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Décisions

Cass. soc., 20 janvier 2021, n° 19-16.591

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Schamber

Rapporteur :

Mme Mariette

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Waquet, Farge et Hazan

Aix-en-Provence, du 7 févr. 2019

7 février 2019

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 9 février 2019), M. S... a été engagé par la Société des bains de mer et du cercle des étrangers dans le cadre d'un contrat à durée déterminée soumis au droit monégasque, du 1er mai au 10 octobre 2004, en qualité de maître-nageur pour assurer la surveillance de la piscine de l'hôtel Monte-Carlo Beach, situé sur la commune de [...].

2. Les années suivantes, il a de nouveau été recruté, aux mêmes fonctions, dans le cadre de contrats à durée déterminée couvrant chacun toute la période d'ouverture de la piscine de l'hôtel Monte-Carlo Beach, du mois de mai au mois d'octobre.

3. La Société des bains de mer l'ayant informé, par lettre du 18 mars 2014, que le poste qu'il occupait depuis dix ans ne lui serait pas proposé pour la saison à venir, il a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et le paiement de diverses sommes à titre d'indemnité de licenciement et de dommages-intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

4. L'employeur fait grief à l'arrêt de requalifier la relation contractuelle de contrats à durée déterminée saisonniers en contrat à durée indéterminée et en conséquence de le condamner à payer au salarié des sommes au titre de l'indemnité légale de licenciement, du préavis, outre les congés payés afférents et à titre de dommages-intérêts pour rupture abusive et brutale du contrat, alors :

« 1°/ que le droit monégasque, qui ne limite ni n'encadre le recours aux contrats à durée déterminée, ne prévoit la requalification d'une succession de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée qu'à la condition que ces contrats se soient succédés sans discontinuité et exclut toute requalification de contrats à durée déterminée conclus plusieurs années de suite pour la durée d'une seule saison et séparés de périodes d'inactivité ; que, selon l'article 9 de la convention collective de l'industrie hôtelière de Monaco du 1er juillet 1968, après deux ans de présence ininterrompue au sein de l'établissement, le titulaire de contrats à durée déterminée successifs dans le même emploi ou dans des emplois relevant de la même qualification professionnelle sera considéré comme bénéficiaire d'un contrat à durée indéterminée ; que ce texte de droit monégasque, qui doit être interprété au regard des solutions applicables en droit monégasque, implique que le salarié ne peut revendiquer le bénéfice d'un contrat à durée indéterminée s'il a travaillé dans le cadre de contrats à durée déterminée saisonniers, séparés par des périodes d'inactivité ; qu'en retenant, en l'espèce, après avoir relevé que le droit monégasque était applicable au litige, que la condition de présence ininterrompue prévue par la convention collective précitée pouvait être appréciée au regard de la période d'ouverture de l'établissement, de sorte que les périodes d'inactivité de plusieurs mois entre chacun des contrats à durée déterminée de droit monégasque conclus (entre la SBM et M. S...) ne faisaient pas obstacle à la requalification de ces contrats en contrat à durée déterminée, la cour d'appel, qui n'a pas recherché le contenu du droit positif applicable au litige, a violé l'article 3 du code civil ;

2°/ que selon l'article 9 de la convention collective de l'industrie hôtelière de Monaco du 1er juillet 1968, après deux ans de présence ininterrompue au sein de l'établissement, le titulaire de contrats à durée déterminée successifs dans le même emploi ou dans des emplois relevant de la même qualification professionnelle sera considéré comme bénéficiaire d'un contrat à durée indéterminée ; qu'il ressort des différentes dispositions de cette convention collective, comme de la jurisprudence des juridictions monégasques, qu'un hôtel et l'ensemble des services qu'il offre à sa clientèle constituent un établissement ; qu'en affirmant cependant que "la notion d'établissement doit s'entendre d'une entité vouée à un type d'activité spécifique et individualisée", pour retenir que la piscine découverte de l'hôtel Monte-Carlo Beach constituait un établissement et juger en conséquence que le salarié, qui avait travaillé dix années successives pendant les quelques mois d'ouverture de la piscine satisfaisait la condition de présence interrompue, peu important que l'hôtel ait été ouvert quant à lui toute l'année, la cour d'appel a méconnu le sens que la convention collective précitée attribue à la notion d'établissement, sans viser au demeurant aucune référence pertinente, en droit monégasque, donnant un sens aussi large à la notion d'établissement, et a dénaturé le droit monégasque applicable au litige et violé l'article 3 du code civil ;

3°/ qu'en se bornant à relever que la piscine de l'hôtel Monte-Carlo Beach a une activité propre et un personnel dédié exclusivement à cette activité, qu'elle fonctionne selon des horaires et un calendrier particuliers à destination de clients de l'hôtel, mais aussi de clients extérieurs, pour affirmer que cette piscine constitue un établissement et que le salarié qui a travaillé pendant la période d'ouverture de cette piscine, du printemps à l'automne, dix années consécutives, satisfaisait en conséquence la condition de deux ans de présence ininterrompue au sein de l'établissement, la cour d'appel a encore dénaturé le droit monégasque et violé l'article 3 du code civil ;

