CA Bordeaux, 1re ch. civ., 8 mars 2021, n° 18/06848
BORDEAUX
Arrêt
Confirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Potée
Conseillers :
M. Braud, Mme Vallée
Avocats :
Me Thomas, Me Blatt
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Par acte sous seing privé du 12 juillet 2017, Z… a donné à bail à Frédérik A… et Cécile A… un immeuble à usage d'habitation sis 10, cours Gambetta, à Talence, moyennant un loyer initial de 1 340 euros hors provisions sur charges.
Par exploit en date du 24 avril 2018, les époux A… ont assigné la bailleresse devant le tribunal d'instance de Bordeaux afin d'obtenir :
' la diminution du loyer au prorata de la surface réelle en vertu de la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, soit une diminution de 328 euros par mois ;
' le remboursement du trop-perçu des loyers versés du 18 juillet 2017 au 30 avril 2018 représentant la somme de 3 100 euros ;
' le remboursement des loyers payés pour le trouble de jouissance paisible durant la période de travaux supérieure à 21 jours, soit la somme de 4 625 euros ;
' la condamnation de la bailleresse à la réalisation des travaux nécessaires à la mise en conformité des logements, à savoir : la réfection des peintures lézardées et jaunies (dans les toilettes du rez-de-chaussée, l'étage, l'entrée, le salon, la salle de bain, la cage d'escalier), le changement des menuiseries, du revêtement du sol de la salle de bain ainsi que des carreaux, plinthes et faïences cassés, l'élagage des arbres du jardin dont la densité est trop importante ;
' la condamnation de la bailleresse à leur payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Par jugement contradictoire en date du 23 octobre 2018, le tribunal a :
' Débouté les époux A… de l'ensemble de leurs demandes, en ce compris la demande d'expertise ;
' Débouté Z… de sa demande de communication de documents ;
' Constaté que Frédérik A… a communiqué les documents justifiant de sa mutation professionnelle et de sa situation professionnelle ;
' Débouté Z… de sa demande tendant à voir prononcer la nullité du contrat de bail et l'expulsion des locataires ;
' Condamné solidairement les époux A… à payer à Z… la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamné solidairement les époux A… aux entiers dépens.
Par déclaration du 21 décembre 2018, les époux A… ont interjeté appel du jugement.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées le 3 juin 2019, Frédérik A… et Cécile A… demandent à la cour de :
' Réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
' Débouter Z… de ses demandes ;
' Constater que la demande en diminution du loyer n'est pas prescrite ;
' Condamner le bailleur à rembourser au locataire la somme de 6 888 euros au 31 mai 2019 réajusté au jour des plaidoiries ;
' Réduire le loyer à de plus justes proportions et notamment le fixer à la somme de 1 012 euros, à compter de la prise d'effet du bail ;
' Constater que le bailleur a manqué à son obligation de délivrance de logement décent ;
' Le condamner au paiement d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêt en réparation du préjudice de jouissance ;
À titre subsidiaire,
' Réduire le loyer à de plus justes proportions et notamment le fixer à la somme de 1 012 euros, à compter de la prise d'effet du bail à tout le moins à compter de la demande en justice au moins d'avril 2018 ;
' Le condamner au paiement d'une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées le 7 août 2019, Z… demande à la cour de :
' Déclarer l'appel interjeté par les B… recevable mais mal fondé ;
' Confirmer le jugement rendu par le tribunal d'instance de Bordeaux le 23 octobre 2018 en toutes ses dispositions ;
Et notamment en ce qu'il a décidé de :
' Déclarer forclos les B… en leur demande en diminution du loyer pour erreur de calcul de surface ;
' Dire et juger que les B… étaient mal fondés à solliciter une réduction du loyer ainsi que des dommages-intérêts pour trouble de jouissance ;
' Rejeter la demande de réalisation de travaux complémentaires ;
' Débouter Frédérik A… et Cécile A… de l'intégralité de leurs demandes ;
Et statuant à nouveau :
' Dire et juger que l'introduction d'une mesure de conciliation ou de médiation n'est pas de nature à suspendre ou interrompre un délai de forclusion ;
' Déclarer les B… irrecevables en leur demande nouvelle formée à hauteur de 365 euros au regard de leur prétendu trouble de jouissance ;
' Condamner solidairement Frédérik A… et Cécile A… au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
' Condamner solidairement Frédérik A… et Cécile A… aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 11 janvier 2021 et l'audience fixée au 25 janvier 2021.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la fin de non-recevoir :
Aux termes de l'article 564 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Z… conteste sur ce fondement la recevabilité de partie de la demande d'une somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice de jouissance des époux A…, en ce qu'elle excède de 365 euros le montant réclamé en première instance.
