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Décisions

CA Nouméa, ch. com., 25 novembre 2024, n° 22/00081

NOUMÉA

Arrêt

Confirmation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Allard

Conseillers :

Mme Magherbi, Mme Vernhet-Heinrich

Avocat :

Me Lepape

T. mixte com. Nouméa, du 28 juin 2022, n…

28 juin 2022

PROCÉDURE DE PREMIÈRE INSTANCE

La société [17] a été enregistrée au RCS le 4 juin 2003 pour une activité de travaux de terrassement, transport de matériaux divers, assainissement, voiries et réseaux divers, mécanique générale, aménagement et équipement, second 'uvre et toutes entreprises de travaux publics ou autres.

Elle avait pour gérant de droit M. [Z] [H] [U].

Sur déclaration de cessation des paiements de son susnommé gérant, le tribunal de ce siège, par jugement du 3 avril 2017, a prononcé l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire de ladite société, fixé la date de cessation des paiements au le 1er mars 2016 et a désigné notamment la selarl [K]-[L] [F] ès qualités de mandataire judiciaire;

Un plan de continuation a été présenté par la débitrice au cours de la période d'observation, mais deux créanciers, la Cafat et le CRE, détenant 55 % du total des créances déclarées, s'y sont opposés à raison des dettes nouvelles survenues durant la même période ;

Par jugement du 26 mars 2018, le tribunal, au constat que le gérant de ladite débitrice se disait incapable de solder ces dettes nouvelles, a converti le redressement en liquidation judiciaire et désigné cette fois la selarl [K]-[L] [F] en qualité de mandataire liquidateur.

Sur appel de la société [17], la Cour d'Appel de Nouméa, par arrêt du 20 août 2018, a confirmé ce jugement de liquidation.

Par requête déposée au greffe le 1er avril 2020, la sus-nommée liquidatrice a fait convoquer M. [Z] [H] [U] devant la juridiction consulaire à l'effet de le voir condamner à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la société [17] soit la somme de 32 563 579 francs pacifiques.

Par jugement dont appel du 28 juin 2022, le tribunal mixte de commerce de Nouméa a :

- dit irrecevable et rejeté des débats la note en délibéré de la selarl [K]-[L] [F] en date au greffe du 28 avril 2022,

- rejeté l'exception de nullité soulevée par M. [H] [U]

- dit non prescrite et par suite recevable l'action en sanction de la selarl [K]-[L] [F] ès qualités de liquidateur de la société [17] à l'encontre du défendeur,

- rejeté en conséquence la fin de non-recevoir soulevée par M.[H] [U]

- condamner M.[H] [U] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la société [17] à hauteur de la somme totale de 32 563 579 francs pacifiques

- prononcé à l'encontre de M.[H] [U] une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 15 années, laquelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

- dit n`y avoir lieu à exécution provisoire,

- débouté, chacune des parties du surplus de ses demandes,

- dit que le jugement devra faire l'objet de la publicité prévue à l'article 220 de la délibération 352 du l8 janvier 2008.

PROCÉDURE D'APPEL

M. [H] [U] a relevé appel de ce jugement par requête enregistrée au greffe le 23 septembre 2022.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 29 avril 2024 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, il demande à la cour de :

- de juger de nul effet la requête déposée par la selarl [K]-[L] [F] es qualité de mandataire liquidateur de la société [17],

- d'accueillir la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l'action

- dire et juger prescrite l'action engagée à son encontre,

- dire et juger irrecevable l'action engagée à son encontre

Subsidiairement,

- débouter la selarl [K] [L] [F] en qualité de mandataire liquidateur de la société [17] de toutes ses demandes, fins et prétentions,

A titre plus subsidiaire,

- ramener à de plus justes proportions le quantum des condamnations

- condamner la selarl [K]-[L] [F] à verser à la selarl [K] [L] [F] en qualité de mandataire liquidateur la somme de 400 000 francs pacifiques sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe le 8 décembre 2023, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé de ses prétentions et moyens, le selarl [K] [L] [F] demande à la cour de :

- confirmer le jugement du 28 juin 2022 en ce qu'il a constaté des fautes de gestion particulièrement graves à l'encontre de M. [Z] [H] [U]

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé des sanctions pécuniaires à son encontre pour la totalité des insuffisances d'actif constatées dans la liquidation judiciaire de la société [17]

Par conséquent,

- condamner M.[Z] [H] [U] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la société [17] soit la somme de 32 563 579 francs pacifiques,

- confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé à son encontre une mesure d'interdiction de gérer d'une durée de 15 années, laquelle emporte interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler, directement ou indirectement toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale,

- le débouter en qualité d'ancien gérant de la société [17] de toutes ses demandes,

- le condamner aux frais de la procédure et aux entiers dépens.