4°/ que le juge prud'homal ne peut se fonder sur la réglementation française pour procéder à la requalification en contrat à durée indéterminée de contrats à durée déterminée soumis au droit monégasque ; qu'en l'espèce, le droit monégasque, qui ne limite ni n'encadre le recours aux contrats à durée déterminée, ne prévoit la requalification d'une succession de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée qu'à la condition que ces contrats se soient succédés sans discontinuité ; qu'en se référant, par motifs réputés adoptés, à la notion d' "activité permanente de l'établissement" ou au "caractère permanent de l'emploi" occupé par le salarié au sein de l'entreprise, notions qui relèvent de la réglementation française en matière de contrat à durée déterminée, pour prononcer la requalification des contrats à durée déterminée de droit monégasque ayant lié le salarié à la SBM en contrat à durée indéterminée, la cour d'appel a violé l'article 3 du code civil ;

5°/ que selon l'article 989 du code civil monégasque, les engagements contractés par les parties ne valent que pour la durée d'exécution du contrat, sauf stipulation contraire ; qu'en conséquence, l'obligation d'exclusivité stipulée dans un contrat à durée déterminée ne vaut, sauf stipulation contraire, que pour la durée de ce contrat ; qu'en retenant encore, par motifs réputés adoptés, pour justifier la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, que la clause d'exclusivité stipulée à l'article 8 des contrats permettait à l'employeur de créer une relation continue et de s'attacher les services du salarié de manière permanente, la cour d'appel aurait donc encore dénaturé le droit monégasque et violé l'article 3 du code civil ;

6°/ que dans ses conclusions d'appel, il soutenait que la clause d'exclusivité stipulée dans les contrats à durée déterminée conclus avec le salarié ne résultait que de la mise en oeuvre du cahier des charges imposé par l'Etat monégasque, lequel interdit "au personnel recruté [par la société SBM] à temps plein, quel que soit son niveau hiérarchique, l'exercice de toute autre activité professionnelle exercée directement ou indirectement, rémunérée ou bénévole" ; que cette clause d'exclusivité, imposée par la réglementation applicable, ne pouvait en conséquence manifester aucune volonté de sa part de s'attacher les services du salarié au-delà de la durée de chacun des contrats à durée déterminée conclus avec lui ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen déterminant des conclusions de l'exposante, la cour d'appel a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ que le droit monégasque ne limite ni n'encadre le recours au contrat de travail à durée déterminée ; que, selon une jurisprudence établie de la Cour de révision monégasque, le juge ne peut requalifier une succession de contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée qu'à la condition de constater que le salarié a exercé les mêmes fonctions au service du même employeur "sans solution de continuité" pendant une longue durée ; que la Cour d'appel de Monaco a ainsi jugé, dans un arrêt du 11 décembre 2012, qu'un salarié ayant travaillé, plus de dix années successives, dans le cadre de contrats à durée déterminée conclus pour la durée de la saison de l'opéra, n'était pas fondé à solliciter la requalification de ces contrats en contrat à durée indéterminée, dès lors qu'il y a eu entre ses différentes périodes de travail une interruption effective distincte de la période de congés payés ; qu'en l'espèce, il est constant que le salarié n'a travaillé, chaque année, que pendant la période d'ouverture de la piscine olympique, soit en général du mois d'avril au mois d'octobre ; qu'en affirmant, par motifs réputés adoptés, que la jurisprudence monégasque justifiait la requalification de ces contrats, la cour d'appel a dénaturé cette jurisprudence et violé l'article 3 du code civil. »

Réponse de la Cour

5. S'il incombe au juge français, qui applique une loi étrangère, de rechercher et de justifier la solution donnée à la question litigieuse par le droit positif de l'Etat concerné, l'application qu'il fait de ce droit étranger, quelle qu'en soit la source, légale ou jurisprudentielle, échappe, sauf dénaturation, au contrôle de la Cour de cassation.

6. Selon l'article 9 de la convention collective de l'industrie hôtelière de Monaco du 1er juillet 1968, après deux ans de présence ininterrompue au sein de l'établissement, le titulaire de contrats à durée déterminée successifs dans le même emploi ou dans différents emplois relevant de la même qualification professionnelle sera considéré comme bénéficiaire d'un contrat à durée indéterminée.

7. Interprétant, sans les dénaturer, la loi et la jurisprudence étrangères dont elle a fait application, la cour d'appel qui, par une appréciation des éléments de fait et de preuve qui lui étaient soumis, a constaté que la piscine de l'hôtel Monte-Carlo Beach avait une activité propre et un personnel dédié exclusivement à cette activité, qu'elle fonctionnait selon des horaires et un calendrier à destination de clients de l'hôtel mais également de clients extérieurs en sorte qu'au regard de cette autonomie d'exploitation elle constituait un établissement distinct de l'hôtel, a pu en déduire que le salarié, qui avait été successivement recruté par la société des Bains de mer et du cercle des étrangers, chaque année de 2004 à 2013, pour occuper les mêmes fonctions de maître-nageur afin d'assurer la surveillance de la piscine de l'hôtel Monte-Carlo Beach, en vertu de contrats à durée déterminée couvrant chacun toute la période d'ouverture de cet établissement, devait être considéré comme bénéficiaire d'un contrat à durée indéterminée en application de l'article 9 de la convention collective.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi.