CA Nîmes, 4e ch. com., 22 novembre 2024, n° 24/02034
NÎMES
Arrêt
Infirmation partielle
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Codol
Conseillers :
Mme Ougier, Mme Vareilles
Avocats :
Me Sebellini, Me Gouin, Me Sauvebois Picon
EXPOSÉ
Vu l'appel interjeté le 13 juin 2024 par Madame [J] [H] et Monsieur [D] [Z] à l'encontre du jugement rendu le 28 mai 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n°2022F00498 ;
Vu l'avis de fixation de l'affaire à bref délai du 17 juin 2024 ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 14 octobre 2024 par les appelants et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les dernières conclusions remises par la voie électronique le 22 juillet 2024 par Maître [P] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la SAS [12], intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé ;
Vu les conclusions du ministère public du 15 octobre 2024 transmises par la voie électronique le 25 octobre 2024 ;
Vu l'ordonnance de clôture de la procédure du 17 juin 2024 à effet différé au 31 octobre 2024 ;
***
La SAS [12] a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nîmes le 10 juin 2015, pour une activité de « vente de gros et détail de produits alimentaires et produits divers alimentation générale ».
Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H], associés à hauteur de 80% pour le premier, 20% pour la seconde, étaient désignés respectivement président et directrice générale de cette société.
Par jugement du 9 juin 2021, le tribunal de commerce de Nîmes a ouvert une procédure de liquidation judiciaire simplifiée à l'égard de la SAS [12] (ci-après société [14]), et fixé au 9 décembre 2019 la date de sa cessation des paiements, désignant Maître [P] [V] en qualité de liquidateur judiciaire.
Par exploit du 29 avril 2024, Maître [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14] a fait assigner Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H] devant le tribunal de commerce de Nîmes en responsabilité pour insuffisance d'actif et en faillite personnelle.
Par jugement du 28 mai 2024, le tribunal,
« vu l'article L651-2 du code de commerce et l'article 1344-1 du code civil,
constatant que Monsieur [Z] [D] et Madame [H] [J] ont commis des fautes de gestion ayant contribué à l'insuffisance d'actifs de la SAS [12],
condamne Monsieur [Z] [D] (') et Madame [H] [J] (') à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actifs de la SAS [12],
à ce titre, condamne Monsieur [Z] (') à supporter 80% de l'insuffisance d'actifs de la SAS [12], soit la somme de 80.123,42 €,
condamne Madame [H] (') à supporter 20% de l'insuffisance d'actifs de la SAS [12], soit la somme de 20.030,85 €,
En outre,
vu les articles L653-1, L653-4 et L653-11 du code de commerce,
prononce à l'encontre de Monsieur [Z] [D] une mesure de faillite personnelle pendant une durée de 8 ans,
prononce à l'encontre de Madame [H] [J] une mesure de faillite personnelle pendant une durée de 4 ans,
dit qu'en application des articles L128-1 et suivants et R128-1 et suivants du code du commerce, cette sanction fera l'objet d'une inscription au fichier national des interdits de gérer, dont la tenue est assurée par le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce,
pour le surplus,
déboute les parties de leurs demandes, fins et conclusions,
condamne Monsieur [Z] [D] à payer et à porter à Maître [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], la somme de 2.200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
condamne Madame [H] [J] à payer et à porter à Maître [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], la somme de 550 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
ordonne l'exécution provisoire de la présente décision,
condamne Monsieur [Z] [D] aux dépens ».
Madame [H] et Monsieur [Z] ont relevé appel de cette décision pour la voir infirmer en toutes ses dispositions.
***
Dans leurs dernières conclusions, les appelants demandent à la cour, au visa des articles 1240 du code civil, L651-2, L653-4 et R661-1 du code de commerce, 6, 696, 700 et 768 du code de procédure civile, de
(les) déclarer recevables et bien fondés en leur appel interjeté le 13 juin 2024 à l'encontre du jugement rendu le 28 mai 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes,
y faisant droit,
réformer le jugement sus énoncé et daté selon déclaration d'appel et statuant à nouveau :
à titre principal,
constater l'absence d'insuffisance d'actif,
constater l'absence totale de faute de gestion de la part de Monsieur [Z] et de Madame [H],
débouter Maître [V] de l'intégralité de ses demandes,
à titre subsidiaire,
constater l'existence d'une simple négligence de Monsieur [Z] et de Madame
[H],
débouter Maître [V] de l'intégralité de ses demandes,
à titre infiniment subsidiaire,
apprécier et prendre en compte la situation personnelle de Monsieur [Z] et Madame [H] en cas d'éventuelle condamnation,
en tout état de cause,
débouter Maître [V] de ses demandes au titre de la faillite personnelle,
débouter Maître [V] de ses demandes au surplus,
condamner Maître [V], es qualités de liquidateur, au paiement de la somme de 1.000 € au bénéfice de Monsieur [Z] en réparation de son préjudice en application de l'article 1240 du code civil,
condamner Maître [V], es qualité de liquidateur, au paiement de la somme de 1.000€ au bénéfice de Madame [H] en réparation de son préjudice en application de l'article 1240 du code civil,
condamner Maître [V], es qualité de liquidateur, au paiement de la somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
condamner Maître [V], es qualité de liquidateur, aux entiers dépens.