Le Ministère public a conclu à la confirmation de la décision le 5 mai 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

La cour est saisie du seul appel principal de M. [H] [U] qui conteste la décision des premiers juges l'ayant condamné à combler l'insuffisance d'actif de la société liquidée dont il était le gérant, et prononcé à son encontre l'interdiction de gérer prévue par l'article L 653 - 8 du code de commerce.

Il convient d'examiner en premier lieu les exceptions de procédure ( I) et fin de non-recevoir (II) soulevées par M. [H] [U] avant de se prononcer, au fond sur le bien-fondé des sanctions financières ( III ) et disciplinaires IV) .

I. Sur l'exception de procédure.

Le tribunal a écarté l'exception de nullité de l'acte de saisine de la juridiction consulaire avancée par M. [H] [U] qui faisait valoir qu'il n'avait pas été en mesure de s'assurer de la recevabilité de l'action dans la mesure où la requête qui lui a été signifiée ne portait pas le cachet de réception du greffe. Le tribunal de commerce a retenu qu'aucun texte n'imposait la signification au défendeur de la requête déjà déposée au greffe, et estimé par ailleurs qu'aucune atteinte à une règle de fond relative aux actes de procédure ou à une formalité substantielle ou d'ordre public n'était établie , pas plus que la preuve d'un quelconque grief.

Devant la cour, M. [H] [U] reprend les arguments déjà développés devant les premiers juges en faisant valoir que la requête qui lui a été signifiée le 7 avril 2020, ne l'a pas été à la diligence du greffier mais de la selarl [K]-[L] [F], et n'était pas non plus visée par le greffe du tribunal de commerce. Il estime que ces carences entachent l'acte de nullité, dans la mesure où elles le privent de la vérification d'une formalité substantielle, celle de la date réelle du dépôt, qui permet d'apprécier de la prescription de l'action en interdiction de gérer.

La selarl [K]- [L] [F], demande à la cour d'écarter l'exception en nullité. Elle rappelle que le délai de prescription des deux actions est de trois ans, et commence à courir, s'agissant de l'action en interdiction de gérer à compter du jugement de redressement judiciaire (3 avril 2017) et s'agissant de l'action en comblement de l'insuffisance, à compter du jugement prononçant la liquidation judiciaire (26 mars 2018). Elle soutient que la requête ayant été déposée au greffe le 1er avril 2020, le délai de trois ans, n'était expiré ni pour l'action en interdiction de gérer (3 avril 2020) ni pour l'action en comblement de l'insuffisance (26 avril 2021).

La cour, retient de la lecture de l'article 757 du code de procédure civile de Nouvelle Calédonie, que la date à laquelle la juridiction est saisie d'une action est celle à laquelle la requête est, remise au greffe, visée et datée par le greffier. Ce texte ne fait aucune distinction entre la remise au greffe de la juridiction proprement dite, et le dépôt effectué, lorsqu'il en existe, auprès du service d'accueil unique du justiciable, comme c'est le cas au sein pour la cité judiciaire de Nouméa qui rassemble le tribunal de première instance, le tribunal du travail et tribunal mixte de commerce et la cour d'appel.

Dans ces conditions le visa porté par le service du guichet unique , sur la requête au moyen du tampon horodateur le 1er avril 2020, est suffisant pour établir avec certitude la date à laquelle la juridiction consulaire a été saisie, étant observé que ni l'article précité, ni les dispositions de l'article 54 -3-3 du code de procédure civile, mettant à la charge du greffe la signification de la requête au défendeur dans les 24 heures du dépôt, n'envisagent la nullité de l'acte introductif d'instance comme sanction au manquement aux formes ou délais prescrits par la loi.

