] qui succombe, sera condamné aux dépens d'appel. Il sera également condamné à payer, au titre des frais irrépétibles, la somme globale de 2 000 euros aux sociétés des Ecrins et Queyras et la somme de 2 500 euros au CDO 78. Les autres demandes au titre des frais irrépétibles seront rejetées.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire,

Déclare irrecevable en appel la prétention nouvelle formée par M. [X] [G] à l'encontre du conseil départemental des Yvelines de l'ordre des chirurgiens-dentistes, aux fins d'indemnisation d'un préjudice moral du fait de mensonges et manipulations,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Versailles du 10 janvier 2023, sauf en ce qu'il a prononcé une irrecevabilité totale des demandes de M. [X] [G],

Statuant à nouveau de ce chef,

Déclare irrecevables les demandes formées par M. [X] [G] tendant à la nullité des assemblées des 13 octobre 2017, 30 mars et 28 novembre 2018, à la révocation des fonctions de gérant de M. [D] [F] et à la nomination d'un administrateur provisoire,

Déclare irrecevable l'action en nullité de l'assemblée du 6 septembre 2017,

Rejette toutes autres demandes,

Condamne M. [X] [G] à payer, au titre des frais irrépétibles, la somme globale de 2 000 euros aux sociétés des Ecrins et Queyras, et la somme de 2 500 euros au conseil départemental des Yvelines de l'ordre des chirurgiens-dentistes,

Condamne M. [X] [G] aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct, par application de l'article 699 du code de procédure civile.