Les appelants contestent l'existence d'une insuffisance d'actif, laquelle doit être appréciée au jour où le tribunal statue, en faisant valoir que le tribunal a retenu un passif de 116.559,27 euros en y intégrant la créance de l'administration fiscale de 113.822 euros, alors que le bordereau de situation fiscale édité le 1er juillet 2024 indique seulement un reste à payer pour la société [12] de 9.331 euros après les réclamations formulées par Monsieur [Z] sur la proposition de redressement. Le passif de la société n'est par conséquent que de 12.068,27 euros et il a été retenu que le liquidateur a perçu une somme de 28.400 euros dans le cadre des opérations de liquidation, ce qui suffit à couvrir ce passif.
Les appelants soutiennent également qu'aucune preuve de ce qu'ils auraient commis des fautes de gestion ayant contribué à une insuffisance d'actif n'est rapportée.
Madame [H], malgré son titre de directrice générale de la société, n'a eu aucun rôle actif dans son activité et n'a donc commis aucune faute.
Aucun texte n'impose que la déclaration de cessation des paiements soit faite par tous les dirigeants de la société, de sorte qu'il ne peut être reproché à Madame de ne pas y avoir procédé quand Monsieur [Z] s'en est chargé.
En outre, l'omission de déclaration de cessation des paiements peut constituer une simple négligence du dirigeant et encore faut-il que l'insuffisance d'actif soit déjà née avant l'expiration du délai légal de déclaration pour qu'un lien de causalité puisse être retenu. La date de cessation des paiements a été fixée au plus tôt pour élargir la période suspecte mais elle ne correspond pas à la réalité.
Après avoir prétendu sans fondement que le stock de la société [14] avait été vendu à la société [12], thèse rejetée pat la cour d'appel dans son arrêt du 21 juin 2023, le liquidateur judiciaire soutient encore à tort qu'il y aurait eu une cession de fonds de commerce déguisée. La société [14] a continué son activité jusqu'au 31 juillet 2019, comme le démontre le relevé Urssaf, et elle a disposé de son propre stock comme l'établissent les achats, encaissements et pertes supportés. Or la société [12] n'a débuté son activité qu'au 1er août 2019 et a seulement repris le droit au bail et le matériel de la société [14]. Les dirigeants de ces deux sociétés ne sont pas les mêmes, et Monsieur [Z] n'est ni associé ni dirigeant de la société [12]. Le seul lien est que son fils est associé de la société [12], ce qui est insuffisant. Il n'est pas contraire à l'intérêt de la société [14] qu'elle règle les factures de fournisseurs pour un stock qu'elle a vendu à ses clients ou pour lequel elle a été indemnisée. La cour d'appel dans son arrêt du 21 juin 2023 a déjà retenu qu'aucune confusion de patrimoine ni relations financières anormales n'existaient entre les deux sociétés.
Aucune faute de gestion n'est davantage caractérisée au titre du contrôle fiscal. Celui-ci concerne la période de juillet 2015 à aout 2018, or les éventuelles irrégularités comptables qui peuvent y correspondre sont atteintes par la prescription de trois ans. Les sanctions ont été revues à la baisse.
A titre subsidiaire, les appelants font valoir que seule une négligence pourrait leur être reprochée. Madame [H] faisait entièrement confiance à Monsieur [Z] qui assumait la responsabilité de la gestion quotidienne de la société. Et celui-ci a connu d'importants problèmes de santé mais est de bonne foi. Il a communiqué au liquidateur tous les chèques et factures relatifs aux mouvements financiers de juin à aout 2019 comme demandé alors même qu'il ne disposait pas de tous les éléments comptables à la suite du vol de son ordinateur. Il a voulu régler les fournisseurs de la société avant de céder son droit au bail et son matériel fin juillet. Il a contesté le contrôle fiscal de sorte que la dette a été réduite, et encore contesté les créances déclarées dans le cadre de la liquidation judiciaire, ce qui a réduit le passif de plus de 138.000 euros.
A titre infiniment subsidiaire, si une sanction devait être prononcée, il convient de prendre en compte la situation financière précaire des deux appelants. Ils sont locataire de leur logement, n'ont pas de propriété immobilière.
Et dans la mesure où le liquidateur ne peut chiffrer le montant des produits qui auraient été offerts à la société [13], aucune condamnation à paiement ne peut être prononcée à ce titre.
L'exécution provisoire du jugement qui n'est pas de droit en cette matière a été ordonnée « de manière totalement illégale et contestable » par le tribunal alors qu'elle était demandée par le liquidateur sans la moindre ligne de motivation.
Enfin, rien ne démontre que les appelants auraient fait des biens de la société [14] un usage contraire à l'intérêt de celle-ci pour favoriser la société [13] dans laquelle ils seraient intéressés directement ou indirectement, de sorte que la faillite personnelle ne peut être prononcée à leur encontre.
A titre reconventionnel, les appelants font valoir que le liquidateur judiciaire a considéré par principe que Monsieur [Z] était de mauvaise foi et assigné sans le moindre élément, « change(ant) ses positions et moyens au gré des procédures et des conclusions » et faisant preuve d'acharnement. La procédure engagée contre eux les a traumatisés, ce dont ils demandent indemnisation.