En tout état de cause, la cour observe que le délai de 7 jours qui s'est écoulé entre la saisine de la juridiction par le dépôt de la requête et sa signification, même s'il excède celui qui est prévu par la loi, n'a porté aucune atteinte aux droits de M. [H] [U], qui sont fixés, ainsi que cela a été ci-dessus mentionné, à la date du 1er avril 2020.

Ainsi, force est de constater qu'en l'absence de tout grief, et en application des dispositions de l'article 114 du code de procédure civile, aucun acte de procédure ne peut être annulé, même en présence d'un manquement à une formalité substantielle ou d'ordre public.

En conséquence, la cour, comme les premiers juge, écarte l'exception de procédure tirée de ce chef.

II. Sur la fin de non-recevoir.

Le tribunal a écarté la fin de non-recevoir invoquée par M. [H] [U] , après avoir retenu que le délai pour agir, de trois ans n'était pas expiré le 1er avril 2020, date à laquelle il a fixé la saisine de la juridiction.

M. [H] [U] qui retient la date du 7 avril 2020 comme étant celle à laquelle il estime devoir fixer la saisine de la juridiction, affirme, comme en première instance que le droit d'agir pour entendre prononcer les sanctions prévues par l'article L 653-1-2 du code de commerce était expiré depuis le 3 avril 2020.

La selarl [K]-[L] [F] demande confirmation du jugement de ce chef.

La cour, retient des motifs précédemment énoncés qu'aucune des actions introduites par la selarl [K]-[L] [F] n'étaient prescrites le 1er avril 2020, date à laquelle le tribunal mixte du commerce a été saisi.

III Au fond

a. Sur l'action en comblement de l'insuffisance d'actif.

1. Sur l'existence de l'insuffisance d'actif.

Le tribunal a fixé le montant de l'insuffisance d'actif à la somme de 32 563 579 francs pacifique, déterminé à partir de l'état des créances, (54 439 438 francs pacifiques) et du passif salarial, sous déduction du passif rejeté et du passif réglé à l'aide des fonds disponibles sur le compte bancaire, sans que M. [H] [U] n'ait élevé la moindre contestation.

Le débiteur, sans remettre en cause cette somme de 32 563 579 francs pacifiques, expose qu'il a intégralement remboursé les dettes suivantes :

-[Localité 18] [10] SNC [12] : Doosan - 16 000 francs pacifiques (2015)

-[Localité 18] [10] SNC [7] : (véhicule Volvo 15 400 000 francs pacifique (2018)

-[Localité 18] [10] SNC [5] : Doosan -20 860 000 francs pacifiques (2021)

- LC Nord Distribution °17 : 176 025 francs pacifiques)

- Maxi pneu :

Il ajoute que la créance de la Direction des services fiscaux, de la Cafat, de la société [6], de la compagnie d'assurance [13], et de la société [16], ont été soldées en partie.

La selarl [K] [L] [F] réplique que le courriel produit par le débiteur pour attester du paiement en sa qualité de caution des créances de [Localité 18] [10] présente une authenticité douteuse. S'agissant des autres créances dont il estime qu'elles ont été en totalité ou en partie soldées le liquidateur rappelle que le passif de l'entreprise a été vérifié le 21 août 2017 en présence du débiteur , qu'il a donné son accord sur l'ensemble des créances qu'il entend finalement contester dans le cadre de la procédure d'appel. Elle précise que tel était notamment le cas des créances déclarées par la Cafat, la [11], [6] , et [15], et qu'en tout état de cause les éléments qu'il produit ne démontrent rien .

La cour, constate à la lecture de l'état du passif vérifié en présence du débiteur et avec son accord, le 21 août 2017 que les créances suivantes ont été vérifiées et approuvées par M. [H] [U] sans réserve pour les montants suivants :

- Direction des services fiscaux pour la somme de 441 351 francs pacifique

- Cafat, pour un montant de 14 677 657 francs pacifiques,

- Société [6] pour un montant de 398 010 francs pacifiques

- Compagnie [13] : 1 930 000 francs pacifiques

- [15] 176 205 francs pacifiques

La cour retiendra ces montants pour acquis à défaut pour le débiteur d'apporter la preuve de règlements postérieurs au 21 aout 2017 en observant que les relevés de compte ou les ordres de virements produits par M. [H] [U] portent tous sur des opérations antérieures.

