Livv
Décisions

Cass. crim., 26 novembre 2024, n° 23-86.466

COUR DE CASSATION

Autre

Cassation

Cass. crim. n° 23-86.466

26 novembre 2024

N° K 23-86.466 F-D

N° 01430

ODVS
26 NOVEMBRE 2024

CASSATION PARTIELLE SANS RENVOI
DECHEANCE

M. BONNAL président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 26 NOVEMBRE 2024

MM. [T] [K], [Z] [F] et [H] [B] ont formé des pourvois contre l'arrêt de la cour d'appel de Nancy, chambre correctionnelle, en date du 8 juin 2023, qui, pour harcèlement moral ainsi que, s'agissant de MM. [K] et [F], pour injures non publiques en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion, a condamné le premier, à quinze mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle et 500 euros d'amende, le deuxième, à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle et neuf amendes de 300 euros chacune, le dernier, à deux ans d'emprisonnement dont dix-huit mois avec sursis, une interdiction professionnelle définitive, et a prononcé sur les intérêts civils.

Les pourvois sont joints en raison de la connexité.

Un mémoire a été produit pour M. [K].

Sur le rapport de Mme Merloz, conseiller référendaire, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [T] [K], et les conclusions de M. Tarabeux, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 octobre 2024 où étaient présents M. Bonnal, président, Mme Merloz, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 27 juin 2018, M. [N] [D], commissaire de police, a signalé à sa hiérarchie la situation de M. [S] [G], membre de l'unité de la brigade anti-criminalité (BAC) nuit de [Localité 1], victime de comportements d'exclusion et de propos à caractère raciste de la part de ses collègues. Il produisait la copie de plusieurs messages d'un groupe de discussion réunissant la plupart des membres de l'unité, que l'un d'eux lui avait communiqués, dans lesquels M. [G] était désigné par les termes « bougnoule », « bico » ou encore « couscous ». Dans un message du 10 octobre 2017, M. [K] écrivait : « il pourra parler Babouche ».

3. Une enquête préliminaire a été ouverte le 1er octobre 2018.

4. Le 10 juin 2021, MM. [T] [K], [Z] [F], [H] [B] et sept autres membres du service ont été cités devant le tribunal correctionnel des chefs susvisés.

5. Par jugement du 13 mai 2022, le tribunal correctionnel a déclaré coupables sept des dix prévenus et a notamment condamné des chefs susvisés M. [K] à six mois d'emprisonnement avec sursis, deux ans d'interdiction professionnelle et 1 000 euros d'amende pour la contravention, M. [F] à un an d'emprisonnement avec sursis, cinq ans d'interdiction professionnelle et 1 000 euros d'amende pour la contravention et M. [B] à dix-huit mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à une interdiction professionnelle définitive.

6. M. [K] et les six autres prévenus condamnés, ainsi que les parties civiles et le ministère public, ont interjeté appel de cette décision.

Déchéance des pourvois formés par MM. [F] et [B]

7. MM. [F] et [B] n'ont pas déposé dans le délai légal, personnellement ou par leur avocat, un mémoire exposant leurs moyens de cassation. Il y a lieu, en conséquence, de les déclarer déchus de leurs pourvois par application de l'article 590-1 du code de procédure pénale.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

8. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a condamné M. [K] à une peine de quinze mois d'emprisonnement avec sursis ainsi qu'à l'interdiction d'exercer la profession de policier pendant une période de cinq ans, alors « que toute peine prononcée par la juridiction doit être individualisée ; que dans les limites fixées par la loi, la juridiction détermine la nature, le quantum et le régime des peines prononcées en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale ; qu'au cas d'espèce, ayant constaté que M. [K], marié et père de deux enfants mineurs, avait servi dans la police durant 20 ans, qu'il avait toujours fait l'objet de bonnes évaluations et que son casier judiciaire ne mentionnait aucune condamnation, en se bornant, pour aggraver son sort tant sur le quantum de la peine d'emprisonnement que sur la durée de la peine d'interdiction, à énoncer qu'il se serait inscrit dans une démarche répétée et assumée d'ostracisation de M. [G] en ne montrant aucune empathie pour ce dernier, la cour d'appel, qui s'est insuffisamment expliquée sur la personnalité du prévenu et les circonstances de l'infraction et n'a donc pas correctement individualisé les peines, n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 132-1, 131-27 et 222-44 du code pénal, ensemble l'article 485-1 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

10. Pour condamner M. [K], pour le délit de harcèlement moral, à quinze mois d'emprisonnement avec sursis et cinq ans d'interdiction professionnelle, l'arrêt attaqué, après avoir notamment rappelé les dispositions de l'article 132-1 du code pénal, énonce que les faits ont une gravité toute particulière, s'agissant de faits de harcèlement répétés, impliquant des policiers qui ont nié les fondements éthiques de leur profession et les nécessités guidant ce métier difficile et capital dans l'organisation de la cité.