Dans ses dernières conclusions, Maître [P] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], intimé, demande à la cour, au visa des articles L651-2, L653-1, L653-4 et L653-11 du code de commerce, des articles 1240 et 1344-1 du code civil, et des articles 14,70 et 555 du code de procédure civile, de
« débouter Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H] de leur appel, de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
en conséquence,
confirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nîmes du 28 mai 2024,
juger irrecevable la demande reconventionnelle formée par Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H] contre Maitre [P] [V] in personam et/ou Maître [P] [V] es qualité de liquidateur judiciaire de la société [12],
en toute hypothèse,
condamner solidairement entre eux Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H] à porter et payer à Maître [V] es qualité de liquidateur judiciaire de la société [12] la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
les condamner solidairement entre eux aux entiers dépens ».
L'intimé rappelle que les sanctions prévues à l'article L651-2 du code de commerce s'appliquent à tous les dirigeants de droit et notamment aux directeurs généraux, et qu'ils ne peuvent prétendre y échapper sous prétexte qu'ils n'auraient pas réellement exercé les fonctions qu'ils ont acceptées, cette passiveté -dont se prévaut Madame [H] en l'espèce- loin d'être indifférente, est en elle-même constitutive d'une faute de gestion selon la jurisprudence.
Il expose que trois fautes de gestion sont reprochées à Madame [H] et Monsieur [Z] : de ne pas avoir déclaré la cessation des paiements dans les 45 jours, d'voir disposé des biens de la société [12] comme des leurs propres et dans un intérêt contraire à celui de la société, et de ne pas avoir tenu de comptabilité régulière.
La tardiveté de la déclaration de cessation des paiements s'apprécie au regard de la seule date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture. Monsieur [Z] a déclaré la cessation des paiements le 26 mai 2021 alors qu'elle a été fixée au 9 décembre 2019. Madame [H] quant à elle n'a effectué aucune déclaration. Le délai de 45 jours imparti par l'article L640-1 du code de commerce a ainsi été amplement méconnu et « l'extraordinaire ancienneté de la date de cessation des paiements » démontre que les dirigeants ont préféré s'en abstenir et poursuivre l'activité à l'identique. Il ne s'agit donc pas d'une simple négligence, et du fait de cette faute, non seulement la société [14] était en cessation des paiements mais encore son redressement était manifestement impossible, ce qui a entrainé une liquidation judiciaire immédiate.
Par ailleurs, l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 21 juin 2023 statuait sur une procédure d'extension de la liquidation judiciaire de la société [14] à la société [12], n'a pas autorité de chose jugée à l'égard de la présente instance puisque les conditions de l'article 1355 du code civil ne sont pas réunies. Toutefois, cet arrêt retient qu'une cession déguisée du fonds de commerce de la société [14] a été mise en 'uvre au profit de la société [12]. En effet, afin de neutraliser les effets d'un contrôle fiscal initié le 14 maiu 2019, la société [14] a souhaité protéger son fonds de commerce. A cet effet, le fils de Monsieur [Z] et l'un des salariés de la société [14] ont constitué en juin 2019 la société [12], immatriculée le 18 juin 2019 avec un début d'exploitation au 21 juin 2019, dont l'objet social et le siège de l'activité sont strictement identiques à ceux de la société [14]. Le droit au bail du local afférent a été cédé le 17 juin 2019 au prix de 150.000 € et l'intégralité du matériel d'exploitation le 24 juin 2019 pour 142.000 €. Cette opération traduit une cession de fonds de commerce déguisée mise en 'uvre par le dirigeant Monsieur [Z], ce que confirme la mention dans le cadre du contrôle fiscal de ce que le dirigeant de la société [12] aurait déclaré être le repreneur de l'activité de la société [14] depuis le 1er aout 2019, l'utilisation du nom et du logo de la société permettant d'en conserver la clientèle. En outre ces deux sociétés ne justifient pas de l'accord du bailleur pour la cession du droit au bail commercial, et pour cause puisqu'il s'agissait en réalité d'une cession de fonds de commerce à laquelle il ne pouvait pas s'opposer. Ces cessions ont permis la perception immédiate par la société [14] des prix alors que les délais d'opposition dans le cadre d'une cession de fonds de commerce et la solidarité fiscale de l'article 1648 du code général des impôts auraient rendu ces prix indisponibles pendant cinq mois, ce qui aurait permis au Trésor public de les saisir. Il s'agit donc bien d'une faute de gestion des dirigeants par l'utilisation des biens de l'entreprise à leur profit et au détriment des tiers.
Enfin, la société [14] a fait l'objet d'un contrôle fiscal pour la période du 1er juillet 2015 au 31 aout 2018, donnant lieu à une proposition de rectification notifiée le 16 décembre 2019, sur la TVA comme sur l'impôt sur les sociétés. Les importantes irrégularités comptables constatées ont conduit le vérificateur à rejeter la comptabilité de la société comme non probante sur les exercices 2016 à 2018 inclus.
S'agissant de l'insuffisance d'actif, le liquidateur judiciaire observe que le passif déclaré de la société [14] s'élevait au jour de l'assignation en responsabilité pour insuffisance d'actif à la somme de 254.570,64 euros. A ce jour et en l'état des contestations de créances, le passif définitivement admis est de 144.959,27 euros -dont la créance du comptable public admise par ordonnance du juge commissaire du 8 septembre 2022 pour la somme échue de 113.822 euros à titre privilégié. Le bordereau de situation fiscale dont se prévalent les appelants concerne uniquement une partie des sommes dues et correspond à la créance du comptable public de l'Hérault qui n'a jamais été admise au passif, tandis que celle du comptable public du Gard a été admise pour 113.822 euros.