Si les époux A… demandaient aux termes de leur acte introductif d'instance le remboursement des loyers payés pour le trouble de jouissance paisible durant la période de travaux supérieure à 21 jours, soit la somme de 4 625 euros, ils ont limité à l'audience leur demande à la somme de 4 505 euros correspondant à quatre mois et demi de loyer, tout en y ajoutant une demande de condamnation au payement de la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice, portant le total de leur demande à 6 505 euros. La demande de 5 000 euros de dommages et intérêts présentée à ce titre devant la cour n'est ainsi pas nouvelle, et doit être déclarée recevable.
Sur la diminution de loyer :
L'article 3-1 de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dispose :
« Lorsque la surface habitable de la chose louée est inférieure de plus d'un vingtième à celle exprimée dans le contrat de location, le bailleur supporte, à la demande du locataire, une diminution du loyer proportionnelle à l'écart constaté. À défaut d'accord entre les parties ou à défaut de réponse du bailleur dans un délai de deux mois à compter de la demande en diminution de loyer, le juge peut être saisi, dans le délai de quatre mois à compter de cette même demande, afin de déterminer, le cas échéant, la diminution de loyer à appliquer. La diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de signature du bail. Si la demande en diminution du loyer par le locataire intervient plus de six mois à compter de la prise d'effet du bail, la diminution de loyer acceptée par le bailleur ou prononcée par le juge prend effet à la date de la demande. »
Les époux A… ont demandé une diminution du loyer par lettre recommandée du 4 décembre 2017. Z… a refusé par lettre recommandée avisée le 25 janvier 2018. Les preneurs ont saisi le juge par exploit en date du 24 avril 2018, soit au-delà du délai de quatre mois qui expirait le 4 avril 2018.
Les époux A… entendent toutefois se prévaloir, sur le fondement de l'article 835 ancien du code de procédure civile et de l'article 2238 du code civil, de l'effet suspensif de prescription attaché à la tentative de conciliation qu'ils ont demandée le 16 janvier 2018, et qui a abouti à un constat d'échec le 2 mars 2018.
Le délai de quatre mois prévu par le texte précité est un délai de forclusion. La suspension de la prescription prévue par l'article 2238 du code civil n'est pas applicable au délai de forclusion. Le tribunal en a déduit à bon droit que les époux A… étaient irrecevables en leur action en diminution du prix.
Sur l'indemnisation du trouble de jouissance :
L'article 6, alinéas 1 et 2, de la loi du 6 juillet 1989 tendant à améliorer les rapports locatifs dispose dans sa rédaction applicable à l'espèce :
« Le bailleur est tenu de remettre au locataire un logement décent ne laissant pas apparaître de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé, répondant à un critère de performance énergétique minimale et doté des éléments le rendant conforme à l'usage d'habitation. Un décret en Conseil d'État définit le critère de performance énergétique minimale à respecter et un calendrier de mise en 'uvre échelonnée.
« Les caractéristiques correspondantes sont définies par décret en Conseil d'État pour les locaux à usage de résidence principale ou à usage mixte mentionnés au deuxième alinéa de l'article 2 et les locaux visés aux primo à tertio du même article, à l'exception des logements-foyers et des logements destinés aux travailleurs agricoles qui sont soumis à des règlements spécifiques. »
Les époux A… sollicitent une indemnité de 5 000 euros en réparation du trouble de jouissance consécutif à un manquement de la bailleresse à son obligation de délivrer un logement décent. Ils dénoncent en l'espèce :
a) une installation électrique non sécurisée,
b) ainsi que des garde-corps qui ne tiennent pas et des marches cassées.
Nonobstant les travaux convenus lors de la conclusion du bail et réalisés par Z…, ils prétendent que le seul fait d'avoir vécu dans des lieux ne répondant pas aux normes en vigueur est constitutif d'un préjudice, outre qu'ils ont subi plus de 50 jours d'intervention des entrepreneurs.
Aux termes de l'article 2 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent, le logement doit satisfaire aux conditions suivantes, au regard de la sécurité physique et de la santé des locataires :
a) Les réseaux et branchements d'électricité et les équipements de chauffage et de production d'eau chaude sont conformes aux normes de sécurité définies par les lois et règlements et sont en bon état d'usage et de fonctionnement ;
b) Les dispositifs de retenue des personnes, dans le logement et ses accès, tels que garde-corps des fenêtres, escaliers, loggias et balcons, sont dans un état conforme à leur usage.
a) Au soutien de leur grief relatif à l'installation électrique, les appelants produisent une attestation de la société d'électricité Martinez (pièce no 15), un rapport de visite du Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité du mois d'octobre 2017, et non du 6 mai 2019 comme ils l'indiquent dans leurs écritures (pièce no 16), ainsi que plusieurs attestations (pièces nos 17 à 20).