En définitive, les seuls dossiers réellement soldés sont [Localité 18] [10] 29999 et 30051, ainsi que cela ressort des attestations délivrées les 9 août 2021 et 17 octobre 2018, doublées du mail adressé le 28 mars 2024 par l'assistante de direction de l'établissement à la selarl [K] [L] [F].

Par ailleurs, la cour constate que la créance [13] a été écartée du passif de la liquidation depuis le 24 octobre 2017.

Il en découle que les sommes de 1 930 000 francs pacifique, ([13]), de 2 914 355 francs pacifiques ([Localité 18] [10] dossier 29 999) et de 519 978 ([Localité 18] [10] 30051) doivent être déduites de la somme de 32 563 579 francs pacifiques, pour tenir compte de cette actualisation.

En définitive le passif correspondant à l'insuffisance d'actif s'élève à 27 199 246 francs pacifiques.

Le jugement sera réformé en ce sens.

2. Sur la responsabilité du dirigeant

Le tribunal, après avoir évalué l'insuffisance d'actif à la liquidation judiciaire de la société [17] a considéré que celle-ci avait pour origine exclusive les fautes de gestion commises par M. [H] [U]. La juridiction consulaire a relevé que le dépôt tardif de la déclaration de cessation de paiements, était nécessairement en lien avec l'insuffisance d'actif, puisqu'un grand nombre de créances déclarées remontent à la période suspecte, (soit 1er mars 2016/ 3 avril 2017 ) et que certaines dettes sociales encore plus anciennes comme les cotisations dues à la Cafat , les impôts et taxes ou encore les primes d'assurances s'accumulaient pour certaines depuis l'année 2013. Le tribunal de commerce a également relevé que l'absence de toute comptabilité à compter de l'exercice 2016 n'avait pu que participer à l'aveuglement volontaire du gérant quant à la santé financière de sa société.

Devant la cour, M. [H] [U] reprend ses écritures de première instance pour affirmer, d'une part qu'ayant confié la comptabilité de l'entreprise à des experts comptables qui détenaient tous les documents, il était ignorant de l'état de cessation de paiement et ne pouvait en conséquence être tenu pour responsable de l'avoir déclarée tardivement. Il prétend par ailleurs que les difficultés de l'entreprise ne sont pas la conséquence de quelconques fautes de gestion mais de la conjoncture économique difficile, et en particulier de la cessation d'activité en 2014 de l'usine du Nord qui était son principal client. Il explique avoir multiplié les démarches pour rétablir l'équilibre financier de la société, en sollicitant des aides auprès du gouvernement et d'un établissement bancaire ou encore en obtenant des délais de paiement auprès de la Cafat et en procédant au règlement de certaines dettes.

La selarl [K]-[L] [F] demande à la cour de confirmer l'existence de fautes de gestion ayant contribué à l'accroissement de l'insuffisance d'actifs et estime qu'aucun des arguments développés par le débiteur n'est pertinent pour l'exonérer de sa responsabilité. Elle fait valoir qu'en l'absence d'éléments nouveaux, l'omission de déclaration de la cessation de paiement dans le délai de quarante-cinq jours, l'absence de comptabilité après l'exercice 2015 retenues par le tribunal, et la poursuite d'une activité déficitaire demeurent parfaitement établies. Le mandataire judiciaire ajoute que M. [H] [U], est également à l'origine d'actes de gestion qui étaient contraires à l'intérêt de l'entreprise, en s'abstenant d'engager à l'encontre de la société '[19]' dont il était également le gérant, toute action en recouvrement des avances importantes que lui avaient consenties la société [17].

Au terme de l'article L 651-2 du code de commerce, lorsque le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance, décider que les pertes de la personne morale seront supportées en tout ou partie par tous les dirigeants de droit ou de fait de la personne morale.

Au sens de ce texte, constitue une faute de gestion caractérisée, susceptible d'engager sa responsabilité et son patrimoine, le manquement du dirigeant à une obligation légale, ayant contribué à l'insuffisance d'actif.

Au cas d'espèce, force est de constater que M. [H] [U] a déclaré la cessation de paiement avec plus d'une année de retard en violation manifeste des dispositions de l'article L 631-4 du code de commerce, et qu'il n'a pas été, non plus en capacité, de justifier de la tenue d'une comptabilité régulière depuis l'exercice 2015. La matérialité des faits n'est pas contestée par le débiteur qui doit en assumer l'entière responsabilité. En effet, la défection de son comptable ou expert-comptable, le cabinet [9] à partir de l'année 2016, même si celle-ci est établie, ne dispense pas le dirigeant d'une entreprise d'exercer son pouvoir de contrôle et de direction sur l'activité de la société en prenant les mesures et décisions qui s'imposent pour pourvoir à son remplacement. M. [H] [U], explique avoir fait le choix d'autres structures comptables, mais force est de constater que leurs propres travaux n'ont pu être menés à bien, faute d'obtenir, en temps utile, du cabinet [9], la restitution de l'ensemble des pièces indispensables à l'établissement des comptes sociaux. Pour autant, il ressort de l'audition, le 15 juin 2017, de Mme [R], représentant la société [4], dernier cabinet comptable mandaté par la société [17] que cette rétention était motivée par le non-paiement ou le paiement tardif de tout ou partie des honoraires qui restaient dus à son prédécesseur par les différentes sociétés contrôlées par M. [H] [U]. En définitive, cette situation, qui consacrait un nouvel impayé, aurait dû, alerter le débiteur , puisqu'elle le privait de tout outil de gestion fiable permettant à la personne morale et à lui-même d'appréhender la situation économique et financière exacte et de prendre en temps utile les mesures de redressement qui s'imposaient alors même que les résultats de l'exercice précédent ( 2015 ) mettaient déjà en évidence une augmentation importante des dettes fiscales et sociales de 53, 34 % et des dettes fournisseurs de plus de 10 % , représentant une somme globale de ( 20 660 190 + 16 079 190 ) 36 739 380 francs pacifiques pour une trésorerie de 36 127 francs pacifique, ayant fondue à plus de 90 % par rapport à l'année 2014 où elle s'élevait encore à plus de 5 millions de francs pacifiques.

La cour constate qu'en dépit de cette augmentation importante du passif social et fiscal, mettant déjà en lumière des difficultés économiques et financières importantes, M. [H] [U] a encaissé une rémunération de plus de 7 millions de francs pacifiques, et récupéré au cours de cette même année 2015 la quasi- totalité des fonds de son compte courant d'associé (soit 4 104 997 sur les 4 116 591 francs pacifiques qui y figuraient fin 2014) . La cour observe encore qu'aucune action en recouvrement n'a été engagée par M. [H] [U] à l'encontre de la société '[19]', (dans quelle il était également intéressé,) pour tenter de recouvrer la créance 'importante' -selon ses propres termes -que la société [17] détenait à son encontre. Il a ainsi par sa négligence passive contribué à l'appauvrissement de la société [17]

L'ensemble de ces éléments établissent , que M. [H] [U] bien conscient des difficultés de l'entreprise a nénanmoins dans un intérêt contraire à l'intérêt social, poursuivi son exploitation, contribuant ainsi activement à l'aggravation de l'insuffisance des actifs et compromettant définitivement les perspectives de redressement de l'entreprise.

Dans ces conditions, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu le principe de son entière responsabilité et ordonné qu'il comble cette insuffisance d'actif dans sa totalité. Cependant tenant compte des règlements justifiés effectués postérieurement à l'état des créances il convient de ramener le montant de la condamnation à la somme de 27 199 246 francs pacifiques.

En conséquence il y a lieu de réformer le jugement frappé d'appel sur le seul quantum.

b. Sur les sanctions personnelles.