L'actif est inexistant, saut à appréhender la somme de 28.400 euros perçue par le liquidateur ès qualités au titre de la TVA du prix de vente du matériel non réglé lors de la cession.
L'insuffisance d'actif est en conséquence d'ores et déjà certaine à concurrence de 116.559,27 euros et ne pourra qu'augmenter en cas d'admission de la créance contestée de la société [9].
Les dirigeants seront donc condamnés solidairement, chacun dans la proportion fixée par le tribunal, au paiement intégral de l'insuffisance d'actif.
Ayant commis les faits sanctionnés par les articles L653-1-2°, L653-4-1° et 3° du code de commerce pour avoir disposé des biens de la société comme des leurs propres et au profit d'une entreprise dans laquelle ils étaient intéressés, les appelants seront condamnés à une faillite personnelle de 8 ans pour Monsieur, 4 ans pour Madame, et le jugement confirmé en ce sens.
Enfin, la demande reconventionnelle en indemnisation formée contre Maître [V] in personam est irrecevable puisqu'il n'est pas même partie en cette qualité à la procédure et que cette demande est sans lien avec le litige de l'instance, aucune faute n'étant au surplus démontrée.
Cette demande est tout aussi irrecevable en ce qu'elle serait formée contre Maitre [V] ès qualités en vertu de l'article 70 du code de procédure civile et la faute pas davantage établie.
Dans ses dernières conclusions, le ministère public « conclut à la confirmation du jugement rendu le 28 mai 2024 par le tribunal de commerce de Nîmes au regard de la pertinence de la motivation ».
***
Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.
DISCUSSION
Sur le fond :
' sur l'action en comblement du passif :
Selon l'article L651-2 du code de commerce, « lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion. En cas de pluralité de dirigeants, le tribunal peut, par décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Toutefois, en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la personne morale, sa responsabilité au titre de l'insuffisance d'actif ne peut être engagée. »
L'action en comblement de passif est une action en responsabilité délictuelle qui suppose l'existence d'un préjudice pour la société : une insuffisance d'actif, la caractérisation de la commission de fautes de gestion -excédant la simple négligence- à la charge de la personne dont la responsabilité est recherchée, et la démonstration d'un lien de causalité entre la ou les fautes commises et l'insuffisance d'actif constatée.
' les personnes responsables :
L'action peut être engagée à l'égard de tout dirigeant de fait ou de droit de la société, mais elle doit être examinée pour chacun distinctement, à l'aune des fautes qu'il aurait personnellement commises en cette qualité.
En l'espèce, la SAS [12] a été immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nîmes le 10 juin 2015, Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H], associés à hauteur de 80% pour le premier, 20% pour la seconde, en étant désignés respectivement président et directrice générale de cette société depuis le premier jour et sans modification ensuite.
L'article L227-6 du code de commerce, relatif aux sociétés par actions simplifiées, dispose que « le président est investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toute circonstance au nom de la société dans la limite de l'objet social » et que « les statuts peuvent prévoir les conditions dans lesquelles une ou plusieurs personnes autres que le président, portant le titre de directeur général ou de directeur général délégué, peuvent exercer les pouvoirs confiés à ce dernier par le présent article ».
En l'espèce, les statuts de la SAS [12] stipulent que « la société est représentée, dirigée et administrée par un président » (page 11), et que « sur la proposition du président, la collectivité des associés peut nommer à la majorité simple un directeur général, personne physique ou morale » (page 13), lequel « directeur général dispose des mêmes pouvoirs que le président, sous réserve des limitations éventuellement fixées par la décision de nomination ou par une décision ultérieure », précision faite que « le directeur général ne dispose pas du pouvoir de représenter la société à l'égard des tiers » (page 14).
Monsieur [D] [Z] a été désigné président de la SAS [14] dans ces mêmes statuts (page 23), et par procès-verbal du 4 juin 2015, il a nommé Madame [J] [H] directrice générale de la société, celle-ci déclarant accepter ces fonctions.
Ayant accepté ces fonctions, Madame [H] se devait de les exercer et elle ne peut prétendre s'exonérer des responsabilités résultant de cette qualité en se prévalant de sa propre carence (Com 25 mars 1997 n°95-10.995).
Les deux appelants doivent donc répondre des fautes de gestion qui leur sont reprochées et dont il est soutenu par le liquidateur judiciaire qu'elles sont en lien de causalité avec l'insuffisance d'actif de la société [14].
' l'existence d'une insuffisance d'actif :
L'insuffisance d'actif s'établit à la différence entre le montant du passif admis et correspondant à des créances antérieures au jugement d'ouverture et le montant de l'actif de la personne morale débitrice tel qu'il résulte des réalisations effectuées en liquidation judiciaire (Com. 26 juin 2001, n°98-16.520).
Elle s'apprécie au jour où la juridiction statue dans le cadre de l'action engagée à l'encontre du dirigeant en exercice.
S'agissant de l'actif, il est établi par la production du procès-verbal de carence dressé le 7 juillet 2021 par le commissaire-priseur judiciaire commis pour procéder à l'inventaire des actifs mobiliers (pièce 17 du liquidateur), qu'aucun actif n'a pu être porté en compte à la liquidation.