11. Les juges observent que l'ensemble des prévenus, policiers, ont eu, à des niveaux différents, une attitude indigne en regard de la mission qui est la leur, critiquant les quatre victimes et ne manifestant aucune empathie pour celles-ci, pourtant sérieusement atteintes par ces actes qui ont entraîné une dégradation de leurs conditions de travail et altéré leur santé dans des proportions élevées, à des niveaux rares, et rarement atteints dans une administration d'Etat.

12. Ils ajoutent plus précisément s'agissant du prévenu que ce dernier s'est, comme les autres prévenus, inscrit dans une démarche répétée et assumée d'ostracisation de M. [G], ne montrant aucune empathie pour celui-ci.

13. Ils relèvent enfin que le casier judiciaire du prévenu ne mentionne aucune condamnation, qu'il est marié et père de deux enfants, respectivement âgés de 6 et 8 ans, que son épouse est coiffeuse et qu'il a été fonctionnaire de police durant vingt ans, ayant fait l'objet de bonnes évaluations, avant d'être révoqué ; qu'il est actuellement sans emploi et perçoit une indemnité d'un montant de 1 650 euros par mois.

14. En se déterminant ainsi, au regard des circonstances particulièrement graves de l'infraction, de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation personnelle, la cour d'appel a justifié sa décision.

15. Dès lors, le moyen doit être écarté.

Mais sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

16. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a déclaré M. [K] coupable d'injure non publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, l'a condamné en répression à une peine d'amende de 500 euros et l'a condamné sur les intérêts civils au profit de M. [G], alors « que l'injure non publique visant une personne autre que les destinataires du message qui la contient n'est punissable que si l'envoi a été fait dans des conditions exclusives d'un caractère confidentiel ; qu'au cas d'espèce, en excluant le caractère confidentiel des propos imputés au prévenu au motif que le groupe de discussion électronique « Messenger » sur lequel ils avaient été postés, auquel n'appartenait pas M. [G], regroupait des policiers « nombreux », soit une grande partie de l'équipe de la BAC nuit, lesquels étaient tenus à des obligations déontologiques et professionnelles, quand le nombre de membres du groupe ou l'existence d'obligations déontologiques et professionnelles était sans pertinence quant au point de savoir si les messages qui y étaient échangés étaient confidentiels comme n'étant pas supposés pouvoir être connus des personnes n'appartenant pas au groupe de discussion, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article R. 625-8-1 du code pénal, ensemble le principe du secret des correspondances. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 29, alinéa 2, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, et R. 625-8-1, alinéa 1er, du code pénal :

17. Il résulte de ces textes que les expressions injurieuses à caractère raciste contenues dans une correspondance personnelle et privée, et visant une personne autre que le destinataire du message qui les contient, ne sont punissables, sous la qualification d'injure non publique en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion, que si cette correspondance a été adressée dans des conditions exclusives de tout caractère confidentiel.

18. Pour déclarer M. [K] coupable du chef d'injure non publique en raison de l'origine, l'ethnie, la nation, la race ou la religion, l'arrêt attaqué énonce en substance que ce dernier est l'auteur d'un message, dans lequel il déclarait, au sujet de M. [G], « il pourra parler Babouche » publié le 10 octobre 2017 sur le groupe de discussion réunissant l'ensemble de l'unité de la BAC nuit de [Localité 1], à l'exclusion de M. [G] et de M. [W].

19. Les juges ajoutent que les messages échangés sur la liste de discussion sont exclusifs de tout caractère confidentiel et ne peuvent s'analyser en correspondances privées et personnelles dès lors que la liste englobait la plupart des fonctionnaires de la BAC nuit, tenus à des obligations déontologiques et professionnelles minimales, et que ces policiers s'exprimaient notamment sur un autre policier, en des termes clairement outrageants et indignes, marquant un réel mépris notamment pour les origines maghrébines de M. [G].

20. En se déterminant ainsi, par des motifs inopérants, et alors que le message contenant les propos injurieux à caractère raciste était revêtu du caractère de confidentialité propre aux correspondances personnelles et privées et n'a perdu son caractère confidentiel que par l'initiative de l'un de ses destinataires, ainsi que la Cour de cassation est en mesure de s'en assurer, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé.

21. La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

Portée et conséquences de la cassation

22. La cassation aura lieu sans renvoi s'agissant de la déclaration de culpabilité du chef d'injure non publique en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

Sur les pourvois formés par MM. [F] et [B] :

CONSTATE leur déchéance ;

Sur le pourvoi formé par M. [K] :

CASSE et ANNULE, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Nancy, en date du 8 juin 2023, mais en ses seules dispositions relatives à la condamnation de M. [K] du chef d'injure non publique en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion et à la peine contraventionnelle, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

RAPPELLE que du fait de la présente décision, le jugement de première instance perd toute force exécutoire s'agissant de la condamnation de M. [K] du chef d'injure non publique en raison de l'origine, de l'ethnie, la nation, la race ou la religion ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Nancy et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six novembre deux mille vingt-quatre.