CA Bordeaux, ch. soc. A, 22 mai 2019, n° 16/06765
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Pignon
Conseillers :
Mme Cautres, Mme de Pedro
Avocats :
Me Schouartz, Me Hontas
EXPOSE DU LITIGE
X a été embauchée, le 26 mars 2012, suivant contrat à durée indéterminée à temps partiel par l'association Ceciphone Contact, en qualité de téléopératrice moyennant une rémunération mensuelle de 701.60 euros. Elle a été recrutée en qualité de personne handicapée.
X a été placée en arrêt de travail à compter du 12 décembre 2014.
Le 19 mai 2015, X a présenté sa démission.
Le 25 juin 2015, elle a saisi le conseil de prud'hommes de Bordeaux aux fins d'obtenir la requalification de sa démission en un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Par jugement en date du 25 octobre 2016 le conseil de prud'hommes de Bordeaux a :
- débouté X de l'ensemble de ses demandes,
- débouté l'association Ceciphone Contact de sa demande reconventionnelle,
- condamné X aux entiers dépens,
Le 15 novembre 2016, X a relevé appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas discutées.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA au greffe de la Cour d'appel de Bordeaux le 14 septembre 2018 auxquelles la cour se réfère expressément, X conclut à la réformation du jugement. En conséquence, elle demande à la Cour de :
- requalifier sa démission en un licenciement abusif,
- fixer les créances suivantes au passif de l'association Céciphone Contact :
- Dommages et intérêts pour licenciement abusif : 5 830 euros
- Indemnité compensatrice de préavis : 1 166 euros
- Congés payés sur indemnité compensatrice de préavis : 116,60 euros
- Indemnité de licenciement : 350 euros
- dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat : 10 000 euros
- article 700 du Code de Procédure Civile : 2.000 euros
- rendre le jugement opposable au CGEA,
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 11 décembre 2018 auxquelles la cour se réfère expressément, la SCP Silvestri Baujet, ès qualité de mandataire liquidateur de l'association Ceciphone Contact conclut à la confirmation du jugement entrepris et de voir juger qu'il y a lieu d'écarter des débats la pièce 19 du dossier de X, constituée par un pré-rapport de médiation, et ce en application de l'article 21-3 de la loi du 8 février 1995.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par RPVA au greffe de la cour d'appel de Bordeaux le 10 mars 2017 auxquelles la cour se réfère expressément, le CGEA de Bordeaux conclut à de la confirmation du jugement et la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
A titre subsidiaire, il demande de :
- limiter le montant de l'indemnité de licenciement à la somme de 316,68 euros,
- limiter le montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 3.498 euros.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 décembre 2018 et le conseiller de la mise en état a fixé l'affaire à l'audience du 5 février 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la pièce 19 du dossier de la salariée
Attendu que conformément à l'article 21-3 de la loi 95-125 du 8 février 1995 sauf accord contraire des parties, la médiation est soumise au principe de confidentialité ;
Que les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers ni invoquées ou produites dans le cadre d'une instance judiciaire ou arbitrale sans l'accord des parties ;
Qu'enfin il ne peut être fait exception à ces principes en présence de raisons impérieuses d'ordre public, de motifs liés à la protection de l'intérêt supérieur de l'enfant ou de l'intégrité physique ou psychologique de la personne ou la révélation de l'existence ou de la divulgation du contenu de l'accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en oeuvre ou son exécution ;
Attendu que la production de cette pièce fait obstacle au principe de confidentialité susvisé, ce même s'il s'agit d'un pré-rapport ;
Que l'employeur n'a pas donné d'accord exprès à la production des constatations du médiateur et la salariée n'a fait valoir aucun élément à l'appui d'éventuelles exceptions au principe de confidentialité ;
Attendu en conséquence qu'il sera fait droit à la demande de l'intimé ;
Sur la démission
Attendu que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ;
Que lorsque le salarié, sans évoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de la démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou de manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte des circonstances antérieures ou contemporaines à la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission ;
Attendu qu'il appartient au salarié d'établir les faits qu'il allègue à l'encontre de son employeur ;
Attendu que X fait valoir qu'elle a subi des pressions et des réflexions de la part de son supérieur hiérarchique et de membres du personnel rendant ses conditions de travail extrêmement difficiles et entraînant une détérioration de son état de santé et la contraignant à la démission ;
Attendu qu'à l'appui de ses allégations X produit :
- un avenant à son contrat de travail prévoyant un télétravail pendulaire à compter du premier novembre 2014 ;
- une attestation de A… qui décrit le climat de travail au sein de l'entreprise, les remarques déplacées de D… telles 'qu'est-ce qu'elle veut encore celle-là' ou 'mais de toute façon elle comprend rien' à l'endroit de X. L'attestante fait état également que C… surveillait les déplacements de X et disait devant d'autres salariés ' je ne comprends pas qu'on embauche des gens comme ça, je te la foutrais dehors '. Elle réalise également une description des conditions de réalisation du mouvement collectif au sein de l'entreprise et de la mise en place du télétravail pour X. Elle spécifie que X a été très isolée dans le cadre du télétravail, le superviseur ne répondant pas à ses sollicitations; Elle déclare enfin 'les jours en télétravail Y…, la superviseur, ne répond pas aux appels internes de X, elle l'ignore. C'est moi qui lui donne les informations par SMS pour éviter l'isolement déjà mis en place. Elle dit qu'elle ne veut pas se charger de X car 'elle est infernale et ne comprend rien. Peu de temps après la mise en place du télétravail Madame X a fait sa quatrième poussée de SEP en 21 mois et n'a jamais repris le travail' ;
- des éléments concernant le conflit collectif ayant existé au sein de l'entreprise. Il convient de noter que selon l'attestante B…, X n'était pas gréviste et n'a pas pris part au mouvement collectif ;
- une lettre ouverte de Z… en date du 25 juin 2014 dénonçant les conditions de mise en oeuvre du télétravail au sein de la structure et l'isolement des salariés déjà fragilisés ;
Attendu que la salariée démontre que les conditions de mise en place du télétravail ont créé un isolement certain et un désappointement dans le contexte d'une pathologie lourde ;
Qu'en arrêt de travail depuis le 12 décembre 2014, elle a fait l'objet d'une visite médicale de reprise du travail le 13 mai 2015 ;
Attendu que sa lettre de démission est datée du 18 avril 2015 alors même qu'elle a été rédigée au mois de mai puisqu'elle fait état de l'examen de pré-reprise du médecin du travail E… réalisé le 13 mai ;
Attendu que ce courrier mentionne explicitement '...et en accord avec le docteur Saint Mleux il n'apparaît pas possible que j'envisage une activité professionnelle' et vise donc sa seule inaptitude et non sa volonté de de plus poursuivre le contrat de travail,
Que cet élément ainsi que la date erronée de ce courrier démontrent qu'au vu des éléments antérieures et contemporains à la démission celle-ci était équivoque ;
Attendu que sa démission doit donc s'analyser en une prise d'acte de rupture du contrat de travail ;
Attendu qu'au vu des pièces décrites X établit que l'employeur a commis les manquements allégués empêchant la poursuite du contrat de travail ;
Qu'en effet il est établi que ses supérieurs hiérarchiques tenaient à son endroit des propos dégradants en et hors de sa présence et qu'ils n'ont pas procédé, compte tenu de son handicap, à la prise en compte des contraintes du télétravail ;
Attendu que cette prise d'acte doit donc produire les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Attendu que le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 25 octobre 2016 sera donc infirmé sur ce point ;
Sur les conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse
Sur l'indemnité de licenciement
Attendu que le calcul opéré par le mandataire liquidateur correspond en tous points au droit applicable aux éléments de l'espèce ;
Qu'il sera donc alloué à ce titre la somme de 316,88 euros ;
Sur l'indemnité compensatrice de préavis
Attendu qu'aux termes de l'article L. 1234-1 du code du travail, lorsque le licenciement n'est pas motivé par une faute grave, le salarié a droit à un préavis dont le point de départ est fixé par la date de présentation de la lettre recommandée notifiant le licenciement ;
Que la salariée a opéré un calcul de l'indemnité de préavis conforme aux dispositions de l'article L. 1234-5 du code du travail dont les modalités ne sont pas discutées par l'employeur ;
Attendu qu'il sera donc alloué à ce titre à X la somme de 1 166 euros ainsi que celle de 116,60 euros au titre des congés payés afférents ;
Sur les dommages et intérêts
Attendu qu'aux termes de l'article L. 1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas de réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois,
Attendu que compte tenu de l'effectif de l'entreprise supérieur à 11 salariés, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à X, de son âge, de son ancienneté supérieure à deux années, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation, à son expérience professionnelle et de son handicap et des conséquences du licenciement à son égard, il y a lieu de lui allouer, en application de l'article L. 1235-3 du code du travail, la somme de 4 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail
Attendu que X ne produit aucun document justifiant d'un préjudice résultant de l'exécution déloyale du contrat de travail par l'employeur ;
Qu'elle sera déboutée de cette demande de ce chef, le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 25 octobre 2016 devant être confirmé sur ce point,
Sur l'application de l'article 700 du code de procédure civile
Attendu qu'il apparaît équitable en l'espèce d'allouer à X la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
ECARTE des débats la pièce 19 de H… ;
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Bordeaux en date du 25 octobre 2016 sauf en ce qui concerne les dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail ;
Et statuant à nouveau sur les autres points,
DIT que la démission de X s'analyse en une prise d'acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
FIXE la créance de X au passif de la liquidation judiciaire de l'association Ceciphone Contact aux sommes suivantes :
* Dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 4 000 euros
- Indemnité compensatrice de préavis : 1 166 euros
- Congés payés sur indemnité compensatrice de préavis : 116,60 euros
- Indemnité de licenciement : 316,68 euros ;
DECLARE la présente décision opposable au centre de gestion et d'études AGS de Bordeaux dans la limite légale de sa garantie ;
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront pris en frais privilégiés de la procédure collective ;
CONDAMNE la SCP Silvestri-Baujet, es qualité de mandataire liquidateur de l'Association Ceciphone Contact à payer à X la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.