Monsieur [Z] a lui-même attesté de cette absence d'actif le 14 juin 2021 (même pièce 17) et dans leurs dernières conclusions, les appelants ne la contestent pas, sauf à retenir un montant de 28.400 euros recouvré par le liquidateur -ce que ce dernier confirme (sa pièce 18).
L'actif s'établit donc définitivement à 28.400 euros.
S'agissant du passif, l'état des créances définitives édité au 18 juillet 2024 le fixe à 144.959,27 euros -dont la créance du pôle de recouvrement spécialisé du Gard au titre de l'impôt sur les sociétés et la TVA définitivement admise pour 113.822 euros par ordonnance du juge-commissaire du 8 septembre 2022 (pièces 14 et 15 de l'intimé).
Le bordereau produit en pièce 19 par les appelants qui concerne une autre créance recherchée par le pôle de recouvrement spécialisé de l'Hérault -qui n'apparait pas à l'état des créances déclarées- n'est pas de nature à modifier les comptes.
L'insuffisance d'actif de la société [14] est ainsi établie de façon certaine à ce jour à la somme de 116.559,27 euros.
' la caractérisation de fautes de gestion :
L'action en comblement du passif a pour objet de sanctionner le comportement antérieur au jugement d'ouverture du ou des dirigeants et qui y aurait contribué. Il en résulte que seules des fautes de gestion antérieures au jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire - qui autorise l'action en responsabilité d'insuffisance d'actif- peuvent être prises en compte (Com. 22/01/2020 n°1817030).
En l'occurrence, la liquidation judiciaire de la SAS [14] a été prononcée le 9 juin 2021. Seules peuvent donc être retenues comme fautes de gestion engageant leur responsabilité, celles commises par les deux dirigeants avant cette date.
La cour est saisie de trois fautes alléguées à l'encontre des deux dirigeants.
1. L'absence de déclaration de l'état de cessation de paiement
L'article L640-4 du code de commerce dispose que « l'ouverture de cette procédure (de liquidation judiciaire) doit être demandée par le débiteur au plus tard dans les quarante-cinq jours qui suivent la cessation des paiements, s'il n'a pas dans ce délai demandé l'ouverture d'une procédure de conciliation ».
La tardiveté de la déclaration de cessation de paiement s'apprécie au regard de la seule date de cessation fixée dans le jugement ouvrant la procédure collective, date en l'espèce fixée au 9 décembre 2019 par le jugement du 9 juin 2021 (Com 18 mai 2016 n°14-21.133 notamment). Il est donc vain pour les appelants de soutenir que cette date ne correspondrait pas à la réalité.
L'ouverture de la procédure aurait donc dû être demandée au plus tard le 23 janvier 2020.
Monsieur [Z] n'a déclaré l'état de cessation des paiements de la société [14] que le 26 mai 2021, comme mentionné au jugement d'ouverture du 9 juin 2021 du tribunal de commerce de Nîmes, soit avec plus de seize mois de retard.
Le certificat médical établi par le docteur [O], médecin généraliste, le 6 septembre 2022 (pièce 3 des appelants) fait effectivement état des problèmes de santé invoqués par Monsieur [Z] entre septembre 2018 et février 2019 : des examens ont été réalisés (scintigraphie cardiaque, coronarographie, consultation ORL, « sonde JJ »), des médications prescrites (aspirine, lexomil), mais sans qu'il soit justifié d'un empêchement à agir sur la période qui a suivi, de mars 2019 et jusqu'en mai 2021. Le stress majeur évoqué par le médecin dont il semblerait qu'il soit en lien avec les affections citées, ne peut évidemment être exonérateur pour Monsieur [Z] qui a choisi de continuer à exercer ses fonctions de président dans la société.
Madame [H] n'a pour sa part déposé aucune déclaration d'état de cessation des paiements, alors qu'en sa qualité de directrice générale, il lui appartenait tout autant qu'à Monsieur [Z] d'y procéder, ce qui est d'autant moins compréhensible au regard des problèmes médicaux de ce dernier.
Il ne peut s'agir d'une simple négligence, ni pour l'un ni pour l'autre, puisque la société [14] avait dès le mois de décembre 2019 été destinataire de la proposition de rectification suite à vérification de comptabilité effectuée par l'administration fiscale et que les conséquences financières en découlant y étaient clairement exposées. Bien plus, lors de l'audience précédant le jugement du 9 juin 2021, il était exposé que la trésorerie de la société était tendue dès l'origine et que le contrôle fiscal n'avait fait qu'accentuer les difficultés, une demande de liquidation judiciaire immédiate étant formulée par Monsieur [Z] sur le constat que la société n'avait désormais plus de trésorerie ni d'activité.
Il apparait ainsi que par le retard délibérément pris par Monsieur [Z] à procéder à cette déclaration de cessation des paiements et la complète carence de Madame [H] à cet effet, la situation de la société [14] s'est largement détériorée au point que non seulement elle était en état de cessation des paiements lorsque, enfin, le tribunal de commerce de Nîmes a été saisi, mais qu'aucun redressement n'était plus possible comme le relève à très juste titre le liquidateur judiciaire.
La faute de gestion est ainsi pleinement caractérisée de ce chef à la charge de ces deux dirigeants.
2. L'absence de comptabilité :
Conformément aux articles L123-12 à L123-23 du code de commerce, les sociétés commerciales doivent tenir des comptes annuels réguliers, sincères et qui donnent une image fidèle du patrimoine, de la situation financière et du résultat de l'entreprise.