L'intimée verse aux débats le bail (pièce no 2), l'état des lieux d'entrée dressé le 18 juillet 2017 (pièce no 3), un diagnostic technique du 22 septembre 2017 (pièce no 5), ainsi qu'un tableau des travaux réalisés accompagné des factures (pièce no 8).
Il ressort de ces pièces que les parties sont convenues lors de la conclusion du bail, le 12 juillet 2017, de travaux d'électricité (réfection d'un point électrique) à réaliser après l'état des lieux entrant afin de coordonner la date d'intervention de l'artisan. Le diagnostic technique, établi dans sa version définitive le 22 septembre 2017 par la société A. B. Expertises à la suite d'une visite du 10 juillet 2017, conclut que l'installation intérieure d'électricité comporte des anomalies pour lesquelles il est vivement recommandé d'agir afin d'éliminer les dangers qu'elles présentent. Ce diagnostic est confirmé par le rapport de visite rédigé au mois d'octobre 2017 par le Comité national pour la sécurité des usagers de l'électricité. Il est également corroboré par les attestations versées aux débats par les époux A…, dont les auteurs relatent ce qu'ils ont pu observer en juillet 2017.
La bailleresse justifie par une facture du 2 octobre 2017 avoir fait réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires. Il ressort d'ailleurs du rapport établi le 7 mars 2019 par la société Martinez (pièce no 15 des appelants) que l'installation électrique du logement est une installation ancienne ; que les travaux de mise en sécurité ont toutefois été réalisés au mois d'octobre 2017 suivant le diagnostic établi par la société A. B. Expertises ; que toute l'installation électrique a été vérifiée et remise en service à la suite d'un sinistre le 2 février 2019 ; que les protections dans le tableau électrique ne sont pas efficaces lors d'une surtension, mais protègent les personnes contre les contacts directs et indirects et courts-circuits ; que les dégâts subis par la chaudière ne proviennent pas d'un défaut de l'installation électrique du logement, mais d'un défaut du réseau du distributeur d'électricité.
En définitive, il apparaît que l'installation électrique du bien loué ne présentait plus, à l'issue des travaux réalisés, de risques manifestes pouvant porter atteinte à la sécurité physique ou à la santé des locataires.
En l'absence de dommage avéré, les époux A… ne sont pas fondés à alléguer avoir subi un préjudice de jouissance du seul fait du défaut de conformité de l'installation électrique entre le 18 juillet 2017 et le 2 octobre 2017, et des travaux réalisés au cours du bail, alors qu'ils en étaient convenus avec Z… dès l'origine.
b) S'agissant du garde-corps, la rénovation de la rampe en fer forgé permettant l'accès au jardin était également prévue par le contrat de bail au début du mois de septembre 2017. Le contrat précisait pareillement que les travaux de ferronnerie devaient être effectués après l'état des lieux d'entrée en présence des locataires. Il n'est pas contesté que la bailleresse se soit exécutée.
Au regard des travaux de mise en conformité réalisés sans retard par la bailleresse, dans le respect de l'accord passé avec les preneurs, les époux A… ne démontrent pas avoir éprouvé un trouble de jouissance jusqu'à l'achèvement desdits travaux, ainsi que l'a jugé le tribunal par de justes motifs que la cour fait siens.
Les autres travaux évoqués par les appelants sont étrangers à l'état de décence du logement. Ils ne revêtaient pas de caractère d'urgence et ont été réalisés à la demande des locataires. Le jugement entrepris mérite pareillement confirmation en ce qu'il retient qu'ils n'ouvrent pas droit à indemnisation pour le trouble de jouissance qu'ils ont causé.
Sur les dépens et les frais irrépétibles :
Aux termes de l'article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. Les appelants en supporteront donc la charge.
En application de l'article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Sur ce fondement, les époux A… seront condamnés in solidum à payer la somme de 1 500 euros à Z….
LA COUR, PAR CES MOTIFS,
Déclare Frédérik A… et Cécile A… recevables en leurs demandes ;
Confirme le jugement ;
Y ajoutant,
Condamne in solidum Frédérik A… et Cécile A… à payer à Z… la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne in solidum Frédérik A… et Cécile A… aux dépens d'appel.