Le tribunal mixte de commerce a prononcé à l'encontre de M. [H] [U] une interdiction de gérer toutes sortes d'entreprises, pendant une durée de quinze ans sur le fondement de l'article L 653-8 du code de commerce, au regard du manquement à deux obligations légales essentielles de tout gérant, à savoir celle de tenir une comptabilité régulière et complète et celle de déposer le bilan dans le délai de la loi lorsque la cessation des paiements est acquise. La juridiction a également souligné les expériences de faillites antérieures au préjudice pour l'essentiel des organismes sociaux et fiscaux, et justifié ainsi la nécessité de l'éloigner pour une longue période du champ de l'économie locale.

Devant la cour, M. [H] [U] réaffirme sa bonne foi, en soutenant qu'il n'avait pas connaissance de la cessation de paiement, rappelle que l'existence de liquidations prononcées à l'encontre d'autres sociétés, n'établit pas l'existence d'une faute intentionnelle ni celle d'un lien de causalité. Enfin il estime que la sanction prononcée pour sa durée maximale de 15 ans, est disproportionnée au regard de la faute commise et de sa situation personnelle et prie la cour, de la supprimer ou à minima de la réduire à une durée de 5 ans.

La selarl [K]-[L] [F] demande la confirmation du jugement.

L'article L 653-8 du code de commerce, énonce que dans les cas prévus aux articles L 653-3 à L 653-6, le tribunal peut prononcer à la place de la faillite personnelle ; l'interdiction de diriger, gérer, administrer, ou contrôler directement ou indirectement soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole et toute personne morale soit une ou plusieurs de celles-ci.

Au cas d'espèce, il ressort des motifs ci avant exposés, que M. [H] [U] encourt l'interdiction de gérer prévue par ce texte parce qu'il a, d'une part omise de demander l'ouverture d'une procédure collective dans les 45 jours suivants la cessation de paiement, comportement explicitement repris au dernier alinéa de l'article L 653-8 du code de commerce, et d'autre part, tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière, manquement visé par l'article L 653-5 6° du même code.

La cour, observe que si les fautes de gestion commises dans la direction de la société [17] peuvent seules, servir de fondement au prononcé de la sanction à l'encontre de M. [H] [U] dans la présente instance, en revanche , rien n'interdit à la cour, dans l'exercice de son pouvoir souverain d'individualisation de la sanction notamment quant à la durée de l'interdiction, de constater que le débiteur , s'est trouvé, seul ou associé à la direction d'autres personnes morales , ayant fait l'objet de procédures collectives. En effet, M. [H] [U], était gérant ou cogérant des sociétés ' [8]' et '[19]' respectivement liquidées par jugement du 07 décembre 2015 pour la première et 26 mars 2018 pour la seconde.

Ces antécédents démontrent que l'intéressé, ne tire aucun enseignement de ses erreurs qui affectent tant les acteurs privés de l'économie locale, que la collectivité dans sa globalité, via le préjudice subi par la Cafat au titre des cotisations impayées pour plus de quatorze millions de francs pacifiques. Pour les protéger durablement et prévenir les risques de nouvelles faillites, il y a lieu d'interdire à M. [H] [U] de gérer, diriger administrer ou contrôler directement ou indirectement tout en toute personne morale ayant une activité économique pendant une durée de 15 ans, ainsi que l'a décidé le tribunal mixte de commerce.

Le jugement sera en conséquence confirmer de ce chef.

III Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile.

Compte tenu de l'issue du procès, il ne paraît pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés devant la cour.

IV Sur les dépens.

M. [Z] [H] [U], qui succombe devant la cour sera condamné aux entiers dépens de l'instance d'appel.

PAR CES MOTIFS

La cour,

- Réforme le jugement rendu le 28 juin 2022 par le tribunal mixte de commerce de Nouméa, en ce qu'il a condamné M. [Z] [H] [U] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la sarl Société [17] à hauteur de la somme totale de 32 563 579 francs pacifiques

Et statuant à nouveau,

- Condamne M. [Z] [H] [U] à supporter le comblement de l'insuffisance d'actif de la liquidation de la Sarl Société [17] à hauteur de la somme totale de

27 199 246 francs pacifiques

- Confirme le jugement en toutes ses autres dispositions

Y ajoutant

- Condamne M. [Z] [H] [U] aux entiers dépens de l'instance d'appel.