Or il résulte de la lecture de la proposition de vérification établie le 16 décembre 2019 pour la SAS [14], que :
le fichier des écritures comptables se rapportant à la période du 1er septembre 2017 au 31 aout 2018, comme les inventaires sur les exercices vérifiés n'ont pas été transmis,
qu'aucune comptabilisation journalière des recettes de caisse n'étaient effectuée ni ces recettes justifiées,
que le mode de paiement des marchandises vendues et le taux de TVA applicable à ces ventes n'étaient pas déterminables.
L'administration fiscale considérait notamment qu'il existait une minoration du chiffre d'affaires déclaré pour les trois exercices, un passif injustifié devant être réintégré au résultat des exercices concernés et la prise en compte d'amortissements irrégulièrement comptabilisés, concluait en conséquence à une comptabilité irrégulière et non probante pour les exercices 2016, 2017 et 2018, et procédait à ce titre à une rectification et à des rappels sur TVA.
Les appelants qui contestent cette faute n'apportent aucun élément qui contredirait les constatations précitées, mais excipent seulement d'une prescription triennale qui les exonèrerait.
Ce délai de prescription qui concerne le contrôle fiscal ne peut être appliqué à l'action en comblement d'actif objet de l'instance.
En effet, si ce sont les comptes des exercices 2016 à 2018 qui ont été retenus comme irréguliers et non probants par l'administration fiscale, la comptabilité d'une société est nécessairement linéaire, chaque exercice reposant sur les écritures de l'exercice précédent, de sorte que les irrégularités constatées n'ont pu qu'affecter les comptes de la société [14] tout au long de sa vie depuis leur commission et jusqu'à l'ouverture le 9 juin 2021 de la procédure collective.
Or, ni Madame [H] ni Monsieur [Z] ne justifient d'une quelconque régularisation des comptes de la société après la rectification fiscale notifiée.
L'importance des irrégularités qui justifiait qu'elle soit, dans son entier, retenue comme non probante, écarte également toute simple négligence des dirigeants, étant encore rappelé l'absence d'empêchement médical véritable de Monsieur [Z] sur les exercices 2019. 2020 et jusqu'au 9 juin 2021.
L'existence d'une faute de gestion de ce chef est ainsi également parfaitement avérée à l'égard des deux dirigeants.
3. L'usage des biens de la société à des fins contraires à l'intérêt social :
L'objet social de la SAS [12] consistait en la « vente de gros et détail de produits alimentaires et produits divers alimentation générale », ce qui suppose d'évidence l'existence d'un droit au bail, de matériel d'exploitation, d'un stock, mais aussi d'une clientèle.
Le liquidateur judiciaire soutient que, sous couvert de la cession du droit au bail et du matériel d'exploitation, c'est en réalité le fonds de commerce tout entier de la société [12] qui a cédé à la société [12], ce qui n'était pas de l'intérêt de la première mais seulement de la seconde dans laquelle le fils de Monsieur [Z] était associé et dirigeant.
La société [12] a été enregistrée au registre du commerce et des sociétés de Montpellier le 18 juin 2019 par Monsieur [K] [Z] (fils de l'appelant) et Monsieur [T] [X] (qui serait un salarié de la société [14]), seuls associés et à parts égales, le premier étant nommé directeur général et le second président. Elle a, selon ses statuts, pour objet social la « vente de gros et détail de produits alimentaires et produits divers, alimentation générale » -strictement identique à la société [14].
Par acte du 17 juin 2019, la société [14] a cédé à la société [12], à compter de ce jour, le droit au bail dont elle disposait en vertu d'un acte sous seing privé du 1er mai 2015 relativement à un local commercial sis au [Adresse 6] à [Localité 15], pour une activité de « vente de gros et détail », moyennant un prix de 150.000 euros (pièce 8 de l'intimé).
Selon facture datée du 24 juin 2019, la société [14] a également cédé à la société [12] divers matériels : chambres froides, mobiliers de bureau et de rayonnage, système de videosurveillance', pour un total de 170.400 euros -mais dont on ne sait s'ils constituaient l'intégralité du matériel dont disposait la société [14](pièce 9 suivante).
La régularité de ces cessions n'est en l'instance pas contestée, la réalité du paiement des prix pas davantage -bien au contraire puisqu'il est décrit comme immédiat.
Pour autant, il n'est aucunement démontré par le liquidateur judiciaire que les autres éléments du fonds de commerce comprenant ce droit au bail et ces matériels, auraient également été transférés à la même société [12] par la société [14].
Ainsi le paiement par cette dernière des factures de fournisseurs pour diverses marchandises livrées, entre le 17 juin 2019 et le 30 aout 2019, ne permet pas de retenir que la société [12] a cédé tout son stock à la société [12] parallèllement et concomittament à la cession du droit au bail et à celle du matériel, alors que les pièces produites en l'instance ne permettent pas de fixer avec certitude les périodes respectives d'activité de ces deux sociétés, ni même de dire si elles ont été pour un temps concomittantes ou seulement successives.
Et les faits relatés par l'administration fiscale à ce sujet dans la proposition de rectification du 16 décembre 2019 ne relèvent pas de ses propres constats mais seulement d'informations qu'elle aurait recueillie d'une personne contactée par téléphone, qui serait (au conditionnel : « se présentant comme ») Monsieur [T] [X], dirigeant de la société [12], de sorte qu'aucune certitude ni quant aux déclarations de celui-ci, ni quant à la véracité des faits énoncés, ne peut en être déduite.
Enfin, le seul fait que le bailleur ne soit pas directement intervenu à l'acte de cession du droit au bail ne suffit pas à établir qu'il n'y aurait pas acquiescé et pas davantage à en déduire qu'il ne s'agirait donc pas d'une cession d'un droit au bail mais bien d'une cession de fonds de commerce.
Et il peut être rappelé que seul le dispositif d'une décision de justice a autorité de la chose jugée conformément à l'article 480 du code de procédure civile, de sorte qu'aucune certitude ne peut davantage être déduite de la seule motivation de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Nîmes le 21 juin 2024 ( RG n°23/01282) qui, seulement, infirmant le jugement rendu le 11 avril 2023 par le tribunal de commerce de Nîmes, déboute Maître [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [14] de sa demande en extension de la liquidation judiciaire à la société [12], et déboute cette dernière de sa demande de dommages et intérêts, déclarée recevable mais mal fondée.
Aucune faute de gestion n'est donc caractérisée à l'encontre des appelants de ce chef au regard des éléments produits en l'instance, et le jugement déféré doit être infirmé à cet égard.
' sur le lien de causalité entre les fautes de gestion commises et l'insuffisance d'actif :
Un lien de causalité doit être établi entre la faute de gestion et l'insuffisance d'actif (Com. 3 juillet 2012, n° 10-17.624 notamment).
La faute peut avoir seulement "contribué" à l'insuffisance d'actif et il n'est pas nécessaire, comme le rappelle à juste titre le liquidateur judiciaire, que la faute soit la cause directe et exclusive du dommage (Com. 21 juin 2005, n° 04-12.087). Le juge n'a ainsi pas à déterminer avec précision la part d'insuffisance d'actif imputable à telle faute du dirigeant.
Le retard délibérément pris par Monsieur [Z] à procéder à cette déclaration de cessation des paiements et la complète carence de Madame [H] à cet effet, ont conduit la situation de la société [14] à se détériorer à tel point que lorsque le tribunal de commerce de Nîmes a été enfin saisi, non seulement la société était en état de cessation des paiements mais aucun redressement n'était plus possible.
Cette faute est donc en lien de causalité direct avec l'insuffisance d'actif finalement constatée.
Et l'absence, pour une société, d'une comptabilité sincère et régulière, affecte nécessairement son évolution et sa situation financière. Ainsi, ne disposant pas de l'outil fiable que cette comptabilité devrait constituer pour eux, les deux dirigeants n'ont pu prendre les décisions qui auraient été nécessaires ou opportunes, de sorte que l'état de la société s'est dégradé et son insuffisance d'actif creusée au fil des mois et des années.
Les deux fautes de gestion retenues à l'encontre des appelants ont ainsi toutes contribué à l'insuffisance d'actif finalement constatée.
' sur le quantum de la condamnation :
Madame [H] et Monsieur [Z] ne fournissent aucun élément sur leurs situations patrimoniales et personnelles respectives, sinon pour le second un certificat médical qui atteste des difficultés déjà citées (pièce 3).
Les fautes de gestion commises ont été déterminantes de l'avenir de la société puisqu'elles ont conduit à la liquidation judiciaire immédiate lorsque le tribunal de commerce a enfin été saisi de sa situation.
Les deux appelants ont choisi de co-diriger la société, Monsieur étant désigné président dans les statuts et procédant immédiatement à la désignation de Madame comme directrice générale disposant des mêmes pouvoirs, laquelle l'acceptait. Ils ont en conséquence été tous deux autant fautifs dans la gestion, et co-auteurs des manquements retenus, de sorte qu'ils doivent être condamnés à comblement dans les mêmes proportions, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges -étant observé qu'aucune solidarité n'est demandée.
Ainsi, prenant en compte le quantum de l'insuffisance d'actif qui peut leur être opposé -116.559,27 euros, les deux fautes retenues et leur caractère déterminant pour la société, ainsi que le peu d'éléments sur les situations respectives des appelants, la cour évalue, en application du principe de proportionnalité, à la somme de 58.279,63 euros le comblement de passif auquel chacun d'entre eux doit être condamné (soit 50% chacun sur un comblement intégral).
' sur le prononcé d'une mesure de faillite personnelle :
L'article L653-4 du code de commerce dispose que « le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir disposé des biens de la personne morale comme des siens propres ;
2° Sous le couvert de la personne morale masquant ses agissements, avoir fait des actes de commerce dans un intérêt personnel ;
3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;
4° Avoir poursuivi abusivement, dans un intérêt personnel, une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements de la personne morale ;
5° Avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l'actif ou frauduleusement augmenté le passif de la personne morale ».
L'article L653-5 suivant ajoute encore que « le tribunal peut prononcer la faillite personnelle de toute personne mentionnée à l'article L653-1 (dont les personnes physiques dirigeantes de droit des personnes morales) contre laquelle a été relevé l'un des faits ci-après :
1° Avoir exercé une activité commerciale, artisanale ou agricole ou une fonction de direction ou d'administration d'une personne morale contrairement à une interdiction prévue par la loi ;
2° Avoir, dans l'intention d'éviter ou de retarder l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire, fait des achats en vue d'une revente au-dessous du cours ou employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds ;
3° Avoir souscrit, pour le compte d'autrui, sans contrepartie, des engagements jugés trop importants au moment de leur conclusion, eu égard à la situation de l'entreprise ou de la personne morale ;
4° Avoir payé ou fait payer, après cessation des paiements et en connaissance de cause de celle-ci, un créancier au préjudice des autres créanciers ;
5° Avoir, en s'abstenant volontairement de coopérer avec les organes de la procédure, fait obstacle à son bon déroulement ;
6° Avoir fait disparaître des documents comptables, ne pas avoir tenu de comptabilité lorsque les textes applicables en font obligation, ou avoir tenu une comptabilité fictive, manifestement incomplète ou irrégulière au regard des dispositions applicables ;
7° Avoir déclaré sciemment, au nom d'un créancier, une créance supposée ».
Le jugement déféré dont le ministère public demande la confirmation, a prononcé une mesure de faillite personnelle pendant huit ans à l'encontre de Monsieur [Z] et quatre ans à l'encontre de Madame [H] en retenant que « au vu des différentes fautes de gestion retenues (à leur encontre), la poursuite d'une exploitation déficitaire malgré l'importance des dettes sociales et fiscales de la société (était) suffisamment démontrée ».
Le liquidateur demande la confirmation de la décision en retenant que les deux dirigeants ont « disposé des biens de la société comme des leurs propres et de surcroit au profit d'une entreprise dans laquelle ils étaient intéressés ».
La seule omission volontaire de demander l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire dans le délai légal de 45 jours à compter de la cessation des paiements ne peut fonder une mesure de faillite personnelle mais seulement une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler telle que prévue par l'article L653-8 du code de commerce.
En revanche, la faute consistant en une tenue de comptabilité irrégulière, seule faute utile retenue, justifie et nécessite le prononcé à l'encontre de chacun des deux dirigeants d'une faillite personnelle d'une durée de cinq années, sanction personnelle parfaitement proportionnelle à la gravité et au cumul des fautes commises. En effet, président et directrice générale de la société [14], ils n'ont pas régulièrement tenu sa comptabilité, ce qui constitue pourtant l'exigence première de leurs fonctions, et ainsi failli dans leurs devoirs de dirigeants, révélant qu'ils présentent un danger pour la vie économique dont ils doivent en conséquence être écartés provisoirement.
sur la demande reconventionnelle :
La demande d'indemnisation formulée à titre reconventionnelle par les appelants est dirigée, comme libellé dans le dispositif de leurs dernières écritures, contre « Maître [V], es qualité de liquidateur ».
Elle est recevable en ce qu'elle découle de la demande de débouté des prétentions du liquidateur judiciaire ès qualités, et y est donc rattachée par un lien suffisant au sens de l'article 70 du code de procédure civile.
Pour autant, en l'absence de la démonstration de ce que le droit d'action de ce liquidateur judiciaire ès qualités aurait dégénéré en abus fautif, cette demande est mal fondée et doit être rejetée.
Sur les frais de l'instance :
Les appelants, qui succombent, devront, in solidum, supporter les dépens de l'instance et payer à l'intimé une somme équitablement arbitrée à 2.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La Cour, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
Et statuant à nouveau,
Dit que Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H], en leurs qualités respectives de président et directrice générale de la société [12], ont commis des fautes de gestion par non déclaration dans le délai légal de l'état de cessation des paiements et tenue de comptabilité irrégulière, qui ne relèvent pas d'une simple négligence, et sont en lien de causalité avec l'insuffisance d'actif de la société [12] établie à 116.559,27 euros ;
Condamne en conséquence Monsieur [D] [Z] et Madame [J] [H] au comblement intégral de cette insuffisance d'actif à proportion de 50% chacun ;
Condamne ainsi Monsieur [D] [Z] à payer la somme de 58.279,63 euros à Maître [P] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12] ;
Condamne également Madame [J] [H] à payer la somme de 58.279,63 euros à Maître [P] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12] ;
Prononce à l'encontre de Monsieur [D] [Z] une mesure de faillite personnelle de cinq ans ;
Prononce à l'encontre de Madame [J] [H] une mesure de faillite personnelle de cinq ans ;
Déclare recevable mais non fondée la demande reconventionnelle des appelants en indemnisation, et les en déboute ;
Dit que les appelants, in solidum, supporteront les dépens de première instance et d'appel et payeront à Maître [P] [V] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société [12], une somme de 2.500 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes.
Dit que l'arrêt sera signifié à Monsieur [Z] et à Madame [H] dans le délai de quinze jours de son prononcé par le greffier de la cour d'appel, et adressé au greffier du tribunal de commerce de Nîmes afin que celui-ci effectue les publicités et notifications prescrites par l'article R653-3 du code de commerce ;
Dit qu'une copie de la présente décision sera adressée à Me [P] [V], mandataire judiciaire, pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de la Société [12] au ministère public, et au directeur
départemental des Finances Publiques, conformément aux dispositions de l'article R.621-7 du code de commerce ;
Dit qu'en application des articles L128-1 et suivants du code de commerce, la mesure de faillite personnelle prononcée par confirmation fera l'objet d'une inscription au fichier national automatisé des interdits de gérer tenu sous la responsabilité du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce.
Arrêt signé par le président et par le